« C'est la dernière fois que je te demande de descendre ! »

Il pouvait bien gueuler, papy, Maëlle était déjà loin. Elle ne risquait pas de venir bouffer sa vieille soupe dégueulasse, alors qu'elle pouvait chopper gratos une part de pizza froide, avec son pote Remi. Elle avait toujours eu horreur de ces repas en « famille », ou le père invitait la grand-mère histoire de la sortir un peu, et demandait à tout le monde de sourire pour la photographie.
Ils avaient tous des gueules de cons, de toute façon. C'était pas un sourire qui pourrait changer ça.

« Pourquoi tu les aimes pas, tes vieux ? », lança Rémi, bien plus pour passer le temps que par réel intérêt. « J'sais pas », qu'elle répondit, pensive, avant de cracher le noyau de son olive.

Et c'était vrai, ça, elle ne savait pas. Gamine, elle avait vite compris qu'ils n'étaient pas fait pour s'entendre. A croire que la génétique à elle seule ne suffit pas à souder une famille. Sa mère, sorcière française incompétente, avait toujours été très conne. Elle alignait rarement plus de trois mots à la suite, et ne savait visiblement pas qu'il y avait une vie en dehors de sa cuisine. Elle avait pas 20 piges qu'elle s'était déjà mariée, se pliant en quatre pour le vieux qu'elle avait réussi à épouser. En fait, sa mère, c'était le stéréotype de la ménagère. Le mélange parfait entre la potiche, la mère et la bonne à tout faire. « Sois belle et tais-toi » lui était tatoué sur la gueule, gueule que Maëlle ne pouvait plus encadrer.

Quant à son père, et bien, les relations n'étaient pas meilleures. Il avait quoi, 65 ans ? Encore de belles années, donc, avant de lui dire Adieu le jour de son enterrement. Lui, c'était le patriarche dans toute sa splendeur ! Sorcier d'une belle lignée pleine de sang-purs qui se la jouent royalistes sans n'avoir jamais rien accompli de leur vie. A part, peut-être, taper sur les sangs-de-bourbe à Poudlard, et se vanter d'avoir plus de fric que le clochard du coin. Maëlle n'aurait pas été surprise de croiser Blackman dans leur soirée mondaine, quelques esclaves moldus tenus en laisse derrière eux. Evidemment, les relations entre la belle-famille et la mère sang-mêlé, ça n'a jamais réellement collé. Heureusement pour lui, le vieux avait déjà assuré sa lignée en faisant des gosses bien comme il faut, avec des femmes bien plus classes que la française. Du coup, pour ce troisième remariage, on lui a bien foutu la paix.

Maëlle, dans tout ça, n'était sans doute que le fruit d'une belle rencontre entre la jeunesse vénale et la vieillesse en quête d'une nouvelle virilité.

Charmant mélange, me direz-vous. Ouais. Bah c'était peut-être pour ça, en fait, qu'elle ne les aimait pas.

«  Et la magie, dans tout ça ? »
T'es relou, Remi. Pose plus de question et contente-toi de bouffer.

La magie, c'est comme le reste : ça foire. Maëlle, elle aurait adoré finir cracmol, juste pour voir la tronche tirée par la grand-mère paternelle. Mais non, elle avait des pouvoirs, la mioche, qui lui valurent d'être envoyée à Poudlard. « Peut-être qu'on en fera quelque chose », avait craché son père, alors qu'elle s'était faite virée de son école primaire. Oui, oui. C'est possible. « On ne met pas le feu à la robe de sa camarade », avait précisé le directeur, avant de se faire grassement payer pour que l'exclusion ne soit que temporaire.

Aujourd'hui, tout le monde se rend bien compte que Poudlard n'a rien changé. Son père désespère de la savoir si médiocre. Sa mère ne comprend toujours pas de quoi on parle et s'affaire à lui trouver un « bon parti ». Ses grand-parents veulent la déshériter et c'est finalement ce dernier argument qui l'a motivée à ne pas complètement foirer son cursus scolaire.
Après tout, après 15 ans à les supporter, elle a bien mérité ne serait-ce qu'un centième de leur fortune. En guise de dédommagement pour l'affront qu'ils font au monde rien qu'en respirant.

Famille française, sang-mêlé du côté de sa mère.
Famille anglaise, sang pur, du côté de son père.

