Il ne me faut que quelques secondes pour revenir me lover tout contre Junior, repoussant le froid perçant de ces eaux dans lesquelles nous étions plongés jusqu’au cou, lui préférant cette douce chaleur qui enveloppait nos corps si proches. Déjà, ce qu’il se passe sur le rivage n’a plus la moindre importance : en dehors de notre bulle, plus rien n’avait d’existence. Puisque tu insistes, je trrrouverrrais de quoi compenser cette désillusion. Loin de moi l’envie de te décevoirrr. C’est qu’il me fallait être à la hauteur des attentes de mon meilleur ami ! Après tous ces royaumes que nous avions parcourus main dans la main, il était normal que ses exigences soient des plus pointues : un toit enneigé surplombant le monde, des rayonnages interdits d’une bibliothèque fermée pour la nuit, un bassin aux eaux colorées dans lequel nous nous étions déjà perdus l’un contre l’autre, un immense coussin faisant office d'îlot perdu sous un ciel étoilé… et ce n’étaient là que nos escapades de quelques mois. Quant aux jours à venir, ils nous promettaient de toutes nouvelles terres à faire nôtres. Alors que dire des mois et des années qui suivraient ? Mon sourire railleur se dilue bien vite dans ces perspectives soutenues par la tendresse silencieuse qui s’empare de l’instant.

Autour de son cou, mes doigts noués me maintenaient contre lui tandis que nous dérivions mollement au milieu de l’étang. Il ne faisait pas si froid, dans ses bras. Ce serait évidemment différent lorsque nous quitterions l’étang pour retrouver la terre ferme et son air mordant qui enfoncerait dans notre épiderme chacune des gouttes d’eau glacée comme autant de pics gelés. Raison de plus pour rester là, tout contre lui, à se perdre dans ce bassin qui n’appartenait qu’à nous. C’était sans compter le risque d’hypothermie évoqué par mon meilleur ami au début de notre baignade et qui prenait doucement vie sur ses lèvres. Je les effleure d’un baiser qui ancre son regard dans le mien et lui retourne un sourire avant de l’informer de cette teinte violacée qui colorait le sien. Il acquiesce en silence et nous fait fendre les flots calmes de l’étang en sens inverse, sans desserrer son étreinte, m’en gardant prisonnière, pour mon plus grand plaisir. Il finit cependant par devoir m’abandonner et en profite pour se montrer affreusement insolent, m’aspergeant d’un grande gerbe d’eau avant de fuir à toute vitesse loin de moi. Hé ! m’exclamai-je en secouant la tête pour faire tomber les gouttes qui s’accrochaient à la peau de mon visage. Une dizaine de façons de lui faire payer cet affront me traversent l’esprit avant que je ne consente à les abandonner derrière moi. Je ne me laissais pas amadouer par son air parfaitement innocent, encore que… non, c’était simplement de bonne guerre. Pour l’instant, du moins, en témoignait mon sourire aux coins relevés d’impertinence.

L’air était plus vif que lorsque nous avions quitté la cabane hurlante pour nous échapper jusqu’ici. Il était comme un millier d’épines qui se faisaient un malin plaisir de souligner la sottise de notre bain nocturne. Sans succès. J’avais beau grelotter en rejoignant Junior jusqu’à nos habits abandonnés au sol, je n’éprouvais pas le moindre regret, pas même celui de n’avoir pas pensé à emmener avec moi de quoi me sécher. Nous avions nos baguettes, après tout. Au léger détail près que nous étions en dehors de l’enceinte de Poudlard et que nous portions encore sur nous la Trace. Le regard teinté de désespoir de Junior m’arrache un rictus dépité : il aurait été dommage de nous faire repérer à cause d’un sortilège si trivial et de mettre ainsi fin à cette soirée qui ne faisait que débuter. Tant pis ! c’était supportable, après tout. Imitant mon meilleur ami, je chasse autant d’eau que possible de mon corps avant d’enfiler ma robe noire par-dessus mon maillot encore trempé et ma peau plus qu’humide. Le tissu collé par l’eau qui l’imprégnait déjà n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable mais je l’oubliai bien vite en constatant l’allure de Junior, mon sourire railleur reprenant possession de mes traits. Légèrement penchée, mes doigts entortillèrent mes longs cheveux bruns pour en ôter un maximum d’eau avant de les laisser onduler dans mon dos.

