Victoire Openwings & everyone

La perspective d’Halloween enchantait le concierge. Déjà, parce qu’il adorait l’idée de se déguiser – c’était un homme somme toute créatif, qui appréciait faire appel à son imagination et à ses doigts pour produire des jolies choses – et ensuite parce qu’il n’avait jamais eu l’occasion de fêter Halloween jusqu’ici. C’était une célébration que ses parents considéraient stupide et indigne d’intérêt, aussi lui avait-il toujours été défendu de participer à ces absurdités. Terrifié par ses parents – et surtout par son père –, Septimus n’avait jamais osé braver l’interdit. Plus tard, lorsqu’il avait été chassé du foyer, il n’avait pas envisagé de participer les 31 octobre ; d’une part parce qu’il était trop âgé pour ne pas détonner dans le cortège et d’autre part parce qu’il avait un peu abandonné l’idée de fêter quoi que ce soit seul. Mais ce 31 octobre était bien différent. Il faisait partie des adultes supervisant la sortie à Pré-au-Lard des élèves et, à ce titre, avait tout loisir de se fondre dans la masse et de profiter de l’ambiance. Il en avait probablement rebattu les oreilles de tout le monde – et surtout celles de Fergal et Victoire –, mais c’était plus fort que lui.

C’est donc excité comme un gosse de douze ans et des étoiles plein les yeux qu’il s’appliqua à revêtir son costume, qu’il avait lui-même conçu de bric et de broc. L’idée était née en repensant au boa à plumes roses qu’il avait conservé en souvenir d’une sortie dans un bar gay où se tenait un drag show ; tout ce dont il se souvenait, c’était que la drag queen embrassait bien et qu’elle avait oublié (ou laissé ?) ce boa dans le sac de Septimus. Il avait toujours imaginé s’en servir pour un costume, mais n’avait jamais osé jusqu’ici. Ainsi, la créature mi-perroquet mi-homme qu’il avait imaginée était donc enroulée de ce boa, assortie d’un bec noir crochu fabriqué en papier mâché, d’une mèche teinte en rose par Victoire et d’un élégant manteau emplumé, terminé par une traîne en forme de queue de paradisier, qu’il avait cousu de ses mains. C’était un peu plus maladroit que le reste, parce qu’il n’était pas très coutumier de ce travail et qu’il s’était piqué à de nombreuses reprises – rattrapé par sa maladresse qui ne le loupait pas dès qu’il s’attaquait à un art qu’il n’avait pas travaillé jusqu’à l’excès. Mais entre le khôl appliqué sur les yeux et les ongles noircis, le résultat était à mi-chemin entre le grotesque et l’élégant.

Dans l’objectif d’accompagner le cortège d’élèves jusqu’au village, Septimus avait rejoint son amie habillée en clown blanc – qui s’extasiait encore sur son costume lorsqu’ils parvinrent à Pré-au-Lard. D’un pas bondissant et léger, le concierge ne pouvait pas s’empêcher de dévorer des yeux les décors des environs à la manière d’un enfant dans un parc d’attraction pour la première fois de sa vie. Il devait se faire violence pour ne pas sautiller sur place et battre des mains. C’était génial. Il acquiesça distraitement à la proposition de Victoire de prendre une photo souvenir, levant le nez vers les guirlandes et les lumières orangées qui donnaient l’impression de tapisser le ciel nocturne au-dessus des maisons et des boutiques.

La voix de l’owlmaster le tira de ses pensées qui avaient éclipsé les paroles de la bibliothécaire, rappelant les règles aux élèves tandis que le personnel se tenait un peu en retrait :

— Elle fait froid dans le dos, tu ne trouves pas ? murmura-t-elle avec son impertinence habituelle. J’ai l’impression qu’elle serait capable de nous engueuler nous si jamais on faisait une connerie ce soir. Brrr…

Le concierge dut étouffer son gloussement dans sa main et le faire passer pour une toux inopportune, avant de glisser un regard de connivence à la jeune femme. Il eut beau tenter de lui faire les gros yeux, c’était peine perdue. Il avait le cœur trop léger ce soir, surtout en songeant qu’il passerait ces heures volées en compagnie de Fergal. Il n’arrivait toujours pas à croire ce qu’il s’était passé mi-septembre, ni qu’ils continuaient de se voir régulièrement ; si Septimus avait pensé que l’attirance s’éteindrait d’elle-même une fois les premières étreintes savourées, il fallait admettre qu’il s’était lourdement trompé. Un mois et demi avait beau s’être écoulé depuis leur premier baiser, les petites ailes chatouilleuses qui voletaient dans ses entrailles faisaient vibrer son ventre à chaque fois que son regard se posait sur lui. Le sorcier jurerait presque que c’était même encore mieux qu’au début, ce qui le déstabilisait un peu. Était-ce normal ? Qu’était-on supposé faire de toutes ces émotions ?

À la fin du discours de prévention de la bibliothécaire, Septimus se demanda s’il pourrait profiter encore un peu du village débarrassé des élèves une fois vingt-deux heures trente passées, mais encore une fois, la voix de son amie le ramena sur terre.

— Je crois que je vais vous laisser, lança-t-elle. Ça m’emmerderait de vous embarrasser ou, pire encore, de tenir la chandelle, plaisanta-t-elle avec un clin d’œil.

