feat. Cillian Murphy
1ère partie : doucereuse enfance
Il fallait savoir apprécier les journées comme celles-ci : calme et belle, quelques nuages menaçaient peut-être de venir ternir la fin de l’après-midi, mais rien qui ne puise assombrir ce tableau idyllique. C’était un dimanche simple, comme les autres, mais la simplicité avait du bon et la routine était appréciable. La messe avait été plus longue qu’à l’accoutumé ; son regard s’était perdu dans la vague contemplation des vitraux pendant la longue litanie de textes des rameaux, mais en bon thuriféraire, il s’était plu à encenser tant et si bien que les personnes âgées s’étaient vues victime de fausses quintes de toux. Un sourire complice – et un peu machiavélique – avait momentanément lié les enfants de chœur qui partageaient dimanche après dimanche cette même blague. Inlassablement, ils comptaient le nombre d’individus qui se persuadaient, on ne savait pourquoi, que l’encens faisait tousser. Un jour, ils avaient même poussé le vice jusqu’à traverser la nef, juste avant la messe, avec un encensoir aussi vide que le panier de quête un lundi soir, pour la simple satisfaction de voir les gens toussoter. Mais aujourd’hui, à leur décharge, l’encens s’élevait bel et bien. Il s’élevait tant que l’on pouvait en sentir les effluves jusque dans l’entrée de l’église ; jamais Wenceslas n’était parvenu à provoquer une pareille fumée. Encore trop petit et fin pour agiter avec assez de vigueur le lourd objet de métal, il était obligé de trouver des subterfuges pour satisfaire les exigences pastorales. Pourtant nulle triche n’avait été élaborée aujourd’hui, il n’avait pas même besoin de raccourcir la chaîne pour mieux secouer l’outil ; la fumée semblait presque se démultiplier par l’opération du Saint-Esprit. En l’occurrence pourtant, le Paraclet n’avait rien à voir avec cette histoire et c’était bien une discrète et subtile manifestation de ses pouvoirs.
* * *
Il se tenait sous l’auvent de la maison, étrange homme habillé d’une bien curieuse manière ; il semblait sortir d’une autre époque, comme un être s’étant extirpé d’une vieille photo auquel l’on aurait simplement rajouté quelques couleurs, et affichait un sourire fade, vaguement amical mais qui transpirait l’ennui. À bien y réfléchir, il faisait un peu peur. Théodore ne s’y trompa d’ailleurs pas, dissimulant son corps malingre derrière celui de leur mère. Wenceslas n’en menait pas bien large non plus, glissant sa main dans celle de la génitrice. Il n’aimait pas les inconnus, et celui-ci, dans toute son étrangeté, ne faisait guère exception à la règle.
« C’est qui, maman ? » La réponse se perdit dans un haussement d’épaule, alors que l’étranger avançait, élargissant son rictus jusqu’à en dévoiler des dents blanches et droites.
« Madame. » L’homme inclina légèrement la tête, la main posée sur son chapeau en un salut vieilli. Carnaval n’était pas encore là, et pourtant voilà qu’une personne tout droit sortie d’un film historique venait à les apostropher.
« Je vous prie d’excuser mon arrivée impromptue, mais je dois m’entretenir avec vous. » Ses yeux se déportèrent vers l’aîné des garçons, le scrutant un court instant.
« Au sujet de votre fils, Wenceslas. » Un petit hoquet de surprise s’échappa de la bouche de la mère. Jamais ses enfants n’avaient été source de problèmes ; sages et bien élevés, ils étaient appréciés dans le village et personne n’avait eu à se plaindre d’eux jusqu’à ce jour.
Quelques secondes plus tard, ledit fils glissa la clef dans la serrure de la porte, son regard agité par la curiosité et la crainte. La maison sentait bon le familier ; une boiserie sans prétention ornait l’entrée et la pièce à vivre, vestige d’une vieille maisonnée rénovée par les soins de son père, alors que la cuisine était un petit bijou de modernité. Le garçon alla déposer son cabas sur l’îlot central, avant de revenir en trottinant vers les deux adultes.
« Les garçons, montez dans votre chambre pendant que je discute avec le monsieur. » Une pluie de déception s’abattit sur son visage tant il voulait savoir qui était l’homme, et ce qu’il lui voulait. La politesse lui interdisant de contester les ordres de sa mère en public, il suivit finalement son benjamin à l’étage, pétri d’une curiosité sans cesse grandissante. Chaque pas qui l’éloignait de l’inattendue présence accentuait son envie de se faufiler, tel une petite souris, dans le salon pour écouter la discussion. Mais il se tint de la moindre malice et ne put que descendre lorsque son prénom fut scandé dans l’habitacle. Ni une ni deux, il dévala les marches, plus empressé pour retourner au rez-de-chaussée qu’il ne l’avait été pour aller dans sa chambre.
« Bonjour, Wenceslas, assied-toi je te pris. » L’homme avait pris ses aises et l’air incommodé de la mère de famille tranchait bizarrement ; à croire qu’elle était l’invitée impromptue et lui le maître des lieux.
« C’est qui ? » demanda-t-il à nouveau à sa mère, mais non plus en anglais, en polonais. Une fois de plus, il n’eut pas de réponse directe, simplement sommé de s’asseoir et de se taire. Écoute, qu’on lui disait. Bien, il obtempéra et se tint silencieux pendant les explications sans queues ni têtes de celui qui se disait envoyé par le ministère de la magie. Pour une blague, c’en était une bien mauvaise. Et pourtant, sa mère qui d’ordinaire s’énervait dès lors que l’on faisait mention de la moindre superstition, semblait croire dure comme fer le sorcier.
