Droite comme un i, Casey s’observait dans l’immense miroir mural qui ornait l’un des salons du Manoir, tandis que ses ongles parfaitement vernis d’un bleu nuit profond jouaient nerveusement avec les pendentifs qu’elle portait de manière absolue autour de son cou. C’était indéniable : elle se trouvait belle, vêtue de cette robe couleur brume qui n’était pas sans lui rappeler celle qu’arborait la neige lors des premières lueurs d’une nuit hivernale. Ses cheveux lui tombaient naturellement dans le dos tandis que ses oreilles brillaient de boucles en pierrerie qu’on avait tenu à ce qu’elle porte. Oui, l’image reflétée lui plaisait. Mais la désagréable impression de n’être qu’une poupée que son géniteur souhaitait exhiber ce soir lui laissait un amer goût en bouche. Elle était parfaitement au courant que les vieilles traditions avaient encore cours chez la société aristocratique sorcière. Une part d’elle-même enrageait donc à l’idée que son très détestable père ne cherche qu’à faire parader une potentielle union ce soir. Si cela n’avait tenu qu’à elle, jamais la jeune femme n’aurait honoré cette invitation. Cependant, à peine avait-elle reçu le mot de Finnbjörn et cherchait-elle un moyen poli de décliner qu’elle recevait une missive portée par un volatile désormais reconnaissable entre mille à ses yeux. Une lettre qui annonçait sans détour que les Pumpkin, sans exception, feraient honneur à leur nom en se présentant chez les Sørensen pour leur bal de Noël. Impossible de se dérober. Son géniteur y avait vu là la parfaite occasion pour elle de revêtir la robe qu’il lui avait offerte l’année passée : le bleu hivernal était rehaussé de broderies en argent s’accordant parfaitement avec le thème de la soirée. Casey se sentait prise au piège : elle aurait choisi n’importe quel chemin lui permettant de fuir. Dans son malheur, au moins pouvait-elle compter sur un allié inespéré.

Luca pénétra le salon dans son dos et leurs regards désabusés se croisèrent dans la glace. Il était élégant dans son costume sur-mesure, assurément feraient-ils une belle représentation de la lignée Pumpkin. Tu serais presque élégant ce soir fit-elle en guise de salutation. Son ton acerbe ne faisait pas illusion : elle était contente de pouvoir compter sur son demi-frère ce soir. Car assurément était-il aussi heureux qu’elle de se retrouver là-bas. Sur ces entrefaites, le commanditaire de toute cette mascarade daigna se montrer à son tour. Il semblait ravi du tableau qui se dessinait sous ses yeux, quand bien même Casey soutint son regard avec morgue et hostilité. Ils s’avancèrent vers la cheminée, bien étrange trio qui apparut quelques secondes plus tard dans un tout autre lieu. Les festivités commençaient.

Guidés par leur père, Luca et Casey le suivirent de longues minutes durant tandis qu’il saluait plusieurs de ses connaissances sans manquer de présenter sa progéniture. La jeune femme serra les dents tout le long de ce douloureux et pitoyable spectacle, ne bronchant guère sous les compliments hypocrites de ceux qui avaient sûrement beaucoup en commun avec son propre géniteur. Elle n’était pas dans son milieu naturel, mais son air polaire impassible maintenait les apparences. Au fond, elle était, à ce niveau-là, une parfaite Pumpkin. Peut-être que sa génétique la dotait de qualités nécessaires pour jouer la comédie dans une soirée pareille. Elle croisa le regard de Finnbjörn, qu’elle salua en silence et sans chercher à l’approcher. Lui aussi semblait pris par les mondanités. Luca et Casey furent finalement libres de s’écarte du centre de la pièce lorsque Père trouva la silhouette de Grand-Père et les autorisa à vaquer de leur côté d’un simple regard. Et c’est toujours ainsi ? interrogea Casey dès qu’ils furent seuls, passant un regard impénétrable sur l’assemblée qui se trouvait ici. Le seul avantage qu’elle commençait à entrevoir dans toutes ces simagrées était la potentielle présence d’une personne travaillant pour le Département du Mystère. Si une telle personne était invitée et lui était présentée… Mais pour l’instant, elle suivit Luca jusqu’au bar. Majeur et enclin à faire ce que bon lui semblait, c’est de deux verres dont il s’empara, conservant le premier pour tendre le second à la Serdaigle. Cet hydromel de mûre, sucré et délicat, était un réel plaisir, et elle remercia son demi-frère d’un geste. J’ai hâte que cette soirée soit terminée. Elle avait un mauvais pressentiment dont elle n’arrivait pas à se défaire.