L’avantage d’une robe tout ce qu’il y a de plus simple, c’est que j’étais déjà apprêtée alors que Junior était encore en plein combat avec les boutons de sa chemise. L’image de Finnbjörn prenant connaissance de notre tenue me fait rire à mon tour. Le tissu noir me collait à la peau, des manches jusqu’aux cuisses, et Junior n’était pas mieux loti : sa chemise blanche rendue transparente par le contact de l’eau était parfaitement assortie à son pantalon qui devait rendre ses mouvements bien désagréables. Qui sait ! peut-êtrrre serrra-t-il trrrop occupé à embrrrasser Carrrla pourrr nous accorrrder le moindrrre rrregarrrd, ou à juger tous les imbéciles qui se trrrémoussent là-bas, ou bien à noyer sa désolation dans l’alcool ! Sur ces trois hypothèses, une seule paraissait vraisemblable, mais elle n’empêcherait pas mon tendre frère de marquer toute sa désapprobation, c’était une certitude dont nous avions tous deux conscience. Et dont nous ne faisions pas grand cas. L’échappée belle dans laquelle nous étions encore plongés valait bien toutes les semonces que mon jumeau adoré pourrait imaginer. Contente que mes mauvaises idées te plaisent, fais-je d’un ton malicieux. ce sont celles qui me viennent le plus facilement. Encore plus lorsqu’elles impliquaient de m’enfuir, seule, avec Junior.

Un dernier baiser furtif marque la fin de cette parenthèse. Les doigts du Serpentard s’emparent des miens et m’entraînent à sa suite, loin de ce royaume que nous avions secrètement fait nôtre. Je me laisse faire sans broncher, mon regard se perdant dans son dos et dans les méandres de mon esprit qui m’arrachant un sourire un peu trop idiot qu’il ne peut pas voir. Machinalement, mes doigts se resserrent autour des siens, traduisant mes pensées silencieuses. Je reviens finalement à sa hauteur alors qu’il me redemande le code que j’avais impérieusement défini comme moyen de marquer sa volonté de fuite. Un sourire malicieux vient danser sur mes lèvres tandis que je porte sur lui un regard aussi innocent que ceux qu’il est capable de revêtir. J’avais prrroposé Due mais il me semble que tu avais du mal avec la prrrononciation. On pourrrait choisirrr Du er den beste sinon. Ou pourrrquoi pas Vi blir lei ? proposai-je, l’air de rien, sachant pertinnement qu’il n’avait probablement entendu qu’un charabia revêche aussitôt que j’avais commencé à prononcer un mot en norvégien. Si Finn n’est pas là, fuyons à nouveau ? Ma proposition aux accents affirmatifs accompagne notre retour aux abords de la cabane hurlante. Il nous fallait déjà délaisser derrière nous les agréables instants passés en tête-à-tête pour replonger dans la foule bruyante et porteuse de bien des tares qui constituait cette soirée. Retenant un soupir, j’arrête Junior dans son mouvement visant à ouvrir la porte des Enfers pour lui voler un énième baiser. Allons êtrrre sourrrce d’épouvante auprrrès de Finn ! fais-je alors que mes lèvres abandonnent les siennes pour s’ourler d’un sourire moqueur.

