Le bruit d’assiettes qui se brise sur le sol résonna dans un vieux château au fin fond de l’Écosse, non loin de la ville d’Édimbourg. « Tu vois ce que tu fais vivre à ta mère ? » La voix d’un homme d’une cinquantaine d'années venait s’élever dans cette pièce blanche sans âme, ou l’unique sens de vie était ses occupants. Trois personnes, l’homme qui avait parlé, était installé sur un grand fauteuil de velours vert, derrière lui, se tenait sa femme, debout à la mine incrédule et face à eux, un jeune homme d’une vingtaine d’années, leur fils unique. « Si tu pars avec elle, Aenaes, c’est terminé. » Le dénommé Aenaes serra ses poings doucement pour se retenir d’être odieux face à ses parents qui, pourtant, le méritaient d’après lui, surtout son père. « Acceptez-la, ou vous ne verrez jamais votre petit-fils. » Il tourna ses talons, bien décidé à appliquer les mots de son père à la lettre. N’était-ce pas ce qu’il avait fait toute sa vie ? Il retourna auprès de sa belle qui l’attendait dans la pièce voisine, le ventre légèrement gonflé témoignant de leur amour. Il s’agenouilla un instant pour s’adresser directement au ventre avec un sourire tendre. « Tu seras heureux Ambroise. » Promesse envers son fils, promesse à sa femme, promesse à lui-même. Aenaes Erskine était bien décidé à tenir son fils loin des étiquettes de ses parents. Il était prêt à quitter son héritage pour leur bonheur, à perdre son futur titre. Son regard se releva sur sa douce Elisabeth avant de se remettre debout, lui volant un baiser, et de s’enfuir avec elle. Fuir cette vie qui n’était pas pour lui, fuir pour se plonger dans le bonheur qu’il avait finalement réussi à trouver. Autrefois vivant de soirées mondaines, il avait décidé de tout perdre en épousant cette Française dite "étrange". Loin d’être la belle fille idéale et jugée de folle, car elle sortait des sentiers battus, car ses croyances se tournaient vers la déesse. Un choix avait dû être fait. Amoureux, Aenaes, fils du duc, avait accepté de perdre son titre pour cette femme.

Quelques mois plus tard, Ambroise naquit.

C’est au milieu de l’amour et loin des étiquettes qu’Ambroise vit le jour. Le reniement de sa famille n’a pas empêché Aenaes de s’épanouir et construire un empire pour sa femme et son fils unique. Après tout, il était un homme intelligent et bon. Alors très vite, il se fit un nom dans le quartier des affaires de la jolie ville d’Édimbourg.

Les infirmières se précipitaient dans chaque recoin de la salle de travail. Elisabeth, hurlait d’une douleur que son mari ne pouvait pas comprendre. Les doigts de la jeune femme venaient s’agripper aux draps alors que son corps luisant de transpiration semblait à deux doigts de craquer. Aeneas lui prit la main, incapable de bouger, incapable de lui prendre la douleur. Elisabeth poussa un dernier hurlement avant que son corps ne s’effondre sur son lit, épuisée. Le silence se répandit dans la pièce, le calme absolu. Le monde sembla cesser de tourner pendant un instant. Il n’y avait pas un bruit, même l’enfant ne pleurait alors qu’il fut déposé dans les bras de la jeune mère. Elisabeth embrassa le front de son petit garçon, timidement, s’étonnant de ne pas l’entendre pleurer, pourtant, il respirait bien, elle le sentait. Aenaes resta immobile, fixant sa famille sous ses yeux. La pièce s’agita, d’un claquement de doigts, l’homme inspira longuement, esquissant un sourire alors qu’il embrassa à son tour le nouveau-né sur le front. Le nourrisson ne pleurait pas, mais il respirait, c’était le plus important pour lui. « Ambroise. » Il contempla son enfant, le fruit de l’amour qu’il portait à Elisabeth, laissant sa douceur prendre le dessus, ne se souciant pas du problème présent. « Pourquoi ne pleure-t-il pas ? Il aurait dû pleurer... » Elisabeth chercha le regard de son mari, elle avait besoin d’être rassurée, d’entendre une quelconque explication face à ce silence incompréhensible. Peut-être était-il muet ?

