Moment imprécis durant l’année 2014 – 3 ans

Le premier souvenir que Maxton était capable de se représenter plus ou moins était celui du départ de ses parents. Si les visages étaient toujours flous aujourd’hui, il se souvenait du parfum sucré de sa mère quand elle le serra dans ses bras et de la voix grave de son père qui lui disait de faire attention à Blue. Il se voyait encore tourner la tête vers elle et se noyer dans ses grands yeux couleur océan remplis de larmes. Son regard, c’était la seule image réellement gravée dans sa mémoire, ça et la sensation de ses ongles plantés dans sa main pour qu’il ne la lâche pas. Dans quel contexte, pourquoi tout ça avait été dit, comment s’était déroulée la scène … il n’était pas capable de se le remémorer. Il savait juste que le premier souvenir de sa vie concernait Blue. Et que quelque part, il avait promis qu’à l’avenir, tous ses souvenirs seraient avec elle.

Mars 2016 – 5 ans

- Vous allez avoir une nouvelle famille, vous êtes contents ?

Maxton détestait cette dame. D’abord parce qu’elle était moche et qu’elle louchait. Ensuite, parce qu’à chaque fois qu’elle apparaissait dans leur vie, ils devaient changer de maison. A la rigueur, déménager ne le gênait pas. Il avait toujours peur d’être séparé de Blue. Il serrait sa main d’un air de défi, comme indiquer au monde entier qu’il ne la lâcherait jamais. D’une pression de la main, chacun signifia à l’autre ce qu’ils en pensaient, à savoir rien de bon. Maxton se contenta donc de jeter un regard glacial à la femme en face de lui, avec une forme de haine contenue inhabituelle pour un enfant de cet âge qui décontenança son interlocutrice. Oui, définitivement, il la haïssait. Mais il était avec Blue, alors il se contenterait du silence. Et quand il serait plus grand, il ferait en sorte de ne plus jamais quitter de maison en présence de cette femme.

Il n’eut pas besoin de grandir pour être exaucé. La maison suivante fut celle des Sherwin et les jumeaux furent définitivement adoptés.

Printemps 2018 – 7 ans

Maxwell se glissa discrètement dans le lit de Bluebell dès que leur mère adoptive eut le dos tourné. Etre séparé d’elle le rendait malade, comme si à chaque seconde où elle n’était pas dans son champ de vision, elle risquait de lui glisser entre les doigts. De toute façon, il se l’était promis, il ne la laisserait jamais. Bluebell affichait une moue boudeuse, l’air particulièrement contrarié. Maxton observa sa jumelle un instant, avant de conclure, sans même qu’elle ne parle

- Alexis ?

Les deux filles se détestaient. Par extension, Maxton la haïssait donc aussi, puisqu’elle troublait la tranquillité de sa précieuse sœur. Blue hocha la tête d’un mouvement rageur. Il pouvait deviner dans ses prunelles que la journée du lendemain serait consacrée à lui faire payer au centuple l’affront du jour. Alors, toujours aussi loyal, plutôt que de chercher à comprendre qui avait tort ou raison, un sourire mauvais illumina le visage du petit garçon et il murmura, sur le ton de la promesse.

- Toi et moi contre les autres, Blue. Raconte ton plan.

Le visage de la fillette s’illumina et le même sourire se refléta, en miroir sur celui de son frère.

Eté 2020 – 9 ans

- Ce n’est plus possible, ce comportement. Pour cet été, vous irez donc dans des camps de vacances séparés.

L’annonce avait l’effet d’une bombe. Maxton et Bluebell s’étaient lancé un regard désespéré, conscients que leur mère adoptive était très sérieuse. Cette communication mentale échangée, chacun avait réagi en accord avec sa personnalité. Bluebell avait hurlé, tempêté, pleuré sans succès, tandis Maxton avait usé et abusé de cajoleries avec ses parents adoptifs en espérant les faire changer d’avis. L’un comme l’autre avait échoué, ils n’étaient que des enfants, et le jour du départ avait été cauchemardesque. Bluebell s’était débattue comme si sa vie en dépendait, et Maxton, impuissant avait assisté à leur séparation. Contrairement à sa sœur, il n’avait ni griffé, ni mordu. Barricadé dans un silence stoïque, il avait refusé de communiquer avec qui que ce soit, se laissant dépérir à l’idée d’avoir échoué à tenir sa promesse de protéger Blue. Il savait qu’elle allait mal, il le sentait dans chaque fibre de son être et il ne pouvait rien faire. Il avait tenté de s’échapper pour la retrouver, sans succès. Alors, en moyen de pression, il avait juste cessé de s’alimenter. Leur guerre d’usure avait fonctionné, deux semaines après, ils étaient de retour, ensemble. Mais à quel prix …. Blue souffrait d’une claustrophobie dévorante qui fendait le cœur de Maxton, et lui était revenu encore plus mauvais que ce qu’il était à la base. S’il avait déployé des trésors de patience pour rassurer sa sœur, intérieurement, il n’avait plus jamais fait confiance à leur famille. Aujourd’hui encore, cet épisode lui reste en travers de la gorge.

