Bluebell & Finn s'enfoncent dans la pénombre

Mon corps se paralyse, comme si tous mes muscles s’étaient subitement gelés. À côté de moi, je devine les mouvements de Bluebell, le sentiment d’horreur qui semble l’animer, sans parvenir à réaliser ce qui vient de se passer. Est-ce que c’est moi qui ai fait ça... ? Je sais bien que oui, ces serpents n’ont pas été appelés par l’intervention magique d’un esprit. Mon regard se perd un instant, s’attache à cette silhouette du loup, que je vois s’affaisser doucement, puis finir de s’effondrer. Ses hurlements plaintifs me parviennent, sans que je ne parvienne exactement à les relier à ce corps qui est probablement en train de mourir. Que suis-je censé faire à présent... ? J’ai toujours un plan, or il se trouve qu’actuellement, je n’en ai pas. Je voudrais bien sortir de ma poche quelque artifice qui pourrait tout remettre dans l’ordre, rembobiner les quelques dernières minutes, et faire comme si elles n’avaient jamais existé. Oui, c’est ce que je souhaiterais, je crois. La brise glaciale souffle, traverse nos vêtements, fait osciller les frêles branches des arbustes épineux, se propage entre les feuilles mortes qui recouvrent la terre gelée... Je n’ose pas immédiatement regarder Bluebell. Ça n’a rien à voir avec nos échanges précédents, cette fois son ton froid me rend fébrile. Pour la première fois depuis longtemps - depuis que j’ai retrouvé la mémoire à vrai dire -, j’ai le sentiment de faire quelque chose de mal, et je n’aime pas ça. Je voudrais que ça s’arrête... ! Pourquoi est-ce que je ne trouve pas le moyen de faire disparaître cette sensation ? Je la regarde se détourner de moi, comme si j’étais subitement devenu trop dangereux, comme si j’étais susceptible de menacer sa sécurité. « Bluebell, attends... ce n’est pas ce que tu imagines. » J’ignore pourquoi je ressens tant cette nécessité de me justifier auprès d’elle, de lui faire savoir qu’il ne s’agit que d’une sorte de malheureux malentendu, comme si je n’étais pas lié à ce qui vient de se passer. Je tente de me rapprocher de sa silhouette, se découpant dans la faible luminosité de nos Lumos, avec la timidité d’un enfant, et la honte de celui qui vient de terrasser inutilement un animal. Un simple Stupefix. Peut-être ai-je douté de pouvoir en réussir un convenablement, c’est pourquoi je me suis reporté sur cette étrange faculté dont je semble disposer ?

Je la laisse s’avancer vers l’animal, sans mot dire. Je n’ose pas l’interrompre dans cet étrange rituel, et me tiens immobile, le visage droit. Je suis tenté de baisser les yeux, mais je maintiens mon regard sur l’animal : une sorte de curiosité malsaine, peut-être, teintée de quelques regrets. Je les observe silencieusement, elle l’accompagnant dans son sommeil éternel, lui passant du monde matériel au monde spirituel. « Je voulais juste l’effrrrayer un peu, mais pas de cette manièrrre. » C’est la vérité. Certes à mes yeux notre sécurité prime, et passe avant celle de n’importe quel être qui soit, mais je promeus pas pour autant les sacrifices. J’aurais préféré que la bête nous attaque, j’aurais ainsi moins eu de scrupule… Mais elle est restée immobile, et à quelques mètres de nous, elle agonise silencieusement. « Tu dois me crrroirrre. Je n'ai pas voulu de ça. » Pourtant, je sais bien que si. Ce pouvoir m’appartient, c’est cette faculté après laquelle je courrais dans cette forêt... Et je me sens pourtant incapable de l’assumer, à cette heure de la nuit. Je fixe avec insistance ce fourré dans lequel j’ai vu la vipère disparaître, comme si je m’attendais soudainement à la voir réapparaître... Je veux qu’elle comprenne, je veux qu’elle partage cet étrange sentiment qui m’anime. Seuls quelques mètres nous séparent alors de l’orée, et je me rends alors compte qu’en quittant les bois, nous laisserons derrière nous tous les évènements de la nuit. Les attaques multiples, les courses dans la nuit, nos chamailleries, les battements effrénés de mon cœur, le soutien mutuel dans nos moments de vulnérabilité, sa cheville blessée, les épines se plantant dans notre peau, ma main dans la sienne… Il doit être tard à présent, trop tard. J’ai l’impression qu’une fois sortis, nous redeviendrons ces étrangers que nous avons été lorsque j’ai perdu la mémoire. Enfin, nous sommes intacts, j'imagine que je devrais m'en contenter.