« Il est spécial. »

Murmura-t-il loin de savoir à quel point ses mots sonnaient vrai. Un jour, Ambroise allait recevoir cette lettre qui lui apprendrait le sens du mot : moldu.

Cinq ans plus tard.
Jardin de la demeure Erskine.

« Il te ressemble beaucoup » murmura la grand-mère du petit Ambroise timidement à son fils, bien heureuse de pouvoir enfin voir son petit-fils. Le duc, lui, le père d’Aenaes avait refusé de venir. Cinq ans s’étaient écoulés, et pourtant, les années n’avaient pas aidé à adoucir son esprit étriqué. Pourtant, Aenaes savait que ses parents étaient heureux d’avoir un petit-fils, et qu’ils l’aimaient malgré son choix. Après tout, sa mère ne serait pas là aujourd’hui et il ne vivrait pas avec sa petite famille dans ce vieux manoir familial. Lui et Elisabeth avaient pris le temps de le retaper après la naissance d’Ambroise. Ce fut un cadeau de mariage, en retard, mais bel et bien un cadeau. Ça les avait étonnés, mais leur avait permis d’avoir un toit sur la tête sans avoir de loyer à payer. Puis, c’était un cadre idéal pour éduquer leur fils. « Et sa mère, toujours... Particulière ? » Les mots de trop, les mots maladroits qui firent grincer les dents d’Aeneas alors qu’il gardait un œil sur Ambroise qui jouait dans le jardin avec un petit vélo à roulette. « Elle a juste une croyance différente de la tienne. » Soupirant d’agacement, il n’avait jamais compris pourquoi ses parents ne se contentaient pas d’être heureux pour lui.

Plus tard, Ambroise se posera la même question envers ses grands-parents.

7ans.

Particulier. — Un mardi matin, son institutrice avait demandé à pouvoir s’entretenir avec Elisabeth et Aenaes au sujet du comportement « particulier » d’Ambroise à l’école. Un rendez-vous fut fixé au vendredi suivant sous l’étonnement des deux amoureux. « Je suis embêtée, avez vous remarqué que votre fils est assez attiré par la mort ? » La question tomba et n’étonna en rien Elisabeth qui évoquait souvent ce sujet avec son enfant. Après tout, pour la Française, la mort était une continuité de la vie et la païenne veillait à lui dévoiler tout son savoir à ce sujet. Aenaes laissait faire, car il n’y voyait aucun mal, peut-être était-il juste trop aveuglé par l’amour. En voyant la réaction inattendue des parents, elle poursuivit embarrassée. « La dernière fois, il a tué un oiseau dans la cour... »

À l’heure de la recréation, après une matinée ennuyeuse à écouter sa maîtresse, le petit Ambroise, s’était précipité dans la cour pour retrouver l’air pur de l’extérieur. Un besoin de nature, un besoin de liberté. L’odeur du goudron et de l’herbe fraîchement coupée avait envahi ses narines et lui arracha un doux sourire. Ambroise était un petit garçon plein de vie, brillant d’innocence. Au pied d’un arbre, il avait remarqué un corbeau gisant sur le sol. Il s’en approcha, curieux avant de constater l’agonie du pauvre volatile. Pas une, ni deux, il s’agenouilla avant d’attraper une pierre pour l’écraser contre son crâne. Ç'en était fini pour l’oiseau. Il attrapa le corbeau délicatement sous les yeux ahuris des enseignants et de ses camarades qui n’avaient pas su réagir. C’étaient peut-être les prémices de quelque chose de sombre qui venait s’installer en lui, d'enfoui si profondément que personne ne pouvait le voir arriver.

Le soir venu, une conversation eut lieu au milieu du salon chaleureux du manoir Erskine. Ambroise fut invité à raconter sa version des faits. Les yeux larmoyants, il se livra, attendrissant ses parents. Ils avaient foi en leur fils, il ne pouvait commettre du mal sciemment. Ambroise était la douceur à l’état pur, un joyau qu’ils aimaient protéger, le couvrant de leur amour débordant. En quittant la pièce, le dos tourné, il souriait comme si rien ne s’était passé.

