Beaucoup avaient protesté ou à tout le moins soupiré lorsque le professeur Grant leur avait parlé de l’exposé qu’ils allaient devoir faire et Dmitri n’avait guère fait exception à la règle : il n’aimait déjà pas passer du temps sur ses devoirs normaux, mais celui-ci promettait d’être encore pire. Lorsqu’il devait rendre un parchemin, il pouvait le bâcler sans vergogne – excepté ceux du cours de potions, qu’il s’évertuait à toujours rendre impeccable pour ne pas avoir à affronter les sermons de son aïeul – mais un exposé, c’était autre chose. S’il ne voulait pas être ridicule devant toute la classe, il était obligé de travailler.

Il avait beaucoup traîné de la patte avant de s’y mettre réellement. Une première fois, il était allé à la bibliothèque dans l’espoir de trouver un sujet convenable, mais l’ennui et la distraction l’avaient vite découragé si bien qu’il avait fini par s’affaler dans un fauteuil avec un roman dans les mains. Ce ne fut que sur le chemin du retour vers sa salle commune qu’il fut frappé par un éclair de génie. Celui-ci portait le nom de Patricia Willibrod-van Aken, la défunte épouse de son grand-oncle qui était venue lui glisser quelques mots. L’aiglon s’était senti bien bête de ne pas y avoir pensé plus tôt : il avait toute une floppée d’ancêtres peints, capables de lui parler d’à peu près tous les sujets magiques, il y en avait forcément qui sauraient lui conseiller un sujet et, mieux encore, lui mâcher une partie du travail de recherche ! La matriarche avait sans doute dû le prendre pour un fou lorsqu’il l’avait joyeusement gratifié d’un « Patricia, je vous adore ! », lui qui n’était d’ordinaire pas connu pour se montrer particulièrement sentimental avec elle. Sitôt dit, il l’avait assailli de questions pour savoir lequel serait en mesure de l’aider dans son exposé.

Le plus compliqué avait été de faire un choix : les candidats peints s’étaient presque bousculés au portillon, sans doute parce qu’ils devaient un peu s’ennuyer dans le manoir. Depuis son arrivée en Écosse, il en avait toujours été ainsi : les tableaux étaient incroyablement généreux avec lui lorsqu’il s’agissait de le distraire un peu ou de lui raconter des histoires. C’était sans doute le privilège d’être le premier enfant à fouler le sol de l’île des Hébrides depuis plusieurs décennies. Finalement, il avait choisi pour sujet une histoire racontée par un tableau auquel Dmitri n’avait jamais prêté attention au manoir : il s’agissait du portrait d’un sorcier manifestement très âgé et plutôt discret, parlant d’une voix faiblarde et hésitante. Il n’était pas le meilleur conteur, mais il était le seul à lui proposer un lieu que le garçon connaissait déjà de nom : le château de Hruboskalsko. Kristyna et Miroslav, les aînés de fratrie, l’avaient contemplé alors que lui-même était trop jeune pour quitter la demeure familiale, à Prague. Là où les moldus ne voyaient qu’un amas de formations rocheuses certes très belles, les sorciers voyaient la réalité : un grand château abandonné qui ne tenait encore que grâce à la magie qui l’empreignait. Le sujet devenait d’un coup plus intéressant, passionnant même, d’autant qu’il touchait à un talent bien particulier de l’enfant. Celui de fourchelang.

