Le vendredi matin était sans conteste le pire moment de la semaine ; il n’avait jamais eu d’appétence particulière pour la discipline des botaniques. En bon citadin savourant son confort et la propreté, l’idée de glisser ses mains d’artistes dans des pots pour entretenir des plantes immondes et puantes le répugnait au plus haut point. Il n’avait jamais apprécié ça et les professeurs qui enseignaient ce cours s’étaient toujours succédé avec la plus grande constance pour se montrer des plus insupportables ; l’ancienne avait montré à Dmitri combien elle ne l’appréciait guère, ni lui ni sa famille d’ailleurs, et l’actuelle ne semblait pas envieuse de rattraper les torts de la précédente. Elle arborait un style bien différent et ne lui était pas hostile... mais elle avait des manières qui parvenaient à exaspérer l’aiglon plus qu’aucun autre enseignant à Poudlard.

Mais ça n’était pas ça qui rendait le vendredi matin si désagréable. Le cours de botanique ne l’enchantait pas, mais il pouvait le supporter pourvu qu’il reste au fond de la classe et évite le professeur ; la théorie, il la connaissait déjà très bien, comme tout bon élève qui se respectait. Quant à la pratique, il en partageait bien volontiers l’aversion avec Teddy et se plaisait à en faire le minimum, ce qui en fin de compte redorait un peu ce cours ennuyeux. Non, ce qui rendait cette matinée affreuse était qu’ils commençaient avec celui de potions ; Dmitri était bon en potions. Sans doute le meilleur élève de sa classe, quoique depuis le redoublement de Silas, ils se disputaient la palme... il aimait cette discipline, ou avait appris à l’aimer, allez savoir. Le souci était que ce talent et cette affection pour l’art du potionniste lui venait de son grand-oncle ; aïeul dont le souvenir demeurait inscrit sur chacun des murs de cette école, particulièrement ceux du cachot qui accueillait les cours de potions. Les tableaux en avaient été retirés, récupérés par la famille van Aken, mais le Tchèque n’en oubliait pas qui avait enseignait ici toutes ces années durant. Chaque enseignement là-bas réveillait sa peine, si bien qu’il avait décidé de la montrer ouvertement, faisant pertinemment comprendre au remplaçant de son aïeul que jamais il ne parviendrait à lui succéder en arborant chaque fois qu’il devait descendre au cachot une cravate noire, dénuée des couleurs de sa maison. Il assombrissait également d’un coup de baguette l’emblème de serdaigle sur la cape afin de bien montrer qu’il portait le deuil ; il avait cessé de le faire le reste de la semaine, mais lorsque venait le moment de descendre dans l’ancienne antre du professeur Alexander van Aken, il se parait à nouveau du noir.

Ainsi quitta-t-il le cachot aux côtés de Silas et Teddy, les couleurs de la maison des érudits en moins, pour rejoindre les serres de botanique. Il n’escomptait pas redonner à son uniforme les teintes d’antan de la journée ; c’était une perte de temps inutile.  

- On serait mieux dehors à se dorer la couenne tant qu’il fait pas gris 25h par jour, ronchonna la poufsouffle sur le trajet, soutirant au Tchèque le premier sourire de la matinée.
- Ne me tente pas, je suis à deux doigts de succomber à l’envie de sécher les botaniques, répondit-il le plus sérieusement du monde. Ça n’était pas comme s’il se préoccupait de faire perdre quelques points à sa maison, et il n’était plus à une retenue près... quoique depuis le décès d’Alexander, il en avait moins eu, comme si les professeurs avaient, au début du moins, décidé de lui passer quelques-unes de ses frasques.

Finalement, aucun d’eux ne se laissa séduire par l’idée... il ne leur restait que quelques heures à tenir avant le week-end, un dernier instant de courage avant de pouvoir se prélasser dans un coin du parc et aller profiter de la sortie à Pré-au-Lard. Tous trois prirent la direction de la serre, pénétrant à la suite d’un autre petit groupe d’élèves.

- On te laisse briller tel la chlorophylle ?  Où tu vas germer avec nous au fond ?

