Comment se faisait-il qu’il soit si fatigué ? L’âge lui était-il tombé dessus un matin qu’en grimaçant de douleur à cause de son dos, il prenne soudain conscience de ne plus être un jeune homme ? Van Aken se faisait vieux, c’était indéniable, et ses pertes récentes, Finnbjörn Sorensen le premier, en qui il avait placé beaucoup d’espoirs, et maintenant son jeune cousin, Caleb Avery, de jeunes pousses fauchées dans la fleur de l’âge et lui… lui demeurait, vieillard chaque jour un peu plus imbécile, gagné par la lassitude et perdant de vue même des projets qui un temps avaient suffi à lui tenir chaud la nuit…

Pourtant, chaque matin, van Aken se levait, se lavait, s’habillait de son plus beau costume tout en discutant avec son portrait de femme. Il buvait toujours la même tasse de potion qui le revigorait et dans laquelle il glissait une rasade de whisky pour les nerfs. Puis il prenait le chemin de sa salle de classe et de la réserve où il préparait les ingrédients de la journée. Quand il n’y avait pas cours, van Aken allait se promener dans le parc ou travaillait à ses tableaux dans son Manoir, il suffisait de demander à son elfe de l’y emmener.

Mais ce jour là il y avait cour et van Aken était las. Si las.

- L’élixir de porte-vent, avait-il commencé, et s’en était suivi de longues explications que lui-même trouvait d’un ennui sans borne. « Je vous laisse réaliser l’exercice par vous-même, vous avez un quart d’heure. » et disant cela, il était allé s’asseoir dans son grand fauteuil de cuir noir, qui présidait dans la pièce et d’où il voyait tout.

Puis il s’était endormi. Cela avait été assez bref, naïvement le professeur van Aken avait pensé se reposer les yeux, quelques secondes, fatigués qu’ils étaient à cause de la lumière tamisée des chandeliers. Et l’instant d’après, la tête du professeur avait dodeliné et il dormait, en témoignait le son régulier et profond de sa respiration.

Il ne fallu pas longtemps aux élèves pour réaliser ce qui était en train de se passer. Van Aken tapait sa meilleure sieste et, derrière lui, de l’autre côté de l’estrade, se trouvait la porte ouverte donnant sur la réserve. Un lieu absolument interdit aux étudiants, qu’on disait renfermer des ingrédients si rares que même le ministère de la magie devait occasionnellement demander à Poudlard de lui en fournir certains extraits.
Pèle mêle, du suc de poisson ogre, des moustaches de léopin ou des épines de fleur du diable. Tout cela à portée de main, à condition d’oser se servir…

HRP explications:

Depuis la rentrée, Dmitri n’avait pas brillé en cours. Il ne faisait plus d’efforts qu’en potions, simplement parce qu’il se tenait alors devant son tuteur, mais dès lors qu’il était loin de son regard, il se laissait aller à une paresse que ses professeurs ne lui avaient que peu connu les deux années précédentes. L’arrivée de l’adolescence y jouait peut-être un peu, poussant le garçon à délaisser les bonnes notes au profit d’activités plus amusantes, mais cela ne suffisait pas à expliquer ce revirement soudain.

Toujours, il avait eu pour désir de montrer qu’il n’était pas plus bête ou plus nul que ses frères. Ça l’avait motivé à faire ses devoirs avec application et à écouter malgré lui ses enseignants, quand bien même il semblait parfois ailleurs, dessinant des choses et autres en plein milieu de ses prises de notes. Il n’était pas mauvais en magie et travaillait respectablement sa théorie, si bien qu’il avait toujours eu de bons résultats dans la plupart des matières. Puis il y avait eu les grades, les devoirs supplémentaires et les heures à dépoussiérer les vieux tableaux, les conflits avec certains de ses camarades qui le voyaient remonter sans raison autre que le piston d’un aïeul fatigué de l’entendre râler et enfin le décès de camarades, ami de la famille, cousin ou ancienne partenaire de bêtise. Chacun de ces évènements avaient fait s’effriter sa volonté, morceau par morceau.

Les notes n’avaient désormais plus d’intérêt, pas plus d’ailleurs que l’envie de prouver quoi que ce soit à sa fratrie. Ses frères étaient loin de sa vie, un peu oublié même alors qu’il ne les avait pas vu durant l’été. Mais la mort, elle, était omniprésente. Elle comblait les brèches laissées par la perte de motivation.