Dedans, rien n’avait changé. Toujours autant de bruit et d’imbéciles. Sans lâcher mon meilleur ami, ma main retrouvant sa taille, comme au début de notre soirée, afin de ne pas le perdre dans la foule, je fouille cette dernière à la recherche de mon frère adoré. Il ne fut pas long à repérer tant il dénotait par sa noblesse et sa prestance dans cet univers composé de gueux et d’impurs. Là-bas ! Je tire doucement Junior en direction du bar où se trouvaient Finnbjörn, aux côtés de Carla bien évidemment mais également de… Pumpkin femelle et l’ignominie vivante qui servait de capitaine à l’équipe de Serpentard ? Mon sourire brûlant se crispe face à cette scène. Il n’était pas spécifiquement entrain de parler avec ce dernier, mais les apparences n’étaient pas trompeuse et il semblait que nous avions sous les yeux un bien étrange quatuor. Des insultes et un dégoût bien légitime au bord des lèvres, je souffle quelques mots à Junior. Que fait-il avec ça ? Je ne voulais pas donner raison à Maxton, mais peut-être que Carla était bien plus traître à son sang que nous l’avions tous cru. Car elle était entrain de converser avec Pumpkin et c’était donc sa faute si mon tendre frère se retrouvait en compagnie d’une telle vermine. Il était de notoriété publique que cette sang-mêlée avait longtemps évolué au milieu d’autres impurs, tant et si bien qu’elle avait développé des affinités avec ces êtres inférieurs. Et dire qu’une aussi noble famille comprenait une telle tâche en son sein.

Nous arrivons à leur niveau et toute mon attention entoure aussitôt Finnbjörn, sans que je ne lâche Junior pour autant. Mon sourire féroce pouvait aussi bien être signe d’un enthousiasme décuplé à des yeux profanes que les prémisses de bien des dangers pour des yeux initiés. Carrrla, tu es en beauté la saluai-je avant de retourner mon attention vers mon jumeau. Min brrrorrr. Tu es trrrès élégant, comme d’habitude le complimentai-je, mon regard brillant de quelque chose de plus menaçant. Men siden når har du fullført antrekkene dine med slike flekker? (Mais depuis quand complètes-tu tes tenues de telles taches ?) S’il y avait une nouvelle stratégie derrière ce choix… je l’apprécierais au moins autant que la précédente. Ce tableau avait complètement effacé de mon esprit l’allure que nous avions, Junior et moi. Et, sans prendre la peine de saluer ni Pumpkin, ni Caldwell, j’attends des éclaircissements de la part de mon jumeau, partageant un fugace regard avec mon meilleur ami.

Ils arrivent à la Cabane Hurlante sans encombres mais enveloppés d’une chape glaciale qui n’avait rien à voir avec le sortilège de Désillusion parfaitement exécuté par Carla. Accompagnés du commentaire condescendant de Finnbjörn Sørensen, l’étrange quatuor se dirige jusqu’au bar où ils trouvent chacun un verre dont s’emparer. Casey coule un rapide regard en direction de sa meilleure amie, échange silencieux qu’elles comprennent toutes deux, avant de porter son attention sur Brooklyn. Il aurait été présomptueux d’affirmer qu’elle le connaissait par coeur, du moins suffisamment pour avoir la certitude qu’il n’était pas du tout à l’aise dans cette situation et qu’il ne lui en faudrait pas beaucoup pour repartir en sens inverse. Et, franchement, au vu de ce ambiance en demi-teinte, elle ne pourrait même pas lui en tenir rigueur. Autour d’eux, leurs camarades semblaient s’amuser et devaient être passablement alcoolisés. La jeune femme se sentait un peu perdue au milieu de cette foule, un peu étouffée également. Mais elle était avec Carla, elle était avec Brooklyn, alors qu’importe la présence désagréable de Finnbjörn. Oui, très bien répondit-elle, sans prétention, mais sans fausse modestie non plus. Elle avait toujours excellé en cours et, malgré une année compliquée sous bien des aspects, ces derniers mois n’avaient pas fait exception.