Le benjamin du trio arqua un sourcil en l’air en voyant le petit manège de ses deux amis mais se garda de faire la moindre remarque à voix haute ; ça n’était pas si étonnant que ça, après tout. Silas avait toujours été un peu vulgaire et porté sur ce qui se passait en-dessous de sa ceinture. Qu’importe, tant qu’ils ne batifolaient pas trop exagérément pendant tout le cours – il n’avait guère pour ambition de tenir la chandelle – il se moquait de ce qui se passait entre eux. S’asseyant à droite de Teddy, comme d’accoutumée, il laissa son sac tomber au sol, ne tirant du cabas qu’un calepin et du fusain, non pour prendre en note le cours mais pour dessiner, le tout sans accorder le moindre regard à la plante qu’ils étaient censés étudier aujourd’hui. Il demeura quelques minutes à regarder le blanc de la feuille sans idée, jusqu’à ce que sa voisine de table ne lui en souffle une, bien malgré elle :

- Putain elle a bouffé un lanceur à cognard ou quoi ? en tout cas, ça fait aussi mal au crâne.
- Teddy, tu es un génie, lâcha-t-il en guise de seule réponse, son fusain commençant à courir sur le carnet, relevant de temps à autre la tête vers l’enseignante pour coucher son portrait dessus... à quelques détails près.

En quelques traits, la silhouette commençait à se dessiner : une femme aux cheveux courts, des boucles d’oreilles et quelques rides, mais la bouche démesurément grande, un cognard coincé à l’intérieur comme une pomme géante qu’elle serait en train de dévorer. Au bout de quelques minutes, alors que l’enseignante continuait approchait de la fin de ses explications, il glissa vers ses deux camarades son œuvre :

- Vous en pensez quoi ? Je lui rajoute quelque chose d’autre ?

Finalement, l’aiglon délaissa quelques instants sa caricature pour imiter ses compères et enfiler des gants en peau de dragon.

- Hors de question que je dépiaute 10 de ces merdes. Je suis pas là pour bosser gratos, je fais un peu l’exercice et ce sera déjà bien. En plus t’imagine si on finit vraiment défigurés ? Je sais bien que mes fesses peuvent rattraper ma tête mes quand même.
- Je t’avoue que j’ai rien écouté, il faut faire quoi ? rétorqua-t-il en avisant les bubobulbs.

Un peu perdu par son inattention, il se contenta d’emboîter le pas de ses camarades jusqu’à l’armoire, le temps qu’ils lui expliquent ce que l’enseignante attendait d’eux.

- Mais si ça détruit la peau, le verre de la fiole, y risque rien non ? murmura Teddy, non loin de lui.
- Hmm non, ça fonctionne pas comme ça. Ce qui est corrosif pour la peau peut l’être pour le verre aussi, répondit-il distraitement. Jusque-là, ça ne demandait guère une grande expertise.

À la suite de la poufsouffle, Dmitri fit ses petites emplettes dans l’armoire, récupérant non pas une, mais deux fioles – au cas où – et de la peau de dragon, avant de retourner à sa place. Il avisa un instant les fabrications de sa voisine de table, un sourire amusé sur les lèvres, avant de se concentrer sur son propre travail. Un bubobulb... vraiment l’une des pires plantes qu’ils puissent étudier, et de loin. Ses doigts d’artistes méritaient bien mieux que ça.

Il tira sa baguette de la poche et tenant une fiole dans sa main gauche la visa en murmurant :

- Impervius !

Le sort était complexe, d’un niveau largement supérieur à celui d’un élève de quatrième année, mais il en fallait plus pour arrêter l’aiglon. Quelques étincelles de magie jaillirent de sa baguette tandis que le visage de l’adolescent se composait d’une vague frustration.

- Im-per-vius ! tenta-t-il pour une seconde fois, puis une troisième devant l’échec évident de la tentative. « Impervius ! »

La troisième fut la bonne : un fil de magie quitta sa baguette pour venir recouvrir l’intérieur de la fiole, protégeant le verre de toute agression. C’était parfait pour contenir n’importe quel liquide corrosif sans perdre autant d’espace qu’avec une peau de dragon. Silas serait fier de lui ; et d’ailleurs, il lui donna un léger coup de coude pour montrer sa réussite respectueuse des êtres vivants en tout genre.

- Dmitri Drahomir Daniel van Aken, protecteur des espèces en voie d’extinction, fit-il en levant la fiole vers son compagnon de dortoir. « Verre imperméabilisé, sans utilisation de la moindre créature, avoue même toi, tu es fier de moi, sur ce coup-là ? »

Plutôt satisfait de sa prestation magique – tant qu’il ne s’agissait pas de manipuler d’immondes plantes, il n’était pas mauvais – il rangea sa baguette pour s’armer de son couteau et inciser délicatement la vésicule, les deux lunettes de protection sagement posées sur son nez. À côté de lui, Teddy semblait en peine avec sa vésicule, éparpillant un peu de pus partout sur la table... fort de l’enseignement de sa voisine de table, dont il avait remarqué les mauvais gestes, il s’évertua à ne pas l’imiter ; en découpage comme en peinture, vraisemblablement, il fallait se montrer fin et minutieux, ce qu’il parvint parfaitement à être. La découpe fut parfaite, sans le moindre éclat de pus – ou si peu que personne ne pourrait le remarquer grâce au carnage de la poufsouffle.