Kathleen et un élève de première année – dont il avait complètement oublié le nom – passèrent avant lui, dans la plus grande indifférence du serdaigle. Il n’écouta que d’une oreille l’exposé de la poufsouffle, relativement peu intéressé par la forêt dont elle parlait... et globalement assez peu préoccupé par les exposés de ses camarades. Lorsque ce fut finalement à son tour, il s’avança, un parchemin dans les mains. « J’ai choisi de parler du château de Hruboskalsko » commença-t-il d’une voix un peu hésitante. « Il est situé à Cesky raj... c’est au Nord-Est de Prague. » Peu habitué à mélanger les sonorités tchèques à l’anglais, il devait fournir un effort particulier pour ne pas confondre les deux idiomes, forçant quelques hésitations et pauses dès le début de son exposé. « Sa première particularité est que les moldus ne le voient pas. En fait, ils ne voient que des pics rocheux qui ressemblent à des tours. Le sorcier qui vivait là-bas l’avait ensorcelé pour que les moldus ne le voient pas... mais avec le temps, le sort a commencé à faiblir et à laisser apparaître quelques formes dans la roche. » L’aiglon baissa les yeux sur son parchemin où ses notes s’étaient accumulées autour d’une représentation du château qu’il avait faite lui-même. Il avait commis l’erreur de tout écrire en tchèque, aussi chaque fois qu’il voulait retrouver une information, il était forcé de la traduire préalablement. Quel idiot ! « Le château a été érigé par Philippus von Hohenheim. Il y a passé quelques années pour y faire des expériences, principalement alchimiques. Il testait ses expériences sur des sujets, le plus souvent moldus ou... » Son regard passa de son parchemin, gribouillé de notes, à Thomas. Sans transition, et sans terminer sa phrase, il reprit sur la suite de l’exposé : « Parmi ses ingrédients, il utilisait des cornes de serpent cornu. C’est lors d’une de ses expériences qu’il aurait découvert le don de fourchelang. » Philippus, ou Paracelse, avait été un sorcier suffisamment illustre pour bénéficier d’une carte de chocogrenouille, mais sur laquelle l’on avait préféré taire certains détails des passages les plus obscures de sa vie. « La légende raconte qu’il a découvert des propriétés magiques au langage des serpents et qu’il a cherché à l’apprendre. Il n’a jamais réussi puisque le fourchelang ne s’apprend pas... mais on raconte qu’il aurait réussi à inoculer ce savoir dans le patrimoine magique d’une sorcière et que c’est ainsi que ses enfants sont devenus fourchelang. » Les Britanniques aimaient à raconter que ces derniers étaient les descendants de Salazar Serpentard, oubliant qu’il n’était pas le premier fourchelang : en fait, le don n’était même pas apparu initialement en Grande-Bretagne.

Dmitri fit une courte pause, regardant à nouveau son parchemin. « J’ai... fait une représentation du château. » D’un reste un peu hésitant, il tourna ses notes, montrant à toute la classe le dessin qu’il avait lui-même reproduit d’après une photo que sa grand-mère lui avait envoyé. La bâtisse n’était guère commune : il s’agissait d’un agrégat de tours, reliées entre elles par des parcelles semblables à d’immenses serpents de pierre. « Les visites du château sont interdites et des aurors le protègent depuis la disparition de plusieurs sorciers. L’intérieur des tours est changeant, un peu comme les escaliers de Poudlard. Des indications sont gravées dans la pierre, mais seuls des fourchelangs peuvent les comprendre... on raconte qu’à la fin de la première guerre sorcière, des mangemorts s’y sont réfugiés. On ne les a jamais retrouvés, mais ils n’en sont a priori jamais ressortis. » Au moins Arthus van Aken avait-il eu le bon goût de ne pas faire partie de ceux-là... quoique son séjour à Azkaban n’avait guère dû être plus enviable qu’une disparition dans une vieille bâtisse de fourchelang. « Certaines informations m’ont été racontées par un ancêtre qui a connu von Hohenheim quelques années avant sa mort » expliqua-t-il le plus naturellement du monde, sans juger utile de préciser comment il avait bien pu écouter les dires d’un aïeul mort plusieurs siècles avant sa naissance. « Les autres viennent de ma grand-mère et d’un livre qu’elle m’a conseillé. » Jadis guérisseuse, avant d’être la mère de sept enfants, elle avait été plus que ravie de transmettre à son plus jeune petit-fils quelques-unes des vieilles légendes tchèques que les sorciers racontaient autour de pouvoirs comme celui-ci. « Et euh... » Il n’avait su restituer à l’oral ce qu’il avait noté comme il l’espérait : c’était plus décousu et il allait dans tous les sens, mélangeant les différents éléments demandés par l’enseignante d’une manière un peu hasardeuse, si bien qu’il ne savait plus comment conclure, ni même s’il avait réellement terminé. Il se souvenait au moins d’une dernière chose à préciser, sans doute parce qu’elle était l’une des parties les plus complexes : pourquoi avait-il choisi ce lieu ? Sur son parchemin, il avait prévu de l’expliquer en préambule, mais il était pratiquement certain d’avoir oublié de le faire. Tant pis, mieux valait tard que jamais. « J’ai choisi de parler de ce château parce qu’il n’est pas très loin de là où j’ai grandi, et parce que...  Ça raconte l’histoire de certaines familles tchèques. On dit souvent que les plus anciennes sont issues de la lignée de fourchelangs créés par von Hohenheim. » Cette fois-ci, il était pratiquement sûr de tout avoir dit.

