Les sourcils excessivement froncés, Septimus se tenait devant l’étendoir à linge de fortune qu’ils avaient installé entre deux épais troncs de palmier. Contrarié, il était occupé à palper les bords d’un trou aux bords noircis dans l’un de ses shorts de bain. Il n’avait absolument aucune idée de la façon dont le tissu avait pu être brûlé ; il aurait pourtant juré quelques secondes plus tôt qu’il était parfaitement intact, tandis qu’il détendait les pinces pour récolter le linge sec. Perplexe, il jeta un regard alentour, mais ne vit ni n’entendit aucun son suspect. Le concierge poussa un soupir et frotta ses yeux cernés de poches violacées avec lassitude. Il était probablement distrait et n’avait pas vu le trou au premier coup d’œil, voilà tout. C’était sans doute un petit accident arrivé durant le lavage : un coup de baguette malheureux de Jaimie ou une seconde d’inattention trop près du feu.

Sans plus s’en soucier, il ramena le panier de linge propre dans la hutte et se chargea de répartir les vêtements sur une couchette ou l’autre. Après tout, la journée avait été longue, rébarbative et son sommeil peu réparateur : un rêve troublant l’avait tiré de son lit pour le chasser vers les bras frais de l’obscurité nocturne, puis il s’était endormi, adossé à un gros arbre noueux qui lui avait scié le dos jusqu’au petit matin. Autant dire qu’il n’avait pas pris un malin plaisir à surveiller les élèves et participer aux corvées pour montrer l’exemple. Qu’est-ce que sa chambre douillette lui manquait… Elle, son silence et sa solitude ; une bulle de sérénité dans un océan aux mouvements capricieux.

Heureusement pour lui, une petite soirée entre adultes était prévue une heure plus tard. Le divertissement rêvé pour s’extraire de ses pensées moroses et du souvenir embarrassant de sa nuit. Une grimace étira cependant ses lèvres en songeant qu’il croiserait probablement le directeur, objet malgré lui du songe qui l’avait arraché à son sommeil. Il ne parviendrait jamais à le regarder dans les yeux ce soir, c’était certain – en temps normal, le sorcier peinait déjà à soutenir les regards, mais là… Ce n’était pas envisageable.

Septimus s’ébroua pour chasser les parasites qui embrumaient son esprit, puis appela doucement l’un des elfes de maison qui encadraient le voyage. Exactement comme à Poudlard, il s’occupait de la coordination de la vie domestique en tandem direct avec les elfes de l’école ; le concierge était donc devenu coutumier de leur contact et connaissait à peu près les noms de tout le monde. Il entretenait de bonnes relations avec eux, qui étaient de bonne compagnie. Il apprit cependant avec surprise que Wenceslas l’avait devancé sur ce coup : on avait déjà missionné la créature magique pour la préparation de leur petite sauterie. Un peu contrarié de se voir dérober une distraction opportune, Septimus dut négocier âprement pour mettre la main à la pâte ; c’est-à-dire que les elfes étaient sacrément durs d’affaire lorsqu’il s’agissait de leur donner le moindre coup de main. Il fallut que l’humain lui assure que c’était dans un but purement égoïste pour que son minuscule interlocuteur l’autorise à lui venir en aide. C’est donc un peu désabusé que le trentenaire rejoignit le lieu prévu pour la soirée, cédant la plus grosse partie du travail à son partenaire envahissant.

Résigné, il s’affala dans la seule chaise dont l’elfe avait daigné lui accorder l’installation – ce qui consistait essentiellement en a) prendre la chaise en plastique apparue magiquement, b) la placer sur le sable. Probablement parce qu’il attisait sa pitié, l’elfe lui fourra un cocktail entre les mains entre deux apparitions. Dans un lourd soupir, il s’appuya contre l’accoudoir et enfonça son poing dans sa joue, alors que ses lèvres attrapaient paresseusement la paille glissée dans le verre évasé. Avec ses lunettes de soleil qui lui glissaient sur le nez et ses mèches grises qui lui tombaient sur les yeux, son regard n’en devenait que plus glacial. Il aurait dû prendre de quoi sculpter un petit quelque chose ; il avait évoqué à Victoire dans sa dernière lettre son envie d’éprouver le bois de palmier, mais il n’avait pas encore tranché s’il se sentait suffisamment suicidaire pour tenter de le tailler sans médicomage à proximité.