Il ne commettra plus jamais de violence sur un animal vivant.

La violence. — Au grand désespoir de ses parents, elle arriva sans crier gare. Ambroise fut changé d’école après avoir initié plusieurs bagarres à débordement. Il n’avait que neuf ans, il ne parvenait pas à canaliser sa colère. Son père eut l’idée de l’inscrire à des sports de combat, pour l’aider à se défouler, sa mère refusa. Ambroise n’était pas mauvais, elle s’en persuadait. Elle commença à approfondir son enseignement païen, lui parlant de ses croyances et lui offrant son premier jeu de tarot. De nature curieuse, cela l’intrigua un temps. Il suivit l’éducation de sa mère sans savoir qu’elle aurait une si grande influence dans sa vie en grandissant. Il fut initié au paganisme et à la sorcellerie dite « moderne » de sa mère. Les éléments, les tirages de cartes et les pendules furent son quotidien toute son enfance, mais désormais, on venait lui enseigner leur utilisation. Ambroise n’était qu’un enfant de neuf ans à cette époque, tout cela ressemblait bien plus à un jeu pour lui. Il côtoya très souvent lors de cercles d’autres païens, écoutant plus, qu'il ne pratiquait pour son jeune âge. Très vite, il fut confronté à une part obscure et malsaine de cette tendance loufoque comme l’appelaient ses grands-parents paternels. Et une obsession morbide s’éveilla en lui, le jeu commençait à basculer.

Au milieu de la ville d’Edimbourg, perdu dans un labyrinthe de ruelles, se tenait une petite boutique. Une odeur d’encens s’en dégageait, embaumant la rue et guidant les plus curieux à venir découvrir la charmante boutique ésotérique d’Elisabeth Erskine. Ambroise fut très jeune un habitué des lieux, il passait ses journées entre le manoir et la boutique lorsqu’il n’avait pas classe. Il s’y cachait souvent pour effrayer les touristes, persuadé que la boutique était hantée. Ça l’amusait et puis, ça ramenait les clients alors sa mère ne s’en plaignait pas. Cependant, un matin d’octobre, la plaisanterie l’effraya lui-même.

Octobre 2010.

Seul dans l’arrière-boutique, Ambroise faisait ses exercices de math qu’il devait rendre à l’école le lendemain matin. D’ici, il pouvait entendre la voix de sa mère en pleine consultation de divination. Des histoires d’amour, encore et encore. Il souffla agacé, n’arrivant pas à se concentrer, et décida de se glisser dans la boutique. Il se cacha entre les rayons, repérant une jeune femme qui observait les bâtonnets de fumigation. Elle était très concentrée, et lui, désireux de s’amuser, s’approcha silencieusement. À neuf ans, il était plus petit que la moyenne, ce qui l’avantageait beaucoup par moment. En s’avançant, il trébucha et son petit corps tapa contre l’un des meubles ou sa mère exposait les boules de cristal. L’une d’elles bascula et tomba en direction du sol. « Non ! » Ambroise la voyait déjà s’exploser sur le parquet de la boutique, mais son bras se tendit vers ce dernier bien qu’il ne pouvait pas l’atteindre. Le bruit fit se retourner la jeune femme qui se figea sur place alors que la boule de cristal l'évitait à quelques centimètres du sol.

Ce fut sa première expérience avec la magie. Effrayé, il n’en parla à personne, puis ça ne pouvait pas être lui, si ? Il décida d’essayer d’oublier. Cependant, quelques semaines plus tard un cas similaire de magie se reproduisit.

