Le dos d'Harriet disparaît dans l'escalier menant aux dortoirs des filles et moi, je reste bête à fixer les marches désertes qu'elle vient de monter. « Faut que je fasse ma valise » qu'elle a dit avant de bouger. Faut qu'elle fasse sa valise... J'ai l'impression que le monde s'arrête de tourner, comme à chaque fois que quelque chose me rappelle qu'elle va bientôt partir. Je le sais. Elle me l'a dit depuis quelques jours déjà et, pourtant, ça me laisse sonné à chaque fois, comme si je l'apprenais encore et encore... C'est juste que ça devient plus réel à chaque nouveau réveil. Les heures filent et nous rapprochent du moment où sa mère va débarquer pour venir la chercher. C'est con, parce que je vois bien qu'elle va bien, qu'elle vivra juste une autre vie ailleurs, dans une autre école, avec d'autres amis mais ça serait sûrement pas différent si on m'avait dit qu'elle allait mourir demain. Je sais même pas comment elle le vit, elle, en réalité. Elle avait pas l'air ravi quand sa mère lui a dit mais on en a quasiment jamais reparlé. Je sais pas si c'est parce qu'elle voulait pas y penser ou parce que j'ai tellement l'air au bout de ma vie qu'elle avait pitié. Je vais perdre ma meilleure amie. Celle à laquelle je vivais littéralement accroché depuis la rentrée. Elle va partir et laisser rien d'autre qu'un vide immense derrière elle. Son absence n'est même pas encore arrivée que, déjà, j'ai l'impression de me noyer. Comment je vais faire sans elle...? La question revient tout le temps mais j'ai aucune réponse à me donner. Je sais pas. Je sais juste pas... Dans cette salle commune où tout le monde a l'air de s'en foutre royal que ma meilleure amie se barre à l'autre bout du monde dans quelques heures, l'air devient irrespirable. J'étouffe. ...mais ça tombe bien, dans le fond, parce que ça va bientôt être l'heure du premier entraînement de l'équipe. Même ça, ça a l'air complètement débile, maintenant. Ça l'était déjà au moment où je me suis présenté aux sélections, on est d'accord mais... mais elle avait accepté de venir avec moi alors... alors c'était une mauvaise idée mais une mauvaise idée cool, quand même. Je nous étais imaginé nous entraîner ensemble durant les trous de notre emploi du temps, pour être sûrs de pas être les plus nuls de l'équipe, lever les yeux au ciel à chaque intervention pourrie de Blaze, revivre les matchs en disséquant les stratégies adverses en véritables experts... je nous avais imaginés vivre dans une série pour ado foireuse, d'accord, mais ça donnait à cette histoire de championnat dans lequel j'ai clairement pas ma place des airs moins effrayants qu'elle n'en a en vrai... Et maintenant...

Sur le trajet, j'ai envie de faire demi-tour au moins dix fois. C'est stupide. Je vais pas vraiment me pointer là-bas. Je les connais pas vraiment les gars, on est même pas amis... et puis y'a Blaze... Qu'est-ce que je vais foutre là-bas, hein ? Mais en même temps, je crois que je sais qu'il va bien falloir que la vie continue et qu'au moins, ça fera des gens avec qui traîner, même si c'est juste une heure par-ci par-là, le temps d'un entraînement. Je bugue un peu devant les portes du stade. J'ai pas envie de les passer. Je me sens clairement en trop, sur le point de foutre les pieds en terrain hostile. Je vais regretter si je le fais. Je vais regretter si je le fais pas. Exactement comme mon retour ici... même si, aujourd'hui, j'ai plus l'impression de le regretter beaucoup plus en l'ayant fait. Ça ressemble tellement pas à ce que j'avais imaginé dans ce putain de train, là... Je finis par prendre sur moi et entre enfin sur la pelouse. Je vais récupérer l'un des balais de l'école et rejoins discrètement Noah.

— Salut, je bredouille à peine en fixant le bout de mes chaussures.

Je ne suis pas à ma place ici. Ils vont vite s'en rendre compte. C'est pas parce quee j'ai pas fait le pire truc aux sélections que ça veut dire un truc. C'était juste la coïncidence, la chance du débutant. Je devrais fuir avant que ce soit trop tard. ...et juste au moment où je m'apprête à balancer un « j'ai oublié un truc » pour me tirer et jamais revenir, quelqu'un d'autre nous rejoint et me coupe littéralement dans mon élan. Je serais mille fois mieux en boule sous ma couette. Les deux autres ne mirent pas longtemps à débarquer à leur tour. J'ai laissé passer l'occasion de déguerpir... et je me déteste clairement pour ça.