Le concierge ouvrit la bouche pour poser une question, puis ses yeux trouvèrent la silhouette massive et désormais familière de Fergal qui s’avançait dans leur direction. Le directeur avait beau s’être grimé en cuistot zombie, il n’en demeurait pas moins que les ailes s’étaient réveillées dans son ventre et qu’un surgissement d’excitation éperonnait son cœur à la perspective de cette délicieuse soirée.

— Mais tu ne vas pas rester toute seule ! protesta-t-il toutefois, fidèle à lui-même, en reportant son regard pâle sur l’owlmaster.

— Ne t’inquiète pas pour moi, va. Je suis grande, et à peu près certaine que je réussirai à m’occuper de mon côté, assura-t-elle avec un brin d’amusement, avant d’ajouter sur le ton de la confidence : Je suis contente pour toi.

Inévitablement, le trentenaire se fendit d’un petit rire mi-heureux mi-embarrassé et frotta nerveusement ses mains l’une contre l’autre en l’observant s’éloigner dans une ruelle déjà investie par des élèves après avoir salué Fergal, qui avait désormais comblé la distance et se trouvait suffisamment proche de son compagnon pour provoquer chez ce dernier un léger rosissement de plaisir à peine perceptible dans la pénombre. Il était difficile pour le concierge d’exprimer à quel point sa présence le rassurait et le ravissait.

— Monsieur Veturia, prêt à aller menacer les habitants du village en échange de bonbons ? lança-t-il avec sa bonhomie mâtinée d’humour habituelle. Il faut bien garder un œil sur nos élèves, ajouta-t-il en pointant les concernés du doigt. Je te suis.

— Monsieur le directeur, je n’attendais plus que vous pour me frayer un chemin jusqu’à notre festin, répliqua Septimus sur le même ton, quoique son regard brille avec enthousiasme.

Il se hissa sur la pointe des pieds en dissimulant sa bouche de sa main pour faire mine de lui glisser un affreux secret :

— Il ne faudrait pas que les élèves comprennent trop tôt que c’est eux que nous allons dévorer.

Revenant sagement sur ses deux talons, sa curiosité fut piquée par une allée plus illuminée que les autres, où se tenaient toutes sortes de décorations ensorcelées – dont des sculptures effrayantes, autour desquelles s’attroupaient déjà des élèves. Une petite exclamation enfantine lui échappa alors qu’il s’exclamait « Là-bas ! » en désignant l’endroit qu’il convoitait. Alors qu’il se mettait déjà en route après un petit bond joyeux, sa main se tendit par réflexe vers la sienne, mais il se ravisa au dernier moment en se rappelant brusquement qu’ils n’étaient pas à l’abri des regards. Septimus laissa donc retomber sa main, un peu penaud, après n’avoir fait qu’effleurer à peine la peau de Fergal. De toute façon, il ne comprenait pas pourquoi il était saisi sans cesse de l’envie de glisser ses doigts entre les siens, alors qu’il n’avait jamais fait ça avec personne. C’était peut-être simplement un contact apaisant et réconfortant, à présent qu’il connaissait suffisamment la texture de sa paume et les lignes qui la parcouraient.

Faisant mine de rien, il poursuivit sa route en laissant son regard errer sur les élèves costumés – qu’il salua avec plaisir lorsqu’il tombait sur des visages connus –, observant le manège qui avait commencé aux portes avec curiosité et un rien de jalousie. Il aurait bien aimé les imiter, mais ce n’était pas sa soirée ; il était censé s’assurer que tout se passait bien pour eux, pas devenir l’un d’entre eux. Parvenant enfin devant la première sculpture animée, il la détailla de haut en bas avec intérêt ; tout en métal, le cavalier sans tête brandissait une épée rouillée d’un air menaçant. Cependant, Septimus ne s’attendait pas à ce qu’il parle ! Ses grognements sinistres prirent le concierge par surprise et le firent reculer si vivement qu’il en heurta le torse de Fergal avec un petit rire gêné.

— Désolé… Je t’avais dit que j’étais un trouillard, s’excusa-t-il, sans pour autant se départir du sourire qui s’épanouissait toujours à la simple vue du directeur.

Halloween avait déchaîné les passions, c’était le moins qu’on puisse dire. S’il y avait d’abord eu l’enthousiasme juvénile entre deux meilleurs amis ravis de concocter un duo comique et grotesque, il avait été rapidement douché par la réaction incompréhensible de Daisy – Silas soupçonnait qu’elle n’avait pas très bien pris qu’il s’ajoute à leur duo originel, qui avait prévu des costumes accordés pour ce jour précis. Mais peu importait, car tout s’était finalement résolu, à son grand soulagement, et il avait même organisé un pique-nique avec la jeune fille. Ainsi, la soirée était censée se dérouler comme n’importe quelle nuit d’Halloween adolescente : peaufiner son costume et faire des conneries (pas si méchantes) en échappant à la supervision des adultes. C’était la première sortie de groupe que le Serdaigle envisageait sérieusement et avec une excitation de gamin qu’il n’avait plus connue depuis longtemps. La veille, Dash l’avait aidé à enfiler son costume de Stitchette horriblement kitsch à souhait et une drôle d’ambiance l’avait laissé un peu perplexe ; un peu inquiet, aussi. Bien sûr, le faux blond s’était tordu de rire du début à la fin, mais il avait senti quelque chose de bizarre chez son ami. Était-ce à cause du placard ? Il espérait que non, parce que ça lui foutrait vraiment le bide en vrac d’avoir tout gâché pour une pulsion à laquelle il n’avait pas su résister. S’il devait se contenter du souvenir de leurs baisers dans l’étroitesse de ce meuble, alors qu’il en soit ainsi, mais il refusait d’entacher leur amitié pour un truc aussi débile. Alors, quand Dash se glissa dans sa chambre pour en faire de même le jour dit, Silas redoubla de plaisanteries stupides pour tenter d’effacer le son de ses soupirs et le goût de ses lèvres.