Sa mère avait sorti son jeu de tarot sur la table du salon et son père bouquinait dans le canapé derrière. Ambroise n’avait pas école, c’étaient les vacances scolaires et il en profitait pour jouer au dernier jeu vidéo que ses parents lui avaient offert. « Idiot ! » S’était-il écrié alors que son personnage venait de mourir. La faute lui revenait, mais mauvais joueur comme il l’était, la colère prit le dessus. Il relança la partie et la fois de trop arriva. Ambroise s’énerva et tout explosa. Au sens littéral, zéro métaphore, sous les yeux choqués de ses parents, les vitres explosèrent avant de répandre le verre sur le sol. L’électrochoc suivit et Ambroise passa de la colère à la peur sans comprendre ce qui lui arrivait. Ses parents, eux, prirent le temps d’en parler, cachant l’un la peur et l’autre l’excitation face aux capacités de leur fils.

Quelque temps plus tard, Ambroise reçut sa première lettre de l’école de Sorcellerie : Poudlard.

O

Serdaigle. — Les yeux pétillants d’une curiosité avide, il débuta ses études à Poudlard en septembre 2013. Serpentard aurait pu être sa maison, c’est ce que le choixpeau lui avait confié le jour de sa répartition. Aurait-il été si différent si ça avait été le cas ? Ambroise se fit une place au sein de sa maison et de l’école. Il découvrit un tout nouveau monde dont il n’avait aucune connaissance. Ses parents lui envoyaient régulièrement des lettres, l’encourageant dans cette nouvelle vie. Il s’épanouit malgré ses études chaotiques. Ambroise n’avait pas sa langue dans sa poche, c’était un jeune homme espiègle qui allait très rapidement au conflit. La violence n’était pas loin et elle refit surface. Il passa de nombreuses heures en retenue pour des bagarres d’adolescents, mais jamais pour un manque de respect, ce qui l’aidait à rester sympathique aux yeux de ses professeurs. Tout se compliqua à la fin de sa cinquième année. Ambroise, après avoir validé sans difficultés ses BUSES, réussit à convaincre ses parents de rester à Pré-Au-Lard pour la coupe du monde de Quidditch. Ils acceptèrent, ravis de pouvoir gagner du temps avant de lui annoncer leur divorce, ce qui risquait de tout chambouler. Il fêta ses examens avec ses camarades de maison avant que tout ne cesse suite au meurtre du Premier ministre de la magie. Quelques jours plus tard, il se retrouva à Édimbourg face au chaos qui régnait dans son domicile. L’annonce du divorce suivit, ce fut brutal et incompréhensible aux yeux du jeune sorcier. L’image parfaite qu’il se faisait de l’amour venait d’exploser en mille morceaux, ne laissant que le néant. Il passa le reste de ses vacances enfermé dans sa chambre à taper sur sa batterie pour cacher le bruit des disputes parentales. Et comme si la vie se moquait de lui, il se retrouva amouraché pour la première fois durant sa sixième année. Après l’arrivée des élèves de l’Université de Sorcière, le jeune garçon se retrouva à faire face à un amour à sens unique avec un des étudiants. Ce fut perturbant d’abord, car il ressentait une attirance qu’il n’avait jamais connue jusqu’ici. Il se questionna alors sur ses goûts avant de faire taire ce qu’il éprouvait. Ce n’était pas possible. Il oublia rapidement sa peine de cœur quand il fut propulsé avec d’autres camarades durant la Seconde Guerre mondiale. Il goûta à sa première cigarette au milieu d’un paysage saccagé par la guerre. Au fond, peut-être aurait-il mieux fait de rester ici.

L’année suivante, il y pensait souvent, encore plus après le décès de sa mère à la fin de sa septième année. 

La septième année marqua un tournant important dans la vie d’Ambroise. La directrice McGonagall venait de disparaître et l’arrivée de Genesis Blackman à la tête de l’école fit goûter pour la première au jeune garçon ce qu’était l’importance du sang aux yeux de certains sorciers. Il avait déjà été insulté de sang-de-bourbe, de sous-race, mais jamais cela n’avait été aussi violent que cette année.

