La rentrée du nouveau professeur de potions avait été pour le moins mouvementée. Accueilli à coups de boules de neige par une partie de ces nouveaux collègues, un peu intimidé par les élèves qu’il avait désormais à sa charge, Caerwyn peinait un peu à prendre ses marques. Puis, se retrouver en tant qu’enseignant dans ce cachot sombre où il avait passé tellement d’heures durant son adolescence l’impactait plus que prévu. Quand il fut arrivé dans la salle de cours la première fois depuis son embauche, il était bien resté plusieurs dizaines de minutes, debout, immobile, à se laisser imprégner de l’ambiance de ce lieu qui n’avait été plus qu’une rêverie pendant de si longues années. Il avait effleuré les coins des bureaux du bout des doigts, avait inspecté la multitude de fioles sur les étagères qui couvraient le moindre centimètre carré de mur. Des odeurs oubliées revirent du plus profond de sa mémoire, accompagnés de souvenirs auxquels il n’avait plus pensé depuis si longtemps, à tel point que parfois, il s’était demandé si tout ceci avait été bien réel. Pourtant, il lui faudrait convenir dans ce nouvel environnement. Il n’était certes pas vêtu des traditionnelles capes de sorcier, préférant encore son accoutrement de Moldu. Mais peut-être qu’un jour, il rentrerait dans le moule.

Cependant, malgré cette adaptation pour le moins intense émotionnellement, ses collègues semblaient être prêts à lui tendre la main. Ce fut notamment le cas du Professeur Myrthilde Grant, qui, peu de temps après l’installation de Caerwyn au château, lui avait une courte note lui demandant son aide. En réalité, il avait eu un bref doute sur les intentions de sa collègue d’Histoire de la Magie. Sa demande était pressante comme l’avait laissé sous-entendre la lettre. S’était-elle donc tournée vers lui par nécessité désespérée ou cherchait-elle à le tester ? Après tout, elle avait souligné que ce fameux Elixir de Triple-Vue dont elle avait besoin était destiné à l’aider à dormir. Caerwyn semblait certes débarquer à Poudlard sans trop savoir ce qu’il faisait ici, mais il connaissait suffisamment son métier pour savoir que cette justification n’avait que peu de cohérence. Mais il n’avait certainement pas à être aussi méfiant. Non… Mais la quantité que cette Professeur demandait dépassait la dose habituelle qu’un sorcier prendrait en temps normal. Il se pouvait qu’elle anticipait juste une nouvelle pénurie ? Ou que son potionniste tardât à lui répondre à nouveau. Une pensée effrayante lui vint alors en tête : c’était peut-être une chose répandue chez le corps enseignant de Poudlard de profiter des effets de cette potion pour mieux supporter les élèves ? Non, non, c’était improbable. Il chassa de sa tête cette idée saugrenue aussi vite qu’elle n’était arrivée. Assis à son bureau, il n’eut finalement pas y penser plus longtemps car on frappa à sa porte.

— Oui, entrez !

Il se releva brusquement, se cogna légèrement le genou sur le coin de son bureau. Nerveusement, il tenta de lisser les plis de  son sweat à capuche très Moldu même si cela ne servait à rien. S’il avait décidé sciemment de faire vestimentairement tache dans le paysage, aplatir le tissu ne serait que vain pour sauver les apparences. Heureusement, il élevait son standing lorsqu’il s’agissait de faire cours, ce qui n’était pas le cas pour cette journée qui touchait à sa fin. La porte s’ouvrit et le professeur Grant entra, le remerciant de bien avoir accepté de la recevoir et s’enquérant de son installation.

— Professeur Grant, bonjour ! C’est tout naturel, voyons, vous me remercierez quand vous aurez votre Elixir dans les mains. Je vous en prie, installez-vous.

Avec un grand sourire caché à moitié par sa barbe hirsute, il tira une chaise pour l’inviter à s’asseoir et retourna dans le fauteuil derrière son bureau.

— Et bien ma foi, ce n’est pas de repos, mais c’est une histoire de rythme, j’imagine. Cela ira mieux dans quelques temps.

Il eut un léger rire avant de reprendre.

— Alors dites-moi, cette potion. J’ai cru que comprendre par votre mot que c’était plutôt urgent. J’ai envoyé hier soir un hibou à un ancien collègue, lui demandant s’il pouvait me fournir des œufs de Runespoor car je crains ne pas en avoir dans mes réserves. Je n’ai pas encore pu en faire le tour convenablement mais je ne pense pas avoir une telle ressource pour le moment. Quelle quantité vous faut-il exactement ?

Il avait une foule de questions dans sa tête à lui poser. La plus importante était certainement l’usage de cet Elixir de Triple-Vue pour dormir. Autant boire quatre tasses de café avec deux canettes de boissons énergisantes, cela serait tout aussi efficace. Peut-être exagérait-il un peu mais tout de même. L’usage n’était clairement pas adapté. Pourtant, il se garda bien de demander les raisons d’un tel breuvage pour cette utilisation si particulière. Il était, en effet, toujours persuadé d’être testé, observé, voire même évalué. Rien de bien choquant là-dedans ? À part peut-être la manière sournoise de le faire, non ? Qu’importe. Il relèverait fièrement le défi et y arriverait.

Le professeur Grant semblait bien avenante et poliment soucieuse de l’adaptation de son nouveau collègue. Cela réconforta Caerwyn. Le professeur Alexander lui avait déjà proposé son aide s’il avait la moindre question et cela faisait plaisir de voir qu’il n’était pas vu comme un intrus. Car cela aurait pu, pour plein de raisons. Notamment son manque cruel d’expérience, ce que nota sans attendre le professeur d’Histoire de la Magie. Pourtant, elle n’attendit pas pour le rassurer, lui disant qu’il finirait bien à se faire à la cohue constante et au brouhaha. Il se détendit légèrement. Peut-être n’était-elle pas là pour le tester finalement. Il fallait dire que son allure générale avait quelque chose d’un peu intimidant au premier abord, en plus d’être assez sophistiquée. Ce qui dénotait énormément de l’apparence négligée de Caerwyn. Les deux professeurs ne pouvaient pas être plus dépareillés l’un avec l’autre mais cela avait quelque chose d’amusant aux yeux du nouveau venu. Il n’y avait pas raison qu’il ne puisse pas afficher ses préférences vestimentaires alors que les autres le faisaient fièrement. Il privilégiait juste le confort à l’apparence. Cela n’était pas un crime, jusqu’aux dernières nouvelles. Il se permit même un sourire poli à sa collègue.

