rÉcouteurs dans les oreilles et tout en chantonnant, Aisling dévala les escaliers à la recherche de quelque chose à grignoter et si possible de son frère pour partager. Depuis leur retour, la maison lui donnait la sensation d’être endormie, comme si elle manquait de vie. La présence d’un autre être humain compenserait. Elle se dirigea dans le salon qu’elle trouva vide, à sa grande surprise. Elle avait cru y entendre Dashiell, mais il avait dû rejoindre sa chambre sans qu’elle n’y prête attention. Elle écoutait toujours la musique trop fort, à s’en dynamiter les tympans. Elle observa la pièce, jusqu’à ce que son regard s’accroche aux albums photos. Ils n’étaient pas là la dernière fois qu’elle les avait vus. S’approchant doucement, elle les ouvrit et comprit rapidement comment son jumeau avait meublé son temps. Ce n’était pas si surprenant, il n’était que mélancolie depuis leur retour de Poudlard. Ce n’était pas qu’elle n’était pas triste de la santé déclinante de sa grand-mère. Elle l’aimait et l’aimerait toujours d’un amour infini alors savoir qu’elle était sur le déclin lui brisait le coeur. Mais elle avait sans doute était un tout petit peu moins proche d’elle que ne l’était son frère. Dash avait d’ailleurs toujours été plus proche des gens qu’elle. Elle était sociable, elle avait des amis et pouvait s’intégrer dans n’importe quel groupe, mais cet aspect extraverti dissimulait un réel goût pour la solitude. Elle aimait recharger ses batteries seule. Elle aimait se débrouiller seule aussi, sans doute une conséquence de leur éducation si individualisée. Dash lui pouvait réellement aimer les autres et en avoir viscéralement besoin. Il suffisait de voir sa relation avec Daisy pour s’en convaincre. Oona avait été sa figure d’attachement et la maison était bizarrement vide sans elle. Le choc avait d’autant plus violent qu’il ne l’avait pas saisi immédiatement. Pourtant leur mère en avait parlé dans la voiture sur le trajet. Mais il n’écoutait pas, pas vraiment. Dash et la réalité n’étaient jamais très en phase. Comme si le réel lui résistait. Il était plus souvent dans ses pensées, à rêvasser. Enfant, Aisling trouvait cela merveilleux. Il avait toujours les meilleurs jeux, les meilleures histoires … Désormais elle observait cela avec une tendresse teintée de distance. Elle préférait s’ancrer dans le moment présent. Plus utile. Elle avait un côté affreusement pragmatique à côté de son jumeau.

Attrapant l’album, elle s’empara également des boîtes. Il ne s’offusquerait pas qu’elle rajoute une photo au besoin. Mais elle avait la sensation que l’ensemble était sans doute déjà parfait. Un sourire flotta sur ses lèvres en les voyant bébés. Ils ressemblaient à deux petites choses blondes identiques que seule la couleur de leur layette différenciait. Par la suite, le monde entier avait pris soin de faire d’eux des individus distincts. Ils s’y étaient attelés avec tellement d’énergie qu’elle ne leur avait jamais dit que leurs efforts n’étaient pas vitaux. Elle avait toujours été très consciente qu’ils n’étaient identiques, ni même similaires. Par contre, elle était certaine qu’ils étaient liés, plus que ne le seraient jamais un frère et une sœur lambda. Elle était contente qu’il n’y ait eu qu’eux. A la loterie des fratrie, elle avait tiré le gros lot. Il n’y avait pas plus gentil que Dash. Trop parfois. Ça l’énervait. Les photos se suivirent sans se ressembler et pourtant toutes semblables d’une certaine façon. Ils étaient deux, heureux, entourés d’une famille chouette avec évidemment le principe de l’exception qui confirmait la règle, tante Béa. Il avait parfaitement bien choisi. Chacune des photographies était sympa. Le sacrifice des bégonias lui tira un sourire. Le mythe voulait que le carnage soit dû à une dispute. Elle était sûre que cela était faux. Elle aurait gagné bien assez rapidement pour ne pas ravager les fleurs.

