Encore quelques secondes et… hop, la porte s’ouvre : 8h pile, pas une seconde de retard. Je fais semblant de dormir, les yeux clos je sais que j’aurai droit à quelques caresses sur la tête. Ma technique ne rate pas. Ses doigts délicats viennent se frotter sur le sommet de mon crâne.

- Allez Rilwen, debout, j’ai du travail pour toi.

J’ouvre doucement un œil pour regarder le beau sourire de mon maître. Il est toujours de bonne humeur quand il sait qu’il aura toute la journée pour avancer sur ses recherches animalières. Il a apporté des tas de fioles : certainement des onguents et quelques soins pour s’occuper de nous. Les autres animaux commencent à se réveiller. Il y a du bruit derrière moi.

Le centre est immense, Callum vient tellement souvent comme bénévole qu’il me laisse même passer les nuits ici maintenant. Un gros fléreur vient se frotter dans ses jambes. Saloperie de chat, je le regarde de travers. La seule raison pour laquelle je supporte cet animal c’est parce qu’il parait qu’il peut détecter si les gens sont mauvais et qu’il a l’air d’adorer mon maître. Normal, c’est le meilleur. Par contre, il a pas intérêt à oublier que c’est MOI le chouchou.

Callum commence à passer entre les enclos, les cages et les salles pour vérifier que tout le monde se porte bien. Il prodigue quelques soins et je le regarde du coin de l’œil. Il chantonne quelques secondes en répondant à un focifère. Il ne reste pas trop longtemps pour ne pas devenir fou. Il récupère les plumes tombées d’un jobarbille, ressource essentielle dans la fabrication du véritaserum. Ce centre est avant tout mis en place pour pouvoir récupérer des ressources précieuses de potions sans devoir éradiquer des familles entières d’espèces. Callum est très investi dans ce projet.

Je ne suis plus un hibou tout jeune. Je l’ai suivi pendant toute sa scolarité. Je sais que les sourires qu’il m’offre et ceux qu’il offre aux êtres humains ne sont pas les mêmes. Il a toujours été plus épanoui aux côtés des animaux. Il a appris tardivement qu’il était un sorcier et s’est confié à moi sur des événements traumatisants qui lui sont arrivés alors qu’il étudiait encore dans les écoles de moldus. Je n’ai pas le droit de trahir le secret de ses confessions mais le résultat est qu’il est devenu plus réservé envers les hommes. Sa scolarité à Poudlard s’est passée assez tranquillement, peu après la terrible époque du très méchant sans nez. J’ai oublié son nom, on ne le dit pas souvent. Il était ni bon, ni mauvais élève. Il brillait dans le soin des créatures, se débrouillait bien en potion et en botanique et avait des notes passables dans le reste des matières. Il s’est spécialisé dans le bien-être des créatures magiques tout en aidant sa mère malade à tenir son cabinet vétérinaire moldu ce qui lui a permis d’avoir une connaissance très large des animaux de tous les mondes. Il s’est ensuite investi dans ce centre où il vient tous les jours s’occuper de nous.

Pourtant, aujourd’hui, je ne saurais vous dire quoi mais quelque chose a changé. Je l’observe attentivement. Il est en train de ranger des affaires. Pourquoi fait-il cela ? Il devrait encore en avoir besoin demain. Tout à coup, son visage se tourne vers moi.

- J’ai une grande nouvelle Rilwen, nous partons !

Partir ? Où ça ? Je bats des ailes en guise de réponse à son exclamation.

- Ne t’agite pas comme ça, c’est une bonne nouvelle. Nous retournons à Poudlard, ils ont besoin d’un nouveau professeur de Soins aux Créatures Magiques et j’ai été embauché. D’ailleurs, il va falloir que tu apportes cette lettre à la direction avant mon arrivé. Tu t’en sens capable ?

Je bombe les plumes du torse et il sourit. Que cette nouvelle aventure commence !

Mon cher fils,

Écoute-moi. Tandis que je t’écris, tu dois t’épanouir dans une vie où je ne suis qu’un spectateur. Je me suis glissé seul dans ta chambre d’enfant, dans la maison bleue où ta mère t’a élevé. Tout à l’heure, tandis que je lisais un journal dans mon bureau, j’ai été envahi par une vague de remords. Et en me sentant coupable, j’ai transplané jusqu’au lieu de tes plus beaux souvenirs. Ce n’est pas dans mes habitudes et sans doute seras-tu surpris, mais je ne veux pas laisser plus longtemps des silences se transformer en profondes blessures. Tu sais, mes silences ne veulent pas dire que je ne ressens rien, que je ne suis pas fier de toi. Bien au contraire ! Te voilà grand maintenant et l’adulte que tu es devenu a peut-être besoin de ces mots-là. À défaut de réussir à te les dire en face, je reconnais ma pudeur et ma maladresse à ce niveau-là, je te les écris. Ils seront sans doute décousus, maladroits, mais ne doute pas de leur sincérité.

J’ai été élevé dans une famille de sangs-purs avec toutes les règles et les restrictions dues à mon rang. Mes parents m’avaient choisi une belle fiancée, une sang-pure, ennuyeuse à mourir. On aurait dit un robot sans émotion, jamais un pas de travers en société, jamais un sourire sincère. Tu peux alors comprendre que quand j’ai vu ta mère, Elsa Darwisson, elle semblait briller. Le coup de foudre a été immédiat. J’étais jeune, j’avais besoin de sa lumière. Mes belles manières m’ont permis de l’avoir. Tu es né, ma famille l’a découvert et sous la pression je vous ai abandonnés.

À tes dix ans, je suis revenu. J’étais marié à une autre femme ; la quatrième fiancée que mes parents m’avaient imposé et que j’ai fini par accepter, car elle était la seule des quatre qui semblait ressentir quelque chose. Avec elle, j'eus un fils, Dracaeno. Je devais prévenir ta mère, en tant que moldue elle risquait d’être surprise lorsque tes pouvoirs se manifesteraient. Je me souviens de l’annonce. Elle avait ri, du même rire cristallin qui m’avait fait craquer pour elle douze ans plus tôt. Elle avait répliqué en me demandant si une corne et des ailes n’allaient pas te pousser en même temps. J’ai fait léviter le chat qu’elle allait opérer dans son cabinet de vétérinaire. Elle m’a demandé quel était le truc de mon tour de magie. Je n’ai réussi à la convaincre qu’en l’emmenant faire un tour sur mon balai. J’eus quelques problèmes de la part du Ministère suite à ces actions mais le fait que son fils soit un sorcier et la position de ma famille permirent rapidement d’effacer cette histoire.

Après ça, j’ai suivi ton parcours de loin, spectateur. Tu avais hérité de l’amour pour les animaux de ta mère et de ma difficulté à communiquer avec les êtres humains, moldus comme sorciers.

Lorsque la lumière de ta mère s’est éteinte prématurément, je t’ai vu fort et indépendant. Je n’ai pas eu le courage d’essayer de rattraper le temps perdu. Je t’ai abandonné une nouvelle fois. J’aurais pourtant aimé te féliciter pour ce nouveau poste de professeur à Poudlard. J’aurais aimé le fêter avec

La fin de la lettre n’était déjà plus lisible, consumée par les flammes dans lesquelles elle avait terminé. Callum regardait le spectacle, indifférent. Il s’éloigna du feu en murmurant quelque chose, mais ça seuls les portraits de la salle pourraient en témoigner.