Automne 2021 – 10 ans

- Blue, tu viens ?

Quand Maxton posait cette question, la suite de l’histoire n’était jamais reluisante. Agressif et bagarreur étant enfant, il entraînait Blue dans tous ses mauvais coups. Est-ce qu’ils extériorisaient une forme de mal être profond ou est ce qu’ils avaient juste le diable au corps ? Ce n’était pas très clair, ni même très important. La seule chose qui comptait, c’est qu’ils s’étaient persuadés que tous les maux qui les accablaient venaient nécessairement des moldus. Alors, si ces individus les faisaient souffrir, ce n’était qu’un juste retour des choses de les faire souffrir en retour, non ? Bien des enfants vivant aux alentours conservent d’affreux souvenirs des jumeaux Sherwin et de leur goût pour la violence. Et plus effrayant, certains disaient même qu’ils semblaient apprécier le contrôle que la situation leur procurait.

Août 2023 – 12 ans

L’homme du ministère face à eux avait une mine patibulaire et le visage aussi sympathique qu’une cellule d’Azkaban. Peut-être pensait-il qu’en donnait à ce rendez-vous une allure officielle, les jumeaux allaient avoir peur ? Foutaises, tant qu’ils étaient deux ils n’avaient peur de rien. Dans une dynamique implicite, mais bien rôdée, Bluebell prit un air repentant et se mura dans le silence, tandis que Maxton jouait le rôle de l’avocat. Blue était jolie, d’une beauté fragile et fascinante, mais impulsive. Elle devait donc se contenter de paraître vulnérable pendant que Maxton manœuvrait pour sauver leur peau.

- Blue et moi, on sait que ce qui s’est passé cette année est mal. Mais sur le moment … Monsieur Blackman nous a traité comme si nous étions ses enfants. C’était la première fois … Il nous a dit que la disparition des parents était la faute des nés moldus. Au début, on n’y croyait pas, mais si tout le monde vous répète ça en boucle, pendant des jours, appuyant sur votre plus grande faiblesse, vous feriez quoi vous ? On a pas su comprendre ou s’opposer. On avait que onze ans, on a obéi, hein Blue ?

Il avait mis ce qu’il fallait de trémolo dans la voix, d’hésitation sur les mots et de lueur chargée de regrets dans son regard pour que l’atmosphère de la pièce change petit à petit. Blue avait acquiescé, à défaut de pouvoir parler sans se trahir, et Maxton avait continué à répondre aux questions sur le même ton. Ils étaient ressortis aussi libres que l’air. Et persuadés que leur équipe était infaillible. Puis, il fallait bien admettre que l’année Blackman avait été l’une des plus intéressantes de leur vie.

Septembre 2023 – 12 ans

S’asseyant en face de sa jumelle, Maxton observa la distance qui s’était creusée entre leurs camarades et eux. Comme si les autres élèves ne voulaient pas les approcher. Fronçant les sourcils, il interrogea silencieusement Bluebell. Celle-ci, avec une grâce qui aurait fendu le cœur d’une ballerine, avait balayé la situation d’un geste de la main.

- Blackman n’est plus, je suppose que nous sommes tombés en disgrâce.

Tout s’expliquait. Les élèves avaient vu et compris la joie que les jumeaux avaient retiré de cette trop courte année et ils étaient désormais conscients que Bluebell et lui avaient des idées pour le moins extrêmes. Et une propension à tirer un certain plaisir du malheur des autres. Un léger sourire s’étira sur les lèvres de Maxton, et il conclut froidement.

- Cela empêchera que n’importe quelle vermine ne nous approche.

Et ils avaient continué leur repas comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Eté 2025 – 14 ans

Bluebell et Maxton étaient confortablement installés autour du lac, chacun profitant de l’air pur dans un silence agréable. Pour la plupart des gens, ils ne ressemblaient qu’à de charmants élèves, mais quiconque les connaissait aurait ressenti une sorte d’impatience larvée. Comme une tension contenue, mais pourtant bien présente. Les jumeaux n’étaient pas du genre à joyeusement s’amuser autour du lac en réalité. Quand les premiers hurlements se firent entendre, en même temps qu’apparurent les premières flammes, Bluebell tourna vivement la tête vers lui, un léger sourire aux lèvres et Maxton persifla

- Aies l’air surprise et désolée.

Bluebell se recomposa immédiatement un visage de circonstances et ils imitèrent les élèves qui les entouraient, singeant la panique et l’émotion. Maxton avait promis à la personne qui les avait informés des événements qu’ils ne diraient rien. Et il était un homme de promesses.

Famille biologique : Maxton n’a aucun souvenir de ses parents biologiques. Tout comme Bluebell, il se raccroche a une vieille photographie dont même la provenance parait sujette à caution pour mettre une image sur des personnes qui ne sont finalement que des inconnues. Certainement en raison du traumatisme que leur perte a représenté, il les idéalise et les fait correspondre en tout point aux parents dont il aurait rêvé. Ainsi, s’il se revendique fièrement sang pur, il ne sait pas qu’en réalité leur grand-mère maternelle était une moldue.

Parents adoptifs : Elisabeth et Wendell Sherwin n’ont de parents que le nom. Comme souvent dans les grandes familles sang-pur, ces derniers n’ont aucun sentiment louable à offrir, seulement de la froideur et de la haine des moldus. Leur philosophie aurait pu plaire aux jumeaux s’ils n’avaient pas ressenti un profond dédain envers le monde entier. A leur décharge, leurs parents adoptifs n’ont jamais cherché à les comprendre ou à leur offrir la moindre stabilité affective. Avec eux, ils ont obtenu une sécurité matérielle et une politesse de façade. L’accord implicite est clair, tant que les jumeaux correspondent à leurs attentes, ils forment une famille aux yeux du monde. Maxton les considère avec un désintérêt teinté de résignation. Il est conscient qu’il est arrivé depuis bien longtemps aux limites de ce qu’ils pouvaient lui offrir.

Victor & Alexis - frère et sœur adoptifs : objectivement, Victor et Alexis ne sont pas de mauvaises personnes, ils ont juste eu le tort de graviter autour de la sphère des jumeaux. Dans la relation aussi fusionnelle qu’exclusive qui le lie à Bluebell, il n’y avait pas de place pour un frère et une sœur. Ils n’ont donc jamais été proches et leurs relations sont même plutôt tendues. Si Bluebell a pris en grippe Alexis dès le départ, sa relation avec Victor a pu être dans le passé plus complice, au plus grand déplaisir de Maxton. Dans la bulle qu’il avait formé avec sa sœur, il n’y avait qu’un seul frère possible et il l’a très vite fait comprendre à Bluebell. Leur mantra, eux contre le reste du monde, a vite pris le dessus et Victor a très vite réintégré le cercle des « autres ». Maxton le tient cependant secrètement à l’œil, persuadé que Victor est le membre de leur entourage le plus susceptible d’ébranler sa relation avec Bluebell.

Bluebell – Sœur jumelle : A la disparition de ses parents, Maxton s’est senti investi d’une unique mission, celle de veiller sur Bluebell. Puisqu’il n’y avait qu’eux, c’était à lui de prendre soin de sa sœur et il n’a jamais dévié de cet état d’esprit. Confident, protecteur, ami, il joue tous les rôles auprès de sa sœur et se complaît dans cette relation fusionnelle. Avec elle, c’est eux contre le reste du monde. Cette façon que Maxton a de se considérer comme responsable d’elle a modelé sa personnalité de manière légèrement différente de celle de sa sœur. Pour lui être utile, il a appris à être froid et calculateur. Point d’impulsivité ou d’émotion parasite, il sait être calme et la raisonner. En échange, elle est la seule personne avec laquelle il s’autorise à tomber le masque et afficher plus qu’un sourire poli ou charmeur de façade. Après tout, elle est la seule personne qu’il aime dans ce monde et en qui il a confiance.

