Il semblait à Dmitri qu’il s’était déroulé plusieurs années depuis la première épreuve des olympiades. Comme beaucoup, sans doute, il avait eu d’autres chats à fouetter, d’autres pensées parasites qui avaient chassées de son esprit l’existence de cette compétition. Puis elle était revenue sur le tapis, réveillant quelques souvenirs douloureux chez lui ; peu à peu, il avait eu le temps de faire le deuil de son aïeul, mais en se retrouvant devant les tableaux de l’épreuve, son souvenir lui était revenu. Il lui avait parlé de l’épreuve, de ces quelques toiles qu’il avait daigné fournir pour l’organisation et de ces négociations qu’il avait eu avec les peintures elles-mêmes. Comme chaque fois qu’il était question de ces choses-là, le Tchèque avait été émerveillé et impatient. Aujourd’hui, il avait l’impression de se retrouver face à l’un des derniers héritages d’Alexander, une ultime trace qu’il avait laissée peu avant son décès. Sans doute qu’être privé de ses effets de peinture le rendait plus mélancolique face à cette épreuve ; il n’était plus vraiment question des olympiades et d’une quelconque compétition, mais d’un dialogue entre les tableaux et lui. Les élèves autour de lui n’avaient aucun intérêt : ils n’y comprenaient rien, ils ne voyaient pas ce qui se jouait sous leurs yeux. Le discours du présentateur n’avait pas plus d’intérêt : tout ce que voulait l’aiglon était de plonger à l’intérieur de ces tableaux, comme ce disciple à la rechercher des ultimes instructions données par le maître. Lorsque le coup d’envoi fut lancé, il n’hésita donc pas une seule seconde, plongeant dans le tableau qui représentait une porte. Un instant, il se sentit comme absorbé par la toile, une sensation de fraicheur un peu désagréable coulant le long de sa nuque avant que son esprit ne s’habitue à cette étrangeté ; le son était différent ici, plus feutré, et il n’entendait plus le brouhaha des adolescents qui piaffaient devant les tableaux. En bon artiste passionné, il prit du temps pour contempler son nouvel environnement atypique : le décor était étrangement stable, la peinture étonnamment réaliste. Trois autres tableaux l’attendaient, l’invitant à y pénétrer, à s’enfoncer dans ce dédale artistique. Sans un regard en arrière, Dmitri s’avança vers celui où se trouvaient deux jeunes hommes à la chevelure blonde. L’un – le plus âgé – était armé d’une épée en bois, et le second à l’air plus contemplatif, lisait un ouvrage à la reliure d’or.

- Bienvenue dans l'épreuve des tableaux ! Vous êtes sur le bon chemin, l’accueillit le plus vieux alors que le cadet arborait le visage pincé des garnements se retenant de ricaner.

Le Tchèque leva un sourcil sans piper mot, puis se détourna du duo qui lui était déjà désagréable pour s’intéresser aux deux autres tableaux : un instant il fut tenté de poursuivre les deux silhouettes dans l’obscurité, mais la tour aux falaises agréables avait un quelque chose de plus accueillant. Mu par ce désir de garder une certaine cohérence dans les paysages, il poursuivit sa route dans le tableau peint de la même main que le premier. Pendant quelques secondes, il se surprit à observer la plage au loin avec intérêt : il sentait presque le vent de la mer ébouriffer ses cheveux et s’il n’y avait eu l’arrivée du benjamin qu’il avait vu se retenir de rire, sans doute aurait-il pu rester plus longtemps à contempler son environnement.

- Je... Mon frère vous a fait une farce... en fait vous avez pris le mauvais chemin. Vous allez errer un moment par ici. Vous devez chercher Hugo Weasley, c'est son portrait qui doit vous guider. Vous le trouverez en bas des escaliers.

Le nom de Weasley ne lui était pas totalement inconnu mais Dmitri ne s’y intéressa pas, scrutant le garçonnet qui se dandinait comme s’il voulait avouer un impair.

- Bon... qu’est-ce que vous avez, à me regarder comme ça ?

Sans un mot, l’enfant le guida vers un nouveau tableau, l’air de vouloir obtenir du Tchèque une aide. Ce dernier haussa à nouveau un sourcil.

- C’est une blague ?

Manifestement, ça n’en était pas une. Personne dans cette école ne penserait au van Aken pour jouer les entremetteurs : le pauvre était tombé sur la mauvaise personne.

- Hors de question, trouvez-vous un autre pigeon.

