feat. Deva Cassel
Pour expliquer l’histoire de ma famille, le plus pertinent a toujours été de remonter à la révolution des états italiens, en 1848. Ce n’est pas tant que je suis férue d’histoire, les personnes mortes n’ont qu’un intérêt très limité à mes yeux, mais parce que je pense que son fonctionnement est directement inspiré de ce moment. Pour résumer, la plupart des états et duchés de l’époque ont connu des soulèvements populaires. Le duché de Toscane, dont les Corvere sont originaires, n’a pas échappé à cette mode. Il n’y a rien de mieux qu’un peuple financièrement à bout et trois idéalistes pour vous mener une mutinerie. Bon, je dois reconnaître que je simplifie à l’extrême, les enjeux étaient plus complexe, un fond de guerre d’Autriche, d’influence de l’Eglise … mais tout le monde se fiche de ça. Le fait est que le majeur problème des idéalistes est qu’ils vivent mieux dans un monde d’idées et de concepts que dans la réalité. Sans surprise, ils ont donc gagné un temps pour perdre de façon encore plus cuisante. La fracture existait également chez les sorciers. C’est à ce moment là qu’entre en jeu ma famille paternelle. Mon père me dit que leur sang était pur depuis plus de deux siècles à l’époque. Personnellement, je n’étais pas là pour vérifier la qualité de leur hémoglobine. Par contre, tout le monde vous dira qu’ils étaient riches à en crever. Et très contrariés de se faire snober pour des histoires de sang. Voilà comment quand les registres des grandes familles sang pur a malencontreusement disparu pendant cette Révolution, certains d’entre nous ont négocié contre des montagnes d’argent et un petit coup de pouce vers la victoire des conservateurs, moldus ou sorciers, que leur nom apparaisse mystérieusement dans les nouveaux registres. Voilà comment ma lignée paternelle a été blanchie. Tout le monde en a d’abord été ravi. Puis ils se sont rendu compte que le bout de papier avait légalisé la situation. Ce n’était pas assez pour s’acheter une légitimité. Cruelle désillusion pour des personnes en capacité de se doucher à l’or fondu ou presque si elles en faisaient le caprice. Ils ont essayé de s’intégrer. Mais la bourgeoisie n’a jamais eu les codes de la noblesse. Trop clinquante, trop tapageuse, l’attitude n’était jamais la bonne. Cela a fini par nourrir une sérieuse rancœur contre le reste du monde pendant des dizaines et des dizaines d’années ainsi qu’une envie irrépressible de revanche. Il a donc fallu changer d’angle d’attaque après quelques générations.
Voilà comment mes parents ont élevé le principe du mariage d’alliance au rang d’art. La famille de ma mère était désargentée, mon père avait la richesse. La famille de mon père avait besoin d’une légitimité au sein des anciennes familles pour devenir plus sang-pur que les sangs-purs et ma mère avait l’arbre généalogique. Par la suite, ils se sont rendus compte qu’ils avaient les mêmes ambitions professionnels, l’avocature, et ils sont devenus associés. Ils ont appris à se connaître et ils ont également compris que quitte à nager dans la mer, ils voulaient être les requins. Pour des raisons différentes, leur conception de la morale est assez limitée. Mon père a souffert qu’on ne reconnaisse pas instantanément le pouvoir de sa famille, ma mère a détesté subir le déclin financier de la sienne. Tous deux en ont retiré comme conclusion qu’argent et pouvoir valent mieux qu’éthique et bons sentiments. Si vous pensez que je ne suis pas d’accord, rappelez-vous que je suis leur fille. Et qu’il faut vraiment avoir du temps à rien foutre pour se prélasser dans des états d’âme. Bref, je ne sais pas s’ils s’aiment et je pense que le monde entier s’en moque. L’amour, c’est charmant dans les romans, mes parents, eux, sont partenaires. Ils ont une confiance absolue l’un dans l’autre et je crois qu’ils pourraient dominer le monde si c’était le projet.