Le garçon glissa prudemment la fiole ensorcelée sous l’ouverture, laissant un peu de pus couler à l’intérieur sans trop de mal, une grimace commençant à fendre son visage. C’était une vision immonde et l’odeur commençait à chatouiller ses narines avec insistance. Glissant machinalement son bras libre au niveau de son nez pour le protéger des effluves, il ne vit pas immédiatement que la fiole n’était plus tout à fait en dessous de l’incision, laissant le liquide se répandre sur ses gants et le plan de travail. Tant pis pour le désastre sanitaire, l’aiglon s’écarta finalement, refermant sa fiole pour la poser un peu plus loin.

- Putain sérieux... je simule une agonie atroce et on se taille à l'infirmerie ? lança Teddy, visiblement excédée par la tâche.
- Hors de question que je refasse ça neuf fois... vas-y pour l’agonie, je serais ton chevalier servant qui t’escorte jusqu’en terre promise, rigola-t-il.

Mais ils n’eurent guère le temps de simuler quoi que ce soit ; juste devant eux, Ha Na venait d’inciser sa vésicule, projetant un peu de pus droit vers la poufsouffle dont la mèche carbonisée se mit à crépiter dangereusement sous le regard médusé du Tchèque.

- Je suis désolée ! J'espère que tu vas bien ? s’exclama la coupable en s’approchant d’eux, tandis que Dmitri se ruait vers son morceau de peau de dragon pour le tender vers Teddy.
- Joli tir, Ha Na, mais c’est Griffith qu’il fallait viser, pas elle, ricana-t-il en voyant que son amie ne semblait guère traumatisée par l’évènement. « Tiens, Teddy, il te reste un peu de pus dans les cheveux, je crois. »

Et il lui tendit la peau de dragon pour qu’elle se nettoie la tignasse sans bruler ses doigts au passage.

- On tient un beau prétexte pour une mission infirmerie, là, non ?

Dés des impervius:

Dés du pus:

Si, à Koldovstoretz, Nikita s’était surpris à se prendre de passion pour les enseignements de quelques vieux mages charismatiques, toujours une anecdote sur les lèvres, la gouaille des enseignants provoquait chez lui beaucoup moins de sympathie depuis qu’il était à Poudlard. Peut-être les subtilités de la langue qui l’empêchaient de saisir pleinement certaines nuances ou ses difficultés scolaires qui rendaient plus pénibles les longues heures de cours, n’empêche que dès qu’un professeur s’éloignait de l’essentiel, Nikita avait immédiatement le sentiment de perdre son temps et cela l’agaçait. Si ce n’avait tenu qu’à lui, il aurait abrégé au maximum ses heures de cours et évacué exercices et leçons sans parler à personne, juste pour le soulagement de quitter au plus vite la salle de classe. Il détestait échouer, détestait sentir qu’il avait du retard, et détestait le corps enseignant pour cela.

Exception faite, cependant, de la botanique. Non que leur enseignante attire beaucoup sa sympathie, il la trouvait trop fantasque pour être sérieuse, et elle s’adressait aux élèves avec trop de désinvolture, mais au moins les enseignants de Koldovstoretz étaient-ils sensiblement les mêmes, sinon les races de plantes qui changeaient en raison du climat, la technique pour faire une bouture ne variait pas selon qu’on soit en Russie ou en Grande-Bretagne. Même, par certains aspects, il avait une légère avance en raison des liens anciens de sa famille avec la nature et les démons forestiers, tout jeune déjà il avait appris à prendre soin des plantes et à respecter les arbres.

Il y avait néanmoins une différence entre rempoter des camomilles et inciser d’affreux bulbes dont la nature toxique crevait les yeux – littéralement, si on avait le malheur de recevoir une projection dedans. La perspective de passer l’après-midi à inciser des poches de pus l’enthousiasmait autant que si on lui avait proposé de nager dedans mais il se garda de tout commentaire. Leur enseignante avait le sarcasme aisé et si Nikita trouvait cette attitude assez peu responsable pour une professeure, il ne tenait pas plus que cela à s’attirer une remarque désobligeante. Heureusement que certains servaient de paratonnerre.