Thomas a toujours détesté les exposés. Déjà dans son ancien collège, ce n’était pas bien brillant, mais l’idée de prendre la parole devant tout le monde dans un collège de petits sorciers l’inquiète plus encore qu’avant. C’est-à-dire que malgré toute sa bonne volonté – pas si bonne que ça étant donné le peu d’entrain qu’il met à ses devoirs – le cracmol a toujours un peu l’impression de parler d’un sujet qui ne le concerne pas vraiment.
A part en botanique et en cours de soins aux créatures magiques, son incapacité à faire de la magie rend ce monde à la fois proche et lointain. Il a l’impression que quelqu’un va finir par se lever et dire « non mais c’est n’importe quoi », et la prof le regarder d’un air désolé, « navré Thomas mais vous êtes à côté de la plaque, retourner vous asseoir » et de fil en aiguille « je ne sais pas si vous laisser venir dans cette école était une si bonne idée que cela » et puis « peut-être aviez-vous d’avantage votre place au collège Conan Doyle de Glasgow, finalement ».

Il secoue la tête. Non c'est idiot. Ça ne va pas se passer comme ça ! Mais l’idée de présenter devant tout le monde lui donne toujours des idées étranges. En généra Thomas préfère poser ses questions à la dérobée, ou ne pas les poser du tout.

Pas facile de faire un exposé sans ordinateur. Wikipédia lui manque, il faut aller chercher des livres dans les rayonnages de la bibliothèque. Evidement, ceux sur les maisons hantées ont déjà été empruntés. Il faut dire qu’il s’y est pris tard, ça fait un moment que miss Grant a donné le devoir, et il s’y prend à la dernière minute…

Thomas est face à un double problème. D’une part, il est un peu glandeur, d’autre part, il n’a pas le droit à l’erreur. Parce que si un de ses camarades se plante, on dira « ça arrive » mais si lui échoue, alors ce n’est pas n’importe qui qui échoue et là, là, dans le silence des bureaux de l’administration, dans les pensées de Fergal Armitage, dans le bulletin de note qu’il reçoit à la fin de chaque semestre, dans les recommandations de miss Grant, alors là, pourrait commencer la petite musique. « Et si Thomas Chastel n’avait pas sa place parmi nous ? »
Il faut que Thomas se mette au boulot ! Manque de bol, on l’a dit, il est un peu glandeur…

Pas de livre, donc, il a bien envisagé de parler de la cabane hurlante, mais est-ce que cela fait partie de Poudlard ou pas ? Techniquement non… mais comme il s’y prenait à la dernière minute, il n’avait plus le temps de demander.

Alala, ça ne l’arrangeait pas cette affaire !! Il va donc falloir improviser quelque chose…

C’est non sans une boule de traque au ventre qu’il se présenta le jour J en classe, soulagé au moins de ne pas passer le premier, mais sachant également qu’il n’échapperait pas au tableau. C’était quand même un peu la honte d’être angoissé pour ça, alors pourtant qu’il faisait partie des plus âgés de classe.

Quand son nom fut prononcé, le cœur de Thomas manqua un battement. Il hocha la tête et, comme on va à l’échafaud, se dirigea vers le devant de la classe, tout en faisant bien attention de ne croiser le regard de personne, et surtout pas de Mme. Grant.

Dmitri venait de réaliser un exposé particulièrement détaillé situé en République Tchèque, son sujet à lui n’était clairement pas à la hauteur… Thomas s’accrocha à son papier, puis ce fut comme faire un saut dans le vide.

- Pour cet exposé, j’ai décidé de parler des greniers.

Il prit le temps de jeter un coup d’œil à la classe.

- Pourquoi les greniers me direz-vous ? Avez-vous remarqué que ce sont souvent dans les greniers qu’on voit apparaître des créatures magiques malfaisantes ? Epouvantard, doxy, babadook, loirs du soir, etc. etc. j’en passe et des meilleurs. Alors pourquoi les greniers ?

Franchement il n’en menait pas large.

- J’ai décidé de parler des greniers parce que beaucoup de gens en ont un. C’est un peu un lieu magique accessible à tous. Les greniers ne sont pas vraiment magiques, mais bizarrement ils attirent certains animaux et parfois dangereux. Ce n’est pas pour rien que les moldus en ont peur.

Il espérait arracher quelques rires mais il n’y eut qu’un long silence.

- Les greniers servent à ranger des vieilles choses, ils sont associés aux souvenirs et à la mélancolie. C’est aussi des lieux poussiéreux, mal éclairés et souvent en bazar. Un environnement parfait pour accueillir des visiteurs inattendus !

Allez… encore quelques lignes…

- Chargé d’émotions, sombres et inquiétants, il est normal que des manifestations magiques s’y produisent, en effet comme le disait Iliatius Morticus, le célèbre auror, le plus effrayant se situe souvent dans le banal.

Merci la citation dégotté à la dernière minute. Thomas replia son papier et serra les dents. Allez, ça ne s’était pas passé si mal que ça, non ?

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➤ 1 ; 2 = par miracle, il parvient à compenser son manque de préparation avec de l'enthousiasme
3 ; 4 ; 5  6 = quand t'as pas bossé, il y a pas de miracle
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