Le patriarche de la dynastie Sørensen annonça le début du dîner. Casey n’aimait toujours pas ce que dégageait cet homme, son impression première était restée inchangée depuis le séjour de lui-même et sa famille au manoir des Pumpkin. Mais elle suivit docilement ses indications, accompagnée de Luca. Ils trouvèrent leur table mais Casey déchanta bien vite en trouvant son nom entouré de celui de deux illustres inconnus. Luca était heureusement à la même table, mais quelques places plus loin. Ils se regardèrent, partagèrent plus qu’un coup d’oeil mais sans avoir besoin de prononcer le moindre mot, et Luca l’abandonna pour repartir en direction du bar. Elle n’avait pas besoin d’être Legilimens pour se douter qu’il allait quérir un alcool plus fort que de l’hydromel afin de s’armer de suffisamment de patience pour ne pas s’attirer si tôt les foudres du paternel. Casey se retrouva donc seul, à contempler d’un air sombre la table où elle allait devoir s’installer. Ses yeux croisèrent sans les chercher ceux d’une autre fille, légèrement plus jeune qu’elle-même. Une étudiante à Poudlard ? Impossible à dire, son visage ne lui disait rien. Pourtant, elle s’avança dans sa direction et la salua comme si elle la reconnaissait. Une nouvelle fois - cela devenait bien trop récurrent - la jeune femme s’interrogea : avait-elle oublié de passés liens avec cette fille ? Mais cette dernière la rassura rapidement sur ce point en cherchant la confirmation de son identité. Bonsoir répondit-elle, Je n’ai pas la chance de pouvoir connaître ton nom ? La question implicite lui permettrait de mettre un prénom et un nom sur ce visage qui affichait un air presque amusé. Son interlocutrice leva alors son verre, contre lequel Casey fit doucement rebondir le sien, avant de prendre une gorgée d’hydromel. Décidément, il lui en faudrait plus pour tenir cette soirée dans son entièreté. Je n’imagine pas les Sørensen faire les choses par hasard mais je ne vois cependant aucune logique dans cette incongrue disposition surenchérit-elle, approuvant les dires premiers de sa camarade.

Laissant son regard dériver quelques secondes, elle nota que Luca était revenu et s’était déjà installé à sa place. Elle reconnu Alexis, une Gryffondor qui avait été à la rencontre organisée par cet abruti de Serpentard, ainsi que Finnbjörn, son frère aîné, le reste de la fratrie dans sa totalité d’ailleurs. Le regard que lança Alexis à son demi-frère lui fit lever les yeux au ciel. Pitié, elle n’avait aucune envie de voir qui que ce soit roucouler avec Luca sous ses yeux. Bien que l’idée d’irriter leur géniteur, d’une quelconque manière, soit tentante.

Cette journée était mortelle. Et par mortelle j’entendais fantastique : fantastiquement assommante. L'appartement londonien grouillait d’agitation. Et je ne pouvais même pas en profiter pour m’amuser un petit peu. Grand-Père avait disparu, certainement enfermé dans son bureau à régler les derniers détails de la soirée, tandis que Grand-Mère parcourait les lieux et donnait ses ordres, implacables. Judith était introuvable. et Hannibal devait probablement être face à son miroir à réciter ses plus belles éloges histoire de se mettre invités les plus intéressants dans la poche. J’étais restée avec Finnbjörn un certain temps, jouant avec ma baguette pendant que lui s’entraînait aux sortilèges. Le canapé qui me faisait face fit les frais de mon ennui et de ma frustration : tailladé dans tous les sens, il ne représenta bientôt plus aucun intérêt. Entrrraînons-nous, Finnbjörrrn ! lui demandai-je, cherchant un nouvel amusement. Depuis qu’il avait perdu la mémoire, il refusait catégoriquement de m’affronter, ce que je trouvais parfaitement injustifié et vexant. Il ne dérogea pas à sa règle, déclinant ma requête pour continuer à lancer de pathétiques sortilèges dans son coin. Evanesco ! lançai-je avec humeur, faisant disparaître le vase sur lequel il s’entraînait, avant de quitter définitivement cet ennuyant salon. J’avais erré dans divers recoins de l’appartement, cherchant comment me divertir sans subir les foudres de mes aïeuls, jusqu’à ce que Grand-Mère apparaisse, une cape à la main, flanquée de Mère. Que dirais-tu d’aller faire quelques emplettes. Sa suggestion était un ordre, je ne m’y méprenais pas, mais je mis quand même de bien longues secondes pour enfiler afin que tout le monde soit bien conscient que cela m’emmerdait profondément. Décidée à ne pas subir cette punition sans aucune contrepartie, j’en profitais abondamment. Je souhaitais justement m’acheter un accessoirrre pour le bal improvisai-je, sans baisser les yeux face au regard malin de Grand-Mère qui n’était pas dupe de ma manoeuvre. Nous passâmes quelques heures à déambuler jusqu’à ce que mon regard, attiré par la devanture d’une boutique, se fixe sur un objet assurément magnifique. Le diadème était resplendissant, brillait de mille feux, et serait du plus bel effet sur moi : je rappellerai ainsi à certains des invités leur place réelle. J’étais certaine que tout le monde trouverait ça de très bon goût. Ou peut-être pas, mais c’était justement là tout l’intérêt. Avec un grand sourire, je me tournai vers Mère, et lui désignait l’objet du doigt. Tout l’argent accordé par Grand-Mère allait y passer et j’en tirais une grande joie.