— Quel beau gosse, purée ! lâcha-t-il en sifflant devant le costume bleu que revêtait le Gryffondor, battant férocement de ses longs cils roses exagérément étirés par magie pour l’occasion. Allez, Stitch, viens chercher ta Stitchette handicapée, là, l’invita-t-il en lui lançant l’immondice rose depuis son ronronroulant où il était engoncé.

D’un mouvement un peu pénible, il se redressa sur sa jambe qui le lançait un peu trop ce soir et se laissa habiller par son meilleur ami sans faire de manière, se concentrant sur sa jambe tordue pour enfiler le costume dans l’espoir d’éviter de croiser son regard et de se focaliser sur leur proximité censée pourtant être platonique et naturelle. Malgré tout, une certaine tension électrisait l’air entre eux, sans que Silas n’y puisse quoi que ce soit.

— Bon, lança-t-il en s’écartant gentiment, j’vais aider Selene à se transformer et je vous rejoins dans le hall. À plus, mon amour, s’écria-t-il d’une voix dramatique en posant le dos de sa main contre son front tandis que Bane, dans lequel il s’était à nouveau installé, l’emportait déjà vers la salle commune où l’attendait la vampire en puissance.

Cette dernière étira un sourire en le voyant, avant de commenter :

— Ton costume est gé-nial. Et tes cils, waouh !

— Je sais, je sais, roucoula Silas d’une voix efféminée en battant des cils – son mouvement préféré pour cette soirée, sans doute (autant en profiter). T’es pas mal non plus, je pourrais presque me laisser mordre, gloussa-t-il, s’appuyant sur les accoudoirs de son fauteuil pour se lever et s’approcher en claudiquant de la jeune fille après avoir sorti sa baguette.

La dérision faisant place à la concentration sur son visage, il s’appliqua à allonger ses canines et à modifier la couleur de ses yeux comme il le pouvait – le Serdaigle avait averti sa camarade qu’il n’était vraiment pas sûr de parvenir au résultat attendu, car les iris étaient particulièrement complexes à travailler. Une tache rouge apparut dans le bleu de ses prunelles, ce qui lui tira une moue peu convaincue, mais ses dents étaient au moins réussies !

— Merfi, zézaya Selene, avant de rire à l’entente de son cheveu sur la langue.

— Ve rien, répliqua Silas en l’imitant avec un gentil sourire moqueur.

— Et merci pour les vêtements, fans toi fa rendrait vraiment pas pareil, ajouta-t-elle, se dirigeant vers un miroir pour observer le résultat.

— C’est clair que sans moi, tu zozoterais moins, rigola-t-il en se rasseyant entre les accoudoirs rassurants de son ronronroulant, détaillant l’expression de Selene avec attention.

Il préférait évacuer par la plaisanterie ses remerciements, car la coloration de ses vêtements n’avait vraiment pas été bien difficile. Et puis, il avait apprécié qu’elle fasse appel à lui ; il se sentait utile, pour une fois. Cependant, son visage ne trahit aucune émotion – positive ou négative – après l’examen de son apparence et il se sentit un peu déçu. Peut-être qu’il aurait dû davantage travailler le sortilège pour ses yeux.

— On y va ? proposa-t-elle, se détournant de son reflet pour prendre le chemin de la sortie de leur salle commune.

— Allez, roule ma poule, accepta-t-il en pianotant nerveusement d’une main sur le pauvre Bane.

Ils se séparèrent rapidement une fois parvenus dans le grand hall du château et un petit pincement de tristesse lui serra la poitrine. C’était stupide d’avoir l’impression qu’elle avait hâte de le laisser derrière elle, mais le sentiment demeurait, pesant, sur ses épaules. Heureusement, il fut vite chassé par la vision d’un Stitch dans la foule, qu’il s’empressa de rejoindre ; porté par les impressionnantes pattes griffues de l’artefact qui ne le quittait jamais.

— Le meilleur trio enfin réuni ! s’exclama-t-il avec un sourcil haussé tandis qu’il rejoignait Dash et Daisy. À nous Pré-au-Lard et les bonbecs !

Alors que son amie s’échappait d’un air de comploteuse, Fergal s’interrompit dans la salutation qu’il formulait avec une certaine perplexité amusée qui fit rosir Septimus. Victoire n’était certainement pas la plus discrète, mais au moins avait-elle le mérite de les laisser en tête-à-tête, ce qui n’était pas pour lui déplaire.

— Je l’ai fait fuir ou quoi ? l’interrogea le cuistot zombie.