Deux nouvelles arrivées viennent renforcer chez Casey cette impression de ne pas être à sa place. Ou en tout cas, de ne pas être avec les bonnes personnes. La jumelle de Finnbjörn se glissa devant ce dernier en saluant Carla au passage, d’un sourire et d’un regard qui n’avaient absolument rien d’inoffensifs. Quand au camarade de maison de Brooklyn, s’il daigna s’adresser à eux, ses politesses revêtaient bien des outrages informulés. Uniquement avec Carla rectifia-t-elle d’un ton dénué de toute émotion, préférant laisser à Brooklyn le loisir d'interagir avec Junior. Ils jouaient au Quidditch ensemble, après tout, alors qu’elle ne le connaissait que de vue, et encore. Si lui faisait preuve d’un minimum de subtilité dans ses insultes, ce ne fut pas le cas de Finnbjörn qui annonça d’un ton tranchant une évidence que chacun des protagonistes était à même de percevoir. L’injonction contenue dans ses propos, cependant, l’était déjà un peu plus. Quand bien même, il était clair que son envie de les voir disparaître hors de sa vue n’avait rien à envier à l’envie similaire de Casey de partir loin de ces arrogants personnages. Elle avait peut-être collaboré avec Finnbjörn dans le cadre d’une potion et su accepter ses capacités intellectuelles, il n’en restait pas moins l’un de ces sorciers qu’elle avait toujours foncièrement détesté. Sûr de ses privilèges et de son bon droit, hautain et méprisant. De là à penser que sa jumelle et leur ami étaient doté des mêmes défauts, il n’y avait qu’un pas qu’elle franchissait allègrement.

Carla tente de s’interposer dans ce jeu d’influences complexe, et Casey lui adresse un autre regard silencieux, de ceux qui veulent dire qu’elle n’a pas besoin de faire ça. Elle appréciait le geste, bien évidemment, mais il était inutile que son amie se parjure aux yeux de son faux petit-ami et des siens pour une simple question de fierté. Elle préférait ignorer ses camarades et profiter de sa soirée et de la compagnie de Brooklyn. Il paraissait désormais évident que Carla et elle ne pourraient la passer toutes les deux, il y avait des apparences à préserver, en ce qui concernait la blonde. Mais finalement, avant que la Serdaigle n’ait pu prendre congé de son amie et lui prodiguer des encouragements soucieux pour ce qui l’attendait encore, cette dernière se volatilisa. Ou plutôt, elle se retrouva en quelques secondes à peine la tête à l’envers et s’éloigna sur le dos de quelqu’un que Casey reconnu comme étant Maxwell. Qu’est-ce qu’il fait... s’étonna-t-elle, plus pour elle-même que pour autre chose, le cri indigné de son amie accompagnant sa réflexion. D’autres secondes s'égrènent, durant lesquelles la jeune femme, trop stupéfaite, ne dit rien et ne fit pas grand chose de plus, avant de tourner un regard froncé vers son meilleur ami. Je devrais peut-être... Aller la retrouver, vérifier qu’elle va bien, m’assurer que Carter n’était pas entrain de se comporter comme l’abruti qu’il était bien souvent. Son attention se reporte vers l’autre bout de la pièce, là où ils avaient disparus, au moment où le visage de Carla réapparaît, agité de biens des émotions.

La blonde revient bien vite jusqu’à eux. Une minute à peine s’était écoulée, peut-être deux. Au loin, Carter et son sourire idiot retournaient d’où ils venaient. Le regard cobalt de Casey accompagna Carla jusqu’à ce qu’elle les rejoigne, mais lui laissa toute l’intimité nécessaire alors qu’elle se penchait vers Finnbjörn Sørensen. Casey, elle, chuchota quelques mots à Brooklyn : Je sais que la soirée ne démarre pas exactement bien, mais nous n’avons pas à rester avec eux. Enfin, avant d’abandonner les Sørensen et compagnie, la brune tenait à s’assurer que sa meilleure amie se portait bien. Finnbjörn lui en laissa toute l’opportunité en s’excusant avec indifférence avant de fendre la foule et de disparaître. Tout allait bien vite ce soir, les événements s’enchaînant avec une efficacité affolante, sans laisser le temps à Casey de tout analyser comme elle l’aurait désiré. Croisant le regard de Carla, lisant tout le désarroi qui y brillait, la Serdaigle l’attire jusqu’à elle d’un murmure discret. Carla... Décidément, son histoire avec le Poufsouffle était vouée à ne jamais la laisser en paix. Tout va bien ? Elle ne lui demanda pas ce qu’il venait de se passer, lui laissant tout le loisir de lui confier, ou non, ce qui avait constitué ce bref entretien avec Carter. Tu veux te changer les idées ? proposa-t-elle finalement, tout en n’ayant guère d’idée quant à la manière dont il lui faudrait s’y prendre si elle répondait par l’affirmative.