— Non, je n’ai pas enseigné mais ça ira oui. Pour l’instant, tout se passe bien en tout cas, merci.

Elle proposa alors une solution pour acquérir des œufs de Runespoor. Sa mère, bien que présente sur un autre continent, semblait pouvoir leur en fournir facilement. C’était en effet une proposition intéressante mais Caerwyn était persuadé que son ancien collègue pourrait le dépanner. Si les deux professeurs parlaient bien d’une aide ponctuelle. Ce qui semblait être le cas puisque le professeur Grant lui confirma qu’elle n’aurait besoin que d’une seule fiole. Son collègue hocha la tête, ayant bien compris sa demande. Il ouvrit le tiroir de son bureau et en sortit la petite fiole qu’elle lui avait envoyé par hibou la veille.

— Je devrais avoir ce qu’il me faut normalement. Mais il est vrai que l’élixir dans cette fiole est différent de d’habitude. J’ai déjà eu l’occasion d’en préparer quelques-unes et il me semblait pas qu’elle était si…

Il agita très lentement la fiole et observa le comportement de son contenu.

— Si visqueuse, voire « grasse ». Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire.

Il marqua une pause et entreprit d’enlever le petit bouchon.

— La couleur est correcte, tout comme l’odeur. C’était comme si votre potionniste s’était trompé dans les proportions. À vue d’œil, cela n’a rien de catastrophiques au niveau des effets secondaires mais…

Mais cela n’était certainement pas fait pour aider à s’endormir, bien au contraire, même. Cependant, il se garda bien de faire ce commentaire. Après tout, cela ne le regardait pas le moins du monde. Il se trouva légèrement inquiet pour sa collègue néanmoins, se demandant si elle n’était pas en train de se faire avoir par un charlatan qui lui vendait des doses déjà trop fortes de l’Elixir Triple-Vue en prétendant que cela agirait en tant que somnifères. Il referma alors la petite fiole et la reposa délicatement sur un socle prévu à cet effet.

— Si vous voulez exactement la même puissance que cet échantillon, il me faudra sûrement plus d’œufs que mon ancien collaborateur ne pourra m’en donner. À moins que mon titre de professeur des potions à Poudlard m’octroie certains privilèges sur des ingrédients que j’ignore encore ? J’irai me renseigner auprès du Professeur Armitage. Sinon, contactez votre mère, ce sera peut-être plus rapide.

Il eut un sourire poli.

— Souhaitez-vous boire quelque chose, Professeur Grant ? Un thé peut-être ?

Il se leva de son bureau, prêt à répondre à la demande de sa collègue.

Le Professeur Grant eut la gentillesse de ne pas poser plus de questions sur le manque d’expérience de son collègue. Si Caerwyn avait répondu honnêtement, il n’avait pas non plus envie de s’étendre sur ce sujet-là qui le complexait grandement. Il savait que sa nervosité se faisait voir de temps en temps, peut-être même plus souvent qu’il ne voulait l’admettre, malgré ses sourires joviaux de façade. Pourtant, elle le mit en garde contre de potentiels colis douteux qu’il pouvait recevoir de par sa qualité de professeur et de directeur de maison. Il déglutit difficilement et ne put cette fois-ci dissimuler l’ombre d’inquiétude paniquée qui se glissa dans ses iris brièvement. Poudlard était vraiment un endroit dangereux, il n’avait cessé de le dire depuis la fin de la première année de sa scolarité en ces lieux. Il s’égara un instant dans ses souvenirs d’enfance avant de reprendre rapidement contenance et de recouvrer son sourire. Il n’avait pas besoin que tous ses collègues soient au courant de son sentiment d’insécurité. De toute façon, s’il ne s’était pas senti à la hauteur dès le départ, il n’aurait jamais dû accepter le poste, lui dirait-on. Alors il se rassurait en se disant que pour l’instant, ses cours se déroulaient plutôt bien et qu’il n’y avait pas eu d’évènements majeurs à noter.

Elle le rassura alors quant aux proportions insolites de sa potion, lui avouant également qu’elle en consommait depuis l’enfance. Voici donc l’explication d’un dosage aussi fort. Une quantité traditionnelle ne devait plus du tout lui faire effet. Il ne put s’empêcher d’avoir un regard inquiet pour sa collègue, sachant que l’élixir n’était absolument pas fait pour dormir, bien au contraire. Mais ils n’étaient clairement pas assez proches encore pour qu’il ose se mêler de ce qu’il ne regardait pas, même si sa curiosité était piquée au vif. Il se contenterait de l’aider et elle aurait tout le loisir de lui expliquer une telle dose de cheval si elle le souhaitait. Après tout, lui-même avait été nébuleux sur sa présence à Poudlard et son manque d’expérience. Il se demandait si se cacher ce genre de choses entre collègues était vraiment une bonne manière de travailler ensemble mais tout ceci révélait du domaine personnel. Il n’y avait pas de drames à ne pas être les plus proches confidents dès le départ. Il porta son regard sur la petite fiole avec un air pensif, essayant de déterminer à l’œil la quantité d’œufs ajoutés à la préparation initiale. En même temps, il réfléchissait à une potion de sommeil réellement efficace pour sa collègue. Ce n’était pas ce qu’il manquait dans le monde sorcier mais il se doutait que le Professeur Grant avait dû toutes les essayer.