En l’occurrence, ils se sont vite rendus compte que le droit est chronophage, ne paie pas toujours très bien et a un caractère aléatoire assez incompréhensible. Personne n’aime croire que la justice n’est qu’un joli mot, non ? Ils ont donc décidé de miser l’essentiel de leur activité sur les transactions. Un client qui ne va pas jusqu’au tribunal est un client heureux. Et vous savez comment on contraint la partie adverse à transiger ? Il suffit de la faire chanter. Tout le monde a un secret qui vaut tout l’or du monde. Il suffit de le trouver. Et si dans un élan de conscience vous trouviez ça immoral, qui l’est le plus, la personne qui trompe son mari ou celle qui menace de le révéler ? L’individu qui aime les gamines de quatorze ans ou celui qui lui fait cracher sa fortune ? Il n’y a pas de gentils dans ce monde. Que des pourris. L’essentiel, c’est d’être le meilleur. Inutile de dire que désormais en Italie, ils dominent le marché. Les familles qui les dédaignaient leur mangent dans la main. Et après tout ce que je vous ai raconté, tout le monde sait qu’ils adorent ça.
A leur manière, ils ont fondé un empire, le leur. Moi je suis née pour leur succéder. J’ai déjà un pied dans la boîte. C’est une autre histoire et je me souviens de chaque instant.
Assez pour partager. Vesper – 5 ans
Ma mère s’assit sur le rebord de mon lit et son parfum de muguet m’enveloppa. Je me lovais contre elle alors qu’elle caressait avec douceur mes boucles brunes et l’observai avec une forme d’adoration que seuls peuvent avoir les enfants. Je la trouvais absolument magnifique. Si l’on m’avait demandé ce que je voulais faire dans la vie à cette époque, j’aurais probablement répondu que je voulais être comme elle. Heureusement pour moi, j’avais acquis un peu plus d’ambition entre temps. Alors qu’elle me lisait une histoire qui me passionnait bien moins que d’étudier son visage, elle s’arrêta pour me poser une question qui me sembla incongrue.
- Quel animal voudrais-tu être ma chérie, si tu pouvais choisir ? Je pris le temps d’y réfléchir. Je répondais rarement très rapidement, comme si j’avais déjà intégré l’importance de peser chacun de mes mots. Un jour, ma mère m’avait dit que l’on naissait avec la beauté mais que l’intelligence se gagnait. Elle avait également ajouté que mon esprit me servirait mieux que n’importe quelle babiole, sans doute parce que j’avais réclamé une fanfreluche qu’elle jugeait inutile. Pour reprendre ses mots, elle avait dit que ce serait une arme, pour peu je l’y entraîne. Depuis, je mesurais mes paroles avec soin. Je voulais être aussi belle qu’elle, évidemment, mais je voulais par-dessus tout lui ressemble dans sa globalité. Si l’intelligence était la qualité qu’elle plaçait en premier par-dessus tout, je pouvais bien commencer à le travailler dès maintenant. Après mûre réflexion, je conclus
- Un oiseau. Pour voler. Ma mère parut réfléchir et secoua la tête, avant de me répondre d’un ton doucereux.
- Non, un oiseau ouvrirait des possibilités trop limitées. Toi, ma chérie, tu es un chat. Tu retombes toujours sur tes pattes. Je l’avais regardé sans répondre avant d’acquiescer doucement. Je n’avais pas envie d’être un chat, c’était trop commun. Mais elle avait l’air si sûre d’elle et je l’admirais tellement. Maman avait toujours raison, non ? Alors je voulais bien être un chat.
Vous vous demandez à quoi sert une conversation si triviale dans mon récit, pourquoi un souvenir aussi anodin mérite de devenir marquant ? Très simple. Par la suite, je suis littéralement devenue un chat. Vesper – 10 ans et demi
Le drame de ma vie d’enfant avait été notre déménagement en Angleterre. J’étais née en Toscane et j’avais été persuadée que nous y resterions jusqu’à la fin de nos jours. Je ne m’étais jamais interrogée sur le reste du monde parce que le mien, aussi limité qu’il puisse sembler était mon paradis. Il y avait en Italie une douceur de vivre que j’aimais au-delà des mots. C’est une expérience difficile à décrire, c’était comme si chaque fibre de mon être savait que j’étais chez moi. Peut-être qu’à force d’aimer cet endroit, il avait fini par me rendre cet amour en retour, m’empêchant à tout jamais de me fixer dans un autre lieu. Et mes parents souhaitaient m’en déraciner. J’avais tempêté pour la première fois de ma vie, brisé de la vaisselle, pleuré, mais rien n’y avait fait. Une histoire d’aller dominer le marché anglais. J’avais cru que ma tristesse les dissuaderait. Pourtant je savais depuis toujours que la sensibilité n’était pas leur fort. J’avais cru qu’ils se lasseraient de mes frasques et me laisseraient en pensionnant en Italie. Mais quand j’avais émis cette hypothèse, mon père s’était contenté de me toiser et il n’avait pas eu besoin d’ouvrir la bouche pour que je connaisse sa pensée. Nous étions une famille. Si je restais derrière, je les abandonnais.
