Les cours d’histoire de la magie comptaient parmi ceux que Thomas était autorisé à suivre, puisque sauf lors de quelques rares séances, les élèves n’étaient pas invités à utiliser leurs pouvoirs. Le cracmol, qui avait encore beaucoup d’efforts à faire avant d’être complétement familiarisé avec ce nouvel univers, y avait donc toute sa place et si, incontestablement, avaler par cœur des listes de dates et d’événements n’était pas son activité favorite, il appréciait néanmoins ces séances où il suffisait d’écouter l’enseignante parler et laisser son esprit dériver en fonction du sujet.

Aujourd’hui toutefois, Ms. Grant semblait avoir décidé que le cours serait un peu plus interactif puisqu’elle les invita à réfléchir sur la représentation d’un pan de roche où on distinguait à moitié des peintures rupestres. Thomas en avait déjà vu, une fois, lors d’une visite scolaire, et il fut content de constater que les élèves de Poudlard pouvaient parfois avoir le même type d’activité que des collégiens de Glasgow.

Quand Ms. Grant leur proposa de se rapprocher pour voir, le jeune homme suivit le mouvement des quelques courageux qui avaient décidé de regarder de plus près. Thomas n’était ni particulièrement sérieux en classe, ni particulièrement bon élève d’ailleurs, mais il avait moins de cours que les autres et donc plus d’énergie à y consacrer. On pouvait aisément comprendre qu’après plusieurs heures passées entre les cachots de potion et la salle de sortilège, ses camarades finissent épuisés en milieu d’après-midi, mais il était fréquent que Thomas n’ait qu’une ou deux heures de cours par jour et il ne voulait pas y faire mauvaise impression.

En plus, en ce moment, il n’y avait toujours pas de garde-chasse, alors il s’ennuyait un peu hors des heures de classe.

Il n’avait toutefois pas encore assez d’assurance pour choisir de volontairement prendre la parole avec de véritables sorciers et préféra souffler la réponse à son voisin.

- C’est des peintures de grotte de la préhistoire, glissa-t-il à qui voudrait l’entendre.

Le truc, c’est que jusque là il ne voyait pas le rapport avec la magie, or il s’agissait bien de cela, après tout, d’histoire de la magie… Il devait y avoir un truc. Y avait-il des sorciers à la préhistoire ? Probablement, maintenant qu’il y pensait. Peut-être que la peinture était ensorcelée, comme les tableaux des couloirs… ?

- C’est une peinture magique ? trouva-t-il finalement le courage de tenter. « Est-ce qu’elle bouge ? »

Thomas aimait beaucoup les peintures et les photos qui bougeaient. Il en avait même une, dans sa chambre…

Dmitri s’était un peu endormi durant le cours d’étude des runes. La nuit avait été courte, parsemée de rêves pas toujours très agréables, dont un assez étrange où il croyait reconnaître les silhouettes de Caleb et Michaela, dans le sous-sol du manoir des Hébrides. Il n’en gardait plus beaucoup de souvenirs, mais un sentiment désagréable avait longtemps demeuré dans son esprit avant que se tête ne finisse par glisser sur son bras et que ses yeux ne se ferment. Bien heureusement, le professeur était assez peu attentif à ce genre d’oisiveté – il devait sûrement y être habitué – et l’avait ignoré tout du long. Seul un coup de coude d’un camarade le ramena à lui quelques minutes avant la fin, juste assez tôt pour ranger ses affaires et plier bagages, direction un étage au-dessus.

Il fallut un peu de temps au garçon, une fois entré dans la salle de cours d’histoire de la magie, pour émerger et se rappeler qu’ils n’allaient pas s’asseoir à une table pour écouter l’enseignante déblatérer des informations plus ou moins intéressantes. La pièce était plus bondée que d’accoutumée, plusieurs années s’étant données rendez-vous.

L’aiglon alla s’asseoir à une place un peu en retrait, écoutant le préambule du professeur d’une oreille tandis que son regard s’attardait assez machinalement sur le serpent qui passait sa meilleure nuit un peu en retrait des élèves. Depuis leur retour à Poudlard, la présence du reptile l’avait toujours pas mal intrigué : il n’était pas commun de convier un animal en cours lorsque celui-ci n’était pas utile, mais c’était d’autant plus surprenant qu’il ne s’agissait pas d’une créature comme un banal hibou. En se découvrant fourchelang, il s’était également rendu compte qu’il avait une certaine appétence pour les serpents, un peu comme si cette pratique linguistique aux forts relents magiques s’accompagnait d’une proximité atypique avec ceux dont il parlait la langue.

