"Sur le tabouret, elle posa un chapeau pointu de sorcier. Le chapeau était râpé, sale, rapiécé.

La gare de Londres puis des arbres, des champs, des villes, des paysages ruraux, des pâtures, des forêts, le décor sous les yeux d’Amalia défilait à une vitesse folle, les uns laissant place aux autres, certains revenant puis repartant. Son front collé contre la vitre, le regard dans le vague, “Lullabies” de la chanteuse Yuna en boucle dans les oreilles, la fillette avait l’esprit tourné vers l’intérieur, vers le passé.

La fin du mois d’août avait été compliqué au 9 West Castle Road. À leur retour de Londres, le jour où elle était allée faire ses emplettes accompagnée d’Azure et de Bridget, sa mère avait fini par révéler à son père le secret qu’elles gardaient toutes deux dans leur cœur depuis mi-juillet. Amalia irait bien en internat dans une école privé qui mettrait en valeur son plein potentiel, comme elle lui avait dit le jour où elle avait reçu la lettre, seulement ce n’était pas une école normale, c’était une école de sorciers.

Amalia était déjà couché lorsque Moyra et Ian avait eu cette discussion dans le salon, au rez-de-chaussé, mais elle avait entendu ses parents se disputer depuis l’étage supérieur. Il n’y avait pas eu beaucoup de cris, mais il y en avait eu assez pour que la fillette se sente mal à l’aise avec son père durant ce qui restait des deux semaines de vacances avant la rentrée. Jamais elle n’aurait cru qu’il se mette en colère de la sorte. Jamais elle n’avait imaginé qu’il ne lui adresserait pas la parole, ainsi qu’à sa femme, pendant plusieurs jours. Elle avait placé son père sur un piédestal durant toutes ces années et il venait d’en chuter brutalement, tel le simple mortel qu’il était.

La fillette avait bien tenté de s’excuser, de l’amadouer, de se faire pardonner… rien n’y fit. Ian était resté sourd à sa femme et sa fille, restant plus tard au travail que ce qu’il ne faisait habituellement et s’enfermant dans son bureau quand il était à la maison.

C’était donc avec un soulagement mêlé de culpabilité qu’elle avait accueilli le matin du départ. Elle était partagée entre le fait de laisser ses parents, et encore plus sa mère, dans cette situation et celui de s’échapper de cette ambiance de plomb pour découvrir un nouveau monde, un monde qui serait sien uniquement. Comme son père avait les sciences et sa mère les livres, elle aurait la magie.

Pour éviter que sa fille ne rate son train, Moyra avait réservé une chambre pour la nuit précédente au Chaudron Baveur. Ian avait d’abord refusé de se joindre à elles puis avait fini par revenir sur sa décision. Il avait conscience qu’il ne reverrait pas sa fille avant un moment, peut-être Noël, peut-être plus tard si elle décidait de rester pour les vacances. De plus, sa colère avait commencé à doucement désenfler et puis, il fallait le dire, il était curieux de cette histoire qu’il ne croyait qu’à moitié. Ils avaient donc tous les trois fait le chemin jusqu’à la gare de Londres et avaient traversé le mur menant à la plateforme 9 3/4, la fillette en tête. Pendant le reste de l’été, Moyra avait échangé beaucoup de messages et de lettres avec Bridget, la mère d’Azure, afin de ne rien oublier. Elle voulait qu’Amalia parte à Poudlard dans les meilleures conditions possibles. C’est dans un de ces échanges qu’elle avait appris l’existence du quai caché au reste des moldus.

Ils avaient ainsi attendu quelques minutes que le train soit accessible aux voyageurs, la fillette collée à sa mère, son père silencieux et toujours perplexe devant le mur qui les séparaient des voyageurs normaux. Puis, après une dernière embrassade et une série de recommandations maternelle, son père l’avait aidé à charger son coffre de fournitures dans le wagon qui se situait devant eux ainsi que la cage de Nova. Elle le remercia d’un câlin, le nez enfoui dans la veste de tweed grise qu’il portait souvent lors des événements sociaux, puis partit se choisir un compartiment libre dont la fenêtre donnait sur le quai. Ils s’observèrent ainsi tous les trois, Moyra souriante malgré les quelques larmes qui se formaient maintenant dans ses yeux, Ian raide comme un piquet, jetant des coups d’œil aux gens qui disaient au revoir à leurs enfants autour d’eux.

Alors qu’un sifflet se faisait entendre, énonçant le départ du train, le professeur format silencieusement les mots “Je t’aime, kiddo” en espérant que sa fille puisse lire sur ses lèvres. Elle comprit le message et lui renvoya un “Moi aussi, papa” de la même façon. Puis la machinerie de la locomotive se mit en marche et le Poudlard Express commença son long voyage vers sa destination.

Amalia n’était plus seule dans le compartiment désormais, mais elle avait ses écouteurs sur les oreilles pour la couper du monde pendant que son téléphone marchait toujours. Elle savait, grâce à Bridget, que celui-ci cesserait de fonctionner à l’approche de l’école à cause des interférences magiques, aussi voulait-elle en profiter au maximum. Elle avait aussi sorti de son sac-à-dos un livre qu’elle avait acheté quelques semaines auparavant sur le Chemin de Traverse qui parlait de Poudlard et de son histoire. Elle avait beaucoup lu et avait un peu rêvassé en regardant le paysage, la cage contenant son chat à ses pieds.




Le jour était en train de décliner et Amalia avait fini par fermer son livre, incapable de lire avec la luminosité descendante. Dans sa cage, dont la porte était maintenant ouverte, Nova dormait à poings fermés. La fillette avait aussi enlevé ses écouteurs et éteint son téléphone plusieurs heures auparavant afin de préserver de la batterie pour le train du retour qu’elle prendrait pour les vacances de Noël si tout se passait bien. Elle avait aussi pris le temps d’enfiler son uniforme dans les toilettes les plus proches de son compartiment à ce moment-là.

Alors qu’elle rêvassait le regard tourné vers la vitre, elle aperçut la silhouette imposante du château se dessiner sur fond de ciel rougissant, une pâle lune presque pleine se montrait, timide. Comme elle s’en était doutée, le train fini par ralentir puis par s’arrêter totalement devant un quai. Un panneau s’y trouvant indiquait qu’il s’agissait de la gare de Près-au-lard. Sa mère lui avait expliqué qu’elle devrait descendre sans ses affaires, car celles-ci seraient transférées au château et qu’il lui faudrait se rassembler avec les premières années. Elle ne lui en avait pas dit plus sur ce qui se passerait ensuite pour ne pas lui gâcher la surprise. Après une dernière caresse à Nova qu’elle sécurisa en refermant la porte de sa cage, la fillette rassembla toutes ses affaires au même endroit en espérant qu’elle retrouverait tout plus tard, puis descendit du wagon, le nez en l’air à la recherche de quelqu’un qui pourrait l’aiguiller. Elle aperçut Azure de loin, accompagnée de deux jeunes filles du même âge environ.

Amalia s’apprêtait à aller la voir pour la saluer et lui demander des renseignements lorsqu’une voix plus loin appela toutes les premières années à se rassembler. Elle vit quelques élèves plus âgés, portant tous une sorte de badge en forme de petit bouclier agrémenté d’un P majuscule, rassembler les plus jeunes. Après avoir vérifié qu’il ne manquait personne, ces derniers leur faussèrent compagnie et la petite troupe se mis en route derrière un adulte. Alors qu’il les guidait jusqu’à un lac, Amalia remarqua qu’il y avait deux élèves plus âgés dans le groupe, mais elle se dit que c'étaient sûrement des accompagnants pour éviter tout incident. Elle retourna donc son attention vers leur guide au moment où celui-ci les fit monter dans de petites barques grâce auxquelles ils voguèrent en direction du château.

La nuit avait fini par tomber complètement et la silhouette imposante de Poudlard, maintenant sur fond de ciel étoilé, était écrasante. La lune presque pleine éclairait ses murs de pierres et ses toits de tuiles sombres, renforçant l’aura d’importance et de magie du lieu. À ce spectacle et pour quelques instants, Amalia oublia tout de ses derniers jours de vacances maussades. La bouche entrouverte et les yeux écarquillés pour n’en rater aucune miette, elle admira ce chef-d'œuvre architectural qui serait sa maison et son école pour la plus grande partie de l’année.

Le spectacle sembla impressionner la plupart des élèves, car une sorte de silence révérencieux s’était enroulé autour d’eux où seul le glissement des barques sur la surface sombre n’était perceptible. Puis, un petit bruit sourd à l’avant du groupe se fit entendre alors que l’une des coquilles de noix touchait la berge. D’abord immobile, ne sachant s’il leur fallait bouger, Amalia fini par imiter ses camarades qui sortaient des petits bateaux pour suivre leur guide. Il ouvrit le chemin jusqu’aux portes qu’il leur fit signe de passer avant de leur dire d’attendre dans le vestibule. Un professeur viendrait les chercher. La fillette s’appuya contre un mur, ses mains serrées sur le tissu de son pull gris, anxieuse. Elle n’aimait pas ne pas savoir ce qui allait se passer.

