Main glissée dans les poches de son pantalon de costume, Dmitri s’était accoudé contre la rambarde en pierre des escaliers, face à l’un de ses tableaux favoris du premier étage qui représentait un conglomérat de sorciers qui s’affairaient dans une bibliothèque en ignorant la plupart du temps les élèves qui passaient devant. Le décor était magnifiquement peint, baigné d’une vive lueur qui semblaient traverser des vitraux de toutes les couleurs. En apparence, il était plongé dans la contemplation de l’œuvre, sans prêter attention au reste, mais il regardait le tableau sans réellement le voir. Plongé dans ses pensées, se demandant encore si proposer à Zeynep d’aller au dîner de Saint-Valentin était une si bonne idée, il l’attendait avec un boule inhabituelle dans l’estomac. Ils s’étaient une nouvelle fois disputé quelques semaines plus tôt ; rien d’aussi grave que lorsque Sørensen était directeur, mais cela avait été suffisant pour faire comprendre au garçon qu’il n’aimait pas quand ils s’ignoraient ostensiblement. Il n’était pas tout à fait sûr de ce qu’il ressentait et au fond de lui, il voulait se dire que l’invitation était purement amicale, comme une façon de se réconcilier pleinement après une énième altercation... oui, c’était sans doute ça.

Il en était arrivé à cette conclusion quand l’adolescente le rejoignit à l’angle du couloir qui venait de sa salle commune. Il avait préféré l’attendre un peu plus loin, par pudeur ; tout Poudlard ne se rendait pas à l’évènement, contrairement aux bals les plus importants, mais il y avait malgré tout un certain nombre d’élèves et la perspective d’attendre en compagnie des autres ne l’enchantait guère. Heureusement, il n’avait pas eu longtemps à patienter et déjà ils partaient en direction de la grande salle, juste en bas de l’escalier.

- Tu es ravissante, l’avait-il complimenté en descendant, autant par politesse que parce qu’il voyait bien qu’elle s’était spécialement apprêtée.

Ce soir, il comptait bien passer une bonne soirée et à chasser de ses pensées le moindre sujet qui pouvait occasionner des frictions entre eux, ou tout ce qui pouvait assombrir la journée. Ça n’était pas simple : aujourd’hui même, il avait appris que ses parents avaient accélérés les démarches qui demeuraient à accomplir avant qu’ils ne puissent définitivement s’installer en Écosse. S’il y avait une chose de bien que la mort d’Alexander eût apporté, c’était la diminution des conflits entre la poufsouffle et lui... et la perspective de voir ses frères intégrer Poudlard venait détruire cette stabilité difficilement acquise. Il n’en avait pas encore parlé à Zeynep. Il comptait le faire... mais pas ce soir. Pas tout de suite. Pour l’heure, ils allaient profiter de l’instant.

L’organisation n’avait d’ailleurs pas lésiné sur les moyens ; ils avaient mis les petits plats dans les grands, bien plus que ce que le salon de thé avait prévu pour l’année dernière. Un elfe de maison trottina jusqu’à eux, demandant leurs noms.

- Zeynep Özdemir et Dmitri van Aken, indiqua l’adolescent tandis que la créature cherchait sur son parchemin.

S’ensuivit un cafouillage un peu étrange, l’elfe vraisemblablement agité – et ses pairs aussi. Il insista pour les escorter jusqu’à leur table séparément. Cela faisait peut-être partie de l’animation, après tout ? Une fois n’était pas coutume, l’aiglon ne fit pas d’esclandre et suivit le mouvement sagement ; il n’allait pas commencer à tenir tête aux pauvres bêtes paniquées alors qu’il était supposé passer une soirée agréable.

Quelle erreur.

En découvrant que l’elfe – il allait finir par les prendre en grippe... heureusement que Silas n’était pas là – le guidait vers la table où était déjà assis Appleton une colère commença à monter en lui, lentement mais sûrement. Il regarda d’un œil circonspect le poufsouffle déboucher une fiole pour en avaler le contenu d’une seule lampée.

- À ta place, je ferais attention, les potions inconnues n’ont pas rencontrées un vif succès chez les hommes de ta famille, railla-t-il avant d’attraper l’elfe de maison qui l’avait guidé jusqu’à cet idiot par le col. « Vous avez dix minutes pour réparer votre connerie et renvoyer ce crétin à sa bonne table, ce n’était pas avec lui que je devais être. » Il relâcha la créature qui partie sans demander son reste, en se confondant d’excuses et de prétexte à peines audibles.

Dix minutes, c’était tout ce qu’il voulait bien donner avant de coller son poing dans le minois du cinquième année – et potentiellement dans celui de la personne assise avec Zeynep.

Le Tchèque tira sa chaise et s’installa, dénigrant la fiole pour se servir d’un verre d’eau. Kenneth était désormais affalé dans son fauteuil, sans une once de prestance. Lui croisa les jambes et les bras, le dos droit et le regard glacial, tandis que son improbable partenaire débitait ses âneries.

- Fantastique, nous sommes au moins d’accord sur un point. Je n’ai pas plus envie de supporter ta face de cafard que toi mes airs supérieurs.

Le jeune van Aken referma ses doigts sur la fiole disposée à côté de son verre, déchiffrant l’étiquette énigmatique – potion de révélation... ça n’était tout de même pas du veritaserum, si ? Les composants pour la confectionner étaient couteux, et les conséquences pouvaient être désagréables ; en proposer à toutes les tables semblait ridicule.

- Que penses-tu avoir bu ? demanda-t-il en scrutant son camarade du coin de l’œil. « Si c’est du poison, j’espère qu’il est rapide à agir, je n’ai pas toute ma soirée. »

Il la reposa, sans l’avoir débouché.

- Ça aurait au moins le mérite de rappeler quelques bons souvenirs.

Malheureusement, il doutait que quiconque ait eu l’idée d’empoisonner qui que ce soit.

Comme invoquée par l’évocation des aléas mortels, la directrice de maison du cafard surgit dans son dos, charriant le plus âgé des deux d’un ton moqueur.

- Profitez bien de la vôtre, professeur, elle risque d’être courte... lâcha le serdaigle. Après tout, si par le plus grand des malheurs, l’ambiance s’échauffait à certaines tables, les enseignants risquaient de devoir écourter leur idylle pour réparer les dégâts.

En arrivant devant la table où se trouvait déjà assis Appleton, le visage de Dmitri s’était déconfit, trahissant les pensées mauvaises qui traversaient ses esprits à la simple idée e devoir respirer le même air que le poufsouffle. Il n’aurait pu imaginer pire scénario que celui-ci. Les retrouvailles furent à la hauteur de ce qu’il pouvait attendre ; hostiles dès les premières secondes, Kenneth fut le premier à frapper de ses mots mais l’aiglon n’était pas en reste et s’il n’arma pas son poing, ce ne fut qu’à la faveur d’une remarque mauvaise, prononcée en étirant les lèvres en un sourire mauvais. Mieux que quiconque, il pouvait savoir ce qu’avait ressenti son aîné le jour du bal de Noël : l’un avait eu son père empoisonné, l’autre son oncle, quoique de façon plus légère. Sans doute le sang-mêlé avait-il ressenti la même panique que lui ; il en avait longtemps gardé un souvenir amer, mais la mort d’Alexander avait rebattu les cartes, si bien qu’aujourd’hui, il n’avait aucun mal à évoquer l’évènement avec détachement. L’autre adolescent prit en revanche la moquerie à cœur, son visage se parant d’une expression plus tendue avant de riposter sur le même ton. Le Tchèque se mordit la lèvre intérieure, irrité. Les vacances qui avaient suivies l’empoisonnement avaient été le théâtre d’une enquête et son aïeul avait été de mauvais poil tout du long, sûrement à cause des interrogatoires qu’il avait dû subir. Si l’incident du bal était loin derrière lui, la suspicion et cette impression d’être laissé dans l’ignorance demeuraient bien ancrées en lui.

- N’insulte pas mon oncle, veux-tu. S’il avait voulu empoisonner ton vieux, ça fait bien longtemps qu’on aurait changé de ministre. Il tapota du bout du doigt son verre. « Les van Aken ne sont pas aussi coutumier de la médiocrité que ta famille, quand on commence quelque chose, on le termine. »

La preuve en était que lorsqu’il fallait enquêter sur une tentative de meurtre à l’encontre du ministre de la Magie, ses partisans n’étaient même pas foutus de trouver le coupable. La médiocrité était donc une affaire de famille, chez les Appleton.

Dmitri ne prit même pas la peine de répondre à son insulte ; s’il comptait le vexer avec si peu, c’était bien mal le connaître, et ce d’autant plus qu’il savait pertinemment ne pas avoir une « tronche de boutonneux ». C’était là l’avantage de l’éducation conférée par sa guérisseuse de grand-mère : il avait appris très jeune à confectionner des potions rudimentaires comme un philtre pour la peau. Au lieu de ça, il lorgnait sur la petite fiole laissée sur la table, ignorant tout bonnement les jérémiades du poufsouffle, sans faire mine d’y goûter. Contrairement à Kenneth, il avait retenu quelques leçons de la remise des prix du concours de potions – parmi lesquelles une petite paranoïa n’était pas tout à fait à exclure.

- Et elle t’a révélé quelque chose, au moins, ou tu restes l’ignare que tu as toujours été ? répliqua-t-il.

« Potion de révélation » ça n’était pas bien limpide. Elle était inodore et incolore, comme le veritaserum, mais n’en portait pas le nom – et ne portait d’ailleurs le nom d’aucune concoction qu’il ait étudiée à ce jour. À en juger l’état de son camarade, elle n’avait en tout cas pas l’air bien dangereuse. De son air le plus innocent, il semblait remuer sous le nez du Tchèque la tentation de cette fiole, comme pour le défier de la boire, lui aussi. L’orgueil ainsi attisé, ses iris azuréennes passèrent de la potion au plus âgé. Deux ans plus tôt, il avait bu du veritaserum tous les soirs, dans le bureau de son aïeul : le sérum de vérité n’avait plus de secret pour lui... et tout lui portait à croire que contrairement à ce que laissait sous-entendre l’étiquette, il ne s’agissait en rien de quelque chose de semblable. Jamais le poufsouffle n’aurait été désolé de l’avoir insulté comme il l’avait fait... or il l’avait pourtant déclarant, assénant verbalement un mensonge qui n’aurait pas dû être possible s’il en avait réellement bu.

La confiance renforcée par ce constat – dont il n’était pas peu fier – Dmitri déboucha finalement la fiole et, non sans un regard de défi, en avala d’une traite le contenu. Le liquide n’était pas très goûtu mais une sensation familière recouvrit quelques instants son palais. S’il lui avait fallu une dernière preuve, il l’avait : le sérum de vérité était inodore, incolore et dénué de goût, ce qui en faisait sa force première. Mélangé à un liquide, il était pratiquement indétectable. Cette potion, en revanche, était légèrement sucrée. Un parfum discret mais bel et bien là.

Il n’eut pas le temps, toutefois, d’élaborer d’autres théories que le professeur de botanique surgissait, interrompant les échanges d’amabilités que les deux adolescents se livraient. Le jeune van Aken ne répondit pas à la dernière remarque qui lui était destinée mais, tout sourire, rebondit sur l’ultime suggestion de l’adulte pour l’élève de sa maison.

- Tu devrais l’écouter et prendre tes jambes à ton cou, pendant que tu le peux encore, parce que je ne suis pas certain de résister à l’envie de t’estropier comme ton petit copain Rowle.

Était-ce lui qui parlait, ou la potion qu’il venait d’ingurgiter ? Peut-être qu’elle consistait justement à révéler le caractère de celui qui la buvait, exacerbant les révoltes du cœur et poussant le Tchèque à laisser libre cours à la violence qui sommeillait en lui.

- Vous feriez un si beau couple de boiteux. Dis-moi, c’est lui que tu attendais ce soir ?

Lui-même assez sensible sur le terrain familial, Dmitri avait très naturellement porté sa première attaque sur la propre familial de son adversaire ; le sujet était d’autant plus aisé qu’il la connaissait suffisamment pour savoir de qui il parlait. Un ministre et une ancienne directrice, c’étaient autant de piques acerbes qui germaient facilement dans son esprit, d’autant qu’ils étaient en partie la cause du changement assez soudain des liens unissant les deux adolescents. S’il pouvait penser avec un peu de nostalgie à l’époque où ils s’entendaient bien, il ne s’imaginait pas pouvoir revenir en arrière et gommer la rancœur qui s’étaient installée depuis. La politique et les conflits idéologiques entre leurs familles avaient réduit leur amitié naissante à l’état de poussière pour toujours, semblait-il. Leurs similitudes ne comptaient plus désormais et tout ce qui les opposait servait de terreau au conflit... mais à la grande déception du Tchèque, passé les premiers instants, ses piques ne semblaient guère plus ennuyer le poufsouffle que ça. Sa réplique, en revanche, arracha une discrète grimace au plus jeune. Le décès de son oncle demeurait encore un sujet sensible, quoiqu’il ne fût plus autant à fleur de peau qu’au début ; il aurait dû voir venir l’attaque, mais trop heureux de s’en prendre verbalement à Kenneth, il en avait oublié que celui-ci n’était pas sans répondant. Il dut lutter pour ne pas serrer le poing – qu’il rêvait de lui ficher dans son minois. Appleton n’en savait bien évidemment rien mais il touchait un point d’autant plus sensible que l’aiglon se sentait coupable d’avoir fait perdre du temps à son aïeul ; un temps précieux qu’il destinait à travailler sur l’immortalité.

Gardant en sourdine cette colère qui grandissait de façon exponentielle en lui, le jeune van Aken changea de sujet de « discussion », lorgnant la petite fiole dont ils avaient tous les deux étaient les bénéficiaires. Le plus âgé n’avait pas hésité une seule seconde avant de la boire, lui prêtant vraisemblablement des vertus de sincérités, mais l’aiglon savait bien que tout ce sel n’était que le fruit de son caractère et non celui d’une quelconque potion.

- Je me doute... si c’est quelqu’un comme toi qui l’a préparée, elle ne peut pas être très efficace.

Ça n’était que pure vérité et il n’espérait à vrai dire pas le vexer à ce sujet : Kenneth était un cancre, tout le monde le savait. Il suspectait même les professeurs de se refuser à le faire redoubler pour ne pas risquer de l’avoir une année supplémentaire sur les bancs de l’école... et Dmitri leur en était très reconnaissant, il n’avait pas envie de partager une classe avec lui plus qu’il n’avait déjà à le subir.

En revanche, en évoquant Rowle sitôt Griffith partie, il avait bien espéré toucher un point sensible. La réaction ne se fit pas attendre, détendant un peu le visage fermé de l’adolescent depuis l’évocation de son aïeul. La joie ne fut que de courte durée, appréciant peu de se voir accusé de manquer de courage. Pour qui il se prenait, celui-là ? La pique l’avait plus énervée que ce qu’elle aurait dû ; habituellement, il se moquait pas mal de ce genre de reproche... mais la potion semblait agir sur la maîtrise qu’il avait de ses émotions, exacerbant la moindre irritation.

- Oui, j’imagine que tu as besoin de ta princesse boiteuse pour te sauver... c’est dire l’incapable que tu es.

L’aiglon allait enchaîner sur une autre moquerie, répondant sur le même ton à celle d’Appleton, mais il n’en eut pas le temps, un elfe de maison venant servir la mise en bouche pour le repas. Le Tchèque attendit quelques secondes, foudroyant son camarade sans prêter attention à la créature, oubliant même les menaces qu’il avait proférées à l’un de ses congénères : il était trop occupé à alimenter sa rage pour s’intéresser au reste. Il n’eut pas même un regard pour les victuailles déposées.

- À ta mère. Il prit son verre, buvant un peu d’eau pour faire passer le goût légèrement sucré de la potion. « C’est toi qui parles de pitié, alors que tu en es réduit à ramper aux basques de ton pote à moitié mort pour te secourir du méchant van Aken ? »

Il eut un sourire mauvais.

- Je comprends, en fait... son accident, c’était juste une tentative de suicide. Il essayait seulement de se débarrasser de la sangsue que tu es.

Dmitri laissa passer l’insulte du poufsouffle sans sourciller ; il avait bien certains complexes, mais ses résultats scolaires et l’attitude qu’il avait en cours n’en faisaient guère partie. Qu’il passe pour un « bêcheur de première classe » ne l’ennuyait nullement : il était aussi difficile de le vexer là-dessus que Kenneth en lui rappelant son niveau médiocre. En réalité, il s’en faisait même une certaine fierté : poussé à l’excellence par les attendus de sa famille et en concurrence avec ses frères, il avait infiniment plus besoin d’être parmi les meilleurs élèves que l’unique fils du ministre de la Magie, dont le seul fait d’arme résidait sûrement dans la transmission de l’herpès au plus grand nombre. La perspective d’énerver son adversaire séduisait d’ailleurs tant le Tchèque qu’il pouvait faire fi de biens des provocations si seulement elles lui donnaient l’occasion d’irriter plus encore Appleton. Malheureusement, si l’évocation du gryffondor avait un court instant fait son œuvre, éveillant une colère manifeste sur le visage du plus âgé, celui-ci la musela au bout de quelques minutes. Le visage presque impassible et le verre aux lèvres, il l’ignorait tandis que les elfes s’affairaient autour d’eux, sans doute angoissé par l’ambiance lourde qui planait dans leur box.

- Ne sous-estime pas trop ta bêtise, voyons, on sait tous les deux que tu l’es rétorqua-t-il en portant à son tour son verre à ses lèvres.

Lorsque les créatures se furent de nouveau enfuies loin d’eux – car c’était sans conteste à ça que ressemblait leur retraite stratégique vers d’autres binômes – l’aiglon repartit de plus belle avec une riposte sans doute un peu simple et qui manquait d’originalité. C’était plus fort que lui : il n’aimait pas l’ancienne directrice de Poudlard, elle qui avait pris un malin plaisir à le pousser à l’humilier devant toute l’école. Au départ, il avait surtout eu de l’antipathie pour Hatwell, mais elle n’était plus là tandis que Kenneth demeurait présent pour lui rappeler le souvenir cuisant de cette punition. Elle était une cible de choix et cette fois-ci le poufsouffle ne resta pas de marbre, répliquant sur le même ton. Dmitri serra la mâchoire, luttant contre l’envie de cracher tout son fiel sur lui. Il ne voulait pas lui montrer combien le sujet maternel pouvait être difficile pour lui qui s’était toujours senti comme l’enfant de trop de la fratrie.

- C’est bien, protège-toi, il vaut mieux pour ce pays que ta lignée s’arrête avec toi. On a déjà eu trop d’Appleton dans ce monde.

Le système judiciaire sorcier de Grande-Bretagne ne pourrait sûrement pas suivre le rythme s’il y avait d’autres personnes de sa famille à juger.

Le jeune van Aken reposa son verre, se recula légèrement sur son fauteuil pour mieux asséner une nouvelle attaque sur Rowle, un rictus mauvais aux lèvres. Il n’avait pas vraiment suivi les déboires du préfet et seuls quelques ragots lui étaient parvenus aux oreilles, mais c’était suffisant pour titiller son adversaire une énième fois. L’adolescent semblait au bord de l’explosion chaque fois qu’il y faisait référence et cette fois-ci fut la bonne, quoique Dmitri ne l’avait pas vu venir. Il n’eut pas le temps de réagir, d’attraper sa baguette ou de s’abriter qu’il se faisait arroser d’un verre plein d’eau. Le visage dégoulinant et quelques mèches de cheveux collant sur son front pâle, il ne répondit pas immédiatement, scrutant la scène comme un spectateur médusé. La surprise ne dura qu’un millième de seconde avant que la rage n’alimente chacun des pores de sa peau. À son tour, il se redressa d’un grand coup sec, la chaise tombant dans un bruit sourd au sol – un elfe couina un peu plus loin – tandis qu’instinctivement, il plongea sa main dans la poche pour attraper sa baguette. Sans réfléchir, mu par sa colère et par cette potion qui exacerbait la moindre de ses émotions, il visa son aîné.

- Reducto cranius ! prononça-t-il, savourant déjà l’idée de voir ce crétin d’Appleton avec une tête plus petite qu’un dé. Cela corrigerait un peu son physique qui n’était pas très raccord avec la taille effective de son cortex cérébral.

Résultat du sort:

L’insulte ne sembla pas faire mouche mais Dmitri s’y attendait : ça n’était certainement pas la première fois que quelqu’un se moquait du niveau catastrophiquement bas du poufsouffle. C’était presque étonnant qu’il n’ait pas encore découvert de nouvelles espèces fossilisés dans les tréfonds de la planète, tant il était descendu bas. Ses parents devaient avoir honte : deux personnes engagées en politique qui se pavanaient devant les photographes de la Gazette du sorcier et qui, sûrement, devaient prier que jamais personne ne tombe nez à nez avec leur gamin.

- Peut-être, répondit-il du tac-au-tac avant de hausser un sourcil en entendant la dernière moquerie qu’il avait su trouver.

Il s’était déjà vu dans un miroir ? Il était tout aussi imberbe que lui. Peut-être que même les miroirs fuyant sur son passage. Mine de rien, le Tchèque était plutôt fier d’avoir commencé à muer : il ne voulait pas rester éternellement le garçon de la fratrie, celui qui était plus petit et avait encore une voix de fille. Mais ça, il ne risquait pas de le dire à Kenneth. Il ne pouvait pas le comprendre : il n’avait pas de frères, pas de concurrence quotidienne et de besoin de se distinguer des autres. Il pouvait se permettre d’être un cancre parce qu’il restait le seul hériter mâle ; Dmitri, lui, n’avait pas ce loisir.  

- Vous êtes tenaces, il faut vous reconnaître ça. De véritables cafards. Il eut un sourire mauvais. « Mais on a déjà réussi à se débarrasser de ta mère ici, ton père finira bien par la suivre dans l’oubli. »

Dommage pour le jeune van Aken, il n’avait pas eu l’autorisation d’assister au procès d’Evelyn Appleton. Ça n’était pas faute d’avoir insisté : Alexander avait refusé catégoriquement, le laissant moisir à Poudlard pendant qu’il allait lui-même savourer cette victoire en enfonçant les derniers clous du cercueil médiatique de la directrice de Poudlard. Au moins aujourd’hui pouvait-il profiter de la présence du fils pour rattraper le temps perdu... mais il n’eut pas vraiment le temps de réfléchir à sa prochaine attaque que le poufsouffle lui lançait déjà un verre d’eau au visage. Une attaque un peu molle et sans grande envergure qui ne risquait pas d’attirer l’attention mais attisait – assez paradoxalement – les braises qui animaient Dmitri. Il ne lui en fallu pas plus pour se lever à son tour, sortant sa baguette et visant le plus âgé d’un sort. Le rayon de magie le toucha au niveau du front, provocant une légère diminution de sa tête... mais pas suffisamment pour que l’aiglon soit réellement satisfait. Il s’était attendu à ce qu’elle diminue beaucoup plus, que sa voix en devienne plus aigüe encore que celle d’une fille de première année, mais non. Le maléfice n’avait pas dû trouver beaucoup de matière à agir.

Le sourcil du Tchèque se dressa un peu plus à chaque mot de Kenneth, listant chacune de ses mésaventures ou bêtises ridicules. Plus il parlait, plus le benjamin commençait à comprendre l’étendue du problème : le poufsouffle n’était pas seulement idiot, il n’avait aucune estime de lui, aucune tenue. C’était si pathétique qu’il pourrait presque avoir pitié pour lui... heureusement, l’Anglais mettait visiblement un point d’honneur à lui rappeler son désamour pour lui, se saisissant d’une cuillère pour tenter de lui catapulter l’affreuse mixture que les elfes de maison avaient apportés en guise d’entrée – décidemment les Britanniques ne savaient pas cuisiner.

- Même pour ça, tu es un bon à rien, railla-t-il en regardant la gelée glisser sur le mur derrière lui, avant de reporter son regard froid sur l’autre adolescent.  

Il tenait toujours sa baguette mais son bras était retombé le long de son corps, comme las de ce petit jeu. Désormais qu’il avait constaté qu’il était impossible de le ridiculiser, Appleton n’ayant pas la moindre idée de ce qu’était le bon goût, il préférait encore partir de là. Rangeant sa baguette dans la veste, il avait décidé de prendre congé et de passer ses nerfs sur le prochain elfe qui viendrait lorsque la voix de son interlocuteur résonna à nouveau à ses oreilles. Le ton était presque mou, à l’image de l’allure du plus âgé qui s’était avachi sur la table, mais les mots durs. Cassants.

- Ferme-la... grinça-t-il, la mâchoire serrée et le poing fermé.

Il était piqué au vif, blessé plus qu’il n’aurait dû l’être. La mort de son oncle avait créé un vide qu’il n’avait encore jamais connu jusque-là ; ses disputes incessantes avec Zeynep ou avec Silas lui rappelaient combien ces fréquentations étaient fragiles... Kenneth avait touché un point sensible, éveillant une colère profonde qui se mélangeait à une certaine tristesse. L’ultime question du poufsouffle arracha un grognement au Tchèque :

- Ferme-la, je te dis !

Et sans crier gare, il contourna la table pour se jeter sur lui, le poing fermé visant le visage du plus âgé. Il n’était peut-être pas très grand et musclé, mais Dmitri était rusé et il apprenait vite : de son combat avec Nikita, il en avait retenu quelques leçons qui lui furent en cet instant bien utile. Sa main refermée percuta le visage d’Appleton avec force, la chevalière de l’aiglon cognant contre la peau de l’Anglais pour venir légèrement le taillader en dessous de l’œil. Une vague douleur réchauffa les doigts du van Aken mais ça n’était rien comparé au plaisir qu’il ressentait à l’idée de voir son nez ensanglanté.

Je suis tellement émue:

Sourd aux provocations du Tchèque, Kenneth but une gorgée d’eau en ignorant le vœu de Dmitri. Il semblait même y prendre un certain goût, comme si finalement les deux partageaient le même désir de voir la famille Appleton disparaître de la surface politique ; non que l’aiglon en ait réellement quelque chose à faire à vrai dire, ça n’était pas comme s’il s’intéressait à ces questions. Sa famille s’en occupait suffisamment pour lui. En revanche, tout ce qui pouvait heurter les sentiments du poufsouffle était bon à prendre et force lui était de reconnaître qu’il ne rencontrait guère de succès en la matière pour l’heure.

- Ne surestime pas votre pouvoir de nuisance, vous n’êtes au mieux qu’une épine dans ma botte.

Prague lui manquait souvent mais sa vie n’y était malheureusement depuis quelques années désormais... et le décès d’Alexander avait entériné sa présence en Écosse au point que mêmes ses parents achevaient leurs affaires en Tchéquie avant de pouvoir s’installer définitivement dans le manoir des Hébrides.

Le désir d’humilier Appleton laissa progressivement place à quelque chose de plus profond encore, une envie que le poufsouffle avait déterrée en mentionnant son aïeul, exhumant en plus de sa dépouille les angoisses du van Aken. Le deuil encore trop récent et le moindre de ses sentiments exacerbés par cette potion qu’il avait bue, Dmitri n’avait plus de réel contrôle sur ses actions. Son poing serré, il l’abattit finalement sur le visage d’idiot de son provocateur, renversant au passage quelques couverts. Un verre avait peut-être même chu au sol mais il s’en désintéressait complètement : tout ce à quoi il aspirait se trouvait face à lui. Voir une trainée de sang colorer la face perfide du plus âgé éveilla en lui une joie cruelle, le sentiment de vengeance réchauffant un peu son cœur meurtri. Il se faisait face, comme deux adversaires qui s’apprêtaient à se livrer à un duel... à ceci près qu’il n’y aurait nulle salutation digne, juste une annihilation de l’autre. L’occasion de répondre à l’insulte de Kenneth lui fut toutefois arrachée par l’arrivée soudaine d’un professeur... et évidemment pas n’importe lequel. Le poing toujours serré, il ne répondit pas à son attaque verbale, le regardant s’occuper d’Appleton comme s’il n’était qu’une pauvre victime innocente. Il n’ouvrit la bouche pour cracher son fiel que lorsque le poufsouffle s’en fut se réfugier à l’infirmerie.

- Bien sûr, j’écope de retenues, mais Appleton qui insulte la mémoire de mon oncle s’en va sans rien ? Vous ne voudriez pas en plus lui refiler une médaille, tant que vous y êtes ?

Il attrapa l’une des fioles qui avaient été laissées en cadeau aux infortunés qui se voyaient échanger de partenaire pour la soirée.

- Vous pourriez aussi trouver ceux qui nous ont échangé les tables et fait ces potions ridicules, mais non, lâcha-t-il en agitant la fiole. « Ah au fait, c’est pas du veritaserum, donc si j’étais vous j’irais retirer les fioles des tables... à moins que vous ne vouliez beaucoup d’autres bagarres. »

Pouvait-on réellement lui reprocher ses actes alors qu’il avait bu cette potion ? Il savait pertinemment que ça n’était pas la potion de vérité, il en avait bu suffisamment pour savoir faire la différence... en revanche, il restait persuadé qu’il s’agissait d’un liquide qui exacerbait sa colère et lui donnait tant envie de détruire le fils de l’ancienne directrice de l’école.