Vint le temps de se préparer. J’étais loin d’apprécier ces mondanités autant que mes frères, mais j’y trouvais certains avantages malgré tout. Il était essentiel que personne n’oublie la majesté et la supériorité de notre famille : ces soirées étaient un parfait moyen de rappeler ce fait intangible à chacun des invités. De même, Grand-Père n’invitait que sorciers à la hauteur de notre dynastique : ceux-ci devaient pouvoir nous apporter quelque chose. Ils se sentaient flattés d’être conviés - et à juste titre - mais qui comprennaient réellement que tout cela ne servait que nos uniques intérêts ? J’espérais avoir la chance d’échanger avec la partie intéressante de cette élite. Si je pouvais, au passage, faire ravaler à mon jumeau sa suffisance pour m’ignorer à ce point, cela n’en serait que plus bénéfique. J’étais allongée sur mon lit, à contempler ma couronne que je faisais léviter dans les airs et à imaginer de quelle manière je pourrais profiter de cette soirée quand les domestiques frappèrent à ma porte. Après avoir prestement rangé ma couronne dans sa boîte, j’ouvris la porte d’un mouvement de baguette. Elles entrèrent, portant avec elle les paquets renfermant ma robe, mes chaussures et mes bijoux de ce soir. Grand-Mère les précédait, son regard implacable me détaillant avant qu’elle ne me donne ses ordres. Je vais m’occuper de Judith. Quand tu seras prête, descend aussitôt nous retrouver. Ton Grand-Père entend te présenter quelqu’un d’important. Sois irréprochable. Et ne te fais pas désirer. Satisfaite de ce que j’entendais, j’hochais la tête avec un large sourire. Salue ma soeurrr de ma parrrt : j’ai hâte de passer cette soirrrée en sa compagnie fis-je alors qu’elle quittait ma chambre. J’espérais que la tenue de Judith serait à la hauteur de toutes les précédentes : aussi rose et plein de froufrous. Quant à la mienne… Grand-Mère semblait envisager que je n’avais plus dix ans. Ma robe de ce soir était certes simple et élégante mais elle était aussi d’une sagesse monacale. Le bustier était brodé de dentelle, tout comme les manches qui me tombaient en-dessous des épaules. D’un rose pâle, elle me donnait un air angélique qui n’était pas si déplaisant. Pourquoi pas, après tout ? Je déchantai cependant bien vite en apercevant la quantité de tulle que les domestiques sortirent d’un autre carton et qui était supposément censé venir par-dessus la partie que j’avais déjà enfilée. Dehorrrs ordonnai-je, avant de surenchérir en norvégien devant leurs mines déconfites et leurs paroles qui tentaient de me faire comprendre qu’elles obéissaient aux ordres de Madame et que Madame leur avait expressément ordonné de m’habiller : Komme seg ut ! Elles obtempérèrent, apeurées et je me retrouvai seule face à toute cette tulle. Lentement, sans me presser, j’allumais une chandelle de ma baguette, que je fis maladroitement tomber sur le tissu. Je contemplais quelques secondes le feu, qui manqua de s’étouffer sous la lourdeur de l’étoffe, avant de dessiner un trou qui s’agrandissait doucement. Prestement, je saisis un vase, en arrachai les fleurs et avant de vider l’eau pour arrêter le feu. Oups fis-je en contemplant les dégâts. M’installant devant mon immense coiffeuse en bois, je me coiffais de manière à dégager mon visage et à laisser mes boucles savamment arrangées dans mon dos. Je maquillai mes yeux puis mes lèvres, sans trop en faire pour ne pas provoquer une ire plus grande encore chez mes aïeux. Dernière touche à ma tenue, je pris délicatement la couronne achetée plus tôt et la posais sur mon crâne. Resplendissante.