Puis Gil était apparu dans leur monde comme sur les photos. Ce n’était pas leur père biologique, mais il l’était devenu plus sûrement que tout l‘ADN du monde. Elle l’aurait apprécié parce qu’il rendait sa mère heureuse, mais elle l’aimait tout court parce qu’il les avait toujours traités comme ses enfants. Dès le départ il avait été fascinant. Il leur offrait des cadeaux, leur racontait des histoires de magie … Jusqu’au jour où c’était leur vie à eux qui était devenue magique. Secrètement, elle s’était toujours demandée si ce n’était pas la présence de ce beau père sorcier qui avait permis à leurs pouvoirs de s’exprimer.

Suivaient des photographies de classe avant Poudlard où une blondinette commençait à s’incruster un peu partout. Ce qui était assez révélateur de la réalité. Daisy était arrivée et avant qu’Aisling n’ait eu le temps de cligner des yeux, elle était devenue l’obsession de son frère. Oh Daisy était gentille, ce n’était pas le problème. Mais elle était là tout le temps ! Aussi déconnectée de la réalité et bizarre que Dash pouvait être rêveur, elle avait achevé de l’entraîner dans un monde certainement délicieux, mais où elle, sa jumelle, n’avait pas sa place et qui n’aidait pas son frère à avoir quand il le fallait les pieds sur terre. Avec eux deux, elle se sentait toujours en décalage. Cette impression avait atteint son paroxysme quand Dash avait manifesté de la magie avant elle. Il avait voulu aider Daisy, quelle surprise, et il s’était retrouver à atteindre sans effort ce qu’elle désirait par dessus tout. Être comme Gil. Et elle allait rester seule. Elle avait versé des litres et des litres de larmes. Elle était presque certaine que son frère ne s’en était jamais aperçu. Gil lui avait essayé de la consoler pendant des heures. Ce n’était qu’une semaine après, les nerfs rongés par la situation qu’elle avait fini par faire flamber sa serviette en papier d’agacement.

Une fois qu’elle eut ses pouvoirs et la certitude de ne jamais restée seule en arrière sans son frère, le reste du temps s’écoula sans encombre. Elle n’appréciait toujours pas Daisy, de toute façon, sa simple existence était irritante, mais leur vie était plutôt chouette. Leur mère se maria, Gil devint encore plus leur père que ce qu’il était et ils continuèrent de grandir. Evidemment, ce bonheur ne dura pas éternellement. Aisling se demandait presque comment elle avait pu croire à l’époque que tout continuerait de fonctionner sous les meilleurs auspices. Rien n’était jamais simple et à chaque période de joie se succédait une période difficile. En l’occurrence, le début des ennuis commença quand Dash et elle surprirent une conversation. Gil avait perdu son travail. Elle se souvenait que Gil avait tenté de rassurer son frère, généralement plus sensible. Pourtant, elle se souvenait parfaitement de la torsion de son estomac sous l’angoisse. Rien n’allait dans cette nouvelle. Ils n’avaient jamais été très fortunés et perde une source de revenus n’était pas bon signe. Quant à ce que cela indiquait sur la direction de Poudlard, c’était encore plus effrayant. Ils ne pouvaient pas se rendre dans une école qui tentait de mettre à l’écart les nés-moldus, non ? Est-ce qu’ils se feraient embêter une fois là-bas ? Elle n’estimait pas être fragile, mais elle n’avait finalement jamais été réellement confrontée à une forme de rejet ou de violence de la part de ses camarades. Gil avait promis que leur quotidien ne serait pas touché, à l’époque. Elle se souvenait pourtant parfaitement comment tout avait été subtilement modifié. Dash s’en était-il un jour rendu compte ? Parfois, il était tant dans sa bulle qu’elle ne savait plus ce qui perçait ou non sa carapace.

Leur géniteur avait sûrement été un élément suffisamment important pour y parvenir. Un jour, il avait demandé à les rencontrer. Son frère était resté silencieux, mais elle n’avait pas pu s’empêcher de dire oui. La rencontre avait été nulle. Gênante, inutile … Il n’y avait pas assez de qualificatifs péjoratifs pour la décrire. Es doigts effleurèrent la photographie de Gil et de son frère, devant ce pub de Maynooth. Il avait été plus courageux et réaliste qu’elle ce jour là. Il avait été le seul à balancer ouvertement que Gil était leur père bien plus que cet inconnu. Elle, elle n’avait pas réussi. Elle l’avait dévoré des yeux, à la recherche de la moindre de leurs similitudes. Elle avait essayé de comprendre pourquoi leur famille n’avait finalement jamais assez trouvé grâce à ses yeux pour disparaître comme ça. Bizarre comme elle n’avait jamais souffert d’un quelconque manque avant de le rencontrer. Bizarre de savoir qu’elle s’en voulait de ressentir cela.