— Oh, non, le rassura l’homme-perroquet, un brin embarrassé. Je crois qu’elle voulait nous laisser seuls, confessa-t-il un ton plus bas pour ne pas être entendu des oreilles indiscrètes.

Son partenaire se rapprocha tout à fait, et le concierge se hissa sur la pointe des pieds pour lui glisser une plaisanterie, à laquelle Fergal répondit sans se faire prier en se penchant à son oreille après s’être fendu d’un rire ; son souffle chaud souleva une vague de frissons sur sa jugulaire sensible et Septimus ne put s’empêcher de lui couler un regard de connivence un peu trop charmeur, qu’il se força à détourner pour s’intéresser à ces somptueux décors qu’il lui tardait d’explorer et de découvrir.  S’engouffrant vers une ruelle jonchée de statues horrifiques, le sorcier eut le malheur de s’approcher d’un peu trop près de l’une d’entre elles ; sans qu’il s’y attende le moins du monde, une voix caverneuse émergea du sinistre chevalier et il en fit un bond en arrière incontrôlé, atterrissant tout contre le large torse familier – dont il s’écarta avec un petit gloussement gêné et une excuse.

— Je vois surtout ça comme une excuse pour me faire du rentre-dedans ! Pas très sérieux tout ça, le sermonna son compagnon avec une fausse moue désapprobatrice.

Instinctivement, Septimus afficha une mine contrite avant de réaliser qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Il agita une main maniérée en détournant le regard pour envoyer valser sa stupidité.

— Ça mérite sans doute une sanction à la hauteur de la faute, répliqua-t-il sur le même ton, tandis que son regard était attiré par le manège du porte-à-porte qu’il mourait d’envie d’essayer sans oser se lancer.

Fergal décida visiblement de l’encourager tacitement dans cette voie, puisqu’il l’entraîna à sa suite vers l’une des maisons du village pour sonner à la porte avec assurance. C’était un peu idiot, mais le concierge éprouvait une certaine admiration envers tous ceux qui parvenaient à aller vers les autres, peut-être à se risquer de les déranger, avec une nonchalance et un naturel qui le dépassaient largement. Aussi était-il bien content de se tenir timidement à ses côtés, les mains jointes devant lui comme un écolier sage et attentif. Lorsque le directeur déguisé poussa un grognement au moment où la porte s’ouvrait – collant apparemment la frousse au pauvre propriétaire des lieux –, Septimus ne put retenir un petit ricanement amusé de gamin ravi. Il tenta bien de l’étouffer derrière sa main, mais c’était peine perdue.

L’homme paraissait connaître son partenaire, car il s’adressa à lui avec une familiarité qui surprit le concierge. Ne voulait pas interrompre l’échange, Septimus patienta jusqu’à ce que la porte se referme pour s’exclamer avec un air outré, posant ses mains sur ses hanches :

— Mais tu n’es pas gras du tout !

Son intonation scandalisée laissait sans doute un peu trop transparaître qu’il trouvait Fergal très à son goût, mais l’homme n’était pas spécialement connu pour freiner ses réactions spontanées et cette honnêteté parfois un peu douloureuse qui le caractérisait. L’air toutefois peu affecté par cette pique, le cuistot zombie déballa le bonbon qu’il avait récupéré, l’examina puis l’engloutit. Aussitôt, ses cils s’allongèrent et s’épaissirent en hideuses pattes d’araignée qui arrachèrent un hoquet de dégoût et un mouvement de recul au concierge sensible.

— Merlin tout-puissant… Je ne suis pas sûr de vouloir tenter l’expérience. Ça va rester longtemps ? s’enquit-il avec une voix anxieuse en désignant d’un doigt hésitant ses yeux bien trop perturbants.

— Tu peux m'éclairer sur le résultat de cette expérience culinaire ? l’interrogea son compagnon, visiblement plus curieux qu’effrayé.

— Tu as des, eurk, pattes d’araignée à la place des cils, déglutit péniblement Septimus en détournant les yeux, une main sur sa poitrine secouée.

Non, vraiment, c’était trop pour son petit cœur. Il n’appréciait pas spécialement les araignées, et encore moins leurs multiples pattes remuantes. S’il avait du respect pour leur rôle naturel, il devait avouer avoir bien du mal à ne pas être crispé à la vue de l’une de ces créatures grouillantes. Non, vraiment, les pattes, c’était trop !

La première expérience de porte-à-porte spéciale Halloween de Septimus se conclut sur une remarque offusquée, ce qui ne manqua pas de provoquer un rire franchement joyeux chez Fergal, qui se tapota le ventre en répliquant sans honte :

— Je crois qu’il dit surtout ça parce que je boxe dans la catégorie poids lourds. Et que ma consommation n’a pas toujours été très raisonnable aux Trois-Balais, reconnut-il. C’est l’un des barmans.

— Oh, s’étonna d’abord le concierge en battant des cils, avant de pencher légèrement la tête de côté d’un air curieux. Comment ça, pas très raisonnable ? s’enquit-il ensuite en plissant les yeux d’un faux air suspicieux. Il faudra vraiment que je te voie boxer un jour, quand même – même si nos catégories ne sont absolument pas compatibles, ajouta-t-il plus sérieusement, quoiqu’avec un petit sourire de connivence.