La jeune femme attrapa alors un parchemin sur son bureau et entreprit de noter l’adresse dont ils venaient de parler. Caerwyn récupéra le papier et y jeta un coup d’œil. Il ne manquerait pas d’envoyer un hibou dans la journée afin d’avoir un réapprovisionnement sûr et régulier. Néanmoins, il était toujours en train de se demander si cela valait bien la peine que les deux professeurs se donnassent tant de mal à trouver le moyen le plus efficace de se fournir en quantité importantes d’œufs de Runespoor. Après tout, il ne s’agissait là que de dépannage, n’est-ce pas ? Caerwyn avait une sorte d’éthique étrange où il avait l’impression que donner une telle dose de cheval au Professeur Grant le rendait complice de quelque chose. Il avait même l’étrange impression d’être une sorte de dealer et ne pas suffisamment venir en aide à sa collègue. Pourtant sa réticence était bien vite balayée par une lâcheté sociale et une volonté saugrenue de pas vouloir faire de vagues. Docile, il ferait ce qu’on lui dirait de faire, même si ses limites venaient à être chatouillées présentement. Il se leva et entreprit alors de faire manuellement le thé, n’ayant jamais pris l’habitude d’utiliser sa baguette pour faire des choses si simples.

— Je vous remercie énormément pour vos informations et vos conseils. Je me doute que l’Histoire de la Magie ait moins besoin d’ingrédients que la botanique ou les potions.

Il sourit amicalement derrière sa barbe fournie, faisant bouillir de l’eau. Il attrapa à son tour un parchemin et une plume et se rassit en face du Professeur Grant.

— Je vais noter les caractéristiques de votre élixir. Ainsi, vous pourrez reprendre votre échantillon si vous en avez besoin.

Il griffonna quelques notes sur son papier, ses yeux alternant entre les mots qu’il couchait et la petite fiole. Finalement, il finit par poser sa plume et lui tendit l’élixir, non sans une pointe de retenue et d’hésitation. Avec de telles doses, elle ne risquait pas la mort, non, mais il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet pour elle. Avec douceur, il dit pourtant :

— Faites attention, quand même…

Ce n’était nullement une menace. Il n’y avait par ailleurs aucune froideur ni dans sa voix, ni dans son sourire. Simplement une réelle et vive préoccupation. La bouilloire finit par siffler derrière lui et il se leva avant de la poser sur un plateau, d’y mettre deux tasses et d’apporter plusieurs petites boîtes contenant différentes variétés de thé. Il revint alors au bureau.

— Tenez, je vous laisse choisir ce que vous voulez mettre dedans. Je suis moi-même plutôt difficile sur les thés.

Il sourit poliment et reprit alors, tentant de faire la conversation, aussi bateau fut-elle :

— Et vous ? Cela fait longtemps que vous enseignez à Poudlard ?

Il entreprit alors de faire infuser les quelques feuilles de verveine dans l’eau bouillante de sa tasse. Il n’avait jamais été trop thé et s’y connaissait bien plus en bières. Mais cela ne faisait peut-être pas bonne impression pour une rencontre plutôt sérieuse et professionnelle. De plus, le Professeur Grant avait quelque chose de presque intimidant dans son apparence si noble. Quelque chose lui disait que lui demander des nouvelles de la dernière IPA anglaise qu’il avait découvert à un festival de métal n’allait certainement pas trouver public. Après, les apparences pouvaient être trompeuses, il savait de quoi il en était, mais il préférait y aller en douceur pour le moment.

Caerwyn hocha la tête, soulagé que le professeur Grant n’utilisât pas cette potion quotidiennement. Il s’était trompé et il en était presque ravi, pour une fois. Il regarda la fiole disparaître de son champ de vision, légèrement perdu dans ses pensées. Cela ne serait pas très difficile à faire, il allait juste faire très attention au dosage et à la façon qu’il fallait mettre les œufs de Runespoor supplémentaires. Cela risquait de changer quelques étapes de la potion mais c’était largement dans ses cordes. Lorsqu’il était au Chemin de Traverse, il avait souvent eu à faire à des demandes plus insolites de clients (comme un poison mortel mais qui ne tue pas) et il fallait alors faire preuve de créativité pour satisfaire les badauds. Et jusqu’ici, tout s’était bien passé. Il n’y avait pas de raison que ses qualités de potionniste soient annihilés en présence de ses murs. Il se passa machinalement une main dans sa barbe et sourit à collègue afin de la rassurer. Il n’était pas du tout mal à l’aise avec le fait de l’aider, mais plutôt avec le fait d’entretenir une quelconque addiction. Il alors poliment et secoua légèrement la tête avant de dire d’un ton posé :

— Non, non, il n’y a pas de soucis. Je vous aiderai volontiers.

Soulager le mal d’une collègue était tout à fait naturel, il ne voulait juste pas la pousser un peu dans les bras d’une quelconque dépendance. Sinon, il en ferait sa responsabilité d’essayer de la sortir de là, bien que cela ne soit absolument pas ses affaires. Il ne voulait certainement pas paraître intrusif – d’autant plus qu’il venait seulement d’arriver – mais il garderait un œil sur sa collègue et sa consommation de l’Elixir de Triple Vue. Merlin savait ce qu’une accoutumance prolongée pouvait faire. Les potions ou philtres en tout genre étaient des objets magiques puissants, certains avaient même des effets similaires aux sortilèges. Même parmi ces derniers, certains étaient inoffensifs mais Caerwyn n’avait aucune confiance dans le fait d’encaisser plusieurs Rictusempra à répétition. Dans tous les cas, il n’était clairement pas assez téméraire pour tenter l’expérience. Abuser de quelque chose était dans tous les cas dangereux, de cela il était convaincu. Il jeta un dernier coup d’œil aux quelques notes qu’il avait griffonné pour la potion aménagée du professeur Grant et les rangea dans le tiroir de son bureau avant de finalement préparé son propre thé. Une fois qu’elle serait retourner vaquer à ses occupations, il irait directement envoyer ce hibou à l’apothicairerie.