— Salut à tous. J'espère que vous allez bien.

Oui... super... ma vie ici est en train de se barrer en ruines mais ça va génial... J'enfonce les mains dans les poches de mon pantalon et mon regard s'accroche désespérément à un brin d'herbe soufflé par le vent. Elle aurait dû être là, juste à côté... une présence rassurante même sans qu'elle ait rien à faire... Elle est sûrement encore dans son dortoir mais elle me manque déjà. Ma gorge se serre à cette pensée, mes doigts se crispent sur le tissus de mes poches.

— Le premier match arrive bientôt et comme chaque année on ouvre le tournoi en affrontant Serpentard. C'est une équipe quasiment neuve mais ce n'est pas pour autant qu'on doit les sous-estimer. Au contraire. Il ne faut pas oublier que Serpentard a gagné la coupe l'année dernière. A nous de les faire descendre de leur trône. Et pour ça il faut mettre les bouchées doubles.

Franchement, c'est à peine si j'arrive à en tirer un sens. On s'en fout, non ? C'est juste voler derrière une balle, et lui, il en donne presque des accents de guerre. Sûrement que c'est pareil chez tout les autres équipes mais, moi, je trouve ça ridicule, aujourd'hui. Ça avait l'air plus sérieux, presque héroïque en quittant les sélections, la dernière fois.

— On a pas de temps à perdre. On commence par trois tours de chauffe avant de commencer, avec des obstacles. Ensuite on passe aux exercices par poste. Les poursuiveurs, vous allez faire un exercice de passe rapide en évitant les obstacles puis un avec série de tir. Pour les exercices d'attrapeur, l'objectif est d'attraper le vif d'or le plus de fois possible et de plus en plus rapidement. Et pour ma part, je vais vous rendre la tâche compliquée en vous envoyant des cognards. Blaze et Hayden, vous pouvez commencer. Sidney et Jasper venez me voir.

Je relève les yeux à l'entente de mon nom et mon regard inquiet passe de Jasper à Noah. On...on a fait quoi ? Je m'attends presque à ce qu'il me dise qu'il a trouvé de meilleurs joueurs, que c'est bon, on peut dégager. Et même si ce serait hyper humiliant, je crois que je serais quand même soulagé.

— Je n'ai pas encore pris ma décision pour l'attrapeur de la saison, alors je vais vous demander de faire les exercices d'attrapeur et de poursuiveur. Je sais que c'est beaucoup mais j'ai besoin d'être certain de mon choix.

Oh... s'il veut... J'aimerais avoir le courage de lui dire « prends-le lui, moi je me casse » mais les mots restent coincés dans ma gorge et la seule chose que je parviens à faire, c'est hocher bêtement la tête. J'ai pas très envie de faire tout ça, pas très envie non plus de prendre la place d'Harriet ou de faire équipe avec Blaze. J'ai juste envie de retourner dans mon dortoir et d'oublier jusqu'à ce mois pourri qui aurait mieux fait de jamais exister.

— D'accord, je souffle simplement avant de m'exécuter quand il nous fait comprendre de rejoindre les deux autres.

Je sens que ça va être ridicule. Pitoyable, même. La honte absolue. Ils savent voler, ils savent jouer... pas moi.

— Ha et pour info, si vous voulez vous plaindre, les vestiaires c'est par là.

J'ai une seconde d'hésitation, durant laquelle je me risque à jeter un œil aux autres... personne n'a rien dit, si...? ou en tout cas, j'ai rien entendu. Cette remarque gratuite achève de me mettre mal à l'aise. Je suis pas certain d'avoir besoin d'un autre endroit qui fonctionne sous la menace... on a déjà la salle commune et les idées pourries de notre préfet pour ça... mais peut-être que j'ai mal compris et qu'il s'adressait à quelqu'un en particulier, que j'ai juste pas fait attention à un soupir ou quoi... je sais pas... Je mets mes doutes dans un coin de ma tête et me plie à l'exercice, le moral dans les chaussettes et l'esprit ailleurs...

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