Alors il ne s’intéressait plus qu’à ses peintures, à la pousse du memoria ligno et plus inconsciemment à tout ce qui le raccrochait aux êtres perdus. La solution, il la connaissait, était dans le manoir de son aïeul, dans ces tableaux qui un jour pourraient contenir éternellement la vie. Un peu naïvement, il s’était même mis à travailler plus assidûment le seul cours qu’il avait toujours vraiment délaissé jusque-là : la botanique. Et toujours, pour ne pas pousser le vieil homme à lui ôter sa confiance, il fournissait des efforts dans ses cours même alors que ses pensées étaient loin de l’élixir de porte-vent. Marcher dans les airs, c’était peut-être marrant, mais à quoi ça l’avançait ?

Bon gré mal gré, il s’était tout de même mis à l’œuvre, avisant la liste des ingrédients et de la procédure. Il mit quelques minutes à remarquer ce que d’autres semblaient avoir vu avant lui, les yeux clos d’Alexander et sa lente respiration témoignant de la parfaite liberté qui s’ouvraient à eux. Un instant, Dmitri le regarda sans trop s’avoir comment réagir et un peu déstabilisé. Il n’aimait pas voir son grand-oncle dans une position qui laissait voir sa faiblesse. Cela lui rappelait le premier souvenir visualisé dans les sous-sols du manoir, de cette vieille ancêtre morte dans une dernière vaine tentative de magie.

L’aiglon baissa un instant les yeux, regardant sa paillasse sans trop la voir. Un meilleur petit neveu que lui aurait certainement réveillé l’adulte en voyant les premiers élèves profiter de la situation, mais il était las des reproches de ses camarades. Il les voyait déjà venir lui reprocher de jouer les fayots. Sa décision prise, il releva la tête et donna un petit coup de coude dans le bras de son voisin pour attirer son attention. Il aimait bien se mettre à côté de Jin Kyung en potions, sans doute parce qu’il craignait de trop attirer l’attention sur lui s’il allait avec Zeynep... il passait déjà le plus clair de son temps à craindre qu’un jour, son aïeul ne voit les marques indélébiles du serment inviolable. « Dis, t’as vraiment envie de faire l’élixir ? » souffla-t-il à son camarade, un sourire joueur sur les lèvres. Il glissa son manuel vers le serpentard, dévoilant une page qu’il avait encorné quelques jours plus tôt en regardant les différentes potions qui y figuraient. Pour quelqu’un qui se savait surveillé par les tableaux, avoir un double qui servirait de leurre pendant quelques heures était un rêve désormais réalisable. Il y avait pensé sans trop oser y croire, craignant qu’une nouvelle intrusion clandestine dans la réserve du maître des potions ne lui vaille un séjour avec Martina et Gregory van Aken. « Je crois savoir où sont les ingrédients. » En réalité, il pouvait se vanter d’être sans doute l’un des élèves qui connaissait le mieux l’agencement des lieux... il avait mis un certain temps à fouiller dedans, l’année dernière, quand il s’y était introduit pour en dérober quelques ingrédients.

L’idée semblait avoir séduit son aîné, faisant naître un sourire complice sur les lèvres du tchèque. La potion n’était pas très dure à réaliser, mais à deux, ils l’auraient plus vite faite... et ils n’auraient qu’à réitérer pour que chacun reparte avec de quoi s’amuser un peu. Réitérer deux fois la même chose était encore la plus sûre et la plus rapide des procédures ! Du bout du doigt, il tapota la liste des ingrédients. « Je vais voir si je trouve les dards, comme ça je peux déjà repérer les dents, elles devraient pas être très loin. Tu t’occupes des fleurs ? » Il se leva du fauteuil, tirant sa baguette de la poche de sa robe de sorcier. « Au fait, évite de passer à droite d’Alex... du professeur, je crois qu’il est un peu plus dur de la feuille de l’oreille gauche. » Il avait murmuré l’information pour son seul complice, avant de prendre la tête de leur petite expédition.

Il était assez étonnant de voir comment un projet comme celui-ci parvenait assez bien à lui faire oublier sa mélancolie d’antan, et par la même occasion toutes les sombres pensées qui occupaient son esprit ces temps derniers. Il se sentait un peu ravivé par la flamme du risque, et l’adrénaline qu’il sentit monter en lui lorsqu’il passa devant Alexander le fit – pour la première fois depuis la rentrée – arborer un sourire qui n’était pas forcé.