D’ailleurs, en parlant de manquer de mourir en sculptant…

La silhouette de Marie-Alice, l’infirmière, se découpa bientôt dans les rayons du soleil mourant. Il la salua en ravalant sa plaisanterie morbide – il était à peu près certain que ça ne se faisait pas, mais il n’était plus si sûr après ce second verre. C’était un verre de quoi, déjà ? Jaimie et le professeur Grant les rejoignirent quelque temps plus tard, puis leur joyeux petit groupe fut presque au complet lorsque la voix de Wenceslas lança un « Messieurs-dames » nonchalant et enfumé. Septimus accueillit son arrivée en levant son verre, ce qui lui épargna de répliquer sur le ton acerbe qui couvait dans le marasme de son humeur maussade. Enfin, il ne manquait que le tant attendu Fergal Armitage pour couronner sa journée parfaitement exécrable. Il n’avait vraiment aucun souvenir d’une interaction complètement positive avec son supérieur – qui lui faisait malheureusement un peu trop tourner la tête.

— C’est avec plaisir que je vous annonce qu’il n’y a aucune disparition à déplorer chez nos élèves, lança le professeur de sortilèges, tirant un ricanement au concierge (qu’il tenta d’étouffer dans son verre).

Un de plus, un de moins…, songea une petite voix mesquine dans un recoin de sa tête.

L’alcool – qu’il avait bien siroté comme il faut – avait tendance à défaire subtilement les quelques filtres qu’il lui restait ordinairement. Il fallait espérer que son état d’esprit s’améliore, ou il pourrait laisser échapper quelques menues choses qu’il regretterait. Peu de gens avaient eu le déplaisir de rencontrer un Septimus mal luné et désinhibé – et à peu près personne ne souhaitait se trouver sur son chemin à ce moment-là. Oh, il ne s’agissait pas de fatigue ou de mauvaise humeur ; il s’agissait plutôt d’une partie reculée et infecte de sa personnalité, qu’il tenait habituellement en respect avec une bienveillance assez naturelle. C’était un morceau de lui qu’il avait tendance à enfouir loin dans ses cauchemars et dans les bribes de souvenirs de sa crise, une partie qui ne prenait souvent le contrôle que lorsque Septimus le perdait. Une partie qui murmurait des saletés ordurières avec un sourire de chat et se délectait de chaque soupir irrité, de chaque œillade noire, de chaque réplique cassante ; elle distillait son venin, s’infiltrait dans ses veines et l’enivrait d’un pouvoir qu’il avait toujours convoité au fond de lui, oscillant comme une promesse devant ses mains vides et ses lèvres pleines de larmes. Rien qu’un peu de chaos dans l’intérieur très ordonné du doux Septimus, qu’on ne pouvait pas soupçonner avant de l’avoir éprouvé.

Tenant négligemment son verre comme une coupe de vin, à demi affalé sur l’accoudoir de sa chaise, le sorcier posa un regard obscurci – mauvais ? – sur son collègue tout juste arrivé, tandis que ce dernier s’asseyait avec un soulagement évident. Peut-être avait-il passé une sale journée, lui aussi.

— Je suis navré de vous apprendre que notre directeur ne se joindra sûrement pas à nous ce soir, il semblerait qu’il soit encore accaparé par les affaires de Poudlard, annonça Wenceslas, pour le plus grand plaisir du concierge.

L’absence de Fergal éclaira singulièrement le visage de Septimus, qui émit un « Ah ! » rasséréné. Conscient avec quelques secondes de retard que sa réaction pouvait prêter à confusion quant à son opinion sur leur directeur, il lâcha sa paille mordillée pour toussoter :

— Ah, quel dommage…, roucoula-t-il en ourlant les commissures de ses lèvres.

Est-ce que c’est moi ou ça sonne encore pire ? Bah… De toute façon…

De toute façon, tout le monde s’en fichait de lui ou de son avis, non ? Le pauvre petit concierge sans pouvoirs, tout pathétique et bizarre, qu’est-ce qu’on en avait à faire, hein ?

Dans un clignement d’yeux hébété, Septimus chassa cette pensée intrusive en infléchissant légèrement ses sourcils jusqu’ici froncés et passa un doigt sur son front pour masser la zone sensible au-dessus de son nez – dans l’espoir un peu fou que cela apaiserait la colère sourde qui palpitait, dévorante, affamée, cruelle, derrière son crâne. Il n’aurait jamais dû boire dans cet état d’esprit. À présent, il devrait lutter contre cette créature hideuse tapie dans un recoin sombre, prête à lacérer le premier désagrément venu avec une rage disproportionnée. Il la détestait.

L’air soucieux et un peu sonné, il reposa son verre pour se concentrer sur ses collègues et se tourna vers le plus proche d’entre eux, qui se trouvait être Wenceslas.

— Quelle journée… J’ai cru qu’elle n’en finirait jamais. J’espère que la vôtre était meilleure, hasarda-t-il en espérant qu’un peu de solidarité rafraîchirait ses velléités destructrices.

C’est probablement la phase de la lune, mais j’ai envie de tout voir flamber. Ou c’est peut-être juste moi, aha.