* * *
« Je veux pas y aller. » Il ne faisait pas souvent de caprice, mais il était pour une fois catégorique. Cet endroit, cette école comme ils l’appelaient, ne lui plaisait pas. Ça lui rappelait ce film qu’il avait vu avec son cousin ; un film qu’aucun enfant de dix ans n’aurait dû regarder, qui se déroulait pour grande partie dans un asile. Poudlard ne pouvait qu’être une école pour fou, ça en avait tout l’air.
« Cesse tes enfantillages, tu iras là où on te dit d’aller ! » C’était son père, qui une fois le contrecoup de la nouvelle passé, avait pris les choses en main. Lui n’avait pas vu l’envoyé du ministère allumer un feu dans la cheminée d’un simple coup de bâton, mais il avait cru son épouse sans hésitation ni questions supperflues.
« Non ! » Et Wenceslas prit la fuite, se réfugiant dans sa chambre, déversant toutes les larmes de son corps. Il lui fallut beaucoup de courage, et l’étreinte chaleureuse de sa mère, pour accepter de se rendre dans une rue cachée à Londres afin de faire les achats nécessaires à sa rentrée.
« Je reviendrai pendant le week-end ?
- Pourquoi je peux pas aller au collège des dunes ?
- Et si je veux vous appeler ?
- Et Théodore, il me rejoindra l’année prochaine ? » Le flot de questions angoissées ne put se tarir qu’une fois dans le train en direction de Poudlard, lorsqu’il n’y eut plus personne pour les écouter. Tout le trajet durant, il resta mutique, écoutant un autre garçon parler de choses inconnues aux oreilles de Wenceslas. Il pestait contre les sangs de bourbes qui pullulaient à Poudlard, et lui ne comprenait pas un traître mot de ce qu’il racontait. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il voulait rentrer à la maison, mais que l’engin ne faisait que s’éloigner.
2ème partie : fly you fool.
Le choixpeau avait scandé
serpentard, soulevant une pluie d’acclamation à l’une des quatre tables, celle disposée sous de longues tentures vertes et argent. La maison du serpent, celle de Salazar, cet homme qui avait une aversion pour les gens comme Wenceslas, ces fameux sangs de bourbes. En un an dans cette école détestable, il n’avait point pris ses marques, mais au moins avait-il compris comment fonctionnait ce nouveau monde. Il n’était en réalité pas si différent de l’ancien. On le lui avait raconté en cours d’histoire, avant qu’il ne devienne un sorcier : il y avait les méchants, les nazis, et ceux qui étaient pris pour cibles par ceux-ci. Les sorciers n’avaient donc rien inventés de plus que les moldus et n’étaient pas bien plus originaux ; seuls les noms différaient, mais les idéaux étaient identiques et tout aussi répugnants.
L’on prétendait que ces conflits étaient loin ; à l’instar des conflits mondiaux qu’avaient connu les moldus, ceux des sorciers étaient chose ancienne. Balivernes. Leurs belles paroles n’étaient que du vent et sa seconde année lui démontra avec brio à quel point ces gens n’étaient que bonimenteurs. Il n’eut droit qu’à des ricanements lorsqu’il osa se présenter aux sélections de quidditch, et l’on lui préféra un garçon qui avait le mérite d’apporter sept magistraux pots-de-vin. Ses camarades vert et argent n’étaient pour la plupart que d’immondes cloportes méprisants et méprisables ; chaque jour, ils semblaient vouloir lui démontrer qu’ils étaient capables d’être plus insupportables que la veille. S’il avait voulu être sociable, leurs comportements avaient réduit à néant ses espoirs et peu à peu, il était rentré dans un mutisme protecteur et une solitude apeurée.
* * *
« Tu n’as rien à faire dans cette salle commune » ricanait l’un des élèves, de trois ans son aîné. Plus grand, plus costaud, ses cheveux de jais et son regard sombre semblaient être l’avertissement extérieur de sa noirceur intérieure.
« Va rejoindre tes semblables sangs de bourbes ! » Rejoindre ses semblables, autrement dit aller se faire pétrifier par une créature potentiellement mortelle. Il s’agissait d’un non-choix : s’il sortait, il risquait de rencontrer la mort ou, s’il avait de la chance, un professeur fou de rage d’apprendre que des élèves quittaient leur dortoir à une heure si tardive, particulièrement en ces temps troublés. Mais que personne s’y trompe : on ne lui proposait pas une excursion hors de la salle commune, on lui imposait, et alors qu’il faisait mine de monter rejoindre son lit avec dédain – et une indéniable crainte qu’il ne parvenait à cacher – le plus âgé l’attrapa par le col et le traîna sans mal jusqu’à la sortie. Expulsé manu militari, effrayé à l’idée de retourner dans l’antre des serpentards, d’où il se ferait à nouveau jeter avec plus de ridicule encore, il erra sans but quelques minutes, frissonnant tant de froid que de peur. Peur d’être surpris par un enseignant, peur de rencontrer le monstre qui rôdait dans les couloirs. Il haïssait ces gens et cette maison, ces insupportables élèves qui n’étaient pour la plupart que des cloportes insipides et bêtas.