Accrochés l’un à l’autre, nous fendons l’océan d’impurs en direction de Finn. Nous avions convenu que son absence équivaudrait à notre fuite, mais à le voir en si mauvaise compagnie il me semblait que même sa présence en ces lieux ne pourrait suffire à nous retenir. Les eaux froides de l’étang avaient été mille fois plus agréables que ce quatuor face auquel nous nous arrêtons et je préférais sans l’ombre d’un doute m’y replonger avec Junior que de devoir souffrir la société de cette vermine. Il était déjà bien assez dégradant d’être entourés de dizaines d’entre eux sans devoir en plus leur faire la conversation comme s’ils étaient nos égaux. Qu’ils retournent se déhancher et brailler avec le reste de cette infâme masse grouillante et qu’ils nous laissent entre nous. Pumpkin avait beau avoir été reconnue par son père, elle n’était qu’une tâche dans un arbre généalogique qui était jusque là parmi les plus purs de notre belle société sorcière. La décadence pouvait surgir de n’importe où, parfois même des plus nobles d’entre nous. Finnbjörn tendait à emprunter ce même chemin de tolérance depuis le début de l’année, depuis son amnésie en réalité, et ça n’avait jamais été pour me plaire. Ces dernières semaines, pourtant, il avait été d’une rigueur toute retrouvée et nos inquiétudes de septembre paraissaient lointaines. Terminait-il cette année comme il l’avait commencée ? Entouré d’individus qui n’auraient pas mérité un regard de sa part en temps normal ?

Carla nous accueille avec un sourire et une exclamation ravie mais j’abandonne déjà les civilités et compliments pour apostropher mon tendre frère en norvégien, rictus crispé aux lèvres, laissant mon meilleur ami jouer le jeu des apparences : il le faisait bien mieux que moi. Mon regard opalin dans celui, identique, de Finnbjörn, se charge d’une réponse silencieuse. Une petite moue suspicieuse agite mes traits, quelques secondes à peine, alors que Junior s’étonne de voir des gueux comme Pumpkin et Caldwell fréquenter mon frère et sa petite-amie. Il ne le formulait pas de cette manière, évidemment, mais ses plus belles paroles étaient bien souvent chargées des insultes les plus parfaites. Mon sourire reprend ses couleurs habituelles de prétention menaçante lorsque s’élève la voix polaire de mon jumeau adoré. Tu me vois rrrassurrrée J’avais beau douter de ses fréquentations, je trouvais cela plus vraisemblable de le retrouver entouré de tels miséreux parce que Carla était amie avec l’un d’eux. Ainsi, ses tendances à la bassesse n’étaient pas uniquement motivées par ses hormones en ébullition. Peut-être me faudrait-il revoir mon jugement envers elle qui était pourtant issue d’une si noble famille. Oh, nous côtoyions tous quelques camarades, preuves du déclin de nombreux sorciers qui avaient choisi de mêler leur sang à des êtres sans magie, il était bien ardu de faire autrement dans cette école décadente. Mais pas de là à les qualifier d’amis.