Un peu perdu dans sa contemplation discrète de l’animal, il ne fit pas immédiatement attention à la paroi rocheuse invoquée par mademoiselle Grant. Ce fut surtout la voix de Thomas, surgissant parmi un groupe d’élèves, qui le ramena à l’instant présent. Un petit rappel à l’ordre qui n’était pas une mauvaise chose, tant il avait tendance à se laisser distraire depuis la rentrée. Dmitri posa son regard sur la peinture dont il était question, fronçant légèrement les sourcils d’un air expert. Là, on touchait à son domaine ! « Ça ne ressemble pas à de la peinture magique... à moins que ce ne soit une forme très primitive. » Loin de celle que fait son grand-oncle !

Le petit peintre en devenir s’approcha, passant ses doigts sur la réplique – puisqu’après tout, elle avait dit qu’ils avaient le droit – pour y sentir quelques aspérités. « C’est une gravure. Il n’y a que pour les bords et sur certaines parties du personnage qu’il y a de la peinture. » Un instant, il ne put s’empêcher d’imaginer que ce pouvait être les prémices très lointaines de l’art familial. Des premières expériences picturales magiques... mais il trouvait ça très grossier. Il se retourna vers l’enseignante : « On sait si ce sont vraiment des sorciers qui ont fait ça, ou plutôt des moldus ? » Il se souvenait d’un cours de première année durant lequel Hatwell avait expliqué que les sorciers d’antan n’avaient pas de baguettes, mais des outils infiniment moins précis... le principal de leur magie étaient alors les potions, runes et autres rituels en tout genre.

Dmitri se tourna quelques instants vers son camarade de serpentard, qui venait de se rapprocher de lui. Celui-ci ne semblait pas d’une humeur beaucoup plus avenante que lui, quoique depuis qu’il le connaissait, il n’ait jamais trop eu l’air de respirer la joie de vivre. L’aiglon préférait amplement ce caractère à ceux trop exubérants et expressifs : il était infiniment moins fatiguant de se tenir à ses côtés que d’autres personnes. « Beaucoup plus, oui. » répondit-il à la question de Jin Kyung, non sans qu’une lueur de fierté ne se mette à briller subrepticement dans ses yeux. Il en était ainsi chaque fois qu’il parlait de son domaine de prédilection, cette forme de magie et d’art mêlés que les van Aken détenaient d’une façon des plus uniques. Rares étaient les connaisseurs de la peinture vivante et en la matière, aucun ne rivalisait avec sa famille. Il désigna du menton la gravure rupestre. « Ça n’est pas de la peinture vivante. Je ne suis même pas sûr que l’on puisse vraiment parler de magie, à ce niveau-là... » Les prémices de la discipline semblaient véritablement ennuyeux. Alexander lui avait bien parlé, quelques fois, de l’histoire de l’art vivant, mais c’était la première fois qu’il voyait des représentations aussi pauvres que celle-ci.

Ignorante des pensées du tchèque, l’enseignante continuait de parler, soulignant d’un coup de baguette quelques particularités de la représentation. Tout n’était pas à jeter dedans : l’idée de peinture performatif plaisait au garçon – c’était un peu ce qui se cachait derrière les projets de son aïeul après tout – et l’aidait à demeurer captivé par le cours. Sans ça, il aurait sûrement décroché depuis longtemps. Dès qu’elle commençait à bifurquer vers un autre domaine – ici plus musical – il retrouvait intérêt plus grand pour le serpent que pour ses explications. Heureusement, l’arc musical n’était qu’une parenthèse. « Je ne trouve pas que ça ressemble à un sorcier chamane. » lâcha-t-il finalement en réponse au professeur Grant, sans une once de gêne à l’idée de contredire la version des archéomages. « Mais celui qui a fait cette gravure était soit un piètre peintre, soit il n’avait jamais vu le moindre hybride de sa vie. » Il ne se montrait pas particulièrement intéressé par les enseignements de soins aux créatures magiques, mais de ce qu’il se souvenait des leçons de sa grand-mère, la plupart des hybrides avaient comme partie humaine le haut du corps, et non le bas... « Ou alors, le peintre a voulu représenter un animagus... » Il marqua une hésitation, avant de reprendre. « Ça existait déjà, à cette époque ? »