Au moins leur demandait-on de se creuser la tête. Cela changeait des cours clefs en main où il s’échinait à répéter inlassablement le même mouvement de poignet d’en l’espoir d’en tirer un sortilège, souvent en vain.

D’un coup d’œil maussade, il avisa van Aken, Jorgensen et une amie à eux qui s’étaient d’ores et déjà réunis en équipe. Lui n’avait pas pareil groupe de camarades. Il hésita à rejoindre Ha Na mais jugea finalement qu’il n’avait pas besoin d’aide. Au demeurant, il ne tenait pas à ce que quelqu’un soit à ses côtés s’il échouait – encore – l’un de ses sortilèges.

La première étape nécessitait de renforcer sa fiole contre l’acide. Rapidement il passa en revue les sortilèges à sa disposition, sans qu’aucun ne le convainque totalement de son utilité. Autour de lui les autres s’étaient mis à bavarder, sans doute autant pour trouver une solution à l’exercice que pour passer le temps. Le Russe revint à sa fiole. Il savait jouer aux échecs, il n’était pas plus bête qu’un autre. Il fallait simplement se concentrer. Comment empêcher le pus de ronger les bords de la fiole…

Ses yeux se plissèrent, un sourire se dessina sur son visage. Il n’était pas certain que ce soit l’idée du siècle, mais elle lui plaisait bien. Koldovstoretz se trouvant sous la surface d’un lac, le jeune homme était assez familier avec les principes de base de la mécaniques des fluides et il savait qu’on pouvait maintenir un liquide en suspension grâce à certaines forces sans avoir besoin de l’enserrer dans un récipient. Or il y avait précisément un sortilège qui permettait de faire cela, pourvu qu’on soit assez habile.

Mais avant tout, il fallait récupérer le pus. Nikita glissa les lunettes sur son visage et ses mains dans les gants en peau de dragon. La prudence l'incitait également à se couvrir le visage et le nez, aussi alla-t-il se munir de son écharpe dont il s'entoura le nez et la bouche. Cela préservait un peu de l'odeur qui commençait à envahir la serre, également.

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1 ; 2 = Découpe chirurgicale.
➤ 3 ; 4 = La découpe est un peu grossière.
5 = Nikita sera désormais surnommé "le boucher".
6 = Nikita reçoit une projection sur le bras... qui pénètre sa chemise, et atteint la peau.
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1 ; 2 ; 3 = Nikita recueille précautionneusement le liquide
4 ; 5 = ça va mais ça coule un peu sur les gants et la table.
➤ 6 = une coulée soudaine de pus crée une flaque sur la table.
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Les gants, d'aussi bonne qualité soient-ils, compliquaient quelque la tâche par rapport à s'il avait eu les mains nus. Il s'en sortait toutefois honorablement dans la découpe, s'évitant la catastrophe de projections inopinées, mais en oublia de surveiller la plante qui profita qu'il avait les yeux tournés pour s'écouler sur la table à gros bouillons.

- Kurva, se maudit-il. Il allait avoir besoin d'un torchon en vitesse s'il ne voulait pas que la table finisse avec un trou en son milieu.

Du tissu et de l'eau courante limitèrent approximativement les dégâts mais déjà Nikita était en nage, au four et au moulin, à jongler entre sa fiole, son torchon, sa plante, sans parler de son écharpe qui se faisait la mal et de ses lunettes couvertes de buée. Il parvint toutefois à stopper l’hémorragie de pus - le contenu de la plante n'étant heureusement pas illimité - et s'en mis de côté assez pour remplir une fiole.

Il ne s’embarrassa tout d'abord pas de protéger cette dernière, donnant la priorité au fait de nettoyer son plan de travail. Un peu plus loin, des explosions de bulbes attirèrent son attention, mais il avait trop à faire pour s'en soucier. Sa fiole à demi remplie, Nikita vint placer sa baguette à l'embouchure.

- Aqua tourneo.

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➤ 1 ; 2 ; 3 = Nikita parvient à recréer un petit tourbillon de pus dans la fiole, qui n'en touche astucieusement pas les parois.
4 ; 5 ; 6 = en essayant de faire tourner le liquide dans la fiole, celui-ci s'en échappe et projette du pus tout autour de lui
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C'était peut-être la partie la plus délicate et il eut la satisfaction de voir le liquide se mettre à tournoyer à l'intérieur de la fiole, sans plus en toucher les parois. Le jeune homme hocha la tête avec satisfaction, reboucha le récipient puis releva le nez pour constater le chaos qu'était devenu le cours. Dubitatif, il leva un sourcil. Est-ce que personne n'était blessé au moins ?