Cerrrtainement pas. N’as-tu pas vu ce qui s’y baigne ? fais-je avec un petit reniflement méprisant. Pumpkin et Caldwell étaient toujours présents mais je ne leur accorde toujours pas une once d’attention : ils n’étaient visiblement pas assez perspicaces pour saisir l’offre polie mais néanmoins implacable de Finnbjörn à rejoindre le reste des souillons de l’école. Quant à la moquerie de mon jumeau, elle m’arrache un petit rire et me fait lever le regard en direction de Junior. Peu importe ce qu’il pensait de nos tenues, je n’hésiterai pas à me replonger dans ce petit lac, sans aucune hésitation. J’étais bien aise qu’il ne soit pas arrivé plus tôt, en réalité, nous aurions eu à supporter la présence des fréquentations de Carla et n’aurions pas pu nous éclipser pour une escapade dans les alentours de Pré-au-Lard.

Sans prévenir, ce mufle de Carter fait une brève apparition et enlève la Serpentard sur son épaule. Un petit claquement de langue plein d’arrogance accompagne la disparition de notre camarade. Je ne l’observe même pas disparaître dans une autre pièce, reportant mes prunelles sur le visage impénétrable de Finnbjörn. Cerrrtaines habitudes ont la vie durrre commentai-je avec un mépris que je ne cachais même pas. Ce couple qu’ils formaient tous les deux, il était voué à servir leurs desseins. Mais plus le temps passait, plus j’assistais à leur petite comédie, plus j’avais la sensation que mon frère n’avait pas le rôle qu’il escomptait. Ça n’était peut-être pas Carter dont on se jouait ici. Et cette idée m’était désagréable, quand bien même j’avais toute confiance en les capacités stratégiques de Finn. Il n’empêche que sa bien-aimée venait de disparaître en compagnie d’un autre sous les yeux de toute l’école. Ce soir, cela, la dernière fois, les déclarations d’amour pathétiques de mon camarade de maison en plein déjeuner, et la prochaine fois ?

Nous n’avons pas le temps de plus échanger à ce sujet, déjà Carla réapparaît, passablement échevelée et se penche à l’oreille de Finn qui s’éclipse à son tour. Pourrrquoi sommes-nous rrrevenu ici, déjà ? soufflai-je à l’attention de Junior, mon regard agacé suivant la silhouette de mon jumeau jusqu’à ce qu’elle disparaisse au milieu de cette masse abjecte. Notre tenue lui était peut-être surprenante, son comportement à lui l’était doublement à mes yeux. Mes doigts se mirent à jouer distraitement avec le tissu encore trempé de la chemise de Junior dont la présence, réconfortante, mettait en lumière tout le pathétisme de cette soirée et des personnes s’y trouvant. Nous ne pouvions nous abandonner aux mêmes tendresses qu’au bord de l’étang mais si cette concession valait la peine d’être faite pour retrouver Finn, je n’en avais plus vraiment envie alors qu’il venait de lâchement nous abandonner en la présence de sa petite-amie et des deux cloportes qui l’accompagnaient.

La voix de Carla achève de donner de la puissance à ce sentiment. Mon regard flamboyant à la recherche de Finn le trouve effectivement face à Sherwin. Il avait le don pour mal choisir les personnes dont il désirait s’entourer. Si ça n’était pas celle qui insultait copieusement notre famille et se prétendait amoureuse de lui pour l’affubler de toutes les critiques le jour d’après, c’était celle qui assassinait sa crédibilité et sa réputation en batifolant dès que possible avec un sang-mêlé dont la galanterie était inexistante, de même que son intelligence. Son amnésie l’avait-elle doté de tendances masochistes ? Mes prunelles cristallines croisent celles de Maxton, là-bas, à l’autre bout du bar. Quelques secondes où nous ne cillons pas, ni l’un ni l’autre. Quelques secondes qui me suffisent à comprendre que notre alliance ne tiendra pas ce soir. Il est entrain de faire face à son voeux le plus cher : que sa garce de jumelle cesse de fréquenter Carter, et il est persuadé de ne pouvoir l’obtenir qu’à travers mon jumeau adoré.

