ft. @Bluebell E. Sherwin, Cameron Brown et les autres

S’il avait fallu rapprocher cette soirée de quelque chose qu’il connaissait, Cameron aurait sûrement pensé aux téléfilms un peu pourris que Mary regardait de temps en temps durant les vacances de Noël. Ces histoires d’une crédibilité inexistante qui voyait toujours une pauvre fille de la campagne et le prince d’un pays inconnu tomber éperdument amoureux alors qu’il n’y avait rien de plus illogique au monde. Il avait toujours jeté un regard un peu dédaigneux à l’écran lorsqu’il passait devant mais force était de constater que de vivre son propre conte ridicule avait quelque chose de particulièrement grisant. Il ne touchait plus vraiment terre et son esprit trop occupé à profiter de ce qu’elle lui permettait de vivre pour la première fois de sa brève existence n’émettait plus le moindre raisonnement construit. Il était bien, juste bien, et était prêt à faire n’importe quoi pour la promesse qu’elle reste encore à ses côtés.

— Regretter ? Cameron, c’était une décision mûrement réfléchie. Je ne regrette absolument pas cette soirée.

Le soulagement fut intense. C’était sûrement la plus belle phrase qu’il n’eut jamais entendue. Je ne regrette absolument pas cette soirée… Elle ne venait pas de dire qu’elle était contente de la passer avec lui, bien sûr, mais ça lui fit exactement le même effet. Le nuage sur lequel il flottait paisiblement s’éleva un peu plus encore.

— Ça me change de l’univers sorcier, et puis, ça me permet de découvrir certaines personnes que je n’avais pas eu l’occasion de connaître. Je serais passée à côté de tout cela… Et à côté de ton agréable compagnie.

L’adolescent suivit machinalement son geste des yeux, observant bien plus facilement la grâce de son bras que le monde qu’elle lui désignait. Ça avait peut-être l’air un peu too much, dans le fond, mais il aimait à croire qu’elle n’était finalement pas plus à l’aise que lui. La suite, en revanche, lui fit relever la tête brusquement alors qu’il piquait littéralement un fard. Elle… elle trouvait sa compagnie agréable…? Il n’avait pas rêvé ?! Qu’il aurait aimé que Mallory soit dans les parages pour qu’elle puisse voir à quel point elle s’était trompée ! Pendant des mois et des mois elle lui avait répété que cette pauvre fille n’était qu’une garce et qu’il perdait son temps à s’intéresser à elle… Il n’avait rien perdu du tout ! Et si garce elle avait été pendant une éternité, lui ne s’étonnait pas à voir enfin qu’elle pouvait être autre chose. Il l’avait toujours su ! Et le plaisir qu’il ressentait à découvrir cette nouvelle facette de sa personnalité était plus immense qu’il n’aurait jamais pu le penser. Ce qu’il voyait dans son regard, ou ce qu’il lui semblait y voir en tout cas, était à la fois délicieux et parfaitement malaisant. D’aussi loin qu’il se souvenait, jamais personne ne l’avait observé avec cette insistance charmante. Normalement, il y avait toujours quelque chose de moqueur ou tout du moins de réprobateur… Là… Là il avait juste l’impression de baigner dans une douceur incroyable et d’être le garçon le plus important du monde. Et à défaut d’être le plus important, il était sans le moindre doute le plus chanceux.

— Mais je n’en doute pas. Votre univers doit aussi avoir ses parts de magie, sans mauvais jeu de mot.

Un rire amusé passa ses lèvres avant qu’il ne plonge dans son verre, gêné, en la voyant approcher. Ça n’était qu’un pas, évidemment, mais c’était beaucoup plus qu’il n’aurait jamais pu le prévoir. Elle acceptait d’être sa cavalière, elle lui offrait son bras et voilà qu’elle mettait à mal le peu de distance qui les séparait encore, comme si c’était parfaitement normal. Ses doigts qui se refermèrent sur son poignet achevèrent de le perdre. Cette soirée était surprenante. Dans le meilleur des sens du monde ! Cette fille l’était d’ailleurs tout autant ! Quelque chose, au fond de lui, tentait de lui rappeler que ça n'était pas normal, qu’elle avait passé sa vie à souhaiter sa mort mais son coeur résonnait si fort à ses oreilles qu’il était bien incapable d’entendre la mise en garde.