Et sans plus un mot, ni un regard en arrière, il prit la direction opposée, rejoignant une autre partie du lac, un tableau où se trouvait un centaure. La créature mi-homme, mi-cheval se tourna vers lui, arc en main et flèche encochée.

- Halt, wer da!

De l’allemand. Même savoir avoir eu le cours de potions avec Bevans, il aurait pu reconnaitre l’idiome. Évidemment, depuis l’enseignement du successeur d’Alexander, Dmitri gardait quelques souvenirs de mots germaniques ; nul besoin toutefois de comprendre ce qu’il disait pour savoir qu’il ne valait mieux pas s’attarder ici. Sans attendre, il fonça vers le tableau qui reposait contre un rocher. Sans crier gare, l’adolescent se retrouva sur une barque avec deux autres personnes assez étranges.

- Euh... bonjour ?

Aucun d’eux ne lui répondit mais celui qui portait un linceul tout autour du visage tourna un instant la tête vers lui. L’eau était agitée, aidant leur esquif à avancer un peu plus vite vers l’île qui n’avait rien de très accueillante. En bougeant un peu pour mieux observer le bout de terre, son pied cogna contre quelque chose de dur, sous le banc. Le pied d’un de ses camarades d’infortune ? Non, trop inerte. Il se pencha, tirant l’objet pour découvrir un nouveau tableau : il était sombre, presqu’inquiétant lui aussi, mais il lui inspirait une plus grande confiance.

- Puisque vous n’êtes pas très loquace, je vous laisse, messieurs.

Sur ces ultimes salutations, il se laissa tomber vers le portrait, non sans avoir brièvement l’impression que l’un des occupants de la barque ne tente de lui attraper le bras. La chute fut courte mais il ne put s’empêcher de ressentir une légère impression de nausée avant que ses pieds ne touchent finalement un sol en marbre dans un bruit étouffé. Devant lui se tenait un homme, un sorcier affairait à la contemplation de feuillets à la lueur d’une bougie. L’arrivée impromptue du serdaigle sembla le surprendre.

- Oh, c'est vrai... le labyrinthe, j'ai donné mon accord pour aiguiller... mais j'ai tellement de travail... tellement de travail et si peu de temps, soupira l’homme en regardant autour de lui. « Profitez bien de vos jeunes années, élève de Poudlard, elles filent comme un été et déjà c'est l'automne, la saison du travail, tant de feuilles mortes autour de  nous. »

Dmitri eut un léger pincement au cœur ; compassion pour cette peinture lasse du quotidien morne de son petit environnement ou culpabilité de n’avoir pu mieux aider son aïeul lorsqu’il en était encore temps... peut-être avait-il déjà trop profité de ses jeunes années, allant jusqu’à se faire retirer le matériel dont il avait besoin pour peindre et remplir la tâche laissée par son grand-oncle.

Ignorant les tribulations de l’adolescent, l’homme continua son petit discours las, lui indiqua la direction à prendre – ou plutôt les personnes à trouver.

- Merci, souffla le Tchèque avant d’emprunter la première porte qu’il trouva dans la pièce, entrant subitement dans une grande salle de bal où pléthore de personnes dansaient une valse.

Changement d’ambiance drastique : il y avait beaucoup de bruit, entre la musique et les pas des convives, et chaque fois qu’il tentait de s’avancer vers un tableau de l’autre côté de la pièce, un couple de danseur menaçait de lui écraser les pieds à passant à côté de lui. Une fois, deux fois, il tenta de passer entre les invités, cherchant à se caler sur les pas de cette valse qu’il connaissait, mais il y avait trop de monde et pas assez de place. Trop petit, trop fin pour imposer sa présence aux autres et se frayer un chemin, il était chaque fois renvoyé à son point de départ. Le fatigue commençait à le gagner, l’atmosphère se faisant plus pesante à chaque tentative. Sa tête tournait plus vite que les danseurs, des étoiles commençaient à apparaître dans son champ de vision, il voyait flou... il sentit arriver le malaise, trouvant juste à temps le refuge du mur pour se laisser glisser contre la paroi et perdre connaissance.

Lancé de dés:

En rouvrant les yeux, le décor avait changé et la musique cessée. À la place, quelques personnes s’affairaient autour de lui ; au loin, il pouvait entendre le râle douloureux d’une personne agonisant sur un lit. Dmitri mit quelques secondes à reprendre ses esprits et comprendre où il était : un hôpital, probablement Sainte-Mangouste puisque tout le monde y parlait anglais, mais à en juger l’accoutrement des sorciers, cela datait un peu. Le Tchèque se redressa et quitta le lit sur lequel il s’était réveillé, faisant quelques pas à la recherche d’un tableau ou d’une sortie : il ne pouvait décemment pas rester dans cette pièce toute la journée.