Un bruit parvint à ses oreilles, discret mais régulier. Et le son se rapprochait : au sous-sol de l’école, nul endroit ne lui permettait de se cacher. Aucune pièce inoccupée, aucun recoin un peu en retrait. Seul un long couloir humide et inquiétant avec d’un côté sa salle commune et de l’autre le son qui se rapprochait. Pris au piège, il ne put que sortir sa baguette et la pointer face à lui, l’énergie du désespoir animant ses gestes. Il n’était pas très doué en magie ; en réalité, il était souvent la risée de ses camarades et les sang-purs le prenaient pour exemple lorsqu’il s’agissait de prouver la prétendue infériorité des gens comme lui. Il n’avait rien à perdre de plus qu’un peu de fierté en brandissant vainement sa baguette et plutôt tout à gagner : il ne se faisait pas d’illusion quant à ses chances de survie face à la créature qui hantait Poudlard, mais au moins il ne partirait pas sans rien faire.
À mesure que le son se faisait plus proche, il devenait également plus distinct. Un soupir de soulagement franchit ses lèvres lorsque l’évidence s’imposa à lui : il s’agissait de pas humains. Le soupir se mua pourtant en petit cri de stupeur quand un adulte surgit dans l’ombre, à l’angle du couloir.
« Que faites-vous dans les couloirs à cette heure-ci, jeune homme ? » Le professeur d’étude des runes le scrutait d’un regard sévère – et un peu vitreux – sa baguette allumée pointée droit vers les yeux du garçon.
« Je... » C’était bien la première fois qu’on le surprenait à contrevenir au règlement, lui qui d’ordinaire était si respectueux des ordres établis par une autorité légitime. S’il se voyait déjà expulser de l’école, ce qui l’inquiétait n’était pas tant de ne plus jamais mettre les pieds à Poudlard que de devoir expliquer à ses parents la raison de ce renvoi.
* * *
Quelques claquements successifs contre la vitre le firent sursauter. Wenceslas se redressa subitement, se tournant vers la source du bruit pour voir un hibou grand-duc, ailes déployées, lui rendre son regard, de l’autre côté du verre. L’adolescent se rua vers la fenêtre, l’ouvrant pour laisser passer l’insupportable animal : bon sang ! Ils étaient dans une ville moldue, une pareille vision aurait de quoi attirer l’attention de biens des badauds autour de chez ses parents. La discrétion de ces gens, ces sorciers, n’avait jamais été d’une grande réussite, mais pour le coup, ils ne faisaient vraiment aucun effort.
« Passe-moi ton papelard, et file. » L’animal lui tendit outrageusement la patte, pour qu’il puisse en détacher le morceau de parchemin et partit sans demander son reste, une fois délesté de son poids. L’emblème de Poudlard trônait en belle place sur l’enveloppe. Évidemment. Il n’avait pas besoin de l’ouvrir pour savoir qu’il s’agissait de ses résultats aux BUSE. Il regarda un instant le papier, sans oser ôter le cachet de cire : il n’avait pas beaucoup d’espoirs quant à ses résultats. Toute l’année durant, et celles précédentes, il n’avait donné de son temps aux études que pour obtenir des notes vaguement passables ; tout juste assez pour ne pas redoubler et devoir rester une année de plus dans cette école de malheur, mais rien qui ne puisse le distinguer particulièrement. Il avait toujours pensé quitter le monde sorcier après sa majorité, jusqu’à ce que ses parents, particulièrement son père, ne lui rappelle qu’il n’avait aucun diplôme, aucune école moldue qui puisse attester de sa formation. Depuis ses onze ans, son dossier scolaire était aussi consistant que l’était le baron sanglant. Alors il avait passé les vacances à ressortir les brochures distribuées par Poudlard et destinées à leur présenter les possibilités d’avenir. Avec les notes qu’il escomptait avoir, il ne pouvait pas s’attendre à une profession glorieuse... il n’y avait bien que comme professeur d’étude des moldus qu’il pouvait espérer forger son avenir. Nul besoin d’être doué en cours, à en croire la brochure, il suffisait de connaître des gens dénués de pouvoir... bingo, il y en avait trois qui l’attendaient au rez-de-chaussée.
Prenant son courage à deux mains, il détacha finalement le sceau rougeoyant et extirpa le parchemin de son enveloppe. Quelques lignes introductives expliquant la notation – comme si après cinq ans, ils n’avaient toujours pas compris le fonctionnement – avant de finalement venir au principal : les notes. À mesure que ses yeux parcouraient le morceau de papier, ils s’écarquillaient de plus en plus. Sortilèges : acceptable, métamorphoses : acceptable, potions – oh surprise ! – efforts exceptionnels, et ainsi de suite... tiens, ces idiots de serpentard lui avaient finalement servi à apprendre quelque chose, il ne s’en était pas trop mal sorti en défense contre les forces du mal. Sans surprise, il avait lamentablement échoué en arithmancie et en divinations, mais passait de peu en runes. Il sentit ses mains trembler sous l’effet du soulagement. Un miracle, à n’en point douter. Lui qui avait toujours exaspéré ses professeurs par son manque de motivation et qui avait reçu maints reproches de la part de son directeur de maison au vu de ses réussites très relatives en potions, il avait finalement assez pour continuer de nombreuses matières... et s’éviter une carrière dans l’étude des moldus. La pression des examens semblait avoir suffi à lui donner un discret coup de fouet, assez avoir un peu plus de volontés dans ses BUSE que lorsqu’il s’agissait d’écrire un énième devoir, et lorsqu’il ne subissait par le regard courroucé de ses plus acariâtres professeurs et la moue moqueuse de ses camarades, il ne se révélait en fin de compte pas si mauvais.
