Dès que le coup d’envoi avait été lancé, Thomas avait suivi le garde-chasse en direction de la tour d’astronomie. C’était là-haut que se trouvait la piste d’arrivée et même si les hippogriffes allaient faire un large détour, la course n’était en théorie pas censée durer plus d’une grosse demi-heure, pour les plus rapides du moins. Derrière eux, l’éleveur restait sur place pour réceptionner les élèves qui, pour une raison ou une autre, aurait été contraints de faire demi-tour.

Ils gravirent les escaliers de l’école quatre à quatre pour rejoindre le balcon supérieur de la tour d’astronomie où, magiquement enchanté, une plate-forme d’atterrissage permettait aux nobles animaux et leurs cavaliers d’atterrir sans heurts et de profiter d’une restauration bien méritée.

Lorsque le garde-chasse poussa la lourde porte du balcon, Thomas fut surpris de découvrir face à eux un nuage orageux et zébré d’éclairs. S’il avait eu vent, sans mauvais jeux de mots, de quelques une des péripéties qui attendaient les participants à la course, l’administration avait jugé préférable de ne pas l’avertir du plus gros des obstacles, pensant sans doute – et à raison – qu’il n’aurait pu se retenir de vendre la mèche. S’occuper des hippogriffes représentait déjà en soit un boulot conséquent, autant laisser les sortilèges météorologiques aux véritables sorciers.

- Ils vont traverser là-dedans ? demanda-t-il interloqué.

Le garde-chasse hocha la tête d’un air mutique, tout en se dirigeant vers le tas de ragondins morts qui devait servir de repas aux animaux.

Thomas mit un moment à détacher son regard de l’épaisse masse de nuage et de pluie qui semblait presque vivante devant lui. De drôles de sentiments le remuaient de l’intérieur, entre fascination, envie et réticences. Sur le principe, rien ne l’aurait empêché de monter sur le dos d’un hippogriffe pour concourir avec les autres, mais le reste des épreuves requérait de la magie et il n’avait pas vraiment osé soulever la question. Après tout, plus que tous les autres élèves il avait été en contact avec les animaux au cours du mois dernier et avait eu plusieurs occasions de les chevaucher, cela suffisait à s’estimer heureux.

Il faudrait certainement attendre encore un peu pour voir les plus rapides arriver et le jeune homme plissa les yeux dans l’espoir d’apercevoir leurs silhouettes au loin, mais rien ne se détachait de l’azure et l’orage grondait toujours.

Il lui avait bien semblé apercevoir un petit point noir suspendu dans le ciel – à cette distance il paraissait immobile – quand le garde-chasse le tira de sa contemplation.

- Thomas vient m’aider.

Le garçon s’exécuta. Une sourde appréhension mêlée d’excitation lui tiraillait le ventre à mesure que les minutes s’écoulaient, suspens de savoir qui serait le ou la première à se poser sur la plate-forme du balcon et remporter la première épreuve, angoisse également de voir comment ses camarades allaient se débrouiller dans l’orage. Certes il serait plus prudent de le contourner, mais Thomas ne doutait pas que les plus téméraires fonceraient dedans pour ne pas s’obliger à un long détour. Le ou la gagnante serait assurément du lot.

Avec un grognement il chargea sur son épaule un plein sac de lotions pour les plumes – les hippogriffes étaient des animaux fiers, ils n’apprécieraient pas de rester longtemps le plumage ébouriffé par la tempête – et le porta jusqu’à son mentor.

- C’est de la meilleure lotion que la notre, hasard-t-il.

Le garde-chasse lui adressa un coup d’œil sombre. « Nous on a le budget de l’éducation nationale, alors t’attends pas à du luxe. »

Le regard de Thomas se laissa de nouveau aspirer vers le ciel. Le point qu’il avait cru deviner une minute plus tôt avait grossi et il lui semblait en deviner deux ou trois supplémentaires sur ses talons. L’un d’entre eux était-il celui d’Azure ? Ou de Murphy ? Ou d’Ha Na ? Beaucoup de noms qu’il espérait bien voir inscrits sur le podium, à la fin, non sans toutefois souhaiter qu’ils traversent la tempête sans danger.

- Je les vois ! s’exclama le garçon !

Il distinguait presque les battements des ailes des animaux, désormais, et leurs silhouettes se déplaçaient distinctement au loin. Aucun n’avait encore atteint l’orage mais ce n’était plus qu’une question de seconde maintenant.

Le garde-chasse consentit à abandonner un instant ses ragondins et vint se placer à ses côtés près de la rambarde, la main en visière.

- C’est qui ? demanda Thomas comme si son mentor avait pu distinguer un visage à cette distance.

Ce-dernier répondit d’un haussement d’épaule. L’homme n’était guère du genre à spéculer, la profession, avait remarqué Thomas, semblait tailler pour des personnalités pragmatiques et peu enclines aux rêvasseries. Tout le contre de l’apprenti, en somme, qui se demandait parfois s’il aurait l’étoffe pour endosser le rôle une fois l’âge venu.
Cette pensée ne l’empêcha pas de d’avantage plisser les yeux. Après avoir semblé hésiter un instant, le premier cavalier venait de s’engager dans l’orage et instantanément disparu à leur regard. Derrière, de plus en plus arrivaient maintenant, découvrant sans doute le dernier obstacle qui se dressait devant eux.