Bluebell & Finn s'enfoncent dans la pénombre

Ce qui s’est déroulé sous nos yeux m’a laissé légèrement étourdi. Je n’ai que peu de souvenirs, donc la mort d’un être vivant me laisse difficilement insensible… J’ai toujours pensé que j’avais un rapport plutôt pacifique avec la mort, mais savoir que je l’ai provoquée me crispe. Bluebell a l’air sous le choc, et j’entrouvre la bouche, à la recherche de mots qui pourraient la rassurer. J’aimerais lui dire que je ne suis pas le monstre qu’elle croit, que je vais tout arranger. Mes doigts effleurent ma baguette, mais je me rappelle, non sans une certaine honte, que je n’ai plus connaissance des sortilèges de soins. Certain de mon incapacité à faire quoi que ce soit, je reste donc là, les bras ballants, à fixer l’enveloppe charnelle de l’animal mourant qui s’éteint en gémissant silencieusement. Au ton de la voix de la Serpentard, je devine aisément qu’elle m’en veut. « Tu penses que c’est ce que j’ai orrrdonné ? Je ne savais même pas qu’ils pouvaient m’entendrrre. » murmuré-je, en cherchant parmi les fourrés une trace de ces reptiles qui m’ont mystérieusement obéi. Ce pouvoir, je n’ai pas encore compris de quelle manière il était maîtrisable, mais je n’ai plus l’intention de m’en servir, du moins pas dans l’immédiat… Elle croise les bras et s’éloigne de moi comme si je représentais désormais un danger pour elle. Non, ce n’est pas le cas… Je ne lui veux pas de mal, malgré tout ce que je peux en dire. Difficile de croire qu’une proximité a pu se créer entre nous tandis que nous marchions dans les bois, à présent elle me semble si distante… Finalement, elle annonce la sentence : elle ne me croira plus. Ça n’aurait même pas du m’étonner, alors pourquoi est-ce que je me sens blessé par ses paroles… ? « Bien. Fais comme tu veux, aprrrès tout. » répondis-je d’un ton acide en fourrant mes mains dans mes poches. Je sais pourquoi elle le pense, mais je veux qu'elle retire ses paroles, je veux revenir en arrière, tout réécrire. « Qui serrrais-je pour prrrétendrrre êtrrre digne de ta confiance… » lâché-je presque entre mes dents, dissimulant avec difficulté le ressentiment qui m’habitait alors. Je la suis tandis que nous traversons l’orée dans un silence de mort ; pas trop loin parce que je ne pourrais me résoudre à la laisser seule, pas trop près pour ne pas me frotter aux épines de culpabilité qui émanent d’elle, et me sont destinées. J’ai la chair de poule, mais la sensation de l’herbe humide, coupée à ras du sol, me rappelle que nous avons franchi le périmètre de sécurité. Nous longeons la cabane du garde-chasse, le saule cogneur, puis nous approchons du premier mur.

Je ne peux m’empêcher de me sentir intimement rassuré lorsque nous pénétrons l’enceinte du château. Les dangers qui ont pu nous assaillir au cours de la nuit semblent derrière nous, même si nous avons été marqués physiquement par ces épreuves. Psychologiquement… je me sens étonnamment bien, pour quelqu’un qui sentait son coeur s’emballer un peu trop une heure auparavant. Un soulagement que Bluebell n’ait pas perdu de son mordant… cela témoigne au moins de sa bonne santé, malgré sa blessure. « Je n’aurrrais pas à l’exiger, un de tes camarrrades de Serrrpentarrrd finira bien parrr s’en charger tôt ou tarrrd, de sa prrroprrre initiative. » laissé-je échapper en haussant un sourcil moqueur, quand bien même je n’avais pas envie de rire ; je prétends peut-être souhaiter sa mort, il n’empêche que je ne sais pas comment je m’en serais tiré sans elle. Ma répartie n’a plus grand chose à voir avec de l’humour, à ce stade il s’agit simplement d’un mécanisme d’auto-défense. Parce que je refuse d’être celui qui perd la face, appelez ça comme vous voulez… Nos tons baissent tandis que nous traversons le hall, prenant garde à ne pas rendre nos pas trop bruyants. Sait-on jamais que des préfets rôdent, ce n’est pas l’ombre d’une sanction qui m’effraie, mais davantage la perspective d’avoir à me justifier : je n’en ai pas la moindre envie. Ma patience a été mise à rude épreuve par la forêt, faire bonne figure est à présent au dessus de mes forces.

Eclairés par la faible lueur des torches et de nos baguettes, nous arrivons au pied des escaliers : c’est là où nous nous quittons. Sa dernière phrase m’est restée en travers de la gorge, mais j’essaie de n’en rien laisser paraître. « Et sûrrrrement pas la derrrnièrrre. » répondis-je en haussant les épaules, et entamant ma montée de marches menant à la salle commune de Gryffondor. J’ignore de quelle manière je serais encore amené à la décevoir, mais puisqu’elle a vécu ma perte de mémoire comme une trahison à son égard, j’imagine que je n’ai pas fini de franchir le pas de la désillusion. Je n’ai pas prévu de me retourner, et commence à gravir les escaliers dans cet état pitoyable sans accorder un seul regard à Bluebell, qui elle, était amenée à les descendre. J’étais peut-être crasseux, désordonné, recouvert de saletés témoignants de notre récent passage dans la forêt - et qui nous vaudrait certainement une lourde sanction si nous croisions des préfets - mais pour autant, je garde le dos bien droit, l’air digne et fier, comme un prince. Malgré tout, à mi-chemin entre le rez-de-chaussée et le premier palier, je ne résiste pas à la tentation, et fais volte-face : je l’aperçois de dos, sur le point de disparaître vers les étages inférieurs : « N’oublie pas de te rrrendre à l’infirrrmerrrie demain pourrr ta jambe. S’il faut que je t’y trrraîne parrr la forrrce, je le ferrrais. » l’avertis-je, avant de poursuivre mon ascension. « Bonne nuit, Bluebell. » Je ne suis pas sûr qu’elle m’ait bien écouté, mais j’ai l’intuition qu’elle m’a pourtant entendu, rompant le silence religieux de la nuit. Alors, nos chemins se séparent, et je prends alors conscience que ma solitude est cette fois bien réelle, tandis que la lumière de mon Lumos me guide à travers les étages sous les murmures des tableaux… Je ne lui ai pas réclamé mon manteau, j’imagine qu’elle aura l’occasion de me le rendre plus tard… ou si cette occasion ne survient pas, je ferais en sorte qu’elle se crée.