Une fois dans la réserve – et après avoir tout de même lancé un dernier regard en direction de l’enseignant pour vérifier qu’il dormait bien – il murmura un « lumos » et avança vers le fond, lisant à la lumière de sa baguette les étiquettes. Bugle rampante... pas encore, plus loin. Corne de bicorne, toujours pas. Ah ! Les dards ! L’aiglon se hissa sur la pointe des pieds, attrapant un petit récipient. Il y en avait tout juste assez pour une seule potion et il était trop petit pour en attraper un second, un peu plus loin. Tant pis, il allait devoir demander à Jin Kyung de s’en occuper plus tard, puisqu’il était plus grand. Ni une ni deux, il ressortit, prenant soin de souffler à son complice : « J’ai trouvé les dards, les dents doivent être pas trop loin, de ce côté. » Et il désigna l’endroit du bout de la baguette.

Sur un fond de murmures excités – psss, t’as vu, le vieux dort ! – Dmitri s’était finalement laissé tenter par quelques bravades qu’il réservait d’ordinaire à d’autres professeurs. Que pouvait-il faire à part ça ? Réveiller son aïeul était tout bonnement exclu, il ne voulait pas passer pour un rabat-joie, et il laissait les gens comme Kathleen ou Jasper jouer les élèves modèles. Il était déjà le petit-neveu de l’enseignant, c’était une position suffisamment délicate pour ne pas donner du grain à moudre à ceux qui seraient tenté de le voir comme le fayot du cours.

C’était d’autant plus galvanisant de voir que plusieurs camarades commençaient à le suivre, non seulement son compagnon de bêtises, mais aussi d’autres auxquels il n’avait pas prêté attention. Il se sentait tout d’un coup comme un guide, l’exemple que l’on voulait imiter. Il n’y était sans doute pour rien, si ce n’était qu’il avait été le premier à prendre son courage à deux mains, mais son égo appréciait l’idée.

Revenant fièrement de sa première escapade dans la réserve, il avisa les fleurs que Jin Kyung avait ramenées. « Il va nous falloir le double d’ingrédients, si on veut avoir assez de potions pour nous deux... » Rien ne les empêchait de commencer une première potion, avant de s’attaquer à la suivante, mais l’aiglon préférait ne pas trop tarder à prendre tout ce dont ils avaient besoin : d’ici que son aïeul se réveille, il était préférable d’avoir trouvé tous les ingrédients, quitte à les cacher et faire la seconde potion plus tard. « Je vais chercher les dents, tu prépares le feu pendant ce temps et je te remplace après ? » Un relai, c’était là son idée : pendant que l’un allait farfouiller dans la réserve, l’autre commençait la mixture puis partait chercher la suite qu’une fois le binôme revenu. La potion de doppleganger n’était pas extrêmement compliquée, mais elle nécessitait une certaine surveillance et d’être souvent remuée.

Fort de ses plusieurs escapades dans la réserve de potions, il repartit là-bas d’un pied ferme et décidé – quoique prudent en passant à côté de son grand-oncle. Ça n’était pas trop surpris qu’il y vit un autre élève, un serpentard beaucoup plus grand que lui, qui attrapait sans mal un dard. Un peu renfrogné en voyant que son camarade n’avait qu’à tendre le bras, là où lui avait dû se hisser sur la pointe des pieds pour n’attraper que le bord, il passa devant lui sans faire d’écart, son épaule percutant celle plus robuste de l’autre garçon. « Fais attention où tu marches. » persifla-t-il – doucement, il ne faudrait pas que l’enseignant l’entende – avec mauvaise foi.