De nombreuses personnes étaient déjà arrivées. Je repérai vite Finnbjörn, entrain d’accueillir tous les invités, un à un, d’un sourire poliment figé. Pour ma part, je n’avais qu’un ordre : retrouver Grand-Père. Ce que je fis avec un sourire de convenance, tâchant d’ignorer la désapprobation qui se lisait dans les yeux de Grand-Mère. Si mon aïeul s’attarda une longue seconde sur le bijou splendide qui ornait le haut de ma tête, il ne fit aucune réflexion. Après tout, la couronne était parfaitement assortie aux boucles d’oreilles que l’on m’avait attribuées pour ce soir. Qu’est-il advenu de la seconde partie de ta tenue ? m’interrogea Grand-Mère tandis que Grand-Père, après m’avoir présenté à son interlocuteur, m’avait fait signe de patienter. Il y avait un trrrou répondis-je avec franchise. L’incompétence des domestiques est chaque fois plus affligeante. Elle ne me croyait évidemment pas, mais l’heure n’était pas à l’esclandre. Ce diadème est tapageur Erin. Nous en reparlerons. Sur ces mots fatalistes de Grand-Mère, Grand-Père m’entraîna à sa suite pour me présenter un certain Tennessee Frey, du département de la police magique. Mon intérêt aussitôt éveillé, je me montrai irréprochable durant toute la durée de notre échange et je savais avoir fait la meilleure des impressions et avoir illustrement porté le nom de ma famille.

L’heure du repas arrivant, je me dirigeai vers la table où nous allions siéger. La vue des personnes qui la partageaient m’arracha un mauvais rictus. Je savais sans avoir besoin de chercher confirmation que mon cher frère avait soufflé ses idées à Grand-Père. Je savais donc à qui m’en prendre en constatant que les Sherwin mangeraient avec nous, tout comme ces indignes Pumpkin ou encore cette Roxy avec qui Finnbjörn semblait entretenir bien trop de liens. Et cette Aster Hérésie… Mon regard s’assombrit encore très nettement quand je constatais que ma place à moi se situait à côté de ma détestable petite soeur. Tandis que Finn, lui, siégeait entre Phoenix et Hannibal. Déposant ma main sur l’épaule de Judith, j'exerçais une légère pression tout en lui accordant quelques mots : Ta rrrobe te va à merrrveille, chèrrre soeurrr. Puis je m’installai, saluant Phoenix avec un franc sourire, et n’ayant pour mon satané jumeau qu’un sombre regard. J’arrivais au beau milieu d’une conversation initiée par Alexis qui s’adressait à Phoenix. Le regard de cette dernière m’arracha un sourire tandis que je lançais un regard perçant à mon jumeau. J’ai dans l’idée qu’une petite sourrris à mis son grrrain de sel dans cette disposition soufflai-je. Mais prrrofitons de cette soirrrée, comment pourrrait-il en êtrrre autrrrement quand nous avons l’occasion d’échanger avec des convives si intérrressants poursuivis-je, à l’intention de mes deux camarades mais également de Finnbjörn, pour que celui-ci n’oublie pas qui avait eu la chance d’échanger avec Frey.

Seule au milieu de cette aristocratie sectaire, Casey ne se sentait guère à sa place. L’enfant battue qu’elle avait été n’avait jamais connu ni le luxe, ni les mondanités telles que celles-ci. Pas avant de voir sa vie chamboulée par l’annonce de sa réelle parenté. Elle faisait bonne figure, consciente que son air impassible, qui avait toujours semblé hautain, n’était que monnaie courante ici et lui permettait de se fondre dans la masse. Mais elle était loin d’être à l’aise. Le petit tour des connaissances de leur géniteur n’avait pas arrangé ce sentiment : se sentir exhibée telle une poupée de cire n’était pas agréable et devoir formuler politesse sur politesse à de parfaits inconnus non plus. Pourtant, la jeune femme n’avait pas fait la moindre vague, se contentant de suivre docilement les Pumpkin en grinçant des dents. Sitôt seule avec Luca, elle ne s’était pas privée de verbaliser son empressement à ce que tout ceci prenne fin. Et elle savait qu’il partageait son point de vue, avant même qu’il ne le formule à son tour. Et maintenant, le passage à table semblait continuer sur cette pente, celle qui la poussait à croire qu’elle ne pourrait pas tenir la soirée entière avec rien de plus fort que de l’hydromel. Oh, elle pouvait déjà entendre la voix contrariée de Brooklyn lui dire qu’elle allait faire n’importe quoi : mais il n’était pas là pour la voir et ce qu’il ignorait ne pourrait pas lui faire de peine. Et puis, Casey avait beau se sentir comme au milieu d’un camp ennemi, elle ne se sentait pas en danger pour autant. Que pouvait-il bien arriver ? Ce n’était pas Poudlard. Et elle avait envie de vomir rien qu’en y pensant, mais jamais leur père ne la laisserait souffrir de quoique ce soit, pas plus qu’il ne laisserait le moindre événement dramatique arriver à son fils. Pas s’il était là pour l’empêcher. La plus grande menace était peut-être finalement ce grand-père, qui était assis aux côtés de son propre fils. Là non plus, rien d’inquiétant pour ce soir. Pas temps que la jeune femme restait gentiment sous la lumière des lustres de cristal.