Erin et Finnbjörn Sørensen : évoluant dans les mêmes sphères, les deux paires de jumeaux se sont bien évidemment rencontrés et ont, dans une certaine mesure, sympathisé. Erin et Finnbjörn sont peut-être les seuls à pouvoir envisager le lien qui les unit Blue et lui, ce qui leur vaut de partir avec un a priori positif. Cependant, Blue et Erin se sont brouillées, et depuis, Maxton entretient bien plus discrètement son amitié avec la Sørensen, conscient que Bluebell enrage à cette idée. D’ailleurs, ils ne se sont réellement reparlé qu’à son arrivée à Poudlard. Quant à Finnbjörn, depuis que ce dernier a perdu la mémoire, Maxton est très réservé à son égard, ne sachant pas réellement comment se comporter.

Il était rare que Maxton se conduise comme un enfant de son âge. Habituellement, il faisait toujours plus vieux, toujours plus en décalage. Mais en ce jour de rentrée, il ressentait une sorte de joie enfantine à l’idée de découvrir Poudlard. Le frisson de l’aventure, le goût de la liberté aussi. Partir avec Bluebell était aussi pour beaucoup dans sa joie. Un internat n’aurait eu aucun intérêt sans elle. Ils échangèrent un sourire complice. Oui, définitivement, ils étaient heureux ce matin.

Pourtant, ils déchantèrent assez vite. Ils n’étaient pas habitués à évoluer avec d’autres enfants, tous leur semblaient piailleurs et agités. Ils étaient mélangés avec sorciers et sorcières au sang douteux. Rien ne collait avec leurs rêveries. Ce n’était pas qu’une légère dissonance, toute la mélodie était fausse à ce stade. Sentant que sa sœur déchantait autant que lui, Maxton se fit un devoir de la rassurer

- Pas besoin de fréquenter les autres tant qu’on devient de puissants sorciers, non ?

Cette pensée était rassurante. Elle donnait un sens à ce voyage qui n’en avait plus et leur permettait de se raccrocher à une perspective agréable. Ils avaient clairement besoin de cela en cet instant. Seul le château, majestueux, leur donna l’impression d’être à la hauteur de ce que le monde des sorciers devait leur offrir. Tandis qu’ils montaient les marches avec le troupeau d’idiots qui les poursuivraient jusqu’en dernière année, Bluebell lui glissa

- Tu crois que maman et papa étaient dans quelle maison

Maxton se renferma à cette question. Que diable voulait-elle qu’il lui réponde ? Il n’en savait pas plus qu’elle et c’était bien là leur drame, non ? Puis, s’il lui disait le fond de sa pensée, à savoir qu’ils avaient sûrement été à Serpentard, elle en aurait fait une maladie si elle était affectée dans une autre maison. La prudence l’obligeait donc à ne pas lui créer de déception, sous peine de le regretter ensuite.

- J'en sais rien

Sa réponse ne sembla pas la surprendre à outre mesure, elle était habituée à ses phrases laconiques quand quelque chose le contrariait. Dans un geste de soutien autant que d’excuse pour sa mauvaise humeur, Maxton glissa sa main dans celle de sa sœur. Ils n’allaient pas ternir leur premier jour avec des fantômes. Le présent était bien plus intéressant à vivre.

Tandis que la file se formait pour l’appel à aller se faire répartir par un vieux chapeau rapiécé, Maxton sentit son estomac se tordre sous l’effet de la peur. Il ne voulait pas perdre Bluebell, être séparé d’elle. Mais il devait admettre, en son for intérieur, qu’il savait que c’était une possibilité. Une possibilité d’autant plus inquiétante qu’ils avaient beau être jumeaux, ils restaient au fond assez différents. Quand sa sœur fut appelée, le choixpeau n’eut même pas le temps de frôler sa tête qu’elle fut répartie à Serpentard. Il fut certainement celui qui applaudit le plus fort. Elle avait réussi, réussi à avoir la maison la plus prestigieuse. Quand le silence revint, il observa le tabouret devant lui, avec anxiété. Pour la première fois, il était seul, réellement. Et il n’avait pas de prise sur la situation, lui qui aimait tout contrôler. Quelque part, ça le terrifiait. Avec Blue ou pour Blue, il n’avait peur de rien. Il tourna la tête vers elle et se noya l’espace d’une seconde dans ses grands yeux bleus. Ils n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre et il savait qu’elle encourageait. Vas-y, on vaut mieux qu’eux. On les écrasera quoi qu’il arrive. Rasséréné par ce contact visuel, il se dirigea avec une forme d’arrogance vers le choixpeau.

Il n’allait pas se laisser faire par un stupide chapeau parlant, non ?

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