Un matin, il n’avait pas eu le droit de se rendre à la grande salle pour prendre son petit-déjeuner. À peine debout, qu’il avait été tiré de force avec d’autres nés-moldus. Agacé, son poing était venu marquer son camarade de maison. Il ne réfléchissait pas, il frappait directement, c’était devenu une habitude chez lui. Il se prit un coup en retour, puis un second avant qu’il ne soit forcé par deux élèves de se rendre dans le bureau du concierge. « Mais vous êtes pas bien ? » Rébellion, il forçait pour éviter que la marque ne lui soit apposée contre sa peau. Il en voyait les dégâts sur les étudiants le précédent et le refusait. La colère gonfla, il était prêt à se battre si seulement un élève ne l’immobilisait pas pendant que sur sa main droite, apparaissait, le début d’un N. Le sang perla, la douleur se fit vive et sa mâchoire se contracta afin de retenir le cri qui menaçait de sortir.
Il vrilla. — plus tard, la marque finirait par se noyer d’encre.

Le chaos et la violence refirent surface. Dégoût face au changement de l’école qui autrefois l’avait accueilli à bras ouverts, il ne prenait plus le temps de parler, ses poings devenaient son unique langage, au grand désespoir de ses professeurs. S'il n’était pas le bienvenu, pourquoi devait-il l’accepter en retour ? Quelques mois plus tard, sa mère décéda et le directeur refusa qu’Ambroise se rende à l’enterrement, dû à sa mauvaise conduite et sans doute pour lui faire payer d’être un né-moldu. Son monde s’écroula un peu plus, lui qui avait été si proche de sa mère toutes ces années, depuis son enfance. Il dégringola et quelque chose se brisa en lui, définitivement. Sans doute, car au fond, il savait que ce jour allait arriver, car il l’avait vu deux ans auparavant dans un tirage de carte qu'il pensait raté. Vision fugace, désir d’oublier, de revenir en arrière. Ce fut la première fois qu’il rejeta inconsciemment le monde sorcier, rejetant la divination et tout ce que sa mère lui avait enseigné : le blocage apparut. Il lui avait été prédit par son professeur de divination lors de leur premier cours des années auparavant qu'il pourrait un jour s'élever. Ce dernier pensait pouvoir aider Ambroise, l’aider à développer un don. Mais sans pouvoir rien faire, il avait été témoin du verrou que le Serdaigle avait apposé lui-même dans sa tête.

Sang-de-Bourbe. — Il avait compris le message. Pourtant, rester sans agir ne lui ressemblait pas ; son éducation lui avait appris à toujours défendre ses idées. C’est ce qu’il fit, en dernier hommage envers sa mère et pour ne pas faire rougir de honte son père. Il s’engagea pour les plus jeunes, pour qu'ils puissent connaître le Poudlard qu’il avait eu la chance de connaître. Le soir du bal de fin d’année, il fit partie de l’escorte de sauvetage de l’ancienne directrice. Dans sa tête, c'était son dernier acte avant de quitter le monde magique. La haine avait suffi à le dégoûter, alors, après une dernière bonne action et son diplôme en poche, il tira sa révérence.

C’était désormais terminé.

O

Décision hâtive, rejet, haine. En regagnant le manoir Erskine, après avoir quitté Poudlard, il décida de marquer la césure. Il n’était plus question de subir un monde qui ne souhaitait pas de lui. Un monde qui avait préféré le marquer d’indésirable en raison de ses parents. Sa décision s’ébruita dans sa famille, réjouissant ses grands-parents paternels. Le petit-fils du duc semblait retrouver la raison. Joie ultime chez ceux qui n’avaient jamais accepté sa différence, tout comme ils n’avaient jamais accepté celle de sa mère. Dégoût. Il y avait une répétition ironique dans cette histoire. Son père lui-même sembla pour une fois se ranger du côté de ses parents. L’incompréhension, son monde qui continuait de s’écrouler. Ambroise allait bientôt décider de s’émanciper une seconde fois, quitter ce père qu’il ne reconnaissait plus. Ce qui le fit complètement basculer, ce fut après le décès de son grand-père en juillet 2020. Lorsque son père accepta, contre toute attente, d’hériter de son titre de duc. Trahison. Lui qui s’était battu pour lui offrir une vie loin des étiquettes venait de renier toutes ses convictions. Tout changeait et il n’avait plus rien à faire ici. Au fond, il voulait simplement fuir le problème, encore une fois.