Elle a plusieurs demi-frères et sœurs du côté paternel, qu'elle ne côtoie que très peu parce qu'ils ne viennent pas du même monde : on le lui a fait comprendre très vite. Eux, ils sont l'élite, l'avenir et, surtout, les principaux héritiers. Elle, elle est juste un dérapage mal contrôlé, voire un avortement manqué. Elle a des contacts réguliers avec ses grands-parents, qu'elle méprise autant que le reste de sa famille. Concrètement, elle n'est tolérée que parce qu'elle est la fille de son père,et elle ne les tolère que parce qu'ils sont friqués, et finiront par mourir. Ah, et aussi parce qu'elle n'a nulle part d'autre ou aller. Accessoirement.

Du côté de sa mère, elle ne connait pas sa famille. La France, c'est pas loin. Mais pourquoi donc aller côtoyer les pecnots de Normandie alors que tous les James résident dans leur joli Manoir à quelques kilomètres de là ?

Elle est fille unique, Maëlle, et espère le rester. Avec un peu de chance, son père va clamser avant d'avoir l'occasion de répandre à nouveau ses gènes et d'infliger cette vie à un nouveau gamin.

2022 – 2023

« Maëlle, tu vas rater ton train. »
Ce serait con, hein ?

Agglutinée aux autres élèves, la plus part bien trop excités, Maëlle tirait la gueule sur le siège du dernier wagon. Quelque part, l'idée de quitter sa famille pendant plusieurs mois aurait pu lui arracher un sourire, si l'ambiance autour d'elle n'avait pas été si festive. « Yaay », lâcha-t-elle à un abruti, visiblement né-moldu, qui réalisait avec un peu trop d'entrain que la magie existait.
Et ce fut comme ça tout le long du trajet.

Il fallait l'avouer, l'architecture de l'école était impressionnante et filait presque le vertige rien qu'à la regarder d'en-bas. Mais par habitude, et aussi par confort, Maëlle préféra ne pas se laisser aller à l'enthousiasme. Elle fit de même pour la cérémonie de bienvenue et la répartition. Grand moment, d'ailleurs. Tous les gamins trépignant sur le chaise en attendant que leur nom soit cité, qu'on leur colle un vieux chapeau sur le haut du crâne et qu'on leur dise "enfin" quelle est leur destinée. Comme si ça changeait quelque chose, à part encourager une concurrence malsaine entre des ados déjà pas très à l'aise dans leur peau.
Elle les a tout de même regardé un par un s'agiter au milieu de la pièce, espérant voir un visage déçu par le verdict du vieux bout de cuir. Allez, un petit pétage de câble pour mettre l'ambiance ! Un gosse qui se met à hurler et à se rouler par terre ! Quelque chose, n'importe quoi qui rende ce moment un peu plus unique !
Mais non, ils étaient tous heureux, les cons. Leur vraie nature enfin révélée au monde.
Ben on peut dire qu'elle était impatiente, Maëlle, qu'un couvre-chef lui annonce enfin quelle était sa place sur terre. Depuis le temps qu'elle la cherchait.

Lorsqu'enfin chaque élève avait trouvé une maison sous laquelle s'abriter, James tenta de prendre ses marques, silencieuse. En réalité, cette première année à Poudlard aurait pu marquer un tournant dans sa vision de l'éducation. Elle aurait pu se motiver à faire quelque chose de sa vie, plutôt que de foutre le feu aux vêtements des copains pour faire rager ses vieux. Mais c'était sans compter sur les sociopathes au sang-pur qui, jour après jour, ont semé la douleur et la mort derrière eux.

Du haut de ses 11 ans, Maëlle ne réalisa pas à quel point elle avait été traumatisée, elle qui, pourtant, faisait partie des chanceux. Si l'on peut toutefois appeler « chanceux » le fait de voir mourir, plutôt que d'être tué. Elle suivit, silencieuse, le rythme imposé pour réussir, moyennement, sa scolarité. Elle ne tenta pas d'aider les né-moldus, elle ne tenta pas de faire tomber les sang-purs. Elle tenta seulement de se fondre dans la masse, Maëlle, absorbant petit à petit encore plus de violence et de haine qui finiraient, plus tard, par lui coller à la peau.

2023 – 2024

« Oublie cet incident. ». Parce que, oui, ce qu'il s'était passé à Poudlard n'était, selon son père, qu'un incident. Sa mère, comme souvent, n'avait pas d'avis sur la question. Personne, autour d'elle, ne souciait réellement de ce qu'il s'était passé. De ce qu'elle avait vu et vécu. La violence n'était qu'un incident. La mort, elle-même, n'était qu'un incident.

