Depuis le décès d’Alexander, Dmitri oscillait constamment entre colère et frustration, tristesse et enfin résignation sans jamais parvenir à trouver véritablement une stabilité. Le triple décès de Caleb, Finnbjörn et Michaela avait été source de choc, mais celui de son grand-oncle était bien différent. Il n’était pourtant pas si jeune et l’aiglon avait eu le temps de voir la mort fondre sur son aïeul, mais il y avait un quelque chose qui la rendait plus rude et difficile à aborder. Le maître des potions avait été son tuteur, un homme qu’il avait autant craint qu’admiré et sans lequel il se sentait plus démuni que jamais ; c’était, au fond, la première fois qu’il se retrouvait comme livré à lui-même et cette solitude nouvelle pesait sur lui avec dureté. Lors du trépas de son cousin et de ses camarades, il avait eu cette impression d’être accompagné par le vieil homme, son ombre et sa présence devenant comme une chappe de protection sur lui mais pour sa mort, il n’y avait personne pour le soutenir. Nul dans sa famille n’avait connu Alexander comme lui ces dernières années, nul ne pouvait comprendre. C’était d’autant plus dur qu’il avait l’impression que pour tout un chacun, la disparition du maître des potions était normale et banale. Comme si, au prétexte qu’il était vieux et fatigué, il n’y avait en fin de compte pas de réelles raisons d’être touché par sa mort. Mais Dmitri, qui avait fini par croire en ce rêve d’immortalité que pourchassaient les van Aken depuis de nombreuses générations, n’entendait pas les choses ainsi. Il accumulait ainsi depuis le début du mois d’octobre frustration et colère, et ne parvenait à s’en débarrasser que par à-coups chaque fois qu’il parvenait à trouver de quoi se défouler. Les propositions de Silas et Jin Kyung s’étaient révélées relativement appropriées, sans doute parmi les meilleures suggestions qui lui aient été faites ; mieux que de manger des chocolats avec le concierge, en tout cas. L’aiglon n’avait d’ailleurs jamais honoré ce rendez-vous, ni pour les friandises ni pour câliner les lapins, quand bien même il avait été réellement touché par la sculpture de bois qu’il lui avait offerte. Autant dire qu’il n’avait guère l’esprit compétitifs, ces derniers temps, mais plutôt la tête à tout ce qui pouvait lui fournir de quoi se défouler. Et la première épreuve des olympiades était une occasion formidable. Il ne cherchait pas spécialement à gagner ; en fait, il s’en moquait éperdument. Il voulait juste déverser ce trop plein d’énergie dans quelque chose, occuper son esprit à une compétition qui lui ferait oublier quelques instants la mort de son aïeul et les tâches que celui-ci lui avait confiées avant son trépas.

Il n’avait guère eu l’occasion de beaucoup se familiariser avec le grand hippogriffe au pelage blanc, une femelle, qui devait lui servir de monture et il dut s’y reprendre plusieurs fois avant de parvenir à obtenir l’agrément de l’animal. La femelle semblait aussi hardie que le garçon, et impatiente de se lancer dans la course, elle le laissa finalement monter sans trop rechigner, rejoignant ainsi la ligne de départ. Désormais pleinement concentré sur son objectif, Dmitri ne prêtait guère plus d’attention à ses camarades et adversaires ; ils n’existaient pas à ses yeux. Seule compte à rebours importait et machinalement, à mesure que les chiffres s’approchaient du grand départ, il se sentit se baisser un peu sur la créature, comme il le faisait sur son balai pour aller plus vite. Lorsque le départ fut sonné, son hippogriffe fila à vive allure dans les airs, décollant en quelques puissants battements d’aile sous les vivats d’un public indistinct mais dont les cris et les acclamations étaient si forts que même porté par la morosité du deuil, l’aiglon se sentit galvanisé. Contre lui, il avait l’impression que l’hippogriffe ressentait un sentiment similaire et alors que l’animal dépassait un adversaire, provocant une salve d’applaudissement dans l’estrade qu’ils venaient de dépasser, la créature se cabra dans les airs pour faire un huit. Le Tchèque se cramponna à la bête, habité par l’énergie du désespoir, les dents serrés en se voyant déjà chuter. Mais contre toute attente, il tint bon et porté par le vent et sa pirouette, la femelle avait gagné en vitesse sur ses adversaires.

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