Il se tenait debout, face à cette pierre tombale fraîchement apposée dans le sol. Sa mère était décédée depuis quelques mois, pourtant, il venait la voir pour la toute première fois. Il y avait eu l’interdiction du directeur de Poudlard, puis la honte de n’avoir pas été là avant. Inspirant une bouffée d’air, il sentit la vague de tristesse. C’était tout nouveau, comme s'il réalisait qu’elle était bel et bien morte, partie sans prévenir. Et il allait faire de même. « Je vais partir maman. Tu me suivras de là-haut ? » Aucune réponse, juste le bruit de la pluie qui commençait à tomber. Ses doigts glissèrent autour de sa baguette, et d’un geste discret, il fit fleurir une rose sur le dessus de la tombe. Il était temps. En regagnant le manoir, il était trempé, pourtant, il ne prit pas le temps de se sécher. Il rangea sa baguette dans une petite boite avec la lettre de sa mère toujours scellée, sa dernière lettre d’adieux. Il glissa la boite sous son lit avant d’attraper son sac qu’il glissa sur son épaule avant de disparaître sans aucune explication.

Il quitta son père, tout comme sa mère l’avait fait quelques années plus tôt, avant de mourir. Ambroise n’a jamais vraiment su les raisons du divorce. Parce que sa mère avait voulu protéger l’image de son père à ses yeux, mais cette image était désormais ternie par des choix incompréhensibles. Il n’avait que dix-huit ans.

Déni. — Quatre ans, c’est le temps qu’il passa sur la route, arpentant l’Ecosse, se rendant à Londres pour changer d’air. Il renoua avec d’anciens amis à lui, tous moldu. C’était tout ce dont il avait besoin pour fuir son ancienne vie de sorcier. Il passa ses nuits sur différents canapés, goûtant au monde de la nuit. La musique devint son quotidien, il enchaînait les soirées, les concerts dans des boites miteuses, toujours derrière sa batterie. Les doigts souvent meurtris, en sang, il se défoulait dessus et plus rien n’avait d’importance. Il se vidait la tête et tout le monde se fichait bien de qui il était, et c’était jouissif. Et puis parce que tout était bon pour oublier qu’il était un sorcier, pour oublier que peu importe le monde, sorcier ou moldu, on ne voulait pas de lui, pas de qui il était réellement. Il goûta un peu à tout, s’auto-sabotant personnellement. Mais au fond, c’était plaisant de se sentir si vivant pour la première fois de sa vie depuis très longtemps. Il sombra lentement dans les travers de ce monde. Il n’avait plus rien à voir avec le jeune adolescent qui arpentait autrefois les couloirs de Poudlard. Ambroise avait laissé ses vices prendre le dessus et ses fréquentations ne l’aidaient pas, le poussant toujours plus loin. Même physiquement, il était méconnaissable, le même visage, mais un corps tacheté d’encre, d’une histoire qu’il avait décidé de marquer. Les cicatrices venaient disparaître, sa main droite fut la première à se voir recouverte, car il avait la nausée dès qu’il apercevait ce N et ce M gravés dans sa chair.

L’amour. — Toute sa vie, il avait eu une figure pure de l’amour, même après le divorce, même après les nombreuses disputes, ses parents avaient veillé à rester proches. À lui enseigner ce qu’était la beauté d’un amour saint et sincère. Leçon d’une vie, et il l'avait échouée, car il était incapable de se comporter de la bonne façon. Il est tout ce qu’une femme ou un homme refuserait d’avoir. Parce qu’il est infidèle, un connard qui préfère s’amuser et draguer sans penser aux conséquences. Et pourtant, au milieu de sa débauche, de ses pensées bien trop toxiques, il rencontre l’amour. Le vrai, le puissant, l’indestructible. Celui qui vous colle à la peau et s’infiltre comme un poison. Passion fusionnelle, le rendant possessif, sans doute beaucoup trop. Ses yeux n’en avaient que pour lui. Il se rangea, mais si l’infidélité n’était plus un problème, sa possessivité, elle, était devenue mauvaise.

Londres, janvier 2024.