C’était étrange de voir à quel point il avait pu changer ses perspectives si rapidement, alors qu’il demeurait jusque-là hermétique à toute forme de raison : ni l’ouverture de la chambre des secrets, ni le tournoi des trois sorciers n’avaient su lui mettre un peu de plomb dans la tête. Auparavant, il se moquait bien de ses résultats scolaires et la moyenne tout juste correcte qu’il avait le satisfaisait amplement, mais un sursaut d’intérêt à la vue de ses notes semblait être une source suffisante de motivation pour qu’il mette un peu de cœur à l’ouvrage dans ses devoirs estivaux. Il avait bénéficié d’un premier miracle, il ne pouvait compter sur un second ; et si on l’acceptait toujours dans les matières les plus importantes, il savait que des résultats si passables ne seraient pas suffisants pour les ASPICs.
* * *
Les lumières de Poudlard grandissaient à mesure que sa cariole avançait vers l’imposant monument. Sa dernière année, enfin. Quelque part, cette pensée le laissait mélancolique et pourtant, il l’avait attendu avec tant d’impatience, lui qui ne demandait qu’à être libérée de cette école qu’il n’avait jamais aimée. Mais il le sentait, c’était malgré tout la fin d’une chose importante de sa vie et l’on ne s’apprêtait pas à tourner définitivement une si longue page sans crainte.
« T’as vu le changement de ministre ? » demanda l’un de ses camarades, un des rares qu’il appelait « ami », affalé sur la banquette en face.
« Et Rogue est directeur, maintenant. » renchérit l’autre. Les changements politiques ne l’intéressaient pas des masses, mais il n’avait guère le choix de s’y attarder ; ils savaient tous que ça ne présageait rien de bons, et pourtant Wenceslas se rendait à Poudlard, comme si de rien n’était. Ou du moins, presque. Tous prétendaient que l’école était à part, qu’elle était préservée des remous politiques. L’ancien directeur de serpentard n’était pas seul, les autres professeurs demeuraient présents, veillant sur l’établissement comme ils l’avaient toujours fait, avec plus ou moins de succès ces dernières années, mais tout de même. C’était sa dernière année ici, et sûrement sa dernière année normale : les changements au ministère n’annonçaient rien de bon, mais tant qu’il était à Poudlard, il était assuré d’être protégé de l’extérieur. La suite était plus complexe, mais il avait encore du temps pour y songer.
La cariole ralentit avant d’arriver devant la lourde porte de métal qui bordait le domaine de l’école. Ses occupants descendirent, rejoignant la petite foule qui s’amassait un peu plus haut.
« Cette année encore, ils fouillent nos affaires ? » Wenceslas haussa des épaules, demeurant silencieux, et se présenta devant l’homme – inconnu au bataillon – qui s’occupait de l’accueil. Grand, vêtu d’une longue robe de sorcier noire, un collier de barbe et un regard perçant qui scrutait un long parchemin, il n’avait pas l’air très jovial. Derrière lui, d’autres adultes aussi peu sympathiques s’agitaient, menant quelques élèves à part. Non ! Ses yeux s’écarquillèrent d’inquiétude alors qu’il commençait à comprendre ce qui se tramait. Goyle salua d’un signe de la tête l’homme au parchemin, passant sans même s’arrêter devant lui. Tous les élèves n’étaient pas arrêtés.
« Nom ? » fit l’étranger. La main de Wenceslas glissa machinalement vers sa baguette.
« Wenceslas Aylmer. » Il y eut un court silence pendant lequel le gardien des lieux scrutait son morceau de papier jaunâtre puis il fit un signe et avant que le né-moldu n’ait le temps de réagir, on le saisissait sans ménagement. Le traînant de force avec le reste des élèves qui étaient mis à l’écart.
Certains avaient luttés, mais pas lui. Paralysé par la peur, certain qu’en étant coopératif il craignait moins qu’à résister, il avait suivi le pas sans trop broncher. On les fit transplaner les uns après les autres, de jeunes garçons vomissant à l’arrivée – les pauvres, ils n’avaient jamais eu l’occasion de transplaner auparavant – et finalement ils furent conduits dans un dédale sans fin de couloirs. Et plus ils marchaient, plus il avait froid. Le désespoir commençait à l’habiter : privé de sa baguette, frissonnant tant à cause de la peur que parce qu’il était réellement frigorifié, il semblait se diriger vers la mort. Enfin, on les fit s’arrêter et c’est arrivé à destination qu’il comprit – pestant contre sa propre bêtise pour ne pas y avoir pensé plus tôt – d’où venait ce souffle glaçant. Des détraqueurs. Une bonne dizaine, cernant le couloir où on leur ordonnait de patienter. Quelques personnes attendaient déjà, assises sur des bancs, pleurant pour certaines. Le petit groupe d’élèves – encore des enfants pour la plupart – se lova dans un coin. Quelques-uns de ses camarades furent emmenés avant lui sans que personne ne daigne répondre aux demandes plaintives d’explications de certains. Aucun de ceux qui étaient emmenés ne revenait.
Puis enfin, après une heure, ou peut-être deux, l’on vint le chercher afin de l’emmener dans la salle d’audience du ministère. Si la pièce était assez spacieuse, ce qui marquait surtout, c’était sa hauteur sous plafond... d’autres de ces créatures cauchemardesques qui gardaient les prisonniers virevoltaient quelques mètres au-dessus de sa tête. Ses juges, eux, étaient protégés par un patronus, à l’abri du froid et de la peur.
« Monsieur... » Celle qui dirigeait l’audience baissa les yeux sur son pupitre.
« Wenceslas Terence Marcellin Aylmer, né le 18 novembre 1979, dans un hôpital moldu de Londres, c’est bien ça ? » Il opina du chef, incapable de parler.
« Veuillez répondre verbalement. Et distinctement. » Cette fois-ci, il confirma à haute et tremblante voix.
« À qui appartient la baguette qui vous a été retirée à votre arrivée, monsieur Aylmer ? » Il répondit le plus honnêtement de monde ; il l’avait acheté avec ses parents voilà bien six ans, sur le chemin de traverse. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour trouver la bonne, déclenchant même un début d’incendie dans la boutique du vieil homme. Mais aucune des protestations qu’il apportait ne suffisaient à satisfaire l’employé du ministère, qui le scrutait d’un regard sévère, reformulant la question.
« À qui l’avez-vous volée ? » Lui qui n’avait jamais commis le moindre impair se voyait désormais accusé de vol, on le considérait comme un criminel de la pire espèce. Il se sentait insulté au plus profond de son être, mais ça n’était rien comparé à la crainte de ce qui l’attendait qui ne cessait de resserrer son étau autour de son cœur palpitant.
Aucune des réponses ne satisfaisaient le juge et lorsqu’elle eut marre de cette mascarade, sonna le glas de ses espoirs d’en ressortir libre. Azkaban. Le mot avait claqué comme un fouet. Il poussa un cri, tant de protestation que de terreur, lutta mais en vain.
3ème partie : après la guerre
Il caressa distraitement du doigt le bois de sa nouvelle baguette, épris par une profonde mélancolie qu’il peinait à chasser de son être. Des séquelles qu’il gardait de la prison des sorciers, celle-ci était la plus désagréable : sourire lui semblait si difficile désormais. Son visage émacié, ses joues creuses, son teint pâle et ses yeux ternis par les mois passés à l’ombre n’était qu’une part visible bien négligeable. Plus que son aspect, qui avait pourtant effrayé sa mère à son retour dans la demeure parentale, ce qui marquait chez lui était le regard qu’il portait désormais sur le monde. Un regard froid et dédaigneux, celui d’un homme qui se désintéresse de tout. À dix-huit ans, il avait déjà la lassitude de vivre et aucune envie de croquer la vie à pleines dents, comme il aurait pu l’escompter auparavant.
Comme de nombreux nés-moldus victimes de la rafle des mangemorts, il avait été convié aux procès de ceux qui les avaient traqués. Plusieurs longs jours de jugements, où les témoins s’enchaînaient uns à uns, certains portant encore des stigmates plus importants que les siens. Aujourd’hui, c’était à son tour. Son témoignage était capital, lui avait-on dit. L’homme que l’on cherchait à condamner avait fort bien préparé sa défense ou plutôt – il fallait le reconnaître – les preuves à son encontre étaient faibles. Certains rêvaient de le voir condamner au baiser du détraqueur, mais d’autres, étonnamment forts nombreux, estimaient que les circonstances atténuantes étaient telles que l’on ne pouvait le condamner à une peine si lourde. Wenceslas était le témoin parfait pour mettre fin à ces incessants débats : il pouvait présenter un portrait peu reluisant de l’élève qu’avait été l’accusé, intimidant ses camarades nés-moldus particulièrement lorsqu’ils avaient la mauvaise idée d’être répartis à serpentard, et raconter les exactions commises durant la rafle.
Le regard du sympathisant mangemort, jusque-là auréolé d’un masque d’innocence fort bien feint, se décomposa lorsqu’il aperçut Wenceslas dans les tribunes. Un court instant, ils se regardèrent, alors qu’un autre témoin – en faveur de l’accusé – achevait de défendre sa cause. Il reconnaissait dans les traits du visage de son ancien bourreau quelques similitudes avec le reflet que lui renvoyait son miroir : quelques semaines à Azkaban suffisaient à marquer de rides la peau. Il n’avait plus aucune prestance, ne semblait plus aussi effrayant qu’il l’avait été par le passé. Celui qui autrefois se moquait de lui et s’amusait à lui lancer des sorts, des murs de Poudlard jusqu’aux murs d’Azkaban, allant frapper chaque parcelle de son corps de l’immense douleur du sortilège doloris... cet homme-là n’était plus.
Le nom de Wenceslas fut enfin prononcé, appelé à la barre. Le serpentard – car il l’était effectivement toujours, forcé de retourner à Poudlard pour obtenir enfin ses ASPICs – se leva et descendit avec lenteur les quelques marches qui le séparaient de la barre. Ses yeux passèrent de l’accusé, son ancien tortionnaire, à ceux du président de l’audience. C’est à ce moment-là qu’il sut qu’il ne témoignerait pas ; non par peur – quoique demeurait fermement ancré en lui le sentiment que ce monde n’était pas débarrassé de ses horreurs – mais par lassitude et défaitisme. Un relent des mois passés à subir la dépression insinuée par les détraqueurs. En quelques mots, il mit fin aux espoirs de condamnation ; oui, il connaissait effectivement cet homme. Ils étaient autrefois camarades, de quelques années de différences mais de la même maison. Jamais ils n’avaient vraiment parlé ensemble même lorsqu’ils fréquentaient les mêmes bancs d’école – un premier mensonge – et il ne l’avait pas vu depuis le départ de Poudlard de l’aîné – un second mensonge, le plus grave sans aucun doute – pas même à Azkaban. La surprise fut visible sur le visage de tous les intervenants, mais la plus manifeste était encore celle de son ancien tortionnaire. Dire qu’il y avait du soulagement dans son regard serait faux : un tel sentiment semblait trop dur à ressentir pour quelqu’un tout juste libéré du joug des détraqueurs, et Wenceslas était bien placé pour le savoir.
* * *
Quelques années plus tôt, sans doute aurait-il décidé de ne jamais remettre les pieds à Poudlard une fois majeur. Il se moquait bien de ce monde et n’attendait que le moment venu de pouvoir le quitter. Mais ce monde qu’il exécrait, aussi fou soit-il, était désormais le sien, qu’il le veuille ou non. La prison n’avait pas seulement changé sa joie en fadeur, elle lui avait fait ouvrir les yeux sur la réalité : il pouvait essayer de s’accrocher inlassablement à la vie de son enfance, se prétendre capable de vivre comme son frère, il finissait toujours par être rejeté par la nature. Il n’était pas un moldu et s’il en comprenait le mode de vie, il ne pouvait plus s’y conformer. L’ignorance qu’avaient les gens dénués de pouvoir l’irritait : il n’aimait pas savoir qu’aucun d’eux ne se rendait compte de l’existence d’une société parallèle. La pire des ignorances était encore celle de ses propres parents. Oh bien sûr, ils connaissent les sorciers : leur fils en était un après tout. Mais ils ne comprenaient rien. Pourquoi diable Wenceslas n’avait-il pas donné la moindre nouvelle pendant plusieurs mois ? Et lorsqu’il revenait, pourquoi était-il si peu loquace ? Il pourrait leur expliquer, tenter de le faire, du moins... mais il n’avait pas la force et ce faisant, il avait fini par s’éloigner sans le réaliser.
Alors Poudlard était devenu un surprenant refuge. Une seconde dernière fois. Rares étaient ses camarades de septième année qui avaient à nouveau refoulé le sol de l’école après la guerre : on leur reconnaissait un préjudice suffisamment important, et une année suffisamment dure, pour qu’ils puissent se passer d’ASPICs. Beaucoup avaient refusé d’y retourner car l’endroit était source de bien des traumatismes, mais quelques énergumènes comme lui avaient pourtant de nouveau foulé le sol de l’établissement. Ce faisant, il repoussait le moment d’affronter son avenir et finalement, après tant d’années, cet endroit si familier lui était peut-être devenu agréable. Juste un peu.
Et au bout de quelques mois, il avait enfin trouvé une solution. Certains, à l’instar d’Harry Potter, se rêvaient auror pour chasser ceux qui avaient contribués à faire de leur scolarité un mauvais rêve. À une époque, peut-être lui-même aurait-il pu envisager pareille possibilité, mais la discrète flamme qui l’habitait autrefois s’était éteinte sous le souffle des détraqueurs. Il avait refusé la justice, il ne croyait pas celle-ci capable d’alléger sa peine, aussi rejetait-il également ceux qui la précédaient et il avait décidé de s’enterrer définitivement. Dans les méandres du ministère, au dernier sous-sol, le département de mystères semblait avoir été créé par lui : dans l’obscurité et le silence de la fonction, il pourrait fermer les yeux sur le monde réel. Le plomb de son cœur alimentant celui de sa langue, il n’aura plus à prétendre apprécier la populace et les mondanités.
Il se lançait là dans une étrange épopée : une formation dont il ne savait rien, un travail dont on ne disait rien. Il entrait au département des mystères sans connaître ce qui s’y trouvait, ni même savoir comment il y serait accueilli. Formé en interne, dans le silence et le secret, il en vint très vite à apprécier de n’avoir à n’expliquer ni sa vie, ni son avenir.
* * *
Une brochure de journal traînait sur le bureau. Elle semblait avoir vécu, feuilletée encore et encore par des mains énervées. Les lettres « Mort de McGonagall ! », qui surplombaient une vieille photo de la directrice de Poudlard, étaient abimées par endroit. Au niveau de celles indiquant le retour de Blackman dans l’école anglo-saxonne, le parchemin avait clairement été froissé.
Ce simple morceau de papier présageait d’une journée aussi mouvementée que les rainures qui striaient le journal. Wenceslas l’avait vu venir : le jour même où l’annonce du retour de l’homme controversé à la tête de l’établissement scolaire, il avait su que s’ils ne faisaient rien, le temps du ministère était compté. Tout ce qui se passait à Poudlard finissait toujours par rejaillir sur le reste de la société, son passé en témoignait. Et ils n’avaient rien fait. Ou pas assez bien. Mais comme toujours, il se moquait bien de ce que le monde pouvait avoir à offrir.