Elle répondit alors courtoisement à sa question, lui racontant alors ses expériences. Cela faisait deux années qu’elle enseignait à Poudlard mais avait eu une expérience plus conséquente dans l’école de sorcellerie ougandaise, Uagadou. Caerwyn avait bien évidemment entendu parler de cet établissement, c’était l’un des plus prestigieux par ailleurs. Il savait que là-bas, les sorciers n’utilisaient aucun baguette magique et faisaient tous à la main. Cela pourrait intéresser la jeune Maximilianna Stein, songea-t-il. Mais la professeur d’Histoire de la Magie devait être déjà au courant des ambitions de la Poufsouffle. Il écouta donc lui parler des fameuses différences pédagogiques entre Poudlard et Uagadou et disait l’adapter et mélanger les deux. Il hocha la tête avec approbation. En bon ancien Serdaigle, Caerwyn était très partisan de partager le plus possible tout savoir acquis au cours des expériences vécues. Sortir des sentiers battus du Ministère étaient bien plus ludiques et enrichissant que simplement lire les dates du manuel. Il se souvenait des interminables cours de Binns et n’en gardait pas un souvenir intarissable. Heureusement qu’il avait trouvé la matière intéressante malgré tout. Il prit une gorgée de son thé après avoir légèrement touillé le contenu. Puis il sourit à sa collègue et dit alors :

— Vous avez bien raison. Le savoir est quelque chose qui doit se partager. Votre expérience à Uagadou a dû être très enrichissante, cela serait dommage de ne pas la partager. J’espère qu’à l’occasion vous m’en parlerez.

Il continua de sourire poliment derrière sa barbe. Caerwyn avait un peu voyager dans sa vie mais sans plus. Il était allé dans quelques pays d’Europe, ce qui était déjà pas mal, mais n’avait jamais quitté le vieux continent. Il adorerait entendre les histoires de sa collègue.

— Vous avez beaucoup voyagé ? Vous êtes historienne de formation ?

Il marqua une pause et leva les mains, toujours en souriant poliment.

— Excusez mes questions, je suis juste curieux. Si vous trouvez cela indiscret, ne vous sentez pas obligée de me répondre.

Il espérait seulement qu’elle ne prenne pas la mouche. Depuis son arrivée à Poudlard, il avait une facilité déconcertante à fâcher ses interlocuteurs et à se retrouver dans les ennuis.

L’honnêteté et le sourire de Myrthilde tendirent à rassurer Caerwyn. Elle n’avait pas pris la mouche car il en avait voulu en savoir plus sur ses expériences passées (il avait connu certaines personnes qui l’auraient gentiment envoyé sur les roses). Elle s’embarqua dans un monologue explicatif que le nouveau professeur religieusement, quelque peu admiratif. De plus, le récit de son expérience à Uagadou apaisa également l’anxiété que l’enseignant néophyte avait depuis qu’il était arrivé ici. Elle lui prouvait que l’on pouvait arriver dans un endroit sans en maîtriser parfaitement les us et les coutumes et s’en sortir pleinement. Leurs deux situations n’avaient rien de comparables cependant, Myrthilde parlant d’une différente école, d’un différent continent, là où Caerwyn était censé être déjà en terrain familier. Qu’importait. Il se raccrocherait à cela si ceci pouvait le rassurer. Il avait beaucoup d’admiration pour ces gens qui osaient sortir de leur routine et ne cessaient jamais de vouloir découvrir des choses et voir le monde. C’était peut-être là des grands regrets de Caerwyn, de ne pas l’avoir fait plus tôt, dans sa jeunesse. Après, il n’était pas encore si vieux et il pouvait toujours profiter des vacances scolaires pour partir loin. Ragaillardi par ce nouvel objectif de quadragénaire en crise, il s’octroya un sourire avant de boire une gorgée de son thé.

— Vous devez avoir des semaines bien chargées si vous poursuivez vos recherches en plus des cours. Ma matière ne se prête pas beaucoup aux devoirs à faire mais cela me prend déjà un temps fou.

Il eut un léger rire. Ayant tous deux des matières principales et obligatoires, leurs emplois du temps respectifs étaient plus que compacts et denses. Il était donc assez admiratif de voir comment sa collègue pouvait coupler ses obligations de professeure avec son travail de chercheuse. La fougue de la jeunesse certainement. Ou une certaine hyperactivité qu’il avait perdu depuis quelques années maintenant. Mais ce nouveau départ n’était-ce pas là l’occasion de repartir à zéro, finalement ? Il était arrivé à Poudlard la mort dans l’âme et anxieux. Il n’aimait pas l’école, ni le monde sorcier et avait traîné ce sentiment pendant plus de trente ans. Peut-être était-il passé à côté de quelque chose ? Il devait sûrement considérer la question sur pas mal de choses mais finalement, si choisir Poudlard, malgré tout ce que cela impliquait jusque-là, lui avait donné l’impression de partir au front, de ressasser des souvenirs qu’il avait toujours tenté d’enfouir, s’avérait la meilleure décision qu’il ait pris ? Il était encore trop tôt pour s’avancer mais entendre parler des voyages de Myrthilde, du courage de tous ses collègues en général, avait pour l’instant chasser cette angoisse légère mais latente pour ce qui pouvait se rapprocher d’un espoir, bien que timoré encore.

Il eut alors un sourire lorsqu’elle commença à dire qu’elle ne voyageait pas énormément avant d’énumérer les différentes merveilles que ses yeux sombres avaient pu voir. Ce fut pourtant la dernière phrase de sa pensée qui durcit brusquement mais brièvement le visage de Caerwyn. Il ne la fusilla pas du regard pour autant, il faisait juste preuve de méfiance. Était-ce une corvée pour elle de se rendre chez les Moldus ? Il se demanda soudainement si elle n’était pas une de ces Sang-Purs qui accordaient un peu trop d’importance aux ascendances. Mais peut-être avait-il mal compris. Il s’était suffisamment accroché avec ses collègues pour se lancer à corps perdu dans une nouvelle esclandre. Sinon, Griffith finirait vraiment par croire qu’il était qu'une sorte de porc misogyne ou quelque chose dans ce genre-là. Il prit donc sur lui et préféra ne pas relever cette phrase malencontreuse qu’il avait dû mal interprété. Il recouvra alors un sourire, bien qu’un peu moins chaleureux que quelques instants auparavant.