Autour d’elle, certains enfants discutaient entre eux, spéculant sur ce qu’il allait se passer. La petite, qui n’avait encore véritablement parlé à personne jusque-là, se contenta d’écouter en silence, patientant comme on le leur avait demandé. Elle n’eut cependant pas trop longtemps à attendre, car un professeur fini par venir leur faire signe de le suivre et le petit groupe lui emboîta docilement le pas.




Après avoir patienté dans le vestibule et s’être rongée les sangs, la vue que la grande salle leur offrit la laissa sans voix. Les bougies, lévitant sous le plafond dont le ciel étoilé était aussi réel que celui à l’extérieur de ces murs, renforçait l'aura de chaleur qui se dégageait de l'endroit. Amalia s’immobilisa un instant, le nez en l’air, alors que le petit groupe auquel elle appartenait continuait d’avancer, mais elle s’en fichait. À cet instant, plus rien n’avait d’importance que cette vue.

Elle dut cependant se ressaisir pour ne pas se laisser distancer par le reste du groupe et le rattrapa bien vite. Elle se retint tout de même de jouer des coudes pour récupérer sa place. Tant pis, elle attendrait son tour en profitant du paysage. Son regard glissa d’un détail à l’autre sous le brouhaha ambiant et elle analysa tout ce que ses yeux voyait. Le plafond étoilé, les décorations, les tables, la vaisselle, les vitraux, les murs, les professeurs… Elle s’arrêta brusquement dans son inspection lorsque son regard se posa sur une femme du corps enseignant à la courte chevelure blonde. Alice ?

Elle n’eut pas le temps de réagir que son nom était appelé. Elle sursauta à cet appel et ses mains s’accrochèrent à nouveau fermement au bas de son pull gris. Elle fendit la petite foule devant elle à coup de “Pardon”, “Désolée”, “Excusez-moi” avant de se retrouver devant le petit tabouret. Elle prit une profonde inspiration avant de s’y asseoir, faisant face au reste de ses camarades.

“Mmmh” commença le choixpeau alors qu’elle serrait le bas de son pull à s’en faire blanchir les jointures.

Amalia lisait depuis son retour du Chemin de Traverse un livre de Bathilda Tourdesac “L’histoire de Poudlard”. Cela ne faisait pas longtemps qu’elle l’avait commencé, mais elle avait déjà atteint le chapitre sur les maisons, qu’elle avait lu plusieurs fois. Rien dans le livre ne mentionnait clairement comment les gens étaient répartis dans ces maisons, en revanche, il y était consigné en profondeur l’histoire des quatre représentants de l’école qui en était à l’origine. À ses lectures, elle avait parfaitement saisi les qualités et les défauts de gens qui y étaient rattachés et elle espérait secrètement être envoyé chez Serdaigle qui, pour elle, était la plus prestigieuse d’entre toutes.

“Un goût certain pour le travail, de la curiosité, une envie de bien faire, des qualités qui conviendraient autant à une Serdaigle qu'à une Poufsouffle. Alors... où vais-je te mettre ?”, continua l’accessoire de mode parlant et le cœur de la fillette s’accéléra pendant une fraction de secondes au nom de la maison qu’elle désirait par-dessus tout intégrer.

Mais le couvre-chef magique ne lui laissa pas le temps de se ressaisir qu’il annonça : “Ce sera... POUFSOUFFLE !”

Dans sa poitrine, le palpitant d’Amalia manqua un battement. Elle se leva en titubant, sous les applaudissements de ses nouveaux camarades, et alla les rejoindre, le regard dans le vague, toujours sous le choc. La grande salle autour d’elle avait perdu son éclat et plus rien n’avait d’importance que le fait qu’elle avait failli réussir. Bien sûr, elle n’avait rien contre Poufsouffle et ce n’était pas comme si on l’avait envoyé à Serpentard. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle avait raté l’examen le plus important de sa vie. Elle avait le cœur lourd et une soudaine envie de vomir l'a pris aux tripes alors qu’elle s’asseyait à la table qui serait la sienne pour les sept années à venir.

Elle laissa son regard glisser sur les gens qui lui souriaient maintenant. Une des filles de son âge avec qui elle avait partagé le compartiment de son wagon plus tôt dans la journée, était là aussi, un sourire radieux sur les lèvres. Tout le monde avait l’air si heureux. Alors, pour ne gêner personne, Amalia pris sur elle et étira sa bouche dans un sourire qui se voulait timide avant de hocher la tête plusieurs fois en guise de remerciement à ceux qui l’entouraient. Une violente envie de pleurer lui piqua les yeux, mais elle se pinça la cuisse et serra les dents. Tournant son visage vers les quelques premières années restantes pour s’occuper, elle déglutit difficilement alors que l’élève suivant à s’asseoir sur le tabouret était envoyé chez Serdaigle.