La pluie s’abattait brutalement sur la ville endormie. Ambroise sentait ses cheveux lui tomber devant les yeux, lui rappelant qu’il était temps de les couper. Ce soir-là, ils seraient son meilleur masque. Devant lui, trempé jusqu’aux os, se tenait Nolan, un jeune londonien, deux ans plus âgé que lui. Cela faisait quelques mois qu’ils étaient ensemble, Ambroise se surprenait à ne vouloir personne d’autre que lui. C’était flatteur pour Nolan, ça l’avait été au début, jusqu’à ce qu’il découvre les travers de l’Écossais. Parce qu’Ambroise avait beau être foncièrement gentil, il avait des défauts qui criaient au red flag. « C’est terminé. » La voix de Nolan s’éleva par-dessus la pluie. Ambroise se figea, le coup fut brutal, incompréhensible, puis la colère, c’est elle qui l’emporta. « Non. Je refuse. » Il refusait de laisser échapper l’unique amour de sa vie. Pensée naïve d’un jeune adulte en quête de repères. Pourtant, il l’avait perdu depuis bien longtemps.

Il vrilla, encore une fois. Parce qu’il ne supportait pas cette fin, parce qu’il ne comprenait pas ce choix qu’on lui imposait. Les jours se succédaient, les concerts s’enchaînaient et Nolan devenait un inconnu au milieu de cette foule d’étrangers. Puis, un soir pas comme un autre, alors qu’il réalisait qu’il ne lui appartenait plus, il s’emporta. À la fin d’une chanson, il l’avait vu, dans les bras d’un autre, et la douleur de son cœur en miettes avait pris le dessus.

Ambroise trébucha, laissant sa batterie tomber contre le sol dans un bruit lourd. Le concert venait de prendre fin par sa faute, et sa carrière avec. La colère l’aveuglant, il attrapa l’épaule de l’inconnu dans les bras de son ex et sans réfléchir le coup partit. Un second, un troisième. « Arrête, Ambroise. » Peur, dégoût. La voix de Nolan résonnait dans sa tête, mais il ne se contrôlait plus. Toutefois, avait-il vraiment envie de s’arrêter ? Puis le noir. Il se retrouva assis sous le jet froid de l’eau de sa douche lui coulant sur le visage. Il n’avait que de vagues souvenirs : la voix de son pote qui lui avait dit de se casser, sa course folle dans les rues de Londres, ses mains en sang, mais surtout le regard de Nolan. Ce fut la dernière fois qu’il vit son visage.

À son réveil, il disparut de Londres sans un mot, transplanant chez son père.

Fuir. — Encore une fois, il avait pris la fuite. La peur, incapable d’assumer ses actes, il se complaisait dans cette sensation où il se pensait maître. Il n’en était rien. Le retour à la maison fut brutal. Après quatre ans, il était de retour plus pitoyable qu’à son départ. Son père, quant à lui, avait bien changé aussi. Désormais Duc, le titre se ressentait plus que jamais dans son attitude. Pourtant, en découvrant Ambroise sur le pas de la porte, il l’avait forcé dans une étreinte, murmurant un « Bon retour ». Lui, qui avait craint d’être rejeté, se prenait une bourrasque d’amour qu’il savait ne pas mériter. Aucune question ne fut posée, pas même sur l’état de ses mains encore vivement marquées des coups qu’il avait administrés la veille. Aenaes comprenait que son fils avait besoin de temps. Il allait lui laisser, si cela lui permettait de le garder encore un peu. Autrefois, la peau lisse après avoir quitté Poudlard, il avait enchaîné les mauvaises décisions. Sa mère devait avoir bien honte de ce qu’il était devenu, c’était une conviction. Son père ne lui disait pas, mais il voyait dans le fond de ses yeux qu’il était déçu.

Un soir, alors qu’il était seul dans son ancienne chambre, il avait sorti de sous son lit la boîte qu’il y avait laissée quatre ans plus tôt. C’était peut-être le moment d’oser lire ses derniers mots. Il avait hésité, non pas des heures, mais des jours.

