Daisy Miller était en retard.

Ce n’était pas à cause du maquillage ou d’un quelconque désir de faire languir Hayden, non. Elle aurait largement préféré que ce soit le cas d’ailleurs. Les coquetteries de mise à ce genre de soirée s’étaient malheureusement envolées devant la catastrophe désastreuse qu’elle avait devant elle, le reflet du miroir pourtant scintillant d’étoiles filantes et de rouges à lèvres crémeux.

Jolie elle l’était pensait elle, un peu d’effroi collé sur les joues malgré tout. Elle avait mis du parfum dans sa chevelure, au creux de ses poignets. De ces délicats pastels translucides, parfumés à la rose, la menthe, l'amande ou la pistache, un sillage envoutant sur son chemin, un peu de soie gourmande sur la sucre stellaire qu’elle offrait. La mousseline bleu nuit vaporeuse se faisait empreinte intime sur son corps malicieux, l’or et l’argent des astres s’intensifiaient de lumières rutilantes sous les bougies tamisées de l’école. Oui, jolie si on aimait tout ça. Voilà qui reflétait parfaitement son caractère papillonnant, mais à quel prix ? « Vous êtes en retard signorina ! » fit l’Arlequin du tableau. « Oh fl… » commença-t-elle à répondre dans un mouvement d'humeur. La robe gronda immédiatement sur sa peau et Daisy ravala son agacement, une peur cristalline au bord des cils. Ne pas parler. Ne rien dire.

Elle n’y arriverait pas.

Daisy Miller était en retard mais c’est parce qu’il avait simplement fallu faire face à un de ces terribles dilemmes qui prennent à la gorge, vous secoue en l’air et vous laisse retomber sans air et sans solutions non plus.

Elle avait eu le choix – si on peut appeler ça ainsi - entre trois options : La première semblait raisonnable. Elle consistait à se résigner de la situation en acceptant d'enfiler une tenue déjà portée auparavant. L’idée même d’être vue au bal le plus important de l’année dans un vêtement déjà porté pour une sortie standard la remplissait pourtant d’une gêne incommensurable. Sa vanité n’y survivrait pas. Son orgueil non plus.

Autant dire que l’option numéro un ne fit pas long feu.

La numéro deux était on ne plus radicale : ne pas y aller simplement. Un bal était si peu de chose au cours d'une scolarité, oui ? Elle n’avait qu’à prétexter une migraine foudroyante ou une toux contagieuse. Ce n’était pas bien malin de faire ça au poursuiveur de l’équipe de Quidditch de sa propre maison mais aux grands maux, les grands remèdes.
Oui mais voilà, si elle restait dans sa chambre, à entendre en sourdine le bruit des verres de cidre et les valses virevoltantes provenant de la Grande Salle décorée pour l'occasion, elle crèverait d’envie. Sa curiosité n’y survivrait pas. Son tempérament avide non plus.

Autant dire que l’option numéro deux ne fit pas long feu non plus.

Restait la troisième et ultime ressource. La plus dangereuse en soi. Porter la robe exquise cousue par les longs doigts délicats d’un Sidney silencieux et le devenir à son tour. Il y eut du désarroi quand elle enfila sa robe légère. Courte, au-dessus des genoux. Elle remercia presque le fait de ne pas avoir eu assez de tissu pour en faire une robe longue. De toute façon, elle n’était elle-même pas assez grande pour ce genre de patron, le court lui allait mieux. Définitivement.
Et puis, il avait moins de place pour les trous noirs et les fracas d’étoiles. Au dernier essayage, une aiguille avait disparu dans un des gouffres tourbillonnant apparu sur sa robe alors qu’elle parlait, et ce pour mieux réapparaitre en la piquant jusqu’au sang quelques minutes plus tard au niveau du décolletée. La vendeuse avait bien prévenu que le tissu étaient enchantée mais elle ne s’était pas imaginée que les dangers de l’espace seraient si éreintants. Elle aurait dû.

Le Big Bang s’appelait comme ça pour une bonne raison après tout.

Elle avait choisit la troisième option, déterminée envers et contre tout à s'amuser. Ce n'était que le son de sa voix qui provoquait des remous, pas celle des autres. Il lui suffisait donc de s'en tenir au charme inhérent de sa personne et non pas de sa personnalité... oui et bien… ce n'était pas gagné. Un soupir à fendre les pierres glissa sur ses lèvres tandis qu'elle descendit les escaliers. Elle aperçut la chevelure dorée de son cavalier. Elle espérait sincèrement qu'il s'emmêlerait moins les pinceaux qu'à l'ordinaire. En temps normal, ça l'amusait mais maintenant qu'elle ne pouvait plus parler, ça risquait d'être contraignant. « Hay… » Elle agita plutôt sa main alors que le souffle sembla faire onduler Jupiter sur sa taille. Une perle de sa coiffure explosa dans un son sec et elle rajusta une mèche avant d’offrir un sourire contrit à son cavalier.