- Ah non !!

L’exclamation, dans son dos, le fit sursauter. Il se retourna, découvrant un vieil homme, un médicomage à en croire sa tenue, le désignait du doigt d’un air accusateur.

- Je commence à en avoir assez de ces patients réfractaires ! Restez couché, je reviens dans quelques instants pour vous faire une saignée !
- Une saignée ? Mais je n’ai pas besoin de...

L’homme était déjà parti sans écouter sa protestation, ne laissant derrière lui qu’une infirmière souriante mais pas beaucoup plus rassurante.

- Mieux vaut écoutez le Professeur Raoultus, c'est un grand médecin.

Le professeur Raoultus – puisque tel était son nom – était vraisemblablement parti chercher de quoi faire ladite saignée. Peu désireux de servir d’expérience humaine à un tableau –d’ordinaire chez les van Aken, c’était plutôt l’inverse – Dmitri haussa des épaules.

- Je vais très bien, je n’ai pas besoin du professeur Raoultus.

Son regard balaya la pièce : à sa droite, il reconnut le portrait de l’homme occupé qui lisait à la lumière d’une bougie. Il ne serait sûrement pas ravi de le revoir alors qu’il lui avait déjà donné ses instructions. Un peu plus loin, un autre tableau était hissé sur une commode. Il représentait un homme bedonnant, fumant une pipe et tenant une chope de bière dans la main. Il n’en fallut pas plus au Tchèque pour foncer vers lui, alors même que le médicomage revenait déjà vers l’infirmière et lui, vraisemblablement bien décidé à lui ôter le sang de ses veines.

- Sbohem ! lâcha l’adolescent dans sa langue natale à un Raoultus médusé avant de se laisser absorber par la toile.

Dmitri commençait à s’habituer aux changements intempestifs de toiles : il n’avait plus cette désagréable sensation de plonger dans une eau épaisse et froide. Quelque part, c’était comme s’il s’était accoutumé à ce milieu d’huile et de peinture, ne faisant plus qu’un avec lui. Pour le jeune peintre, l’expérience était aussi formidable qu’enrichissante : il commençait à percevoir tout ce qui avait pu lui échapper jusqu’à présent dans les œuvres des van Aken. Alexander savait sûrement déjà tout ça, mais il n’avait pas eu le temps de tout lui apprendre, de tout lui montrer. Il faudrait encore quelques années au garçon pour rattraper ce retard.

- Ça fait plaisir de voir de nouvelles têtes, je vous ai mis le tableau de côté, comme ça vous n'avez pas à le chercher.

L’aiglon scruta l’homme d’un air suspicieux.

- Je n’ai pas le choix avec un deuxième tableau ?
- Non, non. Une seule, ne vous en faites pas, c'est un très beau tableau. Allez-y.

L’Irlandais – il lui avait fallu quelques secondes pour reconnaître cet accent plus chantant que l’anglais traditionnel – lui inspirait une méfiance inexplicable. Il avait à peine regardé le tableau qu’il lui montrait, préférait regarder les atours de celui dans lequel il se trouvait : les moisissures et les plantes envahissantes dans les coins lui rappelait quelque chose. Quelque chose qu’il n’aimait pas, qui ne devrait pas être là. Quelque chose qui provenait d’un tableau enfermé au manoir. NON. Il ne pouvait s’être échappé. Alexander... il avait réparé l’erreur du garçon. Il l’avait emprisonné, le laissant à la merci de Dmitri et de leurs plans à venir. L’occupant de ce portrait avait reposé sa bière, main sur la poche comme s’il s’apprêtait à sortir sa baguette ; plus l’adolescent attendait, plus il lui semblait que l’atmosphère se tendait entre eux. Avec vivacité, il extirpa la sienne de sa poche :

- Je ne vous le redemanderai pas une seconde fois, où est l’autre tableau ?

Sans un mot, l’Irlandais se fendit d’un sourire mauvais. Sans doute pas né de la dernière pluie, il eut le temps de brandir sa baguette juste au moment où le Tchèque scandait un :

- Baneo pictura !

Son sort fusa – il avait été bien entraîné par son grand-oncle – mais percuta celui lancé par la peinture ; les deux rayons de magie éclatèrent dans un mélange lumineux qui aurait été très beau à observer si seulement l’aiglon n’était pas propulsé en arrière par la déflagration, tombant droit dans le tableau mis de côté par son agresseur.

Dés:

FIN ne pas lire si tu ne veux pas te spoiler: