Karl  Strauss - Directeur du bureau de désinformation (ministère de la magie) (@Haley M. Strauss)

Karl Strauss avait transplané à Pré-au-Lard en début de journée, se délectant de sa lente remontée jusqu’au portail de fer forgé de Poudlard. Voilà bien des années qu’il n’avait pas mis les pieds dans son ancienne école ; il ne la voyait plus qu’au travers des histoires de sa fille unique, des dossiers qui tombaient parfois sur son bureau ou des articles de journaux. Y revenir éveillait en lui une douce nostalgie et s’il s’était écouté, il serait bien passé du côté de la salle commune des serdaigles pour s’y prélasser comme il le faisait autrefois. Mais son temps était compté, et il n’aurait pas été responsable de sa part que d’empiéter sur l’espace des adolescents.

Au lieu de ça, il rejoignit sagement la grande salle, non moins heureux de voir que ses souvenirs ne s’étaient pas tant estompés que cela ; il y avait des choses qui ne changeaient guères, et la décoration de l’établissement scolaire en faisait partie, pour son plus grand plaisir. L’intérieur avait toutefois été retravaillé pour l’occasion, offrant à l’homme un stand insonorisé et relativement confortable pour converser avec les quelques élèves qu’il allait avoir face à lui. Il s’installa, non pas derrière le bureau, mais nonchalamment posé contre celui-ci, face aux chaises qui accueillirent rapidement ses invités du jour.

Karl était un homme plutôt grand, aux yeux d’un bleu marin atypique, et d’une tignasse blonde légèrement bouclée. Son visage était un peu ridé sans qu’il ne paraisse trop vieux, son teint clair et sa chevelure le rajeunissant bien de quelques années. Avec son sourire affable, il ne semblait pas donner une impression de trop grande sévérité ; en l’espèce, il était d’ailleurs quelqu’un de relativement jovial, doté d’un certain sens de la communication, un peu traditionnel mais ouvert à la discussion. « Bien le bonjour, mesdemoiselles et messieurs. » Le groupe dont il avait hérité semblait plutôt homogène : deux filles pour trois garçons, la plupart semblant avoisiner la fin de l’adolescence. Rien d’étonnant à cela : la liste des intervenants proposait un panel varié, mais certaines professions devaient attirer plus facilement les plus jeunes, encore rêveur et loin de savoir ce qu’ils allaient faire à l’avenir. Ceux qu’il avait en face de lui, en revanche, iraient bientôt toquer à la porte des recruteurs ou occuper les bancs des différentes universités sorcières : ils étaient certainement curieux de mieux voir les plus grands employeurs sorciers, parmi lesquels le Ministère caracolait en tête des vocations. « Permettez-moi de me présenter : je suis Karl Strauss, directeur du bureau de désinformation, près le ministre de la magie. Mon service dépend du département des accidents et catastrophes magiques. » La présentation de la géographie ministérielle étant faite, il pouvait passer au cœur même du sujet, amplement plus intéressant que de savoir à quelle subdivision du ministère il appartenait, ou qui était son directeur supérieur. « Le bureau de désinformation n’est sans doute pas le plus populaire et connu des services du Ministère... » Il s’arrêta quelques secondes, mesurant ses paroles d’un ton presque théâtral. « Et pourtant, il est l’un des plus importants, en taille comme en missions ! » Ne manquait plus qu’un roulement de tambour.

