On ne pouvait pas dire que Bevans passait un bon début de journée. Dans ses rares moments d’intransigeances éphémères, il avait cependant décidé que ses élèves n’en passeraient pas une non plus. Mais ce besoin vindicatif n’avait que bref, vite rattrapé par cette culpabilité puérile qui l’empêchait d’avoir la sévérité d’un professeur digne de ce nom. Et l’absence de barbe sur ses joues lui donnait l’impression d’avoir drastiquement sa crédibilité, déjà bien basse. Et pourtant, il avait pourtant eu le courage de demander aux deux coupables de cette blague ridicule de rester à la fin du cours. Le binôme n’en avait pas globalement pas mené large durant le cours mais Caerwyn n’était pas dupe. S’ils sentaient que cette convocation ne sentait pas spécialement bon pour eux, leur professeur n’ignorait pas qu’ils tenteraient de retourner la situation dans tous les sens pour le faire plier lui. Le regard dur, nerveux, Bevans regarda la salle de cours se vider pour ne garder que lui-même, Silas et Dmitri entre ses murs. L’adulte redevenu adolescent n’avait pas l’ombre d’un sourire sur son visage d’une pâleur presque vampirique. Il passa derrière son bureau, leur fit signe de venir devant et s’assit dans son fauteuil sans plus de cérémonie.

— Approchez.

Il les regarda sans trop savoir par où commencer. Les deux adolescents étaient des têtes dures, il les connaissait, parfois prompts à l’insolence. Néanmoins, il avait moins de choses à reprocher à Silas. Ce dernier n’avait, après tout, pas fait d’esclandre jusque-là dans ses cours. Dmitri, en revanche, c’était une toute autre histoire. Le manque de respect, le cognard et maintenant ceci. Il était quelque peu désemparé de l’incapacité du Tchèque à juste se tenir tranquille. Par ailleurs, il commençait même à avoir l’impression que tout ceci devenait ridicule. En tant que Directeur de Serdaigle, il s’était senti responsable de son élève, presque garant. Cela faisait des semaines qu’il essayait de faire en sorte que Dmitri ait moins ce regard torve et défiant envers tout le monde, des semaines que ses collègues lui disaient que c’était une cause perdue et la fatigue morale, accumulée avec le reste, commençait à jouer sur son humeur. Peut-être aurait-il dû écouter Wenceslas et Jack, bien plus expérimentés que lui, qui lui avaient dit que Dmitri n’était rien d’autre qu’une perte de temps et une source d’ennuis, au lieu de s’obstiner dans son idéalisme utopique. Il se passa une main moite et nerveuse sur le visage avant de poser ses deux paumes sur son bureau.

— Je pense que vous savez tous deux pourquoi vous êtes là.

Avant que les protestations ne s’enchaînent, il leva une main intimant le silence avant de renchérir rapidement, ne leur laissant pas l’occasion de placer un mot :

— Je sais que c’est vous. Quelqu’un vous a vus. Et même si on vous avait pas balancé, je savais que c’était vous, surtout toi Silas.

Il se tourna vers l’élève de Serdaigle.

— Franchement, qu’est-ce qui t’a pris ? C’était quoi le projet derrière tout ça ? « C’est qu’une blague, monsieur, on a rien fait de mal. » Vous avez empoisonné vos professeurs !

Plus il parlait, plus son ton perdait de son calme. La dernière phrase était morte dans un éclat de voix significatif du courroux qu’il parvenait pourtant à réfréner jusque-là. Crier sur les autres n’était pas dans sa nature et détestait cela. D’une part, parce que la colère n’était pas une émotion qu’il ressentait souvent et qu’il n’aimait en être la proie. De l’autre, parce qu’au jeu de celui qui parlerait le plus fort, il en ressortait toujours perdant, sa gorge finissant toujours par s’étrangler à un moment ou un autre et son regard fuyant toute source de conflit. Mais il ne pouvait pas se laisser intimider par deux élèves d’une quinzaine d’années.

— Et toi, Dmitri, je me passerai de tout commentaire.

La phrase avait été teintée d’une déception glaciale, un énorme sentiment d’échec naissant dans la gorge du professeur.

— Vous vous rendez compte que l’addition va être salée, j’espère ? Que mettre une potion dans le café de vos professeurs à leur insu peut être motif d’exclusion définitive ?

Il lança brièvement un regard à Dmitri qui savait certainement que cette menace lui pesait au nez depuis un moment. Et il semblait qu’il ne se passait pas une semaine sans que son directeur de maison ait besoin de le lui rappeler. Viendrait un jour où il ne pourrait peut-être plus rien faire pour lui et ce jour était sûrement arrivé. Silas avait néanmoins certainement plus de chance de dormir à Poudlard ce soir-là. Mais s’il n’avait eu aucun problème disciplinaire notable avec Bevans, il était certain que cet incident mettait un gros point noir à son dossier ainsi qu’à l’estime que son professeur avait pour lui. Après tout, c’était lui qui lui avait donné l’idée. Bienveillant, candide sûrement, il avait espéré que son conseil puisse aider Silas à améliorer ses compétences. Son regard juvénile se durcissant un peu, il se promit qu’il ne se laissait plus aller à ce genre de philanthropie naïve.