Alors j’y étais allée. Le sang est tout.
L’Angleterre était aussi morose que je me l’étais figurée. Toutes les couleurs semblaient fades, quand il y avait encore la chance d’en avoir. Tout était gris, gris brumeux pour le ciel, gris souris, anthracite, terne … Tout était froid, humide et il ne me fallut guère plus d’une minute pour découvrir que je détestais le froid. Le manoir acheté était magnifique mais cela ne valait rien pour moi qui étais habituée au luxe. Un luxe pour un autre. J’avais fui cet endroit de malheur pour le parc où j’avais marché sans but dans l’idée de tester les limites de la propriété. Les limites de ma fuite aussi, peut-être. Après de longues minutes, je finis par atteindre la lisière de la propriété la plus proche. Et surprise, un garçon de mon âge sensiblement s’y trouver.
Je le détestais.
Mon monde à moi venait de s’écrouler. Lui était solaire. Tout dans son attitude démontrait un aspect sociable. Il était souriant. Avenant. Je lui en voulais de ne pas coller à mon humeur sombre. Je lui en voulais de me faire des signes de la main tout en me lançant des mots en anglais que je ne comprenais pas. J’ouvris la bouche pour répondre mais les mots se bousculèrent en italien et je faillis en pleurer de rage. Ici, ce n’était pas ma place, ce gamin voisin ne serait pas mon ami. Et je voulais être ailleurs. Alors je tournais les talons pour m’enfuir.
August. J’ai recroisé ce voisin depuis, il est toujours aussi solaire. Il m’a longtemps inspiré des sentiments ambigus. Il me fascine parce que j’aime désespérément le soleil. Il m’indiffère parce qu’il ne peut remplacer celui de Toscane. Néanmoins, je lui dois ma maîtrise de l’anglais. En rentrant dans ma nouvelle maison, j’ai exigé un précepteur et obligé mes parents à ne me parler qu’anglais jusqu’à la rentrée de septembre. J’y ai passé des heures de travail, jusqu’à gommer mon accent. Je ne serai plus jamais à court de mots. Vesper – 11 ans
- Vesper ? La voix de mon père me tira de ma lecture. La rentrée était dans deux jours et même si je ne l’énoncerais jamais, j’étais rongée par l’appréhension. L’une de mes qualités autant que l’un de mes défauts avait toujours été ma lucidité. J’enviais les idiots qui arrivaient à traverser l’existence sans jamais se heurter à la violence de la réalité. Cela devait être une bénédiction de ne se rendre compte de rien. Moi, je voyais tout. C’était exactement pour cela que je me voyais de manière très claire. J’étais une enfant bizarre pour les autres et cela ne faciliterait pas mon intégration. En Italie, les autres me mangeaient dans la main, là, je n’étais que moi. Et ce n’était pas suffisant. Heureusement pour moi, en grandissant, je deviendrais plus jolie, mais pour l’instant force était de constater que j’étais quelconque. Une brune aux yeux noisettes démesurés, un peu trop maigrelette même. Mon anglais était parfait à condition que je fournisse des efforts démesurés pour le parler. J’étais en bonne voie pour finir cette scolarité seule. Peut-être que ça m’agréait. Peut-être pas. Je n’avais pas tranché cette question.
- Ta mère et moi aimerions te parler. J’abandonnai mon ouvrage pour les rejoindre dans le petit salon. Ils se lancèrent un regard de connivence qui m’intrigua. Maman m’avait appris à lire ce que les corps disaient mais que les lèvres n’exprimaient pas. Cela avait été un jeu. J’allais vite comprendre que le terme d’entraînement aurait été plus exact.
- Sais-tu comment nous gagnons nos procès ? J’arquai un sourcil ne comprenant pas ce que cette question venait faire à cet instant mais je me contentai de secouer prudemment la tête. Regard de connivence voulait dire information importante.
- Nous n’allons pas jusqu’au procès justement. Cette fois, j’affichai une réelle incompréhension. Cette conversation n’avait aucun sens. Je voulais me replonger dans mon livre – en anglais toujours – et me laisser absorber par l’histoire.