Ne pas parler ? Elle ? Par Merlin… Mais comment allait elle pouvoir se moquer des tenues des gens ou postuler sur les couples en devenir ? Et elle avait milles questions sur le bonnet de Fergal pour Hayden en plus. Oh non !
La soirée lui sembla un instant insurmontable aussi cilla-t-elle comme si elle était à l’abattoir avant de venir enrouler son bras autour de celui d’Hayden dans un effort surhumain. Elle s’arrêta un instant en semblant se souvenir de quelque chose puis sortit un carnet de son petit sac sur lequel elle gribouilla en vitesse. Extinction de voix. Longtemps attendu ? Elle glissa un regard de biche peinée pour donner au change et tapota sur sa gorge, les lèvres en moue.

Histoire de.

@Hayden W. Lynch

Les robes ruissellent de lumière près des sombres tenues chics que la plupart des sorciers portent en cette soirée de gala. C’est une extravagance de plus dans le monde de la magie, comme si les paillettes et le champagne pouvaient effacer le malaise ambiant et les chuchotis étouffés derrière des gants de velours.

La nature des êtres est terriblement prévisible. C’est ce que Daisy se serait dit si elle avait entendu le discours de Sorensen. C’est ce qu’elle pense en voyant l’estrade des gradés or. Everybody wants to rule the world. C’est ce que dit la chanson lancinante. On désire et on échange. On soumet et on s’en amuse. Elle en est coupable aussi à sa manière, participe à l’implacable dérive d’un système en perdition. La liberté a des relents de cendre sous leurs pieds. Elle est aguerrie aux catastrophes, sent parfaitement quand les choses vont dégénérer sous peu. Il n’y a pas besoin des cartes de Rosalie pour deviner que cette provocation alimente quelque chose de bien pire que la colère ou la haine.

Peu importe.

Ce soir, son cœur est une pochette surprise et ses exhalaisons sont des confettis.

Elle dirige son attention vers Hayden. Il est gentil et elle s’aperçoit de toute la noblesse qu’elle imprime sur cet adjectif. Il y a peu de monde qu’elle qualifie ainsi sans en révoquer la carte presque immédiatement. Des personnes qui semblent gentilles, il y en a énormément – et puis, on s’aperçoit qu’ils veulent, égratignent, exigent et prospère sur l’effacement d’autrui. On veut mais on veut avec ses conditions, avec un cahier des charges précis. Hayden n’a rien exigé, au contraire. Elle lui a demandé des choses impossibles et, sans broncher, tel Jason attrapant la toison d’or pour mieux la presser aux pieds de Médée, il l’a fait.

Juste pour le plaisir de sa compagnie.

Daisy lui sourit, un peu de velours dans le regard. Il est gentil et c’est peut-être la seule et unique chose qui puisse la rendre un tant soit peu nerveuse.

Oui, ça et de jolis abdos. Evidemment.

N'empêche qu'elle l’a vu sans son haut de pyjama durant l’expédition nocturne dirigée par Mary et Blaze. Le souvenir imprime un petit sourire malicieux sur son museau. Il n’a pas l’air de savoir ou de se rendre compte qu'il pourrait être bien plus populaire qu'il ne le pense, c’est amusant. « Non, t’en fais pas… pas tant que ça. » Il ment. Mal. Et c'est très mignon. Elle c'est tout le contraire: elle ment très bien. Elle est justement en train de le faire avec cette extinction de voix. C'est pour la bonne cause de toute façon, ce n'est pas bien vilain.
Elle lui rajuste sa cravate qui n’en a pas vraiment besoin comme pour lui signifier qu’il est charmant lui aussi. Hayden a de longs cils couleur fumée et des cheveux sages. Elle n’est pas à cheval sur sa tenue déjà parce que sa propre robe est un désastre en soi quelque part et ensuite parce qu’elle le lui avait bien dit déjà sur la carte : elle rayonnera aisément pour deux.

Elle a un petit mouvement de tête vers Noah qu’elle scanne ouvertement des pieds à la tête avant de s’éloigner, le petit nez en l'air, pimbêche jusqu'au bout des ongles.