Comme Bevans s’y était plus ou moins préparé, la remontrance ne se passait pas comme prévu. S’il était habitué à l’insolence de Dmitri, celle de Silas était plus inattendue. Que les deux élèves nient les faits et se défendent en se faisant passer pour innocents n’avait rien d’inhabituel. Néanmoins, pour faire bref, le binôme infernal du jour n’en avait strictement rien à faire de ce que leur professeur leur disait. Silas, qui avait été plutôt discret et mutique durant le cours, à l’instar de Dmitri d’ailleurs, semblait être animé d’une ferveur des plus désobligeantes qui laissa Bevans coi sur le moment. Leur directeur de maison resta interdit, surprit que ses deux fauteurs de troubles se montrent aussi enclin à partir rejoindre les serres. Quelque peu désemparé par leur comportement fuyant à tous les deux, il resta un instant immobile, les regardant simplement lui tourner le dos après avoir lâché quelques remarques encore plus insolentes. Bevans fut un instant tenté de les laisser partir. À quoi bon, après tout ? Il avait beau mettre en garde Dmitri, voilà que le garçon prouvait encore qu’il n’en avait cure. Revenant à la réalité (il était leur professeur après tout), il posa brusquement ses deux paumes juvéniles sur son bureau et se levant d’un bond.

— JE N’AI PAS FINI, BORDEL DE MERDE.

Il eut un profond soupir avant que son menton ne s’abaisse, l’expression furieuse de son visage disparaissant aussi sec. Non seulement il n’aimait pas crier, mais il sentait bien que sa voix n’avait pas grand-chose à voir avec celle qu’il avait d’habitude. Nerveux, il se passa une main sur le visage et dans le doute, ferma magiquement la porte du cachot. Il se doutait que les deux adolescents n’allaient pas tarder à se sentir pris au piège par leur directeur de maison, mais ce n’était en réalité pas tout à fait le cas. Anticipant leurs visages scandalisés, il avait gardé les yeux baissés sur son bureau. Il avait toujours cette colère qui lui griffait l’échine et qu’il n’était pas habitué à ressentir. Mais depuis le début de la journée, il se sentait extrêmement nerveux, plus que d’ordinaire, sentant que son comportement devenait relativement erratique. Essayant de reprendre contenance quelques courtes secondes, ignorant totalement les protestations s’il y en avait. Finalement, après quelques instants de réflexion, il finit par relever la tête et les regarder tous les deux, son visage d’adolescent toujours froid et sans l’ombre d’un sourire. Pourtant, d’un ton plus doux, mais sans pour autant être chaleureux, il dit :

— Je crois que vous n’avez pas tout à fait saisi le problème. Alors on va reprendre : il y a derrière cette porte quelques collègues qui n’attendent qu’une chose, c’est de voir la tête des coupables sur une pique.

Il jeta un regard à Silas. Il ne manquait plus que celui-ci prenne sa métaphore au pied de la lettre. Si c’était le cas, aucun d’entre eux n’était sorti du sable.

— Si le Professeur Griffith vous voit arriver maintenant, vous deviendrez ses principaux suspects. Pourquoi ? J’ai prévenu de votre retard à son cours en indiquant qu’au vu de vos capacités en potions, vous seriez les plus à même de m’aider pour préparer celle qui remettrait tout dans l’ordre. Je ne sais pas si mon mensonge va tenir longtemps, mais une chose est sûre, vous ne pouvez pas m’aider en seulement deux minutes.

Bien évidemment qu’ils n’en avaient rien à faire du bourbier dans lequel Caerwyn s’était mis tout seul auprès de sa collègue. Comme un grand, il s’était également jeté dans la gueule du dragon en acceptant son invitation à se faire maquiller en fin de journée par elle. S’il avait globalement hâte de ce début de soirée, elle aurait tout le loisir de le cuisiner comme elle le voudrait. Avant que les deux élèves ne puissent dire quoique ce soit, il reprit :

— Peu importe comment je sais que c’est vous, peu importe qui vous a balancé, estimez-vous heureux que ce soit moi qui le sache plutôt que le Professeur Aylmer par exemple. C’est pourquoi vous êtes toujours là.

Il se tourna alors vers Dmitri :

— Je ne vais pas pouvoir te couvrir éternellement. J’ai déjà essayé d’arrondir les angles auprès de ton père et du Professeur Griffith après l’incident du Quidditch mais vraiment, tu me facilites pas la tâche, là.

Inutile de préciser qu’il avait essayé de négocier le matériel de peinture de Dmitri auprès de sa collègue. Bien que les négociations se soient soldées par un échec de ce côté-là, l’élève de Serdaigle détestait tellement son professeur de potions qu’il n’était même pas certain qu’il daigne le croire. Il se passa une nouvelle main sur le visage avant de pousser un profond soupir qui trahissait son épuisement certain.

— Franchement, ça vous a apporté quoi de faire ça ? De vous marrer un bon coup et c’est tout ?

Comment blâmer des gamins, après tout ? Visiblement, ils ne parvenaient pas à comprendre la portée de leurs actes.

— Au moins, elle était impeccablement réussie, je peux au moins vous attribuer cela.

S’ils pouvaient mettre autant d’énergie dans les potions de cours que dans leurs idioties… Leurs récentes préparations n’étaient pas fameuses, surtout celles du jour. Ils étaient loin d’être mauvais dans cette discipline, mais récemment, les deux élèves semblaient avoir la tête ailleurs.