Il aurait bien rajouté « sauf au lit » s’ils ne se trouvaient pas en public, mais il était à peu près sûr que son compagnon avait saisi l’étincelle de malice qui dansait dans ses yeux trop clairs. C’était tellement rafraîchissant et excitant de flirter avec Fergal en sachant que c’était réciproque ; que ce n’était plus une absurde attirance désespérée qui n’avait aucune chance de se concrétiser. Il n’en revenait toujours pas que le directeur l’ait embrassé – et de tout ce qui s’était ensuivi. Parfois, tout semblait si naturel qu’il en était tout ébaubi ; comme s’il était logique, normal ou même attendu qu’ils se fréquentent tous les jours, se retrouvent chez l’un ou chez l’autre et râlent au sujet du ministère de la Magie dans les bras l’un de l’autre entre deux papouilles. En réalité, Septimus ne se serait pas soupçonné câlin avant de découvrir cette ébauche de relation. Ni sa famille ni ses amants n’avaient jamais eu ce genre de geste pour lui ; c’était nouveau et grisant, et plaisant, et ça faisait naître toutes sortes de petites bulles pétillantes dans son ventre.

La petite bulle de bonheur qui avait paisiblement éclos à cet instant, en croisant le regard de Fergal, éclata cependant lorsque ses prunelles se posèrent sur les monstruosités agitées qui tenaient lieu de cils à son partenaire. Vraisemblablement, le coupable tout désigné était le bonbon qu’avait avalé le directeur. Cette constatation n’empêcha pas Septimus d’en être simultanément écœuré et horrifié. Avisant la couleur désormais un chouïa verdâtre de son cadet, Fergal répondit :

— Oh, quelques heures tout au plus ! Il y a une chance sur deux de tomber sur un bonbon farces et attrapes, exposa-t-il, avant de frotter ses yeux d’un air surpris. Ça chatouille un peu.

Cette information sensorielle ne fit qu’étirer davantage la grimace difficilement réprimable sur les lèvres blêmes du concierge. L’envie lui démangeait de frotter ses mains sur sa cape en marmonnant « Beurk, beurk, beurk » – mais un rien de dignité l’en empêchait encore.

— Quelques heures ? répéta Septimus dans un couinement, suivi d’un hoquet étouffé.

Prenant visiblement son amant en pitié, Fergal pointa sa baguette sur ses yeux et tenta d’annuler le sort sans trop y croire. Heureusement, la méthode porta ses fruits ! Un soupir de soulagement si bruyant qu’il en rosit échappa à l’amateur de lagomorphes, qui se fendit d’un petit rire gêné.

— C’était un peu… dérangeant comme vision, admit-il pour expliquer sa vive réaction.

D’une large main empathique, son compagnon tapota sa maigre épaule.

— On va pouvoir continuer ? Tu veux frapper à la prochaine porte, ou tu préfères te promener ? proposa-t-il, avisant que son partenaire était peut-être refroidi par l’expérience.

Mais il n’en était rien ! Septimus secoua vigoureusement la tête, tapotant ses paumes l’une contre l’autre avec une certaine excitation, qui d’ailleurs brillait dans son regard bleu.

— Non, je veux ! lâcha-t-il un peu puérilement, avant d’ajouter : Euh, je veux dire que je veux continuer le porte-à-porte.

Ses iris pâles se promenèrent autour d’eux, à la recherche d’une porte à laquelle frapper – le concierge était hésitant, oscillant d’un pied sur l’autre tandis que l’anxiété de déranger un inconnu et de s’emmêler dans les mots durant la brève sollicitation sociale le gagnait. Finalement, il se décida pour une maison joliment décorée, qui lui paraissait un peu stupidement plus sûre que celles qui avaient misé sur l’effrayant plutôt que sur l’accord des couleurs qui plaisaient beaucoup à ses yeux. La porte était entourée d’une guirlande mêlée d’un noir profond et d’un orange sombre, seulement rehaussée de petites araignées mignonnes et duveteuses qui parcouraient les froufrous avec leurs pattes courtaudes et si velues qu’elles en étaient sympathiques.

— Je préfère celles-là, elles sont adorables. On dirait qu’elles ont des manches de samba, rit un peu bêtement Septimus en les désignant à Fergal lorsqu’ils eurent traversé la rue – à nouveau, le cadet avait eu l’envie de saisir sa main, mais cette fois, il s’en était abstenu.

Mais le moment tant attendu était arrivé, et cela impliquait de frapper à la porte. C’était grotesque, mais son cœur battait un peu trop fort. Il avait toujours détesté faire ça ; c’était un peu comme téléphoner, finalement. La simple perspective de toquer générait un gloubi-boulga d’embarras, d’angoisse et d’envie de fuite qu’il détestait. C’était ridicule, non ? Pourtant, les doigts qu’il agitait nerveusement ne s’étaient pas levés pour amorcer le moindre geste. Septimus se sentait stupide et risible, d’autant que Fergal ne comprenait sans doute pas le moins du monde le blocage mutique auquel il assistait. Plus les secondes s’égrenaient, plus il n’osait pas esquisser une tentative et plus il n’osait pas croiser le regard de son partenaire.

Tu es idiot, se rabroua-t-il, ses prunelles tremblantes toujours fixées sur la porte comme si elle constituait un obstacle infranchissable – exactement comme il avait contemplé des milliers de fois son téléphone moldu sans jamais réussir à composer le numéro.