Une fois la répartition terminée, le tintement d’une cuillère sur un verre se fit entendre et toutes les têtes se tournèrent vers la table des professeurs. Le silence finit par se faire et le directeur se leva. Il entama son discours en souhaitant la bienvenue à tous les nouveaux et anciens élèves avant de mentionner deux élèves qui étaient décédés durant l’été.

À ces mots, Amalia mis sa main devant sa bouche, retenant un hoquet de surprise alors que l’ambiance de la salle semblait perdre de sa chaleur. Un instant de silence se fit en respect pour ces anciens membres de l’école qui n’arpenteraient plus jamais ses couloirs. La fillette tourna son regard vers ses nouveaux camarades pour voir leur réaction. Certains étaient peinés, d’autres non mais tous respectèrent le silence que le directeur fini par briser lui-même.

Il remercia les membres du personnel qui avait aidé à mettre en place le banquet et mentionna des Elfes. Il parla de la musique comme si tout ce qu’il avait dit avant n’avait aucune importance. Il était en train de mentionner une activité qui aurait lieu durant le mois de septembre lorsqu’un hibou pénétra dans la grande salle et se posa sur la table des professeurs, l’interrompant au milieu de sa phrase. Il lut la lettre que l’animal lui avait apportée alors qu’un silence pesant se répandait dans la salle.

De là où elle était, elle ne voyait pas très bien le visage du directeur, mais son silence et celui de ses camarades fit naître une bouffée d’angoisse au creux de ses entrailles. Serrant à nouveau le bord de son pull, Amalia pris une grande inspiration et compta jusqu’à 10 pendant qu’elle expirait. Elle venait d’atteindre 5 lorsque la voix du directeur se fit une fois de plus entendre.

La nouvelle qu’il annonça fit l’effet d’un coup de gong à Amalia. Le silence fut brutalement brisé par les mots qu’il prononça. Une élève était morte. Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Les questions se bousculaient sous le crane de la fillette qui répondait à l’horreur par un mécanisme d’autodéfense propre à elle, l’interrogation.

Elle entendit vaguement que la grande salle resterait ouverte pour ceux qui le désiraient et que pour les autres, ils pouvaient monter dans leurs dortoirs respectifs et certains élèves se levèrent pour quitter l’immense salle.

Toujours abasourdie, la fillette regarda le directeur sortir pour rejoindre, comme il l’avait dit, l’équipe de recherche et les parents de la disparue et elle eut une pensée pour ses propres parents. Elle se rappela la présence de sa mère, le matin même, ainsi que le câlin à son père et ses mots à travers la fenêtre du train. Ils lui manquaient déjà et elle fut prise d’un frisson alors qu’une table plus loin, une dispute éclatait. Une des Serdaigles avait eu une phrase déplacée et une Poufsouffle l’avait reprise. D’autres membres de la même maison avaient tenté de calmer le tout alors qu’un jeune homme s’était levé, la baguette en main. Un autre adolescent puis un professeur mirent fin à l’échange sous les yeux d’Amalia.

Le regard tourné vers la table des corbeaux, elle ne vit pas le professeur prendre place à leur propre table et sa voix dans son dos la fit presque sursauter. Tournant la tête si vite qu’elle dut fermer les yeux une seconde pour ne pas prendre mal au cœur, elle fit face à Alice Cooper, assise non loin d’elle. Il y avait six personnes entre elles, mais elle reconnut aisément la jeune femme avec qui sa mère prenait le thé plusieurs fois par an.

Sans dire un mot, elle écouta la professeure leur dire qu’elle était disponible en de si sombres heures pour les soutenir. Elle les encouragea à garder espoir malgré tout et Amalia hocha la tête. Elle aurait aimé pouvoir se rapprocher de la jeune femme, malheureusement, elle ne voulait attirer l’attention ni sur elle, ni sur l’enseignante. Elle reporta donc son attention sur les plats devant elle et, bien qu’elle n’eut pas vraiment faim, se servit de quoi se remplir un peu l’estomac. Si d’autres Poufsouffles se levaient, elle en profiterait pour se rapprocher de l’amie de sa mère, mais en attendant, elle se contentait de lui jeter des coups d’œil fréquents tout en mangeant son gigot d’agneau accompagné d’une part de gratin de courgettes.

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