— Dmitri était peut-être têtu et désobéissant, mais il avait toujours été très ponctuel, aussi lorsque le professeur Thorstein avait convoqué les élèves de deuxième année – et il semblait également ceux de première et de troisième années – aux premières heures du jour, il n’était pas arrivé en retard. Par prudence, il avait même pris un peu d’avance, arrivant parmi les premiers dans la cour de l’école, presque de concert avec l’enseignante. Cette année, il semblait que les professeurs se concurrençaient pour proposer des cours les plus atypiques possibles. Entre son grand-oncle qui s’était décidé à laisser de côté les habituelles heures d’enseignement pour s’atteler à un projet de recherche un peu particulier et maintenant elle qui les intimait à se rendre dans le parc, armé d’un maillot de bain, ils étaient décidément bien loin d’être au bout de leurs surprises.

Il se posta avec ses camarades, attendant patiemment, mains dans les poches et écharpe enroulée autour du coup, il pestait intérieurement contre le temps brumeux de ce mois d’octobre. Si tôt dans la journée, le faible soleil écossais n’avait pas encore eu le temps de réchauffer l’air et la rosée témoignait de la fraîcheur du jour. Rien qui ne semblait présager de bonnes choses pour ce que la nordique leur préparait, car nul besoin d’être très fûté pour comprendre à la lecture de ses vagues explications qu’ils allaient devoir piquer une tête dans le lac noir. Satané suédoise.

À l’heure dite, le groupe assez conséquent d’élèves emboîta le pas de la tortionnaire qui leur servait de professeur, certains plus réveillés que d’autres. Dmitri avait à peine eu le temps d’avaler un chocolat chaud et de grignoter un morceau avant de partir, mais à en croire les gargouillis d’estomacs, quelques-uns de ses camarades avaient dû y renoncer pour ne pas arriver en retard. Alors qu’ils marchaient silencieusement dans le sillage de l’adulte, il ne pût s’empêcher de la suspecter d’avoir fait exprès pour tester leurs aptitudes dans les conditions les plus désagréables possibles. Après quelques minutes de marches, ils arrivèrent enfin au bord du lac. L’aiglon haussa un sourcil dubitatif en l’écoutant. Il commençait à en avoir marre de s’entendre dire de retirer ses vêtements. D’abord Blaze et son bizutage puéril, maintenant elle... mais si avec le préfet, il avait pu contester les instructions sans trop s’inquiéter des conséquences, il savait qu’il valait mieux ne pas discuter avec Thorstein et obtempéra, ôtant avec déception ses chauds vêtements pour dévoiler un short de bain d’une sobriété ennuyeuse. Il ne fallait pas s’attendre à un peu d’excentricité dans sa famille : sa mère avait toujours fait au plus morne lorsqu’il s’agissait des vêtements de ses enfants.

Baguette en main, il s’avança parmi les premiers de sa classe, prenant place entre ses benjamins et ses aînés. « C’est le moment de montrer que t’es le meilleur en natation » souffla-t-il à l’adresse de Kovit, en passant à côté de lui. Il le savait très friand des baignades et bien plus résistant au froid que le tchèque. Son fin duvet de poils se hérissaient sur ses bras, ses dents menaçant de s’entrechoquer ; il prenait sur lui pour ne pas trop montrer qu’il était frigorifié, il ne voulait pas donner une telle joie à l’adulte qu’il ne portait décidément pas dans son cœur. Il pouvait au moins s’estimer chanceux sur un point : lorsqu’il était au manoir van Aken, il avait passé une partie de l’été à se baigner dans la mer qui bordait l’île et les vagues étant assez peu clémentes là-bas, il était devenu, par la force des choses, plutôt bon nageur.

Quelques instructions, très brèves – ce qui avait au moins l’avantage de leur épargner d’attendre dans le froid – et une vague happa les élèves, les projetant sans cérémonie dans une eau glaciale. Le garçon remonta précipitamment, le poing serré plus que jamais autour de sa baguette. Il n’eut pas le temps de tousser à cause de l’eau qui était rentrée dans ses poumons qu’il sentit quelque chose frôler sa cheville. Il sursauta, battant des pieds pour chasser la chose, mais elle revint à l’attaque, s’agrippant cette fois-ci autour de sa jambe et le lestant d’un poids trop lourd pour qu’il puisse tenir la tête hors de l’eau. Machinalement, il inspira profondément avant de se retrouver totalement immergé ; il n’eut pas réellement le temps de paniquer, quoiqu’il s’agitât comme un beau diable pour se défaire de l’emprise de la créature, qu’une bulle d’oxygène apparaissait sur son visage. Il regarda un instant autour de lui, voyant ses camarades se débattre et paniquer. Aucun autre strangulot ne menaçait de s’agripper à lui, pas plus qu’aux autres élèves. Il donna quelques violents coups avec son pied libre contre celui qui s’accrochait à lui, mais il tenait bon. Lorsque la raison lui revint, il eut enfin la présence d’esprit d’user de sa baguette ; il semblait être le premier à le faire – il avait même l’impression d’entendre, malgré l’eau qui déformait tous les bruits – une fille appeler à l’aide. Il pointa son arme en bois de prunellier. « Immo... » Il sentit une forme le percuter dans le dos, chassant l’air de ses poumons avant que sa voix ne parvienne à articuler l’incantation correctement. La bulle commença à se rétrécir sous ses yeux écarquillés de panique. Non ! Il n’avait pas le droit d’échouer. Il ne pouvait pas donner ce plaisir à Thorstein. L’enfant se débâtit un peu plus, donnant un coup de pied derrière lui pour s’éloigner de la masse qui avait eu l’outrecuidance de rater son sort. Un autre élève, un strangolut, qu’importe. L’important pour lui était de se libérer. À mesure que les secondes passaient, il voyait la surface s’éloigner.