Se mordant les lèvres, il se repassa le fil de son petit scénario prérédigé sans pouvoir s’empêcher de le murmurer bas, très bas ; dans l’espoir que le répéter en dehors des parois hermétiques de son crâne écervelé lui donne suffisamment de courage pour sauter le pas.

— Bonsoir, désolé de vous déranger. Nous participons à la collecte des bonbons pour l’école. Un bonbon ou un sort ?

Outre l’air pathétique qu’il devait probablement renvoyer, le répéter ne l’aida pas le moins du monde. Il aurait dû l’écrire sur sa paume, comme lors des dîners mondains organisés par ses parents, dans lesquels on attendait de lui qu’il accueille les invités ; il ne savait que trop bien qu’il était capable de ne pas se rappeler un seul traître mot de son texte instantanément la conversation amorcée. Penaud, il baissa les yeux sur le bout de ses chaussures, incapable d’expliquer tout ça à Fergal de vive voix. Mais alors qu’il envisageait de renoncer, frustré et fâché contre lui-même, la porte s’ouvrit sur une toute petite sorcière replète, dont les rides étaient si prononcées qu’on distinguait à peine ses yeux.

— Oh, messieurs ! Je me disais bien qu’on attendait devant ma porte. Je n’ai pas dû entendre, je deviens sourde, hé, hé, s’excusa-t-elle d’une voix chaude et chevrotante en chaussant des lunettes si grosses que d’absents ses yeux devinrent omniprésents.

Pris de court, Septimus mit de longues secondes avant de réagir.

— Oh ! s’exclama-t-il comme s’il ne s’attendait pas le moins du monde à ce que quelqu’un n’ouvre. Euh, je veux dire : bonsoir ! D-Désolé de vous déranger, commença-t-il un peu péniblement, mais la petite vieille l’interrompit d’un geste négligent de sa petite main fripée.

— Mais non, enfin, ne soyez pas stupide, mon garçon. Tenez, ajouta-t-elle en lui fourrant un bonbon d’autorité dans la main.

Avec timidité, Septimus replia les doigts sur la sucrerie et étira un sourire de gamin rayonnant.

— Merci, madame ! Passez une bonne soirée, la salua-t-il chaudement, ravi.

Elle marmonna quelques « C’est rien, c’est rien » avant de lancer un mystérieux clin d’œil à Fergal. La porte se referma sur elle, laissant le concierge et le directeur seuls avec le bonbon peut-être piégé. Le cœur encore un peu étourdi par ce minuscule interlude dont il avait fait une montagne infranchissable, Septimus tritura un moment l’aluminium rose qui entourait la petite chose gourmande, puis défit le tout et l’avala avec l’air de quelqu’un qui s’attend au pire. Mais ses yeux s’éclairèrent lorsque le goût fondit sur sa langue en y répandant sa douceur onctueuse.

— Caramel ! s’exclama-t-il joyeusement.

Lancer de dé :

Jack avait pris soin d’échapper à l’escorte de la cohorte d’élèves déguisés en prétextant avoir quelques petites choses à voir dans la serre numéro trois avant de rejoindre ses collègues volontaires pour surveiller tout ce petit monde. La botaniste n’avait vraiment aucune envie d’être assommée par un trajet chiant à mourir – pire encore, d’assister au discours encore plus pénible de cette bibliothécaire beaucoup trop ennuyeuse pour son propre bien. L'enseignante la soupçonnait de souffrir de neurasthénie sévère. Elle s'estimait plutôt philantrope d'avoir épargné ses soupirs et ses roulements d'yeux à sa collègue. Aussi arriva-t-elle en retard à Pré-au-Lard, d’un pas tranquille et complaisant ; il fallait dire qu’elle était plutôt fière de son déguisement de Nepenthes northiana qui formait une corolle colorée autour de sa tête et de ses épaules. Elle l’avait conçu pour ressembler trait pour trait à la texture de la plante carnivore amatrice de mouches, formant une robe aussi bizarre qu’attirante. Parfois, il était plutôt pratique d’avoir côtoyé de près un professeur de métamorphose, véritable pygmalion de son ex-épouse en l'espèce. Le seul hic, c’est que ce n’était ni discret ni pratique – mais ce n’était pas vraiment dérangeant pour Jack, qui aimait être admirée et prendre son temps comme si elle défilait sur un podium.

Seulement, sa lenteur ne lui laissa que peu d’occasions de rattraper des élèves ou des collègues de sa connaissance, et elle se retrouva rapidement à errer comme une âme en peine dans une rue qu’elle ne connaissait pas très bien. D'un autre côté, il ne fallait pas trop compter sur les élèves pour marcher aux côtés de cette prof un peu tyrannique sur les bords. Dans un soupir agacé, Jack jeta un œil à la ronde pour se dégoter une compagnie digne de ce nom – qui daignerait surtout attendre sa (lente) majesté et marcher à son rythme. C’est qu’il fallait souffrir pour être stylée.