Enfin, il ne pouvait reprocher aux jeunes générations de s’intéresser à des rôles plus flamboyants comme la police magique ou la brigade d’élite des tireurs de baguette magique. « Peut-être savez-vous déjà que le ministre de la magie, Monsieur Appleton actuellement, entretient traditionnellement des relations très étroites avec le Premier ministre moldu ? Eh bien, si je devais vous résumer le rôle de mon service, et le mien tout particulier, c’est celui de gérer cette relation entre les ministres sorciers et moldus, et leurs services attenants, comme nos polices respectives. » Il allait sans dire qu’il n’était pas à son premier ministre. Avant Appleton, il avait eu l’occasion d’en connaître bien d’autres, de même que du côté moldu. « Plus globalement, et c’est là sans doute l’essentiel de ce qui occupe le temps de mon département, nous avons la charge de gérer la communication publique des évènements magiques pouvant interférer avec le monde sorcier. Cela va du simple accident à l’attentat magique, en passant bien entendu par les créatures que les moldus croient mythologiques et qui parfois se mêlent à eux. En somme, nous devons veiller à ce que les moldus ne soient pas informés sur la magie sous quelque forme que ce soit. D’où le nom : bureau de désinformation. » Des choses passionnantes comme profondément ennuyantes, il fallait le reconnaître : il ne fallait pas croire, il était un homme qui aimait l’action, quand bien même il passait le plus clair de son temps dans son bureau ou à boire le thé avec un politique quelconque.
Sa fonction pouvait se révéler très stimulante, mais parfois très rébarbative et nombre des employés sous sa direction avaient tendance à réitérer machinalement leurs travaux sans originalité ni ce petit grain de folie que la vie exigeait parfois. « Il s’agit donc d’une fonction pleinement ancrée autant dans le monde sorcier que dans celui moldu. » Karl marqua une pause, zieutant les élèves devant lui. Ses lèvres s’étirèrent en un grand sourire. « Mais trêve de monologue, je crains de ne devenir trop ennuyeux. Je vous propose de continuer sous la forme de questions-réponses, cela sera plus interactif. » L’on pouvait entendre à sa voix qu’il s’amusait beaucoup de ce petit atelier présentation ; ça n’était pas tout les jours qu’il voyait des jeunes gens, d’ordinaire il était restreint à la fréquentation des vieux rabats-joies de la politique et de quelques gratte-papiers en manque d’idée originale pour expliquer des affaires magiques un peu banales.

Blaze n’avait rien contre Zeynep en particulier, mais elle ne pouvait pas se retenir de toujours tout ramener à ses sujets de préoccupations débiles, et qui n’intéressaient honnêtement personne. Le jeune homme ne pu s’empêcher de lever les yeux au ciel lorsque sa camarade pris la parole. On aurait pu croire qu’elle aurait gagné en maturité avec l’âge, mais la jeune fille persistait à tourner en boucle sur ses histoires de moldus et de secret magique. Certes c’était un peu le sujet du stand, mais il y avait quand même des questions plus intéressantes à poser.

Cherchant le regard de Karl Strauss pour lui faire comprendre qu’il n’était pas seul dans cette galère, il leva la main dès que Zeynep eut fini sa tirade et enchaîna à son tour, comme si de rien n’était. Avec un peu de chance il offrirait une échappatoire au magicien.

- Blaze Mansfield, se présenta-t-il. « Merci pour vos explications. J’ai une question technique, lorsqu’un oubliator supprime les souvenirs des moldus, est-ce que ces souvenirs sont perdus à jamais ? Ou bien il y a un moyen de les faire revenir intacts ? »

Pour une question précise, c’était en effet précis, mais s’il y avait bien un sorcier dans cette pièce qui pouvait éclairer sa lanterne, c’était ce monsieur du ministère.

- Et une autre question : j’ai lu dans un livre qu’on pouvait modifier ses souvenirs. Est-ce que cela laisse une trace visible ? Ou il y a moyen de faire ça totalement sans que ce soit repérable ? Je demande pour savoir dans quelle mesure un souvenir peut constituer une preuve, par exemple dans le cadre d’un procès.

De plus en plus précis, mais au moins on était dans le concret. Pas comme Zeynep qui, si on lui laissait le champ libre, allait lancer une discussion interminable sur la géopolitique magique, et on y était encore après minuit.

Karl Strauss avait envisagé l’idée qu’il puisse tomber sur un groupe trop mutique et sans doute peu intéressé par sa fonction – qui ne vendait pas toujours du rêve, il fallait le reconnaître – pour que ceux-ci participent à l’atelier. Si cela s’était révélé nécessaire, il aurait été chercher la petite bête chez ces jeunes gens, voir ce qu’il pouvait tirer d’eux tout en racontant un peu son travail. Mais il était un père et savait que s’il tombait sur des personnes qui ne voulaient pas parler, il n’y avait guère d’autres options que celle de palabrer devant une assemblée silencieuse... il était prêt à cette éventualité mais lorsqu’une élève, manifestement la plus jeune, prit finalement la parole, il ne put s’empêcher d’être heureux. C’était déjà un bon début. Et si le temps n’était pas particulièrement agressif, cette poufsouffle avait le verbiage déjà bien provocateur.