- Il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais jugement. Alors ta mère et moi, nous nous spécialisons dans les accords. Sais-tu comment convaincre quelqu’un de signer un accord ? Réfléchis. J’avais presque amorcé mon mouvement de tête que je me figeai face à son ordre. Réfléchir. Mes yeux glissèrent sur ma mère qui me souriait et je retins un haussement d’épaules. Etre intelligente.
- En lui faisant une proposition qu’il ne peut pas refuser ? C’était trop évident. Mais mon père sourit.
- Il y a de ça. Si l’autre ne signe pas, nous menaçons de révéler son plus grand secret. Cette fois-ci, je haussai les épaules. J’étais assez vieille pour connaître le principe du chantage et c’était exactement sa définition. Ce qui n’enlevait pas la difficulté première. Connaître le secret.
- Tu les fais chanter. Mais personne ne peut tout savoir. Ils arborèrent une moue ravie que je ne compris pas. Je ne faisais que dire des évidences et pourtant à chaque mot, j’avais l’impression de frôler l’Ordre de Merlin dans leur regard. Ma mère prit la parole pour la première fois, un rictus amusé sur les lèvres
- Il suffit de se débrouiller. Tout se sait toujours. Inutilement mystérieux comme réponse. J’allais me relever pour retourner à mes activités quand mon père reprit la parole, une lueur presque exaltée au fond de ses iris.
- Tu pourrais nous aider à trouver ces secrets, gattina. Personne ne se méfie des enfants. Il te suffit de poser des questions. Mais je peux aussi t’apprendre à te fondre dans l’ombre pour décortiquer n’importe quel secret. Les secrets sont synonymes de pouvoir. Je peux faire en sorte que tu deviennes une rumeur, un murmure. Une menace dont on ne connaît pas le nom mais que l’on craint. Tu aimerais cela ? Il n’y avait pas de non possible. Le sang est tout. Evidemment que j’allais les aider. Mais surtout, j’avais envie d’être ce qu’il décrivait. A cette époque, je me moquais que l’on se souvienne de moi, j’avais l’impression d’être incapable de marquer les esprits alors le pouvoir était une bonne solution. J’avais envie d’être puissante.
- Je dois faire quoi ?- Tu connais les animagus ? Je ne savais pas que l’ombre avait ses inconvénients. Elle lasse. Vesper – 13 ans
Ne jamais reculer. Ne jamais avoir peur. Tu es faite d’acier.
Est-ce qu’il suffisait de se répéter les choses à l’infini pour qu’elles finissent par se confondre avec vos atomes ? Certains le croient, dont mon père. J’avais pris cette habitude de lui et ses paroles tournaient généralement en boucle comme un mantra dans mon esprit. Généralement, cette litanie était assez efficace, ou en tout cas assez hypnotique pour ne plus réfléchir du tout. Mais aujourd’hui, la nervosité était de mise, trop pour qu’elle se laisse détourner par des tours aussi simples, pour ne pas dire simplets. L’été était déjà bien entamé et depuis mon retour de Poudlard, mes parents avaient mis les bouchées doubles pour que leur projet d’animagus se concrétisent. Moi, j’avais travaillé en conséquence : sans relâche. A tel point que j’avais enfin réussi à prendre ma forme animale il y avait deux semaines de cela.
- Tu n’as qu’à considérer que ce n’est qu’un jeu, Vesper. Je redressai légèrement le menton pour toiser mon père d’un regard peu amène. Je détestais quand il s’adressait à moi comme si je n’étais qu’une enfant. Objectivement, c’était ce que j’étais, mais il ne pouvait pas m’envisager comme sa meilleure arme et comme une petite fille.
Je n’ai jamais aimé l’ambivalence ou la subtilité et c’était déjà le cas à cette époque. Désormais, je la manie par pure utilité, mais ne nous leurrons pas, il n’y a rien de plus amusant dans ce bas monde que le regard déstabilisé d’un interlocuteur confronté à une franchise trop brusque, presque violente. Et il n’y a rien de plus fascinant qu’une personne qui assume ses pensées, mêmes les plus dérangeantes.
Mon père n’avait pas fait commerce dans la manipulation sur un coup de chance. Il comprenait mes mimiques aussi simplement que si j’avais parlé, même les plus imperceptibles. Un sourire se dessina sur ses lèvres, comme si ma réaction était plus intéressante qu’un simple acquiescement docile et il précisa aussitôt.