Heureusement, une silhouette de clown fantomatique se détachait très clairement dans la nuit mal éclairée par les réverbères du village aux allures sinistres en cette nuit d’Halloween. Le regard bleu de la directrice de Poufsouffle s’éclaira et elle héla aussitôt la jeune femme qu’elle reconnut sans peine malgré son visage grimé :

— Eh, mais ne serait-ce pas notre owlmaster préférée ? Victoire, viens donc me tenir compagnie. Ce maudit costume est plus élégant que pratique.

Arborant un air suspicieux avec une étincelle joueuse au fond de ses yeux trop clairs, Septimus fit mine d’être réprobateur – ce qui tira bien sûr une réplique tout aussi malicieuse à Fergal, affirmant qu’il n’était pas nécessaire de lui coller une retenue après la migraine que ses abus avaient provoquée. Le concierge rit, non sans sauter sur l’occasion de lui rappeler qu’il ne l’avait jamais vu boxer.

— Crois-moi, tu préfères voir un entraînement, assura le directeur avec un regard appuyé qui tira un ou deux délicieux frissons à son cadet, qui remontèrent discrètement le long de son échine.

— Je te crois, répondit-il aussitôt avec un rictus évocateur, avant de baisser la voix afin qu’eux seuls entendent les mots suivants. J’ai hâte de voir ça.

Cette agréable parenthèse de flirt fut cependant refermée brutalement par l’apparition horrifique de pattes d’araignée en guise de cils sur le visage de Fergal. Heureusement, ce dernier n’attendit pas que son compagnon ne devienne encore plus vert qu’il ne l’était déjà pour tenter d’annuler les effets du bonbon tout juste avalé d’un coup de baguette magique – et ses cils revinrent (au grand soulagement de Veturia) à la normale !

— J’imagine qu’il ne faut pas avoir une dent contre les araignées pour apprécier ce nouveau look, souligna son partenaire, peut-être pour justifier la réaction de celui-ci afin qu’il ne se sente pas stupide.

— Oh, euh, bafouilla Septimus en rosissant, je n’ai rien contre les araignées en soi, mais ça… grouillait vraiment et j’ai un peu de mal avec ce genre de choses visuelles, exposa-t-il avec une pointe de timidité.

Sa sensibilité avait toujours été un sujet de moquerie et, s’il faisait confiance à son aîné pour ne pas juger ou se moquer, des années d’habitude reprenaient toujours le pas sur quelques agréables découvertes récentes qui n’avaient pas encore eu le temps de s’imprimer dans ses réflexes. Avec Fergal, tout était toujours drôle, rafraîchissant, doux ou joyeux ; il n’y avait pas de gronderies, de reproches, de coups ou de menaces. Il n’y était pas encore habitué – et il doutait qu’il s’habituerait un jour à tant de bonté naturelle. Après tout, il y avait peu de chances qu’il veuille suffisamment longtemps de lui pour lui en laisser l’occasion.

Cette pensée assombrit nettement son humeur, aussi son esprit se tourna-t-il tout entier vers la fête qui se déroulait actuellement autour d’eux pour le distraire de cette perspective désespérante. Avec sa prévenance habituelle, son compagnon lui proposa de plutôt se promener dans les rues si l’expérience l’avait vacciné contre une nouvelle tentative, mais le concierge refusa pour au moins essayer à son tour ce drôle de jeu qui le faisait rêvasser lorsqu’il était gamin. S’il eut un peu honte de sa réaction enfantine, la tendresse qu’il perçut dans le grand sourire qu’étira son amant lui réchauffa suffisamment le cœur pour en chasser tout sentiment chagrin. Arrêtant son choix sur une mignonne bicoque décorée pour l’occasion sans être non plus très effrayante, Septimus s’y dirigea non sans avoir noté du coin de l’œil l’amorce de geste de Fergal. La frustration de ne pas pouvoir lui tenir la main le tenailla une nouvelle fois, mais il la ravala pour se confronter à l’anxiété immédiatement générée par la porte close qui les arrêta bientôt. Le silence les enveloppa, mais pas un de ces silences confortables qui les enveloppaient dans les draps encore chauds ou lorsqu’ils s’occupaient à deux choses distinctes dans la même pièce – plutôt un silence épais, étouffant, qui rendait la respiration du cadet pénible. Il se sentait stupide, si stupide de se heurter à un tel mur de difficultés pour si peu ; de quoi avait-il l’air, franchement, à répéter tout bas sa réplique comme un acteur maladroit ? Sans qu’il s’y attende, bloqué en lui-même, Fergal se rapprocha doucement et effleura ses doigts de la pulpe des siens en signe de soutien tacite. Le regard jusqu’ici baissé sur ses chaussures, le concierge le releva comme un animal acculé entrevoyant une porte de sortie, se raccrochant à ce visage qui décidément remuait tant de bonnes choses en lui qu’il s’en sentit démesurément ému. Combien de chances existait-il pour que l’idiot paumé qu’il était tombe sur ce roc indestructible ?

Il n’eut pas le temps de s’y attarder, car la petite vieille qui habitait la maison ouvrit la porte pour dispenser un peu de sa gentillesse et de sa générosité, avant de s’enfuir – non sans un « Merci » appuyé du directeur. Ragaillardi et réchauffé par cette intervention bienveillante sortie de (presque) nulle part, le cadet engloutit son bonbon avec une légère appréhension ; qui disparut aussitôt que le caramel envahit sa langue.