Prenant une gorgée de la boisson que Luca lui avait servie, elle porta un nouveau regard sur la table, avant de baisser les yeux sur le dossier de ce qui allait être sa chaise. Sa voisine de gauche était déjà entrain de bavarder avec ses autres voisins de table, et c’est une jeune fille dont le nom lui était inconnu qui s’avança vers elle, dédaignant visiblement la place qui lui était attribuée pour venir se présenter. Bluebell Sherwin. Elle saurait s’en souvenir. Ce nom lui était nouvellement familier. Il lui semblait que cette Gryffondor, qui faisait par ailleurs les yeux doux à Luca et avec laquelle elle avait partagé cette réunion bien étrange initiée par un Serpentard en mal de contrôle ou cherchant à combler un égo démesuré, portait le même. Tu es de sa famille ? demanda-t-elle, indiquant du menton celle dont elle parvint à se souvenir le prénom alors qu’elle étudiait son visage : Alexis, cela lui revenait.

Les mots de sa camarade étaient durs, directs et sans fioriture, poussant son regard à briller d’une lueur étonnée. Elle ne s’attendait pas à ce que le moindre de ces enfants élevés dans la pure tradition aristocratique osent clâmer haut et fort de telles sentiments, quand bien même ils se montraient parfaitement avérés. Ton avis sur la question est bien tranché. À l’autre bout de leur tablée, Finnbjörn venait de prendre place, et Erin, qui lui ressemblait d’une façon différente que physiquement, le crâne rehaussé d’une diadème tapageur, s’installait à son tour. Pourtant, même eux ne semblent pas entièrement satisfaits de ce qu’ils sont entrain de vivre nota-t-elle, avec une déconcertante facilité quand on savait qu’elle n’était pas du genre à badiner avec le premier venu. Mais Bluebell, et la flamme qui allumait ses yeux, lui semblait étrangement familière. Et puis, au point où elle en était, pourquoi ne pas chercher à faire passer cette soirée aussi vite que possible ? Cependant je te rejoins : je crois qu’ils savent effectivement très bien ce qu’ils font. Le but de tout cela lui échappait néanmoins, et c’était ce qui créait cette sensation si désagréable, qu’elle tenta de faire passer avec un peu d’hydromel. Elle était encore en pleine contemplation pensive de ce tableau qui se dessinait sous ses yeux quand sa camarade chuchota quelques paroles amères qui lui firent tourner la tête, dans sa direction tout d’abord, avant de suivre le rapide regard qu’elle avait coulé en direction du coin de table opposé. Vaut-il mieux une cheminée qui brûle ou qui reste éteinte et nous laisse mourir de froid ? répondit-elle sur un ton évasif, à peine consciente des mots qui traversaient ses lèvres.

Car elle avait répondu avec un automatisme insoupçonnable. Et c’est alors qu’elle observait Finnbjörn discuter avec sa voisine de table, tout en repensant à son amnésie et le projet en cours qui était le leur, qu’elle considéra cette analogie des cheminées sous un tout autre angle. Si la sienne avait un temps cessé de dégager un feu chaleureux, ça n’était qu’à cause de rancoeur qui l’avait petit à petit étouffé. Mais il y avait tant d’autres manières pour une cheminée de ne plus fonctionner. La perte de mémoire en était une. Casey ne pouvait que comparer à ce qui aurait pu arriver si ses souvenirs, en grande majorité, n’étaient pas revenus à son réveil. Aurait-elle pu continuer de brûler pour Brooklyn ? Ces considérations lui traversèrent l’esprit en quelques secondes tout au plus. Quelques secondes de silence pensif avant qu’un frisson glacial ne lui noue le dos et ne lui fasse planter son regard polaire dans celui de Bluebell, violemment stupéfait. Pendant un fraction de temps, son beau masque d’indifférence s’écroula pour afficher une franche stupéfaction. Mais elle se reprit rapidement, avant que quelqu’un d’autre que son interlocutrice ne s’en aperçoive.