Dmitri était têtu. C’était sans doute l’une des facettes de sa personnalité les plus visibles. Il ne s’était jamais satisfait des affirmations des professeurs et il ne se privait jamais pour exprimer son propre avis, qu’il ne trouvait pas moins pertinent que celui de la plupart des adultes. Cela était d’autant plus vrai avec un domaine qui rejoignait un tant soit peu celui qu’il affectionnait tout particulièrement, et pour lequel il suivait un enseignement ; l’un des rares dont il ne se permettrait pas d’en critiquer la valeur, celui de son grand-oncle. Alors lorsque l’enseignante exprima la thèse de l’hybride, il n’envisagea pas un seul instant de taire sa remarque. Cela ne sembla pourtant pas fâcher la femme. Bien au contraire, elle abonda même dans son sens, soulignant qu’il n’y avait effectivement aucune certitude. Il commençait à bien leur nouveau professeur... ce qui était assez rare pour le noter. « Vous imaginiez un animagus en cours de transformation ? » L’aiglon opina du chef : s’il devait représenter un animagus sans avoir à recourir à une peinture vivante, sans doute le ferait-il en dessinant le passage de la forme humaine à celle d’animale.

Les explications de Grant eurent le mérite de donner du corps à sa supposition, renforçant un peu l’égo du garçon. Venant de quelqu’un habitué aux salles de retenues et qui ne faisait désormais que le strict minimum lorsqu’il s’agissait de ses cours, l’on aurait pu s’attendre à ce qu’il se moque éperdument d’être bon en classe. La réalité était, qu’en ayant grandi à l’ombre de ses frères et sœurs, il nourrissait un besoin constant de voir son talent reconnu à sa juste valeur. Son attention était désormais tout au cours, capté par l’agréable sentiment d’être dans un élément qui le mettait en valeur. « Est-ce plus folklorique que de danser autour d'un chaudron ou de voler sur un balais ? » S’imposa subitement à lui l’image de son tuteur, le vieux maître des potions, en train de danser autour d’un chaudron... L’idée, plutôt atypique, lui soutira un rictus amusé, tandis que l’enseignante sortait le fameux arc musical dont elle parlait depuis quelques minutes. À peine avait-elle commencé à jouer que l’aiglon se laissait déjà emporter, comme s’il en subissait lui aussi les effets, à l’instar du serpent. Celui-ci, fin et agile, se laissa bercer quelques instants par la mélodie... à moindre échelle, Dmitri sentait que la musique agissait aussi sur lui, sans qu’il ne puisse réellement dire s’il ne s’agissait que d’un mimétisme inconscient des réactions du reptile ou si le fait d’en comprendre la langue le rendait plus réceptif à la magie de l’instrument.

Lorsque le son prit fin, le Tchèque et le serpent réagirent presque de concert, le premier en sursautant légèrement, comme s’il avait été tiré d’une rêverie par une secousse un peu trop forte, et le second en sifflant une protestation qui parvint au garçon aussi clairement que s’il avait parlé dans sa langue natale.

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1-3-5 : Dmitri parle en fourchelang.
2-4-6 : Dmitri parle en anglais.

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Au bout de quelques secondes – le temps de reprendre ses esprits – le serdaigle détourna le regard de l’animal pour s’adresser à l’enseignante : « Comment ça fonctionne ? » demanda-t-il finalement, avant de reprendre pour préciser sa pensée. « Comment une musique qu’un serpent ne peut même pas entendre peut l’apaiser... ou activer des runes ? » Au-delà de l’expérience un peu étrange – voire gênante – qu’il venait de vivre, sentant bel et bien l’effet qu’avait l’arc musical, il nourrissait une réelle curiosité. Était-ce les vibrations seules qui transmettaient la magie, ou – un peu comme une extension de la baguette – les mouvements de l’instrument ?

Thomas avait un peu arrêté de suivre à un moment – désolé mais les cours c’était pas son truc – mais la mention de sorciers revêtant des peaux de bêtes pour se transformer en animaux trouva un écho chez lui et il tendit l’oreille aux paroles de l’enseignante.

- Ou les loups-garous, mentionna-t-il à voix basse quand cette-dernière énuméra les différentes manières de se métamorphoser chez les sorciers. Mais il n’était pas sûr que ce soit vraiment un pouvoir dans l’acceptation qu’on en avait.

La suite du cours se révéla plus intéressante que la première partie et entendant qu’on pouvait invoquer des esprits de guerriers. L’idée lui plaisait bien, eux au moins pourraient peut-être l’aiguiller dans son rôle de protecteur de meute, les sorciers aujourd’hui avaient l’air de ne pas trop s’en soucier mais à l’époque c’était certainement plus important.

Miss Grant sortit un instrument de musique et leur fit une petite démonstration que Thomas trouva un peu amusante mais qui prit un tour bien plus fascinant lorsque le serpent se mit à y réagir. L’enseignante semblait capable de le commander par le simple son de son instrument et ça, ça c’était une information très précieuse pour l’apprenti du garde-chasse qui travaillait au contact des animaux. Restait à voir s’il n’y avait pas de la magie derrière tout ça, si ça fonctionnait sur autre chose que les serpents et surtout si on pouvait bel et bien apprendre à faire pareil.