— Et je suis ravie que ce soit toi qui m’introduises à ton univers.
— Je… euh… J’suis… ravi de… d’le faire, bredouilla-t-il de plus en plus difficilement à mesure qu’il sentait ses doigts étrangers qui glissaient lentement jusqu’aux siens. Il ne la lâchait pas des yeux, comme hypnotisé, se noyant sans lutter dans l’océan gelé de son regard.

Il se sentait défaillir et aucune sensation n’avait jamais été plus délicieuse que celle-ci. La main de Bluebell se lia finalement à la sienne, doucement, comme si c’était là qu’elle devait finir sa course. Il espéra bêtement que la nervosité grandissante qu’elle lui faisait ressentir depuis qu’ils s’étaient retrouvés n’avait pas rendu sa peau moite… Elle, elle paraissait bien loin de ces préoccupations. La distance perdit encore du terrain alors qu’elle approchait son visage du sien.

— Oui, je suis vraiment ravie.

Son souffle à son oreille acheva de lui faire perdre pied. Il ne savait pas à quoi cette soirée devait ressembler, il ne savait pas à quoi elle ressemblerait encore mais il était prêt à s’abandonner tout entier au délire de sa cavalière. Un frisson délicieux glissa le long de son dos, faisant naître une chaleur nouvelle sur son passage. Il cherchait le courage de lui proposer de la voir pendant les vacances, ne serait-ce que pour aller au cinéma ou au planétarium (ça faisait partie des choses moldues qu’il préférait et quitte à commencer quelque part, autant qu’elle découvre les choses bien) lorsqu’elle reprit la parole.

— Ravie que l’ambassadeur de cette ignoble étendue sang-de-bourbe ne soit autre qu’un crétin assez stupide pour croire qu’il a de la valeur à mes yeux.
— Qu…quoi ?

Ça n’était qu’un gémissement lamentable et perdu alors que la férocité qui avait assassiné toute la douceur qu’il y avait eu jusque là dans le sourire de la Serpentard lui offrait toutes les explications qu’il aurait préféré ne jamais avoir. L’emprise qu’elle effectuait sur sa main s’intensifia alors même qu’il essayait de s’en défaire. Le nuage sur lequel il avait passé le début de sa soirée s’était soudainement envolé et la chute promettait d’être douloureuse.

— Tu es touchant Cameron, cela va sans dire. Tu es touchant dans ton imbécillité, c’est une qualité rare. Merci d’être mon clown, ce soir. Sans toi, le pathétisme de cet environnement m’aurait déjà assommée. Qu’aurais-je fait sans ton exhibition ridicule de crétin écervelé ? Je t’en dois une belle, Brown.

Elle lui rendit sa liberté ; il recula d’un pas, hébété. Il la fixait sans comprendre vraiment, tous les morceaux du puzzle peinant à s’emboîter. L’essentiel lui était parvenu, bien sûr : elle n’était là que pour se foutre de lui…

— A tes premiers pas dans une humiliation méritée, sombre idiot.

Mais ça n’était pas l’humiliation qui lui était tombée dessus d’un seul coup, non, c’était la déception. Tous les espoirs idiots de passer une soirée normale avec une fille qui lui plaisait qui s’étaient fracassés violemment. Cette impression insidieuse de valoir peut-être vaguement mieux qu’il l’avait toujours cru n’avait pas mis longtemps à disparaître également. Il avait été tellement stupide ! À quel moment il avait vraiment pu croire qu’elle l’appréciait rien qu’un peu ?! Comment avait-il pu imaginer qu’une fille comme Bluebell Sherwin, une de ces gamines pourries gâtées qui devait sûrement vivre dans une belle petite cage dorée, pouvait avoir envie de perdre son temps avec un bouseux comme lui ? Sa gorge se noua douloureusement et ce fut plus douloureusement encore qu’il se détourna de celle qui avait endossé à la perfection le rôle de cavalière. Il n’avait même pas envie de retrouver Mallory, elle lui dirait très certainement qu’elle l’avait prévenu… ce qui était vrai… Mais le destin décida à sa place de la suite de sa soirée : la musique s’arrêta, un cri s’éleva, quelques mots qui lui firent froid dans le dos puis le brouillard…