Sur la photographie suivante, elle reconnut sans peine leur premier test de Polynectar et un rire lui échappa. Dash avait retrouvé son apparence et se balader dans ses fringues à elle tandis qu’elle nageait un peu dans les siennes. Mais leur air ravi faisait plaisir à voir. Ca avait été le début d’un plan absolument machiavélique et merveilleux. Ils n’avaient jamais pu jouer totalement de leur gémellité parce qu’en tant que fille et garçon, ils ne se ressemblaient jamais à 100%. Là, ils venaient de découvrir le meilleur moyen de piéger leur monde. Gil était devenu leur complice. C’était là qu’elle avait découvert qu’il se moquait de certaines règles aussi, en fournissant des potions modérément tolérées sur le marché. Peut-être qu’elle aurait dû ressentir une forme de désillusion, comme tous les enfants quand ils grandissaient et qu’ils se rendaient compte que leurs parents n’étaient pas parfaits. Aisling ne l’avait aimé que plus. Il venait de gagner sa place de héros maudit ce qui était toujours nettement plus cool que parent cadrant. Puis, secrètement, elle lui était reconnaissante de lui avoir offert un levier pour avoir un lien qui n’appartenait qu’à elle avec Dash. Elle s’était toujours demandée si Gil avait compris ses réticences vis-à-vis de Daisy.

La photographie suivante se résumait à une touffe de cheveux et un bout de peau derrière un immense chariot à valises. Elle se souvenait de son impatience. Elle se souvenait de son plaisir à voir que son frère vivait la même chose, de leurs rires en tentant une course avec leur chargement tanguant dangereusement. Elle se remémorait également ses yeux levés au ciel face à l’apparition éthérée de Daisy.

Quand on parlait du loup, son visage était omniprésent sur les photos de Poudlard. La tentation de l’enlever en considérant froidement qu’elle ne faisait pas partie de la famille la démangea. Finalement, elle choisit de tourner brusquement les pages concernées. Cet album était le travail de Dashiell, elle n’avait pas à le gâcher. Par contre, elle pouvait contrebalancer. Elle fila récupérer quelques unes de ses propres images figées sur papier glacé. Son premier match de Quidditch. Son équipe avait perdu, mais elle semblait si fière sur son balai volant que l’issue en devenait secondaire. Elle endormie sur son livre d’étude des moldus, comme illustration de ce qu’elle avait pensé de cette année là, sans encombre et un brin ennuyeuse. Elle n’avait rien contre Appleton, ses ambitions étaient louables, bien plus que celles de ses prédécesseurs. La méthode n’était pas maligne et elle n’avait tenu qu’un an. Avec une pointe de résignation, Aisling considérait même que l’idéal d’égalité poursuivi n’arriverait jamais, du moins pas durant leur cycle d’études. Après, elle ne se plaignait pas. Contrairement à des filles comme Zeynep Ozdemir qui en avait fait son cheval de bataille, elle se considérait comme assez maligne pour se faire oublier.

Se succédèrent les photos du Pérou. Maintenant qu’elle revoyait ces instants, est qu’Oona n’avait pas l’air plus éteinte qu’avant ? La trace d’un doigt sur le papier lui fit dire que Dash avait dû réaliser la même chose. Cela faisait un petit moment qu’elle n’était pas en forme. Et sûrement un petit moment que tout le monde faisait tout pour ne pas le voir. La page se tourna sur une image d’elle en train de câliner un Alpaga à l’air condescendant. L’animal semblait considérer que ce privilège faisait d’elle sa servante humaine et elle se prêtait de bonne grâce en le gratouillant d’un air extatique. Dash l’avait charriée pendant une semaine sur son nouvel ami, jusqu’à ce qu’elle réplique que c’était sa ressemblance frappante avec Daisy quand elle avait son petit air pincé qui l’avait séduite. Il avait pris eu un rictus scandalisé, elle angélique et Gil avait jugé bon de classer sans suite le sujet de l’Alpaga.