Autour d’elles, tout le monde était assis, les poussant à tirer leur chaise respective pour s’y installer. Casey, prise par le déferlement de pensées qui l’assaillaient, bu la dernière gorgée de son verre avant de le poser machinalement près de son assiette. Était-ce possible ? Était-ce seulement réel ? Si elle se fiait à l’air pantois couplé aux regards insistants de Bluebell, c’était on ne peut plus réel. Une phrase anodine malencontreusement lâchée au cours d’une conversation des plus banales, et voilà que cette soirée prenait un tout autre chemin. Si elle ne montrait pas la moindre émotion, contrairement à sa camarade qui semblait paniquer quelque peu, elle n’était pas des plus sereines. Ainsi, c’était elle, l’intime camarade avec laquelle elle échangeait sur des sujets bien trop personnels, tous les soirs de pleine lune ? Somme toute, il était étrange que la chose ne se soit pas produite avant, mais il était vrai qu’elles avaient toujours mis un point d’honneur à ne pas chercher à découvrir l’identité de l’autre. Tout cela pour ça. Pour un malencontreux incident. Et maintenant, elles avaient pleinement conscience, comme un mur contre lequel elles viendraient de s’écraser, qu’il y avait une personne autour de cette table qui connaissaient leur moindre secret. Comment réagir ? C’était une chose de se confier à une inconnue, c’en était une toute autre de découvrir son identité et d’être découverte en même temps. Car ce n’était pas tant de savoir qu’elle s’était confiée tout ce temps à Bluebell Sherwin qui la paralysait intérieurement, mais que cette dernière connaisse désormais le nom et prénom de celle qui lui racontait ses pensées les plus intimes. Casey aurait pu prendre du recul et tenter de percevoir le bon côté des choses : elles avaient toujours fait preuve de bienveillance et n’avaient aucune raison de se servir maintenant de ce qu’elles savaient de l’autre. Mais toute la raison du monde ne pourrait pas changer cet horrible sensation d’être entièrement à nue devant quelqu’un et de savoir qu’elle pouvait à tout moment décider de lâcher une confidence ou une autre.

L’échange entre ces voisins de droite la tire de ces pensées vicieuses et sans fin. Elle pourrait s’amuser de reconnaître aussi facilement le ton piquant et les phrases chargées de fiel de sa mystérieuse interlocutrice des nuits de pleine lune. Ce serait sans compter cette mise à jour inattendue qui la perturbait tout autant que Bluebell, à la différence près qu’elle se montrait moins expressive dans sa surprise. La brune coula un regard en direction de ce Killian, notant son costume qu’elle jugeait de fort mauvais goût. Ses yeux papillonnèrent alors jusqu’à Luca avant d’être de nouveau attirés par Bluebell, qui quittait sa place. Ses doigts qui se referment autour de son bras étaient la plus désagréable des sensations et Casey, qui n’aimait pas qu’on la touche, n’appréciait pas le moins du monde cette emprise brusque de la part de la Serpentard. Poussant sa chaise en arrière, elle se dégagea d’un mouvement sec et brutal, avant de répondre au regard profondément implicite de sa camarade par une froideur polaire. Qu’elle prenne garde : la jeune femme pouvait concevoir l’état d’agitation dans lequel elle était, mais il y avait des limites à ne pas franchir, et celles-ci étaient bien les dernières marches avant d’y parvenir. Néanmoins, elle se leva, poursuivant dans un geste anodin de quitter sa chaise. Au buffet, elle s’empara simplement d’un verre teinté qu’elle remplit plus que de raison d’un alcool fort à disposition, avant de suivre la silhouette longiligne de Sherwin. Elles avaient effectivement de nombreuses choses intéressantes à partager.

L’ironie de la situation les amena tout droit dans les toilettes proches de la salle de réception. La porte claqua dans le dos de Casey qui fit alors face à une Bluebell Sherwin à la superbe décomposée, bien qu’elle conserva une morgue orgueilleuse. Dans le silence qui suivit cet isolement voulu, la jeune femme ne lâcha pas sa camarade du regard, essayant de percevoir ce qu’il pourrait bien ressortir de cette situation. Sans succès. Cela dépendait de tant de choses. Nous sommes donc en plein dans ce que nous souhaitions éviter. Mise à nue par des confidences passées, elle se protégeait en installant une glaciale distance. Au moment le moins propice pour cela. Si tant est qu’il existait un moment propice. Le verre porté à ses lèvres, elle laissa couler une longue lampée de whisky pur-feu. Elle l’avait bel et bien perçu dès le début : l’hydromel ne serait pas suffisant pour venir à bout de cette soirée. Tendant le bras en direction de son interlocutrice, elle l’invita à boire à son tour : quelque chose lui disait qu’elle n’était pas plus détendue qu’elle. Ce que nous savons toutes les deux, personne d’autre n’a besoin d’en être informé finit-elle par lâcher, abordant de front ce qui leur posait problème à toutes les deux.