— Oh ce n’est pas grave, je ne suis pas un grand historien moi-même. Mais j’apprécie le geste.

Il se cacha derrière sa tasse dont il but une longue gorgée avant qu’elle ne se montrât curieuse à son tour envers son nouveau collègue. Caerwyn n’aimait pas spécialement parler de lui, surtout dans ce contexte. Mais peut-être était-ce finalement l’opportunité d’en savoir un peu plus sur les opinions de Myrthilde sans pour autant déclarer une nouvelle guerre ouverte qui finirait en crise de larmes ou en fronts accolés. Il s’éclaircit la gorge.

— Pendant six ans environ, j’ai travaillé en tant que potionniste chez l’apothicaire du Chemin de Traverse. Je m’occupais principalement de faire les élixirs et autres philtres qu’il mettait en vente.

Il eut une moue gênée.

— C’est un parcours professionnel assez léger, je vous l’accorde. Avant cela, c’était plus… particulier.

Il marqua un temps d’hésitation. Devait-il vraiment étaler ses réticences du monde sorcier ? Au moins, cela permettrait de jouer cartes sur table.

— En réalité, après Poudlard, je suis revenu parmi les Moldus, n’ayant pas eu la même affinité avec le monde sorcier que tous ont eu. J’ai travaillé en tant qu’illustrateur et me suis beaucoup tourné vers l’Art en tout genre, musique, théâtre. J’ai renoué avec les sorciers qu’au moment de revenir sur le Chemin de Traverse.

Il se garda bien d’en dire les raisons. Sa vie était déjà bien pathétique comme cela, il n’avait pas besoin de la rendre misérablement comique pour autrui. Il tenta alors un sourire poli, sans trop de conviction cependant, trahissant plus sa honte qu’autre chose.

Le professeure Grant détailla un peu ses journées et le besoin de les ponctuer avec des recherches. Tandis que Caerwyn l’écoutait d’une oreille attentive, il comprenait mieux le besoin de l’Elixir de Triple-Vue. Cela ne l’aidait pas à dormir comme il avait cru l’entendre dire au début, mais l’empêchait de s’assoupir finalement. C’était bien plus logique dans ce sens-là. Il préféra penser également qu’elle était pro-active et non hyper-active (même si cela allait de pair quelque part) surtout si elle était d’un tempérament dynamique. Sa matière, malheureusement, était tristement théorique bien que très intéressante. Il hocha la tête avec approbation quand elle décrivit la manière dont elle essayait de rendre ludiques ses cours, bien que cela ne semble être qu’une sorte de bonus. Le programme restait le programme et les élèves devaient se présenter à leurs examens avec toutes les connaissances nécessaires même si cela mettait de côté toute la pratique intéressante. Caerwyn était aussi un peu dans ce cas-là, bien que de manière moins prononcée. L’exemple le plus parlant était la potion Wiggenweld, que les élèves de première année apprenaient, qu’ils revoyaient en deuxième et troisième et enfin, en cinquième année, alors qu’il y avait des élixirs bien plus amusants à apprendre. Le tout était de trouver un équilibre pour ne pas perdre l’intérêt de ces dissipés adolescents.

Elle décrivit alors le déroulement de ses recherches qui pouvaient se montrer relativement longues et laborieuses, conduisant parfois sur des fausses pistes après des mois de questionnements et de théories. Caerwyn n’avait pas la prétention d’être un grand chercheur, loin de là, mais il y avait quelques mois, il s’était lui-même lancé dans le projet un peu saugrenu de trouver une sorte d’antidote à l’ivresse. Un peu défi envers lui-même visant à lui prouver qu’il n’était peut-être pas le pire sorcier que le monde magique ait connu. Et malgré des semaines de pérégrination mentale, il semblait toucher au but. Ce ne serait certainement pas dans les prochaines semaines mais au moins aurait-il une base concrète sur laquelle travailler et surtout perfectionner. Alors même s’il n’était clairement pas un chercher à l’instar de Myrthilde ou Griffith, au moins avait-il des points de comparaison et comprenait le côté laborieux de fouiller, tâtonner, recommencer, etc. Au final, tous les professeurs étaient des individus curieux, avides de savoir et désireux de transmettre à la marmaille ceux que leurs petites cervelles avaient retenu au fil de toutes leurs années. Il but une gorgée de thé avec un sourire poli et plutôt détendu à l’égard du professeure Grant.

Celle-ci ne sembla pas porter un quelconque jugement sur l’absence de formation ou même le manque d’expérience du nouveau venu et celui-ci lui en fut reconnaissant. Elle s’en remettait à la décision de Fergal et lui faisait confiance. Quelque part, Caerwyn se disait qu’il pouvait difficilement faire pire que certains professeurs passés par Poudlard. Il avait bien entendu parler de ce fameux Lockhart en Défense contre les Forces du Mal, il y avait de cela des années et se rassurait en se disant qu’il pouvait difficilement faire pire. Au moins, le Gallois savait de quoi il parlait et les jeunes et leur vocabulaire ne lui faisaient pas peur plus que cela. Il y avait juste ce petit temps d’adaptation où tous le testeraient. Il apprécia le conseil sur ce qu’il avait à leur transmettre, même s’il était plus dubitatif sur le programme du Ministère. Avec un sourire doux mais sans joie, il dit finalement :

— Oh vous savez, ce n’est pas tant ce que les jeunes puissent dire qui me posent problème, c’est ce qu’ils peuvent faire. Les potions demandent une rigueur à toute épreuve et ils sont vite dissipés à cet âge. Malheureusement, je peux leur apprendre à faire tous les antidotes du monde, il suffit qu’ils manquent un détail et ils produisent un poison mortel.