Il fallut plusieurs secondes à Cameron pour s’extraire de sa torpeur lourde de mauvais souvenirs. Les cris emplissaient déjà la pièce, les pleurs des plus jeunes. Tant pis pour les leçons de morale, il fallait retrouver sa soeur ! Son coeur battait la chamade alors qu’il tentait maladroitement de se rapprocher au mieux de l’endroit où il l’avait aperçue la dernière fois. Les gens se pressaient, se bousculaient. Il n’eut même pas le temps de faire trois mètres qu’on lui rentra brusquement dedans. L’adolescent perdit l’équilibre, la foule qui s’agitait sans cesse n’arrangeait rien, et se rattrapa tant bien que mal au buffet derrière lui. Sa main eut le malheur de se poser sur l’un des plateaux qui avait un jour contenu des petits fours désormais réchauffé par le feu qui commençait à se propager sur la table. La brûlure fut immédiate, la douleur insupportable. Le cri étouffé qui lui échappa bien malgré lui mourut dans le brouhaha ambiant tandis qu’il reculait en titubant. Cette soirée était une catastrophe et comme si ça ne suffisait pas, il n’y avait aucune trace de Mallory. Il avait beau essayé de l’appeler, rien n’y faisait. Où qu’elle soit, elle était trop loin pour l’entendre. La panique redoubla de plus belle. Il était décidément trop con ! Et s’il lui arrivait quelque chose, hein ?! C’était à cause de lui qu’ils n’étaient pas ensemble, une fois de plus, alors que le pire était en train de se produire ! Les élancements qui prenaient vie dans sa paume, bien loin de la douceur des doigts de sa cavalière, lui donnaient la nausée. Rien n’allait. Absolument rien ! Il fallait retrouver sa jumelle et se tirer d’ici. N’importe comment. Le reste n’avait aucune importance. Mallory. Juste Mallory. Mais celle qui lui rentra dedans alors qu’il tentait désespérément de s’éloigner n’était pas sa moitié… non… c’était seulement Sherwin. En voyant sa main s’avancer vers lui, il eut le réflexe idiot de reculer. Elle se prenait pour qui, hein ?! Elle pouvait se foutre ouvertement de sa gueule quand ça lui chantait et revenir tranquillement juste après ?! C’était mort ! Mais d’un autre côté… elle avait l’air mal. Toute la superbe qu’il lui connaissait d’ordinaire s’était fait la malle et elle ne ressemblait à rien d’autre qu’un animal fragile pris dans un piège. Comme eux tous… Paye tes premiers pas dans le monde moldu ! Il se détesta de la peine qu’elle lui inspira et plus encore de laisser sa main se poser sur son épaule. Elle aurait dû se démerder, cette garce ! Mais il était bien incapable de s’abaisser à ça…

— Ça va ?! T’as pas été blessée ?!

Il aurait donné cher pour faire taire l’inquiétude sincère qui perçait dans sa voix. Elle n’était personne, cette fille, mais il ne lui souhaitait aucun mal. Et même après un énième coup de poignard, il voulait juste qu’elle aille se mettre à l’abri. Mais quel abruti fini !

— Il faut… Il faut… Pa-partir.
— Pas sans ma soeur !

Mais elle pouvait être n’importe où… Peut-être même qu’elle était déjà partie à la recherche d’une sortie potable…? Et Bluebell n’avait pas l’air assez bien pour se permettre de faire le tour de la pièce pour courir après peut-être du vent. Son coeur se serra. Réfléchis, sombre crétin ! Dans les deux cas, les choix qui s’offraient à lui ne lui plaisaient pas. Soit il abandonnait la Serpentard à son triste sort pour partir à la recherche de Mallory. Soit il priait pour que Mallory soit hors de danger le temps d’essayer de mettre Bluebell à l’abri… Il fallait sûrement pallier au plus pressé et, à cet instant précis, le plus pressé c’était sa cavalière. Il finit par hocher la tête et posa machinalement sa main indemne sur celle qu’elle avait abandonnée sur son épaule.

— Ok… Ok. On va partir.

Mais il ne fallait pas espérer faire de miracle malgré tout… Il ne voyait rien, l’air était de plus en plus irrespirable et il lui semblait qu’ils étaient pris dans une marée humaine gesticulante qui risquait de les faire tomber et de les piétiner au moindre pas de travers.

— Eh… Bluebell ? Ça va aller… d’accord…?

Sur quoi il suivit un groupe de moldus (il le supposait tout du moins) qui passa près d’eux dans l’espoir stupide qu’ils avaient ne serait-ce qu’une vague idée de là où ils allaient. Il fallait trouver la sortie. Il voulait tenir cette espèce de promesse douteuse et que tout aille bien. Quand elle serait hors de danger, il repartirait à la recherche de sa soeur. Et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes… S’il y avait un semblant de justice, c’était comme ça que ça se passerait…