Cette réception ne pouvait pas mieux débuter. Du fait d’un malencontreux et tout à fait inopiné accident, la partie de ma robe que je jugeait trop enfantine avait été rayée des festivités. Mon diadème, acheté cet après-midi sous la patronage maternel, était du plus bel effet. Bien entendu, Grand-Mère m’en tenait rigueur, et elle saurait me le faire regretter. Cela étant, je comptais bien adopter une attitude irréprochable afin que nos invités, et particulièrement Tennessee Frey, chantent mes louanges à mes aïeux. De cette façon, je savais que l’ire de Grand-Mère serait suffisamment amoindrie pour que mon châtiment me paraisse négligeable. L’expérience était réellement à la hauteur des éventuelles conséquences.

C’est avec mon sourire des mauvais jours que je m’approche de la table qui sera mienne ce soir. Une déception à la hauteur de l’amusement que je ressentais jusqu’alors me saisit. Non seulement notre tablée pullule d’impurs mais en plus de cela j’étais coincée coincée aux côtés de mon insupportable cadette. Je n’avais pas besoin de poser la moindre question : je savais sans en douter que Finnbjörn avait tiré quelques fils pour agencer le tableau à sa guise. Devais-je imputer sa foireuse logique à son amnésie ou bien sa perte de mémoire n’avait rien à voir avec le fait qu’il se permette d’inviter n’importe qui pour dîner avec nous ? Ses souvenirs disloqués n’avaient joué aucun rôle dans sa décision de me placer à côté de Judith : je le savais pertinnement et cela m’irritait profondément. Mais quand était-il de ces impurs ? La chose me perturbait et je n’aimais pas que cette sensation vienne perturber mon esprit. Ce qui me rendait de fort mauvaise humeur tandis que je m’approchais de ma chaise et posais une main ferme et agressive sur l’épaule de ma tendre petite soeur. Son regard méprisant est incapable d’effacer le sourire cruel que j’adopte dès que je la vois, encore moins que la joie mesquine que les heures qui vont suivre font naître chez moi. Une tiarrre pour moi, des tarrres chez toi me contenté-je de répondre avant de m’asseoir avec un franc sourire que je destinais à Phoenix en pleine discussion avec Alexis.

Mon regard sombre croisa celui de Finnbjörn. Mon très cher frère n’était pas aussi hautain et froidement imperturbable qu’à l’accoutumée. Ainsi donc mon trait avait atteint le coeur de sa cible. Le privilège qui avait été le mien lui restait en travers de la gorge. Tant mieux, ce n’était qu’un juste retour des choses au vu de ce qu’il avait concocté pour cette soirée. Aussi affable que narquoise ma voix s’élève dans un nouveau sourire qui ne cesse de s’étirer bien que mes yeux ne gagnent aucune nuance en luminosité. Mon très cher et tendre frère avait éveillé ma colère il était juste que j’éveille sa rancoeur. Un prrrésent de Grrrand-Mèrrre répondis-je tandis que je m’emparais de mon verre, rempli par l’un des domestiques aussitôt que je m’étais assise. À croire que nos employés étaient plus compétents que certains membres de cette famille. La rrreine de bien des choses, Finnbjörrrn. De cette soirrrée. Des converrrsations mondaines avec des perrrsonnalités fascinantes exagéré-je avec mon éternel sourire. Frey était peut-être un parfait outil pour atteindre l’un de mes buts, il n’était cependant pas ce que j’appellerai une délicieuse rencontre. Mais ça, Finnbjörn n’avait pas besoin de le savoir. Tout ce qu’il devait garder en tête c’était que j’avais eu ce privilège et non pas lui.