À la veille de ses vingt-deux ans, il s’était rendu sur la tombe de sa mère, la boîte à la main. Ça lui avait semblé être la chose à faire. S’installant sur l’herbe à côté, déposant la boîte sur la tombe, il prit soudain peur. Après tout, il s’agissait là d’une lettre d’adieu, celle de sa mère et il ne savait pas s’il était prêt à la lire. Le vent souffla, brusquement, en faisant s’envoler quelques pétales d’un cerisier qui s’élevait vers le ciel non loin de lui. Les pétales tombèrent autour de lui et inconsciemment, il se saisit de la lettre qui se trouvait avec sa baguette dans cette fameuse boîte. Il l’ouvrit, précautionneusement, avant de venir la lire.

Mon doux Ambroise,

Tu ne comprendras sans doute pas mon geste et ce n’est pas grave. Parfois, il faut accepter que certaines choses nous échappent. Nous le savons tous les deux mieux que personne. Personne ne voulait me comprendre, à l’exception de toi.

J’espère pouvoir continuer de te voir briller d'où je serai. Ton avenir est beau et il t’attend, les cartes me l’ont dit alors ne doute jamais. N’aie pas peur d’emprunter la voie de l’enseignement, tu as énormément à offrir.

Tu seras un grand sorcier.

Je t’aime.
Maman.

Une larme. Il ne put la retenir, elle glissa le long de sa joue, suivie de tellement d’autres. Stupide, voilà ce qu’il avait été pendant ces quatre dernières années. Les mots de sa mère résonnaient en lui comme un électrochoc. Le goût des regrets, la peur, tout s’emmêlait alors que la douleur se propageait dans son corps. C’était ce dont il avait eu besoin d’entendre pendant ces quatre dernières années.

En septembre 2025, il reprit ses études. Après un an à essayer de réduire ses addictions, après une année à se reconstruire, à accepter enfin la mort de sa mère, après un an il commençait à sentir sa tête ressortir de l’eau. La douleur que le monde sorcier lui avait laissée commençait doucement à s’apaiser, et bien qu’il n’arriverait jamais à pardonner, il était prêt à vivre pour lui. En hommage à sa mère, il allait garder la tête haute, devenir une belle personne et lutter contre ses déviances. Mais.. en était-il capable ? Il était si jeune, sa vie était loin d’être terminée. Il travailla dur pendant la totalité de ses études supérieures. Ambroise n’avait qu’un but : devenir professeur de divination, transmettre son savoir et celui que sa mère lui avait enseigné. Parce qu’il connaissait les limites et les similitudes de leurs deux mondes. Puis c’était sa façon de continuer à la faire vivre à travers lui. Toutefois, il fut bien déçu durant ses années d'études supérieures, déçu de voir que tout n'avait pas totalement changé au sujet de l'importance du sang sorcier. La prise de Poudlard par Kaspær Sørensen fit les gros titres des journaux, lui donnant une impression de déjà vu. Et bien que ce directeur ne dura qu'une brève période, il espérait qu'aucun né-moldu de Poudlard n'eût à vivre ce qu'il avait vécu à son époque. C'était une raison de plus de se battre, de devenir professeur pour inculquer de meilleures idées dans la tête des plus jeunes. En 2029, il fut diplômé de l'université de Sorcier, désormais, il pouvait exercer la profession de professeur. Lorsqu'un poste se libéra à Poudlard, Ambroise hésita, car les souvenirs du passé restaient bien trop sensibles. Il avait peur de sombrer de nouveau dans ses travers. Alors que, depuis qu’il avait repris l’école, il avait bien changé. L’unique toxine qu’il consommait, c’étaient ses cigarettes, car même avec toute la bonne volonté du monde, il était incapable de s’en passer. Durant ces dernières années, il n’avait plus touché à la drogue, évitant l’alcool au maximum et les seules blessures sur ses mains étaient causées par sa batterie ou ses cartes de tarots lorsqu'il les battait un peu trop vite. C’était un nouvel homme, un bon et il comptait bien le rester. Il finit par saisir sa chance et postuler, la conviction, son désir de rendre fière sa mère venant prendre le dessus.