Sans façon répondis-je à Carla alors qu’elle nous propose une bille d’alcool. Un autre soir, j’aurais sans aucun doute traîné Junior jusqu’aux Sherwin pour prendre part à cette petite scène. Ce soir, je n’en avais aucune envie. L’année était terminée, les vacances s’annonçaient, toutes proches, et, avec elles, des jours entiers avec Junior et rien que lui. Il nous faudrait prendre le temps d’en parler, avec Finnbjörn, mais nous aurions tout le temps et l’espace de le faire en Norvège. Plus tard. Pour l’instant, je n’avais d’autre envie que de poursuivre nos fuites sans fin avec mon meilleur ami et amorcer ce à quoi ressemblerait notre été. Tu viens de te fairrre prrrendrrre pourrr une imbécile parrr Carrrterrr devant tout le monde, tu devrrrais peut-êtrrre te prrréoccuper un peu plus de ce que ton petit-ami fait afin de ne pas êtrrre définitivement la rrrisée de tous fais-je d’un ton dur à la Serpentard, la tirant un instant de ses échanges avec les deux autres pouilleux. Puis j’abandonne totalement toute considération à son égard et lève la tête en direction de Junior, une lueur interrogatrice dans le regard. Je doutais fort qu’il souhaite s’éterniser ici, j’étais celle de nous deux qui trouvait un intérêt là où lui n’en voyait aucun.

Si Casey ne se sentait pas à l’aise, entourée des Sørensen et de leur ami, elle percevait sans mal à quel point cela pouvait être pire pour Brooklyn. Elle avait l’habitude, elle, de ces réceptions guindées où elle était observée à la dérobée car la fille impure d’un des leurs. Pire encore, de l’une des familles les plus respectées et les plus respectables du Royaume-Uni. Quelle faute n’avait pas commise son géniteur en lui donnant son nom et en l’accueillant au sein de son manoir ! Mais depuis qu’elle s’appelait Pumpkin et qu’elle était obligée de côtoyer ce que la société sorcière anglaise faisait de plus prétentieux et raciste, elle avait appris à conserver ce même visage impassible qui était toujours le sien et à ne pas faire cas des murmures qui étaient jetés dans son dos, tels des pétales de roses à un mariage funèbre. Cet acclimatement, Brooklyn ne l’avait pas expérimenté, et alors que les événements s’enchaînent et que Carla est emportée loin d’eux, ils perdent le seul repère amical dans ce petit groupe plein de mépris. Les sous-entendus de la jumelle de Finnbjörn n’étaient pas assez subtils pour passer inaperçus et elle ne cherchait pas vraiment à masquer cette flamme menaçante qui dansait au fond de ses prunelles. Ils n’étaient pas les bienvenus à leurs côtés, ce dont Casey se fichait pas mal, ne souhaitant pas du tout passer la soirée en leur compagnie. Mais il y avait son amie, et elle hésita, perdue entre l’envie de s’assurer qu’elle allait bien et celle de s’échapper de cette ambiance pesante qui n’aurait pas dû être celle de leur soirée.

Dans un chuchotement navré, la brune se tourne vers Brooklyn et sa contrariété la frappe de plein fouet. Elle ne pouvait que comprendre cette amertume qui était la sienne, lui qui n’était pas vraiment du genre à se plier aux soirées de ce genre, préférant la solitude d’une Salle Commune abandonnée par tous ses occupants, plutôt que de se retrouver au milieu d’une foule alcoolisée. Néanmoins, le mécontentement de son ami la blessa, bien qu’elle décida de ne rien en montrer et de ne rien en dire. Finalement, la Serpentard refit son apparition, et ce fut son faux petit-ami qui s’éclipsa alors. Tout allait toujours aussi vite, mais Casey décida d’abord de se préoccuper de l’état de sa meilleure amie, dont le regard brillant n’indiquait plus vraiment la moindre joie. Son hochement de tête lui confirma ce qu’elle pensait, à savoir que ça n’allait pas fort. Le regard de la Serdaigle se teinta de chagrin, accentué par les mots dénués de toute émotion de Carla qui venait d’apercevoir Finnbjörn avec Bluebell Sherwin. Il n’y avait pas d’amour à proprement parler entre le couple qu’ils formaient tous les deux, mais Casey pouvait presque lire les pensées qui agitaient l’esprit de la blonde : après Carter qui se jouait d’elle, voilà que Finnbjörn l’abandonnait pour retrouver celle dont ils se jouaient à deux. Elle connaissait bien assez Carla pour savoir que cela heurtait sa fierté et sa sensibilité, bien plus qu’elle ne l’avouerait jamais.