— La chance du débutant ! s’exclama Fergal en souriant – ce satané sourire qu’il avait envie d’écraser sous ses lèvres.

À la place, Septimus lui répondit par un sourire au moins aussi éclatant, sans chercher à interrompe cet échange de regards qui faisait valser son cœur et son ventre à un rythme beaucoup trop rapide. C’était parfois vertigineux de se sentir si heureux pour un seul coup d’œil rempli d’affection plutôt que de mots. Et c’était de plus en plus terrifiant pour le sorcier de voir les jours, les mois filer à toute vitesse ; tout étourdi qu’il était par son odeur et le goût de sa peau ; songeant de plus en plus que tout bonheur avait une fin dans cette vie qu’il menait depuis trente-sept longues années, et qu’il n’y avait que très peu de chances que celui-ci dure encore longtemps. Leur lien présent tenait déjà du miracle, il ne fallait pas trop en demander. Il était déjà infiniment reconnaissant pour tout ce que Fergal lui avait donné.

Ce dernier rompit malgré tout le silence :

— Je te proposerais bien de venir voir ma maison, mais je crains qu’elle ne tienne lieu de maison hantée pas vraiment décorée. Sauf si les feuilles mortes au sol comptent, plaisanta-t-il.

Les prunelles bleues de Septimus s’éclairèrent à cette mention, non sans une arrière-pensée à l’idée de se dégoter un endroit à l’abri des regards – et un peu plus chaud que le village qui commençait sérieusement à se refroidir, comme en témoignait la peau désormais frissonnante du concierge. Il avait beau adorer son déguisement fait main, il ne tenait pas bien chaud.

— Je ne suis pas contre, glissa-t-il l’air de rien. Tu sais comme je suis curieux… Tu ne l’habites quasiment jamais, je me trompe ? Je peux te demander pourquoi ? s’enquit-il, autant parce que la réponse l’intéressait vraiment que pour détourner ses pensées polissonnes de cette idée caressante désormais confortablement nichée dans un coin de sa tête.

Tandis qu’ils poursuivaient leur chemin le long de la rue enguirlandée, les pupilles agiles du concierge captèrent l’existence d’une venelle sombre et déserte menant à une autre grande rue éclairée ; un raccourci abrité, quoiqu’un peu glauque. Il fut cependant détourné de cette tentation par l’intervention désagréable d’une bonne femme mal fagotée visiblement décidée à gâcher leur petite expérience. C’est tout juste si elle ne balança pas son bonbon à la tête du directeur ! Septimus émit une petite exclamation scandalisée en portant une main à sa poitrine outragée.

— Mais enfin ! s’écria-t-il.

— Heureusement qu’il n’y a pas « arsenic » dans la liste… Sinon je m’abstiendrai de goûter, dédramatisa son partenaire comme à son habitude.

— Ce n’est qu’un jeu, je ne comprends pas comment les gens peuvent se montrer si méchants, grommela Veturia avec une lippe boudeuse, tout en suivant le trajet du bonbon jusqu’aux lèvres – un peu obsédantes – de Fergal.

Il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à ses cils, mais cette fois-ci, ce furent ses canines qui s’allongèrent !

— Oh non pas les dents, geignit son compagnon. Chais pas chuper pratique pour parler. En pluch, chais pas des vrais, c'est tout mou je peux pas croquer, se plaignit-il, semblant un poil désespéré.

Sans pouvoir s’en empêcher, Septimus éclata de rire ; il tenta bien de l’étouffer d’une main, mais ce fut sans grand succès. Il fallait admettre que celui-là était au moins aussi drôle que punitif.

— Désolé, mais je crois que tu es puni pour cette fois, le taquina non sans malice son amant, levant sans réfléchir une main tendre pour caresser sa joue en guise de réconfort.

Il la retira bien vite, conscient à rebours qu’ils étaient en public, et étira une petite grimace. C’était une torture insoupçonnée que de devoir réfléchir au moindre de ses faits et gestes, pour lui qui ne songeait jamais à ce dont il avait l’air. Combattre cette sale manie et l’irrépressible envie de toucher son partenaire, c’était aussi frustrant que déstabilisant. Il fallait dire qu’il n’avait jamais rien éprouvé de la sorte pour personne.

Faisant la moue, il invita Fergal d’un coup de menton à le suivre dans la venelle qu’il avait repérée quelques instants plus tôt et, une fois qu’il se fut assuré d’un coup d’œil par-dessus son épaule qu’ils étaient suffisamment enfoncés dans cette ruelle glauque et sombre, glissa ses doigts entre ceux de Fergal avec un plaisir mal dissimulé. Sa large paume chaude contre la sienne alluma une chaleur toute innocente dans sa poitrine, et il se sentit déçu de ne pas avoir davantage l’occasion de mettre ce geste intime en pratique.

D’ordinaire, il ne se serait jamais aventuré dans ce genre d’endroits seul, mais avec son compagnon tout près, il se sentait en sécurité.

— Puisque tu es puni…, commença-t-il d’une voix mi-hésitante mi-mielleuse, peut-être qu’on pourrait jeter un œil à ta maison ? On pourra toujours revenir chercher des bonbons quand tu pourras les croquer à nouveau.

Ses prunelles brillant dans la pénombre se levèrent, pleines d’espoir, vers le visage de Fergal avec un petit sourire timide.