- Un jeu dangereux. Les seuls qui en vaillent la peine. Je me souviens avoir souri à mon tour avant de me transformer. Il n’y avait que les jeux d’adultes qui étaient risqués et je brûlais de faire partie des leurs pour embrasser pleinement mon rôle d’associée. Il suffisait juste que je réussisse ce qui m’était demandé aujourd’hui. Il n’y avait aucune raison pour que cela tourne mal, pas vrai ?
J’ai également appris depuis que c’est exactement quand cette pensée surgit que tout doit toujours mal tourner. Cela fait partie des lois immuables de l’univers, la deuxième règle étant qu’un secret est toujours découvert. Et si vous avez bien suivi, nous pourrions même ajouter qu’ils le sont - ou le seront - généralement de mon fait.
Je n’avais jamais rencontré d’autres animagi pour leur demander si la sensation de la métamorphose était similaire pour tout le monde ou si c’était une expérience aussi propre à chacun que le choix de l’animal. En ce qui me concernait, cela n’avait jamais été un moment agréable. C’était comme si mes atomes se désagrégeaient un par un dans une brûlure pour se reconstituer dans une sorte d’immense picotement. Mais le pire était sans doute l’impression de confusion. Un sorcier animagus ne perd pas son identité humaine sous sa forme animale, mais cela demande une certaine concentration de ne pas se laisser happer par les informations envoyées par ce nouveau corps. C’était une habitude à prendre, mais ce n’était que l’une de mes premières transformations et une fois en chat, je restai sonnée. L’herbe sous mes pattes, la netteté du décor, les odeurs … Tout me heurtait avec puissance. Je fis un pas tremblotant et tanguai. Il me fallut une bonne seconde de plus pour me servir de ma queue comme balancier et me stabiliser. Mes parents me regardaient, des émotions contradictoires sur leur visage. Mon père semblait extatique de ma réussite, ma mère peu convaincue. Je mourrais d’envie de lui donner tort. Voilà comment je m’élançai vers la maison d’August, le garçon du début.
August et moi avons toujours été liés. Je le sais aujourd’hui. J’aurais préféré le savoir à l’époque.
Ses parents détenaient une entreprise pharmaceutique ou quelque chose du genre, je n’avais pas forcément creusé. Je savais juste que des clients de mes parents leur étaient opposés pour une histoire de brevet et que je devais aller me balader chez eux pour voir si j’apprenais quelque chose. Mes parents n’avaient pas grand espoir sur la question, mais c’était une première mission simple. Je n’étais pas loin de chez moi, je devais uniquement fureter et revenir. Voilà comment je me retrouvai à me glisser par la fenêtre que l’on m’avait décrite comme correspondant certainement au bureau. Preuve que j’étais chanceuse, la pièce était vide. Je me laissai tomber dans un bruit plus pataud que je ne l’aurais voulu sur le parquet. Ce simple craquement me parut tout bonnement assourdissant. Je me tapis sous un meuble, le cœur battant. Même si la pièce était vide, j’avais l’impression que n’importe qui pouvait surgir à chaque seconde. Il me fallut de longues minutes avant de me calmer. Je finis par sortir de ma cachette en rampant presque et m’aventurai à pas feutrés dans la pièce. Plus qu’un bureau, il s’agissait d’un laboratoire miniature. Il y avait des alambics, un chaudron et des dizaines de fioles. Je penchai légèrement ma tête au dessus du chaudron et la puanteur me fit frémir les moustaches. Je m’en éloignai rapidement pour aller tenter de lire les pattes de mouche sur un parchemin. S’il y avait une information, elle devait être là, non ?
J’aurais dû continuer à faire attention. Le fracas d’une porte s’ouvrant me fit sursauter et je feulai par réflexe. Devant moi se trouvait un adolescent. August. Il me fixait sans me reconnaître et semblait particulièrement surpris de me trouver là. Sa main se tendit vers moi et je fis un bond en arrière, atterrissant au milieu des fioles. Une première se brisa dans un bruit fracassant. Il s’avança encore et je détalai, glissant entre le verre qui ne cessait de s’exploser au sol. Je me jetai à travers la fenêtre, entendant à peine son cri tant mes propres battements de cœur résonnaient à mes oreilles. Je crois que je n’avais jamais couru aussi vite de ma vie.
Je ne réitérai l’expérience que lors de mon retour à Poudlard. Je passais même ma troisième année à pister certains de mes petits camarades. Beaucoup. Sauf August. Il avait loupé cette année là.