La suite lui confirma ses blessures qu’elle masquait si bien. Casey n’avait pas le coeur à jouer les rabats-joie, pas alors que la soirée de son amie prenait cette tournure, aussi se saisit-elle de la bille que Carla lui tendit avec un faible sourire, son regard à la rencontre de celui de Brooklyn qui avala la sienne sans hésiter. La brune en fit de même, ne toussant pas, au contraire du Serpentard, mais grimaçant légèrement alors que l’effet sucré se volatilisait pour laisser toute la place à l’amertume de l’alcool. C’est remarquablement exécuté souffla-t-elle, appréciant les capacités en Sortilèges qu’il fallait posséder pour obtenir un tel résultat, sa main plongeant dans le saladier pour en retirer quelques billes qu’elle observa avec attention. Son examen fut brutalement interrompu par la voix âpre de Erin Sørensen qui fouetta Carla de toute son arrogance et son mépris. La bouche légèrement ouverte, Casey assista à la réplique cinglante de sa meilleure amie dont l’esprit était doublement échauffé, et par le comportement des hommes qui gravitaient autour d’elle, et par celui de l’alcool. Puis, sa diatribe terminée, le souffle court, les joues rouges, Carla se tourna vers son amie pour la supplier d’aller vers la piscine.

C’était une question rhétorique, il y avait une forme d’urgence dans sa demande, si bien que la jeune femme n’eut pas le coeur à lui refuser, quand bien même son esprit lui rappela l’angoisse des étendues d’eau et le fait qu’elle ne savait pas nager alors qu’elle hochait la tête, ses doigts s’enroulant autour de ceux de Carla pour l’entraîner, elle et Brooklyn, loin de ces camarades venus d’une autre dimension. Tenez proposa-t-elle aux deux Serpentard, une fois arrivés au bord de la piscine, leur proposant les petites billes d’alcool qu’elle avait emporté sans y faire attention, s’en délestant ainsi. Carla avala les deux siennes coup sur coup, encourageant dans un rire qui avait retrouvé tout son éclat les deux amis d’enfance à en faire de même. Si la Serdaigle s’exécuta de bon coeur, appréciant la deuxième bien plus que la première, et la troisième encore un peu plus, elle porta malgré tout un regard sceptique sur l’étendue d’eau. Certes, elle était peu profonde, rien qui risquerait de causer une noyade quelconque, mais le coeur de la jeune femme s’affola, se mettant à battre un peu plus vite. Elle avait envie de questionner Carla, de savoir si tout allait bien, de l’interroger sur ces éclats terribles entre elle et la jumelle de Finnbjörn Sørensen, mais elle sentait que la blonde voulait s’amuser, profiter, et rien d’autre. Après tout, n’était-elle pas venue pour cela, elle aussi ? Une dernière danse avant que ses yeux ne puissent plus profiter de ce spectacle adolescent dont elle semblait si étrangère ? C’était comme si Carla lisait dans ses pensées, alors qu’elle commence à ôter sa robe, les exhortant à en faire de même, car après tout, on ne vivait qu’une fois. Elle n’a pas tort fit la jeune femme, portant un regard jusqu’à Brooklyn. Tu as pris un maillot de bain ? Une part d’elle espérait qu’il dirait non, lui donnant une excuse en or pour ne pas se perdre dans cet enfer sur terre que représentait l’eau ; une autre, celle qui s’exprimait avec un peu plus de force, lui rappelait qu’elle n’aurait sûrement plus l’occasion de vivre ceci. Quel mal y avait-il ?