Loin de se démonter face à ces questions qui n’en étaient pas vraiment, l’homme se fendit d’un sourire sympathique mais n’eut pas l’occasion de lui répondre que déjà un garçon, plus âgé et arborant un insigne surmonté d’un « P » levait la main et prenait la parole. Fidèle à ce que l’adulte attendait d’un préfet, celui-ci se montra beaucoup moins agressif. Bien, au moins, ils avaient de quoi faire pendant les prochaines minutes.

Voyant que leurs camarades ne faisaient pas mine d’intervenir à leur tour, Karl posa son regard tour à tour sur les deux intervenants. « Bien, merci à tous les deux pour vos questions. » Il regarda un instant la première qui avait parlé, avant de se tourner vers son camarade masculin : puisque ses questions étaient plus précises, il lui était plus simple de commencer par lui. « Les souvenirs qui sont effacés, de la mémoire d’un moldu comme celle d’un sorcier d’ailleurs, ne le sont en réalité pas vraiment. Sans rentrer dans ses considérations scientifiques trop poussées, ce n’est pas mon rôle, le sortilège d’amnésie se contente plus simplement “ d’effacer ” la capacité des cellules neuronales à réunir et transmettre les informations nécessaires aux souvenirs. » Du moins quand la personne oublietté l’avait été correctement. « Les souvenirs ne sont donc pas perdus à jamais, et il est arrivé à plusieurs reprises qu’il faille envoyer des oubliators une seconde fois, quelques années plus tard, pour réitérer le sortilège. » Il marqua une pause et lança un regard à la poufsouffle, en souriant. « Les légendes moldues sont pour beaucoup construites sur la base de bribe de souvenirs mal effacés. En revanche, la façon dont le cerveau rappelle les souvenirs est dynamique, on ne peut donc pas avoir la garantie de faire revenir des souvenirs intacts. » Selon lui, c’était même impossible, mais il n’aurait pas été pertinent de l’exprimer ainsi oralement et l’expliquer aurait nécessité beaucoup trop de détails qui les auraient sans doute tous lassés, Mansfield y compris. « J’ai donc en partie répondu à votre seconde question : il est difficile, sinon impossible, de distinguer un souvenir qui n’aurait pas été modifié de celui qui l’aurait été. C’est en partie pour cela que le magenmagot se refuse à statuer sur la base d’un souvenir. Il en va de même pour le veritaserum, d’ailleurs. » Si seulement son épouse avait été là, elle aurait pu lui donner de plus amples précisions.

Une fois qu’il eut terminé avec le serdaigle, le directeur du bureau de désinformation reposa son regard sur la première intervenante. « J’en viens à vous, mademoiselle... ? » Il voyait bien qu’elle commençait à s’impatienter. « Le secret magique a, entres autres buts, celui de préserver les moldus : si sorciers et moldus dépendaient d’un même cadre politique, cela engendrerait des inégalités. Prenons un cas concret... » Il détourna le regard quelques instants, l’air de chercher une hypothèse qui soit suffisamment parlante, avant de finalement reprendre la parole. « Imaginez qu’un sorcier et un moldu veulent tous deux intégrer les forces de police, sachant qu’il n’y a qu’une seule place de disponible. Qui serait embauché entre celui capable de lancer des sorts et d’utiliser des armes à feu moldus, et celui qui ne peut qu’utiliser ces dernières ? Il y a une inégalité intrinsèque. » L’adulte avait parlé d’une voix posée et d’un air qui se voulait bienveillant. Il n’avait pas pour habitude de se trouver face à des sorciers réfractaires au secret magique, mais il n’ignorait pas les remous que l’école avait connu à ce sujet, quelques années plus tôt... il l’ignorait d’autant moins que son épouse avait présidé l’audience d’Evelyn Appleton.