Il eut un petit rire nerveux. C’était comme leur apprendre à faire des sortilèges capables de faire des gerbes de flamme à douze ans. Quelque part, Caerwyn ne pouvait s’empêcher de voir les baguettes comme des armes à ne pas mettre en toutes les mains. C’était peut-être pour cela que le monde sorcier était si chaotique à ses yeux. Tout le monde pouvait devenir un terroriste en puissance. Qu’est-ce qu’il l’empêchait, après tout, de se rendre sur le Chemin de Traverse et de l’embraser entièrement ? Suffisait qu’il se penchât quelques temps sur la Magie Noire et il pourrait balayer la moindre résistance bien trop aisément.

Il reporta son attention sur sa collègue qui ne sembla porter aucun jugement sur le fait qu’il eût passé la plus grande partie de sa vie chez les Moldus. Finalement, peut-être avait-il eu tord (une nouvelle fois) de se prendre la mouche si rapidement. Tous les sorciers n’avaient, après tout, pas beaucoup de connaissances de cet autre monde et, parce que la nature humaine était ainsi faite, en avaient naturellement une méfiance viscérale. La peur de l’inconnu existait depuis l’aube des temps, ce n’était pas aujourd’hui qu’elle disparaîtrait des cœurs. Plus détendu pour tant, il dit avec un sourire un peu plus chaleureux :

— Oui, vous n’avez pas tort. Ce qui fait une sacrée de troupe de théâtre, non ?

Ses lèvres s’étirèrent un peu plus. Tous les professeurs semblaient avoir des profils très différents et, il espérait, complémentaires. Il était encore un peu tôt pour prétendre connaître ses homologues mais il commençait à distinguer les différentes personnalités qui émergeaient de l’équipe pédagogique de Poudlard. Elle aborda à nouveau ses thèses et Caerwyn sentit une pointe de méfiance et de légère aversion pour les Moldus dans ce qu’elle racontait. Il ne pensait pas qu’elle fût une suprémaciste Sang-Pur comme il les haïssait au plus au point. Ce n’était pas cela qui ressortait de la voix de sa collègue, mais bien, comme il l’avait pensé, une sorte de crainte de l’inconnu. Il eut un sourire doux, malgré l’allusion aux fameux bûchers.

— Les Moldus et les sorciers n’ont jamais appris à se connaître et chaque monde a peur de l’autre. Pour un sorcier qui débarquerait à Londres mais qui n’a connu que le Poudlard ou le Chemin de Traverse, les rues de la capitale peuvent paraître extrêmement bruyantes : les voitures, les travaux, les gens qui hurlent dans leur téléphone. Il y a tout un flux d’informations que les sorciers ne sont pas habitués à subir. A contrario, la magie amène naturellement une aversion réticente chez les Moldus car la religion est passée par-là il y a des siècles et que maintenant, il s’agit d’une sorte de mythe populaire où tout individu se targuant de la pratiquer passe pour un fou digne de l’asile.

Une ombre froide passa sur son visage mais disparut aussi vite qu’elle n’était apparue et sourit à nouveau :

— Pour revenir aux procès, je pense que les Moldus ont tué plus des leurs que de sorciers. Ce ne sont pas les protections aux flammes qui manquent chez les sorciers.

Lui-même enseignait aux deuxièmes années une potion capable de rendre le buveur complètement ininflammable. Puis d’un geste de la main, il reprit :

— Je suis désolé, nous ne sommes pas là pour débattre de cela. Je digresse rapidement concernant ce sujet. Mais sachez que si un jour, vous souhaitez tenter une aventure dans le Grand Londres en heure de pointe, vous savez où me trouver.

Il haussa les épaules avec désintérêt, souriant légèrement. Il aimait partager tout comme découvrir de nouvelles choses. Ce n’était pas parce qu’ils étaient tous deux professeurs qu’ils n’avaient rien à s’apprendre. Il s’imagina brièvement enseigner l’Étude des Moldus et s’amusa à s’imaginer une sorte scolaire dans le métro londonien sous le coup de 17h30. Il faudrait certainement une caisse entière de philtres Calmants pour que les élèves les moins préparés puissent tenir le coup.

Le sourire amical de Caerwyn se figea alors dans une surprise glaçante. Encore une fois – cela commençait à devenir une habitude – l’ambiance entre les deux collègues changea drastiquement. Il n’eut plus l’ombre d’une politesse ou d’une possible complicité courtoise entre deux individus travaillant pour les mêmes intérêts. Ses lèvres s’affaissèrent tandis que le ton de Myrthilde se faisait brusquement cassant et froid. Perdu, ignorant totalement ce qui avait pu lui échapper ainsi, il garda le silence quelques instants, la laissant lui expliquer à demi-mots ce qui lui avait visiblement déplu. Mais même avec cela, Caerwyn n’arrivait pas à percevoir ce qui avait pu tenter contrarier sa collègue. Il s’agissait sans nul doute d’un malentendu, une fois de plus, et les erreurs de compréhension commençaient vraiment à s’accumuler de manière inquiétante. Son regard effaré chercha désespérément un endroit où s’ancrer sur le visage de Myrthilde, comme pour tenter de ne pas sombrer dans une culpabilité dont il commençait à être bien trop familier entre ces murs. Mais rien, le ton cinglant de sa jeune collègue avait eu comme l’effet d’une masse sur sa nuque. Après ses lèvres, se furent au tour de ses épaules de s’affaisser dans un abattement presque résigné.

— Mais enfin, ce n’était absolument pas…

Peut-être que sa voix fut bien trop timorée pour qu’elle soit entendue. Myrthilde l’interrompit d’une question acerbe et sarcastique qui n’attendait aucune réponse. De toute façon, Caerwyn essayait de se faire si petit dans son fauteuil, la vergogne le rendant muet. Finalement, son regard se fixa, vide, sur un bout d’étagère de son bureau. Immobile, il laissa Myrthilde déversait sa rancœur à l’égard de sa remarque maladroite mais il ne broncha pas. Oh, il l’écoutait mais n’avait strictement rien à répondre pour le moment, se demandant bien comment il pouvait être aussi doué pour se retrouver à se fâcher avec presque tous ses collègues en si peu de temps. Il s’agissait sûrement d’un record et le pire dans tout cela, c’était que la moindre mésentente (ou presque) était parfaitement involontaire. Il n’avait jamais été un cador en relations sociales, n’avait jamais été le plus éloquent ou le plus avenant, mais il n’avait pas souvenir que les disputes fussent si fréquentes quelques années auparavant. Cela dit, les interactions sociales avec d’autres individus avaient été grandement limités et restreintes durant plusieurs années. Vivre dans l’ombre d’une personne avait sérieusement dû restreindre ses capacités à se faire simplement comprendre sans que cela finisse en guerre ouverte.