Baguette glissée dans son long manteau de velours, cigarette écrasée dans un cendrier qui en avait connu plus d’une, le langue-de-plomb quitta son fauteuil et fila d’un pas vif le long des couloirs. La cabine d’ascenseur était encore là, un autre homme pénétrant à l’intérieur en même temps que lui.
« Combien de temps nous avons, à ton avis ? » demanda l’autre. Trop peu. Certains s’apprêtaient à combattre, à défendre le ministère s’il le fallait, à reprendre Poudlard s’ils le pouvaient... d’autres regardaient simplement les premiers néo-mangemorts prendre leurs quartiers dans le ministère. Mais les employés du département des mystères n’avaient pas ce choix : ils devaient mettre à l’abris leurs travaux, sécuriser les bureaux et partir avant qu’il ne soit trop tard. Le combat n’était pas une option pour eux, seule la préservation de leurs secrets importait. Tandis que leurs collègues achevaient de fermer les lieux de puissants maléfices, Wenceslas et son compagnon d’ascenseur les notes de leurs recherches : des notes qui n’existaient que dans leurs esprits. Ils n’avaient pas le droit de prendre des risques et devaient fuir ; le risque que des néo-mangemorts parviennent à briser les sortilèges qui protégeaient les mémoires des langues-de-plomb étaient faibles, mais pas inexistant.
« Peu. Nous aurions dû partir il y a bien longtemps. » Dès que Blackman était revenu à Poudlard, en réalité.
La cabine s’égrena, grinçant désagréablement dans sa lente ascension vers le hall. Lorsqu’enfin, les portes s’ouvrirent, ils ne perdirent pas un instant de plus, fusant vers la zone de transplanage sans prêter la moindre attention aux autres personnes qui s’agitaient dans l’atrium. Du moins jusqu’à ce qu’on les alpague, à quelques mètres de l’endroit où ils pouvaient disparaître. Deux hommes, deux néo-mangemorts, à n’en point douter.
« Nous avons été trop lent... » Triste constant de son collègue, murmuré avec lassitude. Il toisait les deux malotrus comme l’on regardait des enfants un peu turbulents. Un pareil mépris était visible dans le regard de Wenceslas. Les employés du ministère n’avaient pas besoin de se concerter pour savoir quoi faire : ils travaillaient ensemble depuis de nombreuses années et connaissaient le protocole. De concert, sans pitié ni mise en garde, ils levèrent leurs baguettes et d’une même voix clamèrent un funeste
« Avada kedavra ». Les malandrins qui se clamaient néo-mangemorts s’écroulèrent au sol, inertes, alors que les deux langue-de-plomb les enjambaient et transplanaient.
C’était la première – et seule – fois qu’il tuait quelqu’un, sans même trop y prêter attention, galvanisé par un froid désir de s’extirper des lieux avant que l’on ne mette la main sur la mine d’informations magiques confidentielles qu’il était. Seule une poignée d’employés du département des mystères avait conservé les traces des recherches qu’ils effectuaient au dernier sous-sol ; les autres avaient tous subi – volontairement – un sortilège d’amnésie. Ils avaient retenu la leçon de la deuxième guerre sorcière. Désormais, Wenceslas était l’un des rares dépositaires de leurs savoirs : il se devait de rester caché jusqu’à ce que les choses se calment, afin de pouvoir restituer le tout à ce qu’il restait de ses collègues.
* * *
« C’est un sujet complexe, Théodore... » commença le langue-de-plomb, s’allumant une cigarette alors qu’il prenait place dans un confortable fauteuil du salon de son cadet. Poudlard et le ministère étant aux mains de l’influence néfastes des castes conservatrices de sorciers, il n’avait eu d’autre choix que de se retirer. Et si les premières semaines, il avait vécu seul, transplanant de ci de là sans réellement savoir que faire, voilà qu’un matin, il s’était présenté sur le seuil de la porte de son frère.
« Le monde auquel j’appartiens est gangréné d’idées d’un autre âge. Tout dans ce monde est d’un autre âge... mais je ne suis pas toi. Je ne lutte pas contre ces choses. » Il haussa des épaules, soufflant quelques volutes de fumées dans la pièce.
« Je me contente de protéger certains savoirs. Le reste n’est pas de mon ressort. » Théodore Aylmer se tourna vers le plus âgé, armé de deux tasses de cafés. Ils avaient peu parlé ces dernières années mais à présent que Wenceslas était chez lui, ils semblaient vouloir rattraper tout le temps perdu en seulement quelques heures. Chaque matin, une fois les enfants partis à l’école, ils se posaient dans le salon pour converser de choses et d’autres. Au début, Théodore ne posait pas de questions sur les raisons de la présence de son aîné, mais la curiosité de l’avocat étant grande, il n’avait pas tenu très longtemps.
« Changerais-tu d’avis si l’un de mes enfants était... comme toi ? » Le sorcier attrapa la tasse avec reconnaissance, prenant quelques minutes de réflexion avant de répondre. La question était piégeuse. Les exercices de pensées comme celui-ci faisaient certes parties de son travail, mais il n’aimait pas quand cela touchait directement à sa propre vie.
« Sans doute. » Il n’était pas encore tout à fait certain de répondre avec la plus grande honnêteté du monde, mais il valait mieux ce pieu mensonge que de clamer l’inverse.
« J’imagine qu’une pléthore de choses pourrait me faire changer d’avis. Mais je prie – et tu devrais le faire aussi – pour qu’aucun de tes enfants n’ait à aller à Poudlard. Ce n’est pas devenu un endroit plus fréquentable que lorsque j’y étais. » Peut-être même était-ce pire. Difficile de savoir de là où il était : les informations sur ce qui se passait là-bas filtraient peu, et elles étaient d’autant plus longues à l’atteindre qu’il se tenait volontairement éloigné de tout ce qui ressemblait à de la politique sorcière. Pour l’heure, aucun de ses neveux n’avait fait montre du moindre pouvoir : ni eux, ni leur mère, n’étaient au courant de cette société qui évoluait en parallèle de la leur. Seul Théodore savait et pour ce qu’il avait entendu de la vie de Wenceslas, il ne semblait pas rêver que sa famille connaisse à son tour le sort de son frère. Lui-même, lorsqu’il était petit, avait bien d’autres préoccupations et la jalousie des premiers temps avait rapidement laissée place à un désintérêt vaguement compatissant.
« Et les tiens ? » Le sorcier leva un sourcil à la trop laconique question.
« Tu ne comptes pas passer toute ta vie seul, si ? » Le voilà enfin, ce sujet qui brûlait les lèvres de Théodore depuis plusieurs jours. Il se faisait le porte-voix de leur mère et, ce faisant, affirmait une fois de plus qu’ils vivaient à milles lieues de ses préoccupations. Ils pouvaient bien se persuader qu’une vie d’époux et de père saurait combler la brèche de son cœur, mais la solitude demeurait un bien meilleur pansement.
« Si. » Le ton était on ne peut plus ferme, signe qu’il n’y avait aucune place pour la discussion. Il avait bien connu des femmes, mais le dénouement était inlassablement le même. Il n’était sans doute plus capable de se fixer quelque part, ou plus probablement se refusait à le faire ; c’était trop d’efforts pour si peu de bénéfices. Et la seule fois où, dans sa grande naïveté et son esprit de provocation, il y avait cru, la réalité l’avait trop durement rappelé à l’ordre.
4ème partie : scène post-générique
Wenceslas fit tourner le whisky dans son verre, regardant pensivement le liquide aux si belles couleurs tournoyer dans le récipient.
« Sauf votre respect, monsieur le ministre, ce n’est pas la première fois que j’avance en terrain hostile. » Sa vie était parsemée de moments où il subissait, plus qu’il ne luttait contre, des idéaux répugnants.
« Pour une fois, au moins, je l’aurai choisi. » Une fois n’était pas coutume, il avait décidé de prendre les choses en main. On ne le prendra plus en traître, on ne lui retirera plus le pain de la bouche. Puisqu’à nouveau, la politique s’insinuait à Poudlard, il irait lui-même voir ce qu’il en était. Il n’était pas un homme d’action ; son travail était la recherche et l’expérimentation plus que la lutte et la politique, il laissait bien volontiers ces dernières aux aurors, mais puisqu’il fallait surveiller de près ce qui se déroulait dans l’école anglo-saxonne, il pouvait bien rompre un tant soit peu avec sa relative passivité. Aussi, lorsqu’on lui avait signifié que Sørensen n’avait pas encore de professeur de sortilèges et que le ministère pouvait appuyer sa candidature, il n’avait pas hésité bien longtemps. Et il était le mieux placé pour ce genre de choses : il avait ce statut un peu particulier du né-moldu que l’on regarde non avec réelle considération mais au moins avec neutralité. Malgré la rafle, malgré Azkaban, malgré la haine que se vouaient mutuellement sang-pur et sang-de-bourbe, il n’était pas un farouche opposant aux plus conservateurs des sorciers. En réalité, son attitude toujours détachée et le désintérêt qu’il portait pour la société l’avait placé dans une position ambiguë : il semblait presque être l’un des rares nés-moldus que les plus extrêmes des sang-purs pouvaient apprécier, principalement parce qu’il ne se mêlait – jusque-là – pas de leurs affaires et fermait les yeux sur les exactions qu’ils pouvaient faire devant lui. Et même lorsqu’avait eu lieu le procès contre les mangemorts et leurs alliés, qui avaient contribués à la rafle des nés-moldus, il avait refusé de témoigner contre eux. De fait, cela rendait sa candidature bien plus acceptable que serait celle d’un soutien assumé de la politique du couple Appleton.
« Mais je compte faire les choses à ma manière. » Il n’escomptait pas procéder comme l’avait fait l’épouse du ministre. Celle-ci avait agi avec bêtise et empressement, réagissant aux évènements sans anticiper ni prévoir. Cela lui avait été fatal, ce qui à son humble avis était mérité ; il avait assisté au procès, depuis les tribunes, voyant les élèves et professeurs défiler à la barre. Certains la défendaient, mais plus fréquents étaient ceux qui étaient venu clamer son incapacité à gérer une école comme il se devait et il fallait reconnaître de la légitimité à leurs reproches.
Une dernière lampée, et le désormais ancien langue-de-plomb quitta son fauteuil.
« Je ne vais pas vous importuner plus longtemps monsieur le ministre, vous aurez sûrement de mes nouvelles bientôt. » L’année scolaire avait déjà commencé, il n’était plus temps de lambiner et de discuter politique : octobre se profilait à l’horizon, et il devait presque ses fonctions dès le début du mois, aussi avait-il du pain sur la planche.