Troisième année, elle ajouta une photo de son propre wagon du Poudlard express. Plus calme que cela de son frère, elle avait un sourire éclatant en nouant sa cravate. Ca avait également été leur premier passage dans le monde des adultes. Tout était parti d’une histoire de livraison à Pré au Lard que Gil devait réaliser alors qu’il était attendu au même moment à Ste Mangouste. Dashiell, toujours serviable, s’était évidemment proposé. Comme toujours, il avait cet air de chiot charmant, celui qui indiquait qu’il était décidé à aider mais qu’il n’avait absolument pas compris à quoi il s’engageait. Gil avait cédé. C’était la première fois qu’elle avait haussé un sourcil à l’annonce de l’une de ses décisions. Alors elle s’était rendue dans son bureau dans le soir, quand tout le monde dormait ou vaquait à ses occupations. Elle se rappelait mot pour mot de la conversation.

« - T’envoies Dash dans un truc illégal. Il a pas le bon caractère pour ça. Annule plutôt.
- Aisling … Je ne fais pas cela de gaité de cœur. C’est un complément de ressources nécessaires. Je te promets que ça ira.
- Fais pas de promesses qui ne dépendent pas de toi. Tu seras même pas là.
- Il n’irait pas si j’étais là.
- Je te le pardonnerai jamais s’il lui arrive un truc. »

Le temps passa et elle fut mise à contribution sur le terrain, à parader dans le corps de son frère pour que tout le monde soit au courant qu’il se trouvait à l’école alors qu’il assurait livraison sur livraison. Elle avait exigé de tout savoir et de reprendre en main l’aspect logistique. Voilà comment elle avait investi d’une façon très différente de son frère les affaires des adultes. Elle avait toujours été plus ancrée dans le réel, plus terre à terre. En cela, elle constituait une solution de repli appréciable. Dash ne voyait pas plus loin que le fait de rendre service. Elle, elle avait patiemment démêlé avec Gil les arcanes de son organisation à Noël. Les occasions s’étaient multipliées et elle était chargée de la préparation. Quelle rue emprunter, quel horaire privilégié, quel lieu de rendez-vous … Dash était uniquement pressé de réaliser la tâche qui était la sienne. Et à chaque fois, elle retenait son souffle face à ce frère adoré mais beaucoup trop gentil ou rêveur pour intégrer l’ampleur de leur bêtise. D’un autre côté, pourquoi l’aurait-il fait ? Les adultes cautionnaient tout. De héros maudit, Gil devint parent laxiste. Mais pouvait-elle dire quelque chose ? Visiblement, elle faisait une trafiquante très honorable. Après l’explosion de la Tour, elle avait exigé qu’on suspende leurs affaires, ce à quoi Gil avait bien sûr souscrit. Il les aimait, il ne voulait pas les mettre en danger. Elle n’avait jamais dit à son frère qu’elle était à l’origine du hibou les prévenant de la situation. Il aurait cru qu’elle n’avait pas confiance en lui. C’était en leurs plans foireux qu’elle ne croyait pas.

Gil dut encore une fois lire dans ses pensées puisqu’il leur offrit une cape d’invisibilité pour faciliter leur travail. Elle respira mieux à l’idée de cette sécurité pour Dash. C'était la dernière photographie.

Elle referma l’album et soupira « Dash… ». Il allait falloir qu’elle soit plus attentive à lui cette année. Il ne fallait pas qu’il se sente si seul. Pas quand ils étaient deux.

Dashiell : Il s'agit de son frère jumeau. Bien qu'elle se persuade qu'ils ne sont pas aussi proches que ce qu'ils pourraient être en raison de l'omniprésence de Daisy et de son influence contestable, ils sont très liés sans être fusionnels. Il leur arrive d'échanger leur apparence avec un peu de Polynectar pour se rendre mutuellement service

Eireen : Leur mère. Aisling l'adore bien que son côté parfois fantasque la laisse parfois assez sceptique. Elle lui dit presque tout sans pour autant suivre ses conseils quand elle les juge trop délurés.

Gil : Leur beau-père. Aisling lui voue une admiration sans pareille qui, depuis leurs débuts dans ses magouilles, s'est tout de même un peu ternie. Là où son frère a toujours été très proche de leur grand-mère, Aisling est très proche de Gil. Il est sans doute celui qui cerne le mieux sa personnalité et l'un des rares à avoir saisi ses élans silencieux de jalousie

Oona : Leur grand-mère. Les jumeaux ont toujours grandi avec elle, ils sont donc très proches. Son récent départ en maison de repos a fragilisé l'équilibre de la famille mais surtout de Dash.

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