Son esprit s’enlisa un peu plus dans une auto-flagellation pernicieuse. Peut-être que Joan avait eu raison finalement. Qu’il n’était qu’un abruti bon-à-rien qui n’avait pas grande utilité ici-bas à part prendre de la place. Vu comment il semblait si inapte à ne serait-ce que tisser des relations simplement amicales voire même neutres avec ses collègues, peut-être aurait-il dû s’enfuir dans la forêt de Gwydir, vivre en ermite et ne plus jamais faire parler ni entendre de lui. À cet instant présent, le regard toujours dénué d’expression malgré ses épaules abattues, la vision du corps de Dumbledore chutant de la Tour d’Astronomie devint soudainement pernicieusement séduisante. C’était certainement la meilleure chose à faire, au point où il en était. Cela ferait deux barbus au palmarès de ladite Tour, l’un des deux sorciers étant cependant bien plus prestigieux que l’autre. Finalement, il daigna bouger un muscle, se pinça nerveusement le nez entre ses doigts – geste qui commençait à reproduire un peu trop fréquemment à son goût – se rendant compte qu’il était en train de considérer l’éventualité de sauter de la Tour d’Astronomie comme d’une solution envisageable. Peut-être n’aurait-il pas dû laisser ses anti-dépresseurs au Pays de Galles, finalement, même s’il ne les prenait plus depuis quelques temps. Et puis, il ne pouvait clairement pas faire cela à Fergal.

Mais Myrthilde ne s’arrêta pas dans sa diatribe froidement assassine, Caerwyn sentant même des menaces subtilement glissées sous ses phrases. L’agacement commença à poindre doucement dans l’esprit du nouveau professeur tandis que sa jambe s’emporta nerveusement à battre le vent d’une manière effrénée. En écoutant sa collègue, il sembla percevoir l’origine de cette brusque discorde et ce n’était que rien d’autre que la sempiternelle dichotomie entre sorciers et moldus et cela le mit un peu plus mal à l’aise à nouveau. Complètement en proie à sa meilleure amie la nervosité, il eut à nouveau ce sentiment de ne pas être légitime entre ces murs de l’enfer. Putain, il était un sorcier lui-aussi, merde. Il avait fait un effort considérable pour revenir dans cet endroit de merde, côtoyer ces sorciers de merde pour être traité à nouveau comme une merde, comme avec ces moldus de merde qui le prenaient pour un aliéné. Toujours pinçant avec force l’arrête de son nez, se demandant s’il allait pas le briser à continuer de l’écraser ainsi, il finit par pousser un profond soupir afin de faire retomber cette colère désespérée et frustrée qui était brusquement montée en lui. Il passa une main nerveuse sur son visage puis sur sa barbe avant de finalement rouvrir les yeux.

— Écoutez, je pense qu’il s’agit seulement d’un gros malentendu…

Sa voix était légèrement cassée, dénotant sûrement avec son comportement qui pouvait passer pour bouillonnant.

— Je… Je suis sincèrement désolé si vous avez interprété mes propos comme étant déplacés, ce n’était vraiment pas le but.

Le regard fixant toujours son bout de mur, incapable de la regarder dans les yeux, il continua sur le même ton contrit :

— Je n’ai pas voulu vous tenter de convaincre de quoique ce soit, ce n’était pas un débat, ni un… je n’en sais rien en fait. C’était juste une remarque innocente. Je suis vraiment navré si cela a été maladroit et que vous vous êtes sentie blessée.

Dépité, il passa brièvement sa langue d’un air pensif afin d’humidifier ses lèvres aussi sèches que sa gorge. Il avait cet improbable donc de se mettre les femmes à dos, cela risquait de peser fort sur sa réputation qui n’était déjà sûrement pas au beau fixe. Lui qui sortait déjà peu de son cachot, voir la lumière du jour, à son grand désespoir, ne semblait plus vraiment à l’ordre du jour. Il sortirait désormais la nuit s’il voulait prendre l’air, même si la dernière fois, 34 ans auparavant, s’était montrée quelque peu marquante. Au moins cela diminuerait considérablement les chances de trouver un ou une collègue.

Toujours incapable de regarder le professeur Grant dans les yeux, Caerwyn fixait toujours ce coin d’étagère comme si cela pouvait l’empêcher de sombrer il ne savait où. Les mois allaient lui paraître long à Poudlard s’il devait se fâcher avec chacun de ses collègues. Et même ceux avec qui cela se passait à peu près bien, combien de temps mettrait-il avait de sortir quelques mots malheureux qui feraient basculer leur relation dans une toute autre tournure ? Revenir à l’école de sorcellerie était peut-être plus déraisonné encore qu’il ne l’avait pensé. S’il avait pris enfin son courage à deux mains pour se lancer dans cette aventure insensée, il était à présent de regretter ce choix, considérant que le monde sorcier n’était effectivement pas son monde. Que les us et les coutumes de cette communauté étaient à des années lumières de son caractère involontairement marginal. Mais quelque part, il avait toujours cet entêtement de leur montrer qu’il n’était pas vraiment l’individu qu’il semblait être. Si même socialement, il était plus que catastrophique, il était capable de réussir ses tâches avec brio. Après tout, ce n’était pas ses capacités de potionniste qui étaient à l’origine des multiples discordes qu’il avait engendré depuis son arrivée.