Son objectif n’était qu’à quelques cases plus loin, beaucoup plus accessibles. Il ne fut pas très long avant de devoir repasser devant l’adulte endormi et rejoindre son partenaire. « C’est bon, on a tout pour une potion. » Il déposa les dents sur la paillasse. « Par contre, l’autre serpentard, là-bas, je crois qu’il fait la même chose que nous... on devrait se dépêcher de prendre le reste, avant qu’il nous pique tout. »

Si Dmitri n’était pas connu pour être d’une nature très obéissante, il avait toujours été plus prudent quant aux bêtises qu’il pouvait faire au nez et à la barbe de son aïeul. En cours de potions, il se montrait résolument plus attentif et sage que dans les autres disciplines, question de prudence élémentaire : un autre élève que lui encourait une perte de points et quelques retenues, lui risquait de se mettre un peu plus à dos le vieil homme et d’en pâtir sitôt revenu au manoir. Pour autant, il n’avait pas envie d’être assimilé à des gens comme Kathleen et Jasper, ces élèves modèles et trop sages, donc pas définition relativement ennuyants. Et l’occasion était rêvée pour s’amuser un peu avec une potion et un double de lui ; il pouvait bien s’accommoder avec un affront fait à son grand-oncle, surtout si celui-ci ne s’en rendait pas compte.
Et jusque-là, tout se passait relativement bien. Jin Kyung avait allumé le feu le temps que Dmitri revienne avec le dernier ingrédient nécessaire ; ils avaient désormais tout ce dont il fallait pour faire une première potion. « Ha. Alors faisons en sorte de le ralentir. Prends le relais. J’y retourne. » L’aiglon opina du chef et s’attabla à sa paillasse pour en concocter une première fiole tandis que son camarade repartait à la chasse.

Sur le papier, ce qu’ils avaient prévus de faire n’était pas bien complexe : d’un geste expert, il s’affaira à broyer les dents de lait humaines, comme indiqué sur son manuel, se faisant la réflexion qu’il devait sûrement y avoir un complot entre les parents et les potionnistes pour que ces derniers puissent avoir de quoi garnir les concoctions. Le temps qu’il les réduise à l’état de poudre, le serpentard revenait les mains chargées d’autres incisives, une expression mauvaise sur le visage. Pauvre Bailey, il n’affrontait pas les deux plus doux de la classe. Il ne se sentait pas le moins du monde coupable de s’en prendre à son aîné et de chercher à le ralentir ; dans ce genre d’entreprise, c’était chacun pour soi. « Parfait... » ricana-t-il doucement tout en versant la poudre blanche dans son chaudron. Il y ajouta d’un geste vif les fleurs et d’un coup de baguette augmenta un peu la chaleur de l’eau ; il n’y avait plus grand-chose à faire pour l’heure, sinon attendre que la préparation boue avant de pouvoir y incorporer les dards. « J’y retourne. » Il commençait vraiment à se prendre au jeu, l’adrénaline montant à chaque fois qu’il passait à côté du professeur.

Toujours armé de sa baguette, il dépassa le bureau d’Alexander, non sans jeter un regard prudent dans sa direction, et s’engouffra dans la réserve. À présent, il connaissait la position des dards et n’eut guère à chercher. Son excitation le quitta vite en voyant l’étagère : les dards qui restaient était très hauts. Prudent, il se hissa sur la pointe des pieds, bras tendus en espérant toucher une fiole mais malgré tous ses efforts, ses doigts ne parvinrent qu’à caresser la plateforme en bois. L’aiglon serra la mâchoire, frustré, et se recula. Tant pis : il n’avait pas envie de retourner demander au serpentard, c’était trop insultant. « Accio dards de scorpions gris ! *» Baguette tendue vers l’objectif, il fit se soulever le boîte contenant les ingrédients. Celle-ci s’agitait un peu dans les airs, comme prise de spasme, puis retomba à quelques centimètres à peine de leur position initiale. Fantastique. Heureusement qu’il était seul dans la petite pièce, sans public pour assister à cet échec cuisant.
Il lui en fallait plus pour lui ôter sa combativité ; une fois de plus, il leva sa main armée vers son objectif, optant cette fois-ci pour un autre sort : « Wingardium leviosa*. » Plus simple à lancer, mais aussi un peu plus risqué : un geste de travers et il faisait tomber les fioles voisines. Les années de dessins et de peintures lui avaient au moins appris à être minutieux et habile avec ses mains, suffisamment pour soulever le récipient sans percuter les fioles voisines ; en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, il avait enfin dans ses mains les dards et repartait dans la salle de classe, victorieux. « Il nous reste plus que les fleurs, et on aura de quoi faire deux potions. » fit-il en arrivant au niveau de Jin Kyung. « La potion avance bien ? » L’eau s’était colorée d’une lueur magenta, ce qui semblait plutôt bon signe. Encore quelques minutes et ils pourraient sans doute remplir une première fiole.