Revenue complètement indifférente au sort de ceux pour qui elle avait pu pleurer l'année passée, Maëlle entama sa deuxième année avec encore moins de motivation que la précédente. Elle se déroula, cette fois, sans incident. Un nouveau directeur remplaça la vieille qui n'avait pas survécu à Blackman, et amusait la galerie par son incompétence. Même la visite à Beauxbâtons ne rattrapa pas sa réputation. Ce gars-là était un bouffon, et il fut rapidement dégagé du tableau. A croire que Poudlard n'engageait que des demeurés, ou des psychopathes. Maëlle passa en troisième année de justesse, et manqua de se faire renvoyer après une violente bagarre.

On lui laissa « une chance », selon leurs termes.
Chance dont, bien évidemment, elle se saisit avec humilité.


2024 – 2025

Sa chance, elle l'aurait bien saisie si l'année n'avait pas été aussi perturbée. Entre un Selma qui bouffe des gens, des soignants qui tuent et un feu qui décime, Maëlle gueulait à qui voulait l’entendre que Poudlard devrait fermer ses portes pour de bon. Et on osait, en plus de ça, lui faire redoubler son année ?
Elle aurait pu crever, à cause de leur incompétence. D'autres, d'ailleurs, y sont restés. Evidemment, cet « incident » suscita cette fois un peu plus d'émoi chez les James. Non pas parce qu'il trouvait ça triste que des gamins se soient fait cramer, mais plutôt parce que l'école était en ruine et qu'ils ne savaient pas où ils allaient envoyer leur cauchemar adolescent.

Maëlle, elle, ne ressentait plus vraiment de compassion. Elle aussi avait fini par réduire la mort à un vulgaire incident, d'autant qu'elle ne les connaissait pas, les autres. Elle avait même déjà oublié leur nom. Ensevelie sous son amertume, consumée par une colère sourde, elle ne leva pas un doigt pour la reconstruction de Poudlard, qu'elle estimait responsable de la plupart de ses malheurs. Elle fut d'ailleurs fort agacée de constater que le château était de nouveau habitable pour la rentrée et qu'elle ne pourrait pas y échapper.
A défaut, donc, de contribuer à la restauration de ce tombeau, Maëlle passa l'été à errer de squat en squat dans la banlieue londonienne, avec son groupe de pote. Evidemment, ses journées et ses nuits furent totalement calmes, totalement saines et totalement légales.
Elle se contentait de brève apparition dans la demeure familiale, pour récupérer du fric et montrer à ses géniteurs qu'elle était toujours en vie, sans réellement savoir si c'était cela qu'ils espéraient. Quoiqu'il en soit, on ne l'empêcha pas de fuir, comme si, au fond, leur fonctionnement était régit par un accord tacite : fais ce que tu veux de ta vie, mais n'entache pas la mienne.
Et pour être sûre de cela, Maëlle se faisait appeler Eliott, deuxième prénom utilisée uniquement pour ses dérives.

Son départ de la maison familiale fut glacial. On lui balança que, peu importe les circonstances, « ils » ne sauraient supporter un autre de ses échecs. Une autre de ses frasques. Sa quatrième année, en classe de troisième, serait donc un succès, ou elle serait mise à la porte, définitivement.


2025 – 2026

Nouvelle année, allez, on ouvre les paris ? Je table sur 5 morts, histoire d'accélérer la chute de l'Empire. Non ?
Non. Pour faire passer la pilule de la montée de la haine envers les né-moldus, et de l'incendie criminel que le guignol à la tête du château n'a pas su anticiper : on leur envoie un nouveau Roi. Ou plutôt une Reine. Et une qui défend les sang-de-bourbe, histoire de faire bonne figure dans la presse internationale.

Pari perdu, quoiqu'il en soit. Cette deuxième troisième année se déroula sans trop de difficulté. Et quand on ne craint pas pour sa vie H24, bah c'est plus facile de travailler. Surtout de travailler des cours déjà vu l'année passée, même si le temps ne les avait pas rendus plus intéressants.
Mais Maëlle, elle tenait à son confort de vie comme elle tenait à sa haine, et l'idée de dormir sous les ponts parce qu'elle aurait échoué ne la ravissait pas. Elle se força donc à éviter les bagarres, les conneries, à rattraper un peu son retard et à pas trop cramer de trucs aux alentours de Poudlard. Etrangement, la pyromanie, c'était pas trop bien vu cette année-là.

Résultat : à elle la 4e année ! yeah.. on se réjouit, on apprécie, toujours une année de moins à rester ici, et à risquer sa peau.

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