Ils s’avancent et dans un automatisme de chipie certifiée, Daisy regarde un peu partout, la belette qu’elle est fouinant sous les couches de givre environnant. Elle est l'une des rares à porter une robe courte aux couleurs de la nuit et s'en amuse. Elle a envie de tout commenter, de répondre à Hayden, d’exploser de milles rumeurs et c’est une torture vraiment. Il faut faire court, sobre – ewww – et ne pas se perdre dans des conversations trop longues qui lui prendrait mille ans à rédiger.
« Tu veux boire quelque chose ? Si t’as mal à la gorge, on peut peut-être trouver une boisson chaude quelque part… je peux essayer de mettre la main sur un elfe. » Elle secoue la tête. Elle ne veut pas risquer en plus d’un Big Bang sur sa robe, un splash de chocolat chaud. Elle n’a pas faim de toute manière, la taille bien prise dans sa robe. Il lui a posé une question juste avant de s'enquérir de sa santé. Elle lui avait parlé d’étoiles ? Voilà qui est étrange. Elle lui avait déjà dit pour sa robe ? Non ce n’était pas ça. Ah ! Elle agite sa main, trouvant un peu de délice dans le fait d’essaimer ses réponses et d’entretenir ainsi un peu de mystères. Elle gribouille à niveau, le trait leste sur le papier fin. Rosalie. Elle montre le nom à Hayden, un air ravi sur le visage. Comment peut-elle épiloguer maintenant ? Ce carnet est si petit en plus. Qu’arrivera-t-il quand elle n’aura plus de feuilles. Prédictions. Elle le pointe du bout du stylo et se pointe ensuite avant de pencher son visage d’un air entendu. Viens La main glisse résolument dans celle d’Hayden et elle le tire sans sommation vers la piste de danse, les pas légers et un peu de joie sur ses lèvres.

Il pourra poser toute les questions qu’il veut une fois qu’elle sera en train de tourner sur le marbre cristallin de la Grande Salle.

@Hayden W. Lynch
@Noah A. Wood

Thomas n’avait vraiment, sincèrement, absolument aucune opinion sur les conditions de travail des elfes de maison. Il avait une opinion sur ses conditions de travail à lui, oui, mais n’avait pas étendu sa conscience de classe au point d’envisager que d’autres puissent, dans différentes mesures, partager ses affres. Et manifestement, cette conscience ne l’effleurerait pas aujourd’hui non plus, si bien qu’il se contenta de hocher la tête vigoureusement et d’un air concentré à tout ce que disait Michaela, en espérant que ça passerait pour des convictions.

Heureusement pour lui, la jeune fille ne semblait ce soir pas très motivée non plus à s’attarder longtemps sur ce sujet en particulier et préféra complimenter la qualité du jus de citrouille, ce qui lui fit bien plaisir. Elle pointa ensuite assez justement que personne n’aimerait ça à ce point si c’était de la soupe de légume et Thomas fut obliger de concéder à nouveau qu’elle avait vu juste. Michaela était une fille vraiment futée.

Le jeune homme était plutôt satisfait de la tournure de la soirée, la conversation avançait bien, sans trop de blancs, sa cavalière semblait contente et il n’avait pas l’air de trop l’ennuyer, ce qui était sa principale préoccupation. Juste derrière venait le fait de se poser des tas de questions sur le monde des sorciers, à commencer par le fonctionnement du bal en lui-même et lui vint à l’idée que peut-être les gens s’envoleraient à un moment, il lui semblait avoir déjà vu ça quelque part.

Michaela toutefois infirma. Est-ce qu’il était déçu ?

- « Non non. » Il secoue la tête et sourit. « Ça rendrait bien, oui, mais je devrai te regarder d’en bas. »

Il ne semble montrer ni frustration, ni tristesse, en disant cela. C’est juste comme ça, visiblement, il faut faire avec.

- « Je crois que c’était dans… » il réfléchit. « Le bal des vampires ! C’était nul ! » Il rit.

Et soudain la question, fatidique. D’un geste Michaela vient de lui désigner la piste de danse. Aller voir, ça ne veut pas juste dire « aller voir » car déjà au milieu de la pièce quelques personnes viennent de se lancer. Thomas retrouve soudain tout son sérieux, comme si sa concentration venait de s’abattre lourdement sur eux deux, pareille à un rideau de pluie.

Il hoche la tête.

- « D’accord. »

Reste à espérer qu’il ne vient pas de faire une grosse bêtise.

- « Mais je ne sais pas danser hein ! » C’est mieux de le rappeler, au cas ou la jeune fille ait oublié depuis qu’il l’avait prévenue la première fois. « Peut-être qu’on attend qu’un peu plus de gens y aillent… ? » hasarde-t-il.

L’anonymat. L’anonymat c’est très bien. Ne pas se faire remarquer, laisser les autres parler, écouter de toutes ses oreilles, voir de tous ses yeux, ça lui allait très bien ça. Au centre de la salle de bal, au cœur de toutes les attentions, c’est déjà une autre histoire, assurément, alors il n’en prendra pas l’initiative, mais si Michaela y tient… il faudra bien qu’il y aille, sans doute.