Et mon roi faisait son entrée. Accompagné de Grand-Mère, Junior arrive jusqu’à nous et mon sourire se teinte d’une sincère satisfaction. Je l’ai cherché du regard durant les échanges qui ont précédé le dîner mais sans apercevoir ni ses traits, ni ceux de ses parents. Il est de notoriété publique que les d’Archambault n’ont pas fait de la ponctualité leur devise. Mais tout mon bonheur d’enfin retrouver mon meilleur ami et de pouvoir envisager le reste de cette soirée sous les meilleurs auspices est soufflé telle la flamme d’une chandelle en pleine tempête. Finnbjörn se lève, tel le maître de son pitoyable territoire, et lui serre la main avant de lui indiquer que Junior siègera entre lui-même et Phoenix. C’était la pire décision possible - à la fois pour moi mais également pour le Serpentard qui ne pouvait pas se voir la Gryffondor en peinture, et cette bienveillance était mutuelle - preuve que mon jumeau avait perdu le peu de jugeote qu’il lui restait suite à son amnésie. En réalité c’était tout l’inverse, la preuve de son habile fourberie qui ne l’avait jamais quittée, contrairement à ses compétences en magie. Il le faisait sciemment et ça ne m’en rendait que plus excédée. L’orage de mes traits s’assombrit encore lorsque Grand-Mère, qui croise mon regard, me fait silencieusement comprendre de ne pas faire d’esclandre. Bras croisés, je me renverse dans mon siège, mes doigts enroulés autour du verre de cristal que je serre un peu trop fort. Finnbjörn se montre d’une mesquinerie dépassant la mienne ce soir.

Au moment où Junior prenait place, Alexis se leva alors, apostrophant mon frère avec une niaiserie qui me fit lever les yeux au ciel. Il n’avait pas été complètement déraisonnable ce soir, en éloignant les deux fiancés : je n’avais aucune envie de manger en observant leurs roucoulades, cela m’aurait donné la nausée. Judith était parfaitement silencieuse à ma droite, alors que mon meilleur ami entamait une conversation polie avec la sulfureuse Gryffondor. Je tourne un visage amèrement dépité vers l’autre bout de la salle où la vue des impurs invités me donne cette envie de vomir épargnée par l’éloignement fortuit de Alexis et Killian. Où que je pose mon regard, rien ne va, et mon animosité s’en trouve nourrie. Avec un regain d’intérêt je constate que Bluebell se lève brusquement. Elle est d’une pâleur cadavérique et d’ailleurs aussi charmante qu’un Inferi. Franchement, qu’est-ce que mon frère pouvait bien lui trouver ? Je ne sais pas qui est responsable de son humeur mais j’aime la voir aussi déstabilisée. Casey Pumpkin se lève à son tour et je pense à lâcher son impure silhouette des yeux alors qu’elle se dirige vers le buffet, mais je note qu’elle se contente d’attraper un verre pour ensuite prendre la même direction que Sherwin. Tiens donc. Finnbjörrrn l’interpellé-je, un rictus mauvais ourlant mes lèvres, mon ton doucereux contrastant avec la violence qui agitait mes pensées et ne demandait qu’à s’exprimer. Je voudrrrais ton avis. Penses-tu que Bluebell prrréfèrrre Casey Pumpkin à ta compagnie parrrce qu’elle développe un faible pourrr les Serrrdaigle et impurrrs de surrrcrrroit ? Je faisais évidemment référence au bal de Poudlard où elle s’était affichée au bras d’un miséreux et incestueux. Ce qui n’avait pas manqué d’assombrir l’humeur de mon jumeau. Il y avait quelque chose qui ne me plaisait pas entre cette pimbêche et lui, mais je pouvais m’en servir ce soir pour l’irriter un peu plus. Ou alorrrs carrr Casey se montrrre plus douée en magie que cerrrtains ? Le sous-entendu était suffisamment clair pour être compris de ceux qui voudraient y faire attention et faisait directement référence à notre après-midi ou, frustrée, j’étais partie du salon où Finnbjörn s’entraînait à quelques sortilèges. Il avait beau m’avoir garanti qu’il faisait tout pour retrouver ses capacités, c’était trop lent à mon goût. Ou peut-êtrrre fis-je comme si je venais de trouver la clef de ce problème qui n’en était pas un. prrréfèrrre-t-elle simplement les filles. J’affiche un air pensif que vient contraster mon sourire provocant et moqueur.

Mon appétit était peut-être coupé par cette affreuse mascarade mais je n’avais qu’une envie : fuir cette tablée. Constatant que Judith repoussa son siège et s’apprêtait à se lever, j’en fis de même en me tournant vers un elle, un sourire parfaitement fauve accroché aux lèvres. Judith, tu as bien rrraison d’aller cherrrcher de quoi te nourrrirrr, tu es maigrrre à en fairrre peurrr. En réalité, ça m’était assez égal de savoir comment elle se portait, mais c’était après tout une bonne occasion pour se lever. Allons-y fis-je alors que nous étions toutes les deux debout, attrapant mon assiette entre mes doigts, conservant mon verre de l’autre. Le dernier regard que j’ai est pour Junior, coincé entre mon imbécile de frère et Phoenix, avant d’entraîner Judith d’un sourire ferme. Je ne doutais pas un instant que ma cadette ait cherché à fuir ma compagnie et c'était là précisément ce qui rendait ma démarche... férocement jouissive.