Thomas s’apprêtait à poser ses questions mais Dmitri prit l’initiative, ce qui lui épargna de lever la main, se contentant de hocher la tête à côté de son ami, comme si celui-ci avait besoin de soutien au cas où Miss Grant ait décidé de ne pas lui répondre.

Il colla quand même un coup de coude au garçon et souffla : « Demande si ça marche sur les autres animaux. »

Comparé à beaucoup de ses jeunes camarades, Dmitri aimait l’histoire de la magie. C’était souvent moins grandiose et épique que les cours qui impliquaient de lancer des sorts à tout va, mais l’aiglon était allé à bonne école avec sa grand-mère qui avait su lui montrer l’intérêt de la discipline. Vivre avec des tableaux capables de raconter des pans entiers de leur histoire avait sans doute accentué sa curiosité naturelle, si bien que même les cours supplémentaires que lui avait imposés Alexander après la débandade de la conférence sur le secret magique n’avaient su lui ôter cet attrait pour la discipline.

L’imagination du garçon aimait ces histoires sur le passé, quand bien même ses notes de cours témoignaient plus de ses appétences pour l’art que pour une quelconque rigueur scientifique : chaque leçon avait été le fruit de dessins différents et celui-ci ne ferait sans doute pas exception à la règle, quoiqu’il risquât de s’attarder plus en longueur sur l’arc musical et l’effet sur le serpent que sur la gravure elle-même. Sans surprise, son attention avait donc été plus grande et il avait fini par gratifier l’enseignante de quelques questions, les yeux brillants d’une lueur très intéressée. Un peu surpris par la proposition du professeur Grant, il ne répondit pas immédiatement mais opina finalement du chef en ajoutant un simple « D’accord. » prudent. Il n’aimait guère l’idée de subir un sortilège – sans doute que la pédagogie de Thorstein avait laissé des traces – mais la curiosité de savoir comment le serpent avait pu ressentir les effets de l’arc musical gagnait face à la méfiance.

Rendu sourd d’un coup de baguette, Dmitri se sentit l’espace d’un instant désorienté : c’était comme si son cerveau ne comprenait pas pourquoi, tout d’un coup, il ne percevait plus aucun son et pourquoi sa main posée sur la table n’avait produit aucun bruit. La sensation était très étrange et plutôt désagréable. Puis d’un coup, alors qu’il voyait l’adulte rejouer de son instrument, son inconfort laissa place à autre chose... ses doigts lui transmettaient des vibrations que la surdité semblait accentuer. C’était étonnamment apaisant. Et trop court. Lorsqu’elle le libéra de l’empire de l’enchantement, il se surprit à le regretter, comme avait dû le ressentir le reptile avant lui. « Oui, j’ai senti des vibrations. » S’il comprenait maintenant comment les serpents percevaient l’arc musical, de nouvelles questions se bousculaient dans son esprit : comment fonctionnait le fourchelang ? Est-ce qu’il produisait une forme de vibration suffisamment forte pour que les reptiles – et lui – puissent les comprendre ? Comme si elle avait lu ses pensées, une élève plus jeune aux couleurs de lions posa d’autres questions, poussant finalement l’enseignante à leur proposer d’obtenir des réponses plus tard, lorsqu’elle sera en mesure de leur en donner. Tant mieux, ça n’était certainement pas auprès d’Aylmer que le Tchèque allait pouvoir se renseigner ; il préférait que ça soit elle qui s’en occupe. Il lança un bref regard à la gryffondor avant de prendre à nouveau la parole : « Je veux bien. »

L’aiglon lança un regard amusé à son camarade lycanthrope lorsque celui-ci lui glissa une nouvelle question. Depuis quand jouait-il les timides ? Il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que la même fille de première année reprenait la parole, faisant sienne la question de Thomas. « C’est toi le loup-garou dans la pièce, je te rappelle, t’as pas besoin de craindre que la prof te morde. » glissa-t-il dans un murmure à son ami, un sourire taquin sur les lèvres.

Trop occupé à bavarder avec le cracmol, Dmitri n’avait pas écouté la réponse de Grant et ne fut rappelé à l’ordre que lorsqu’un chien s’engouffra sans prévenir dans la pièce, créant un chaos inhabituel pour un cours d’histoire de la magie. Goguenard, le garçon se tourna à nouveau vers le cracmol. « C’est le moment d’appeler ton perroquet, il va faire un malheur ! » Un serpent, un chien et un oiseau dans la même pièce, ça pourrait être intéressant.