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— Par un si froid matin, piquer une tête dans le lac était une idée mauvaise... et cruelle. Dmitri était un garçon plutôt frileux, même si depuis un an qu’il vivait en Écosse, il avait su s’accoutumer au vent humide qui dardait son air salé dans ses cheveux. Quelle idée aussi d’avoir construit un manoir sur une île perdue au milieu de nulle part ! Le parc du château de Poudlard avait toutefois l’avantage de ne pas avoir de mer dans les environs. L’eau du lac n’était pas celle salée d’un océan, aussi était-ce un peu plus aisé d’y garder les yeux ouverts. La situation n’en était pas pour autant plus agréable. L’eau était glaciale et engourdissait le moindre de ses muscles, et le strangulot qui le tirait vers le fond semblait s’en prendre à cœur joie contre ses chevilles, griffant sa fine peau au teint d’albâtre.

Le premier sort n’avait pas fonctionné, ou plutôt il n’était pas parvenu à le lancer, interrompu par un autre élève qui l’avait percuté dans le dos... une douleur sourde montait entre ses omoplates, mais heureusement assez anesthésiée par le froid pour qu’il puisse se concentrer sur autre chose : sa survie. La bulle autour de son visage était un peu plus petite, c’était encore respirable, mais s’il pouvait encore douter de la perfidie de Thorstein, il n’avait plus une once d’incertitude. À croire qu’elle prenait un plaisir malsain à entraver ses mouvements. Cette fois-ci au moins avait-il sa baguette, mais pour combien de temps pourrait-il encore s’en servir ?

Cette fois-ci, fort de son expérience de quelques secondes, il donna quelques coups autour de lui afin de vérifier qu’il n’était pas trop proche de camarades ou d’une quelconque créature du lac. Se débattant, il pointa à nouveau sa baguette vers le strangulot. « Immobilus ! » Il y eut un frémissement sous l’eau, partant de sa baguette et descendant jusque la créature. Et rien. L’être de l’eau se contenta de le regarder en montrant d’affreuses dents avant de repartir à l’assaut de sa cheville, le griffant toujours plus.

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— Calme et réflexion. C’étaient les mots que le professeur Thorstein avait assénés quelques secondes avant de les envoyer valdinguer dans l’eau. En temps normal, Dmitri avait un assez bon contrôle de lui-même lors des situations complexes ; l’habitude sans doute de se bagarrer avec ses frères ou de voir la colère de son père fondre sur lui. Il était plutôt bon en défense contre les forces du mal ; toute son enfance durant, il avait attendu de posséder sa baguette en rêvant de pouvoir disputer de grands et impressionnants duels plutôt que de donner de simples coups de poings, pourtant bien sentis, au reste de sa fratrie. Mais il y avait une situation dans laquelle il peinait à garder son sang-froid et paradoxalement, c’était dans cette eau glaciale qu’il commençait à sentir la panique grandir en lui. Il n’était pas mauvais nageur et pas mauvais sorcier, mais le propre des enfants était qu’ils pouvaient facilement perdre le contrôle de leur baguette et de la magie, pour peu que celles-ci soient un peu capricieuses... évidemment, il fallait que ça arrive alors qu’il était sous l’eau, son oxygène ne tenant qu’à une mince bulle d’air qui ne cessait de se réduire.

L’aiglon commençait dangereusement à se sentir impuissant face à l’épreuve qu’il affrontait, et ce sentiment était sans doute la pire chose qui puisse lui arriver : il peinait à se maîtriser lorsqu’il succombait à la crainte de se retrouver piéger. Comme lorsque la suédoise l’avait enfermé dans un placard, sans baguette. Une fois l’adrénaline de la révolution retombée, il avait simplement succombé à la panique... et il n’en était plus très loin. Seul le fait de savoir qu’il tenait encore son allié le plus précieux en main parvenait à l’en préserver.

Pointant celle-ci droit vers le strangulot qui s’acharnait toujours sur sa cheville, l’entrainant encore un peu plus au fond du lac, il fit ce qu’il savait être son dernier essai : la bulle était désormais si petite qu’il osait à peine respirer. « Immobilus ! » Un jet de magie fusa du bout de sa baguette, fonçant droit vers la créature qui couina de douleur – ou du moins, ce fut l’impression que donna le glapissement aquatique de sa cible – et le lâcha. Enfin ! Mais la joie fut de courte durée, la bulle rétrécissant à nouveau... jusqu’à disparaître. Le garçon avala un peu d’eau sous l’effet de surprise, battant frénétiquement des pieds et les bras brassant l’eau pour le faire remonter. L’ascension lui parut interminable mais ne dura en réalité pas si longtemps et enfin il sortit la tête de la surface, l’air s’engouffrant joyeusement dans ses poumons.

En quelques brassées, il atteignit le rivage, se hissant sur le bord avant de se ruer vers la première serviette inutilisée qu’il trouva. Il grelottait, sautillant tout en frictionnait avec sa serviette ses bras engourdis par le froid pour se sécher. Kathleen était déjà remontée – ce qui vexait beaucoup son orgueil – ainsi qu’Azure... quoique dans un état assez lamentable. Lui-même n’avait pas l’air très content ; mais ce n’était pas tant à cause du froid – maintenant qu’il avait pu se sécher un peu, ça allait mieux – que du fait d’avoir raté deux fois sa cible.


Dé lancé ici*

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