Il sentit alors un contact sur son poignet qui le ramena brusquement à la réalité. Par réflexe, il eut un très léger mouvement de recul. Après tout, le dernier contact qu’avait eu cette partie de son corps avait été plutôt brutal et presque douloureux dans la serre du professeur Griffith. Cette fois-ci, les doigts qui étaient venus l’effleurer n’avaient rien eu de menaçant mais le discret repli que le bras du professeur de potions avait eu suffit à faire partir cette main qui se voulait certainement réconfortante. Cependant, cela eut au moins le mérite de rappeler timidement le regard de Caerwyn qui daigna enfin regarder à nouveau son interlocutrice dans les yeux. Elle s’excusa alors alors qu’elle sembla plutôt lui pardonner ses maladresses, avouant avoir été peut-être un peu trop catégorique à son égard. Elle se justifia alors en invoquant vaguement ses expériences passées, son milieu où il semblait que la loi qui régissait était intimider ou être intimidé. Caerwyn se fit la remarque innocente que le courant avait bien dû passer entre Griffith et elle. Les deux femmes avaient à peu près le même état d’esprit de ce qu’il avait pu entrevoir de manière plus ou moins musclée, malheureusement pour lui.

Tandis que Myrthilde lui avouait qu’elle ne devrait sûrement pas se montrer aussi menaçante avec les nouveaux venus, Caerwyn vit plutôt les choses différemment. Si une sorte de hiérarchie s’imposait naturellement avec entre les esprits les plus forts et les plus faibles, cela permettait également de savoir à quel type de personnage il allait avoir à faire. Au moins, tout le monde jouait cartes sur table. D’un naturel bien plus dominé que dominant, le nouveau professeur de potions savait désormais qu’il allait devoir refréner la moindre de ses pulsions téméraires de justice ou de franchise. Finalement, il n’était bon qu’à baisser la tête mais au moins, peut-être s’épargnerait-il d’autres situations très inconfortables comme celles qui commençaient à s’amonceler entre les murs de ce château maudit. Au lieu de jouer le coq dès le début comme il donnait certainement l’impression de faire, il se ferait discret, raserait les murs ou éviterait simple de quitter son cachot. Le repli et la discrétion étaient au moins les meilleures solutions qui s’offraient à lui pour éviter toute nouvelle échauffourée malencontreuse. C’était certainement la décision la plus sage finalement. Ses yeux avaient à nouveau glisser du regard du professeur Grant pour se poser sur son bureau, mâchouillant l’intérieur de sa lèvre, incapable de trouver quoi dire d’intelligent pour le moment.

Ce fut la professeur d’Histoire de la Magie qui brisa à nouveau le silence, visiblement consciencieuse de repartir sur de meilleures bases. Elle se présenta un peu plus en détails, soulignant qu’elle était superstitieuse en montrant ses bijoux colorés. Cela eut le mérite d’arracher un sourire amusé – mais nullement moqueur – ainsi que reconnaissant à Caerwyn dont les yeux se posèrent à nouveau sur Myrthilde. Elle évoqua très brièvement que sa famille avait connu une histoire tragique sur laquelle elle ne voulait pas s’étendre. Oh il pouvait la comprendre mais sa méfiance à l’égard des Moldus venaient sûrement de là. Du moins, c’était ce qu’elle semblait vouloir lui faire comprendre. Comprenant sa réticence à se confier plus à ce sujet, Caerwyn hocha doucement de la tête. Puis elle partit sur des détails un peu plus triviaux, énumérant ce qu’il pourrait trouver dans son bureau s’il aurait un jour le courage de s’y aventurer. Il apprit donc qu’elle avait un serpent de compagnie, possédait avec elle une sorte de cabinet de curiosités d’artefacts magiques en tout genre et un type de bière qu’il ne connaissait pas. Soudainement curieux, il haussa un sourcil et dit avec un sourire qui restait tout de même peu assuré :

— Je ne connais pas cette bière.

C’était plus une remarque pour lui qu’un appel à la dégustation. Il était bien affligé désormais pour oser demander quoique ce soit. Il se rendit compte alors avec effroi qu’il ne fallait certainement pas qu’il se rate sur la commande que lui avait passé sa collègue. Il passait certainement pour un détestable personnage – ou un idiot, voire les deux – il fallait absolument qu’il préserve sa réputation de potionniste. Un connard doublé d’un incompétent, voilà comment bien députer à son nouveau poste. Il se prêta alors au jeu de Myrthilde :

— Caerwyn Bevans. Un abruti fini.

Il sourit, c’était bien la seule manière dont il pouvait se présenter avec ce qu’il avait pu démontrer jusqu’à lors. Il ouvrit légèrement ses bras, les paumes tournées vers le plafond, n’ayant rien à montrer d’extravagant à part sa dégaine nonchalante pour justifier les mots qu’il avait choisi pour se décrire. Il reprit.

— Dans mon bureau vous y trouverez… moi ? Enfin, vous y êtes déjà.

Il eut un petit sourire timide. Il ne s’était pas encore bien approprié les lieux. C’était un bureau de potionniste des plus classiques, avec des fioles, des livres, des parchemins, des dossiers soigneusement rangés dans les étagères qui cachaient les murs. Il y avait bien, dans un coin, un phonographe ensorcelé – mais muet – avec à côté une pile de vinyles en désordre. Peut-être la seule touche personnelle du cachot.

— Il n’y a pas grand-chose d’intéressant dedans, j’en ai bien peur.

Oui, il devait indéniablement faire tache dans cet environnement de sorcier classique. Ce qu’il n’était vraisemblablement pas mais peut-être pas dans le bon sens du terme. Il lui offrit un sourire désolé, presque honteux d’être un personnage si grotesque. Inintéressant, banal, doublé d’un idiot qui parlait plus vite qu’il ne pensait. Tout à fait le genre de caractère qui sied à la maison dont il était le directeur. Il voulait rebondir sur la conversation plutôt que de la fermer avec son silence gêné mais il craignait à nouveau une maladresse involontaire. Pourtant, il lui semblait qu’il ne pouvait pas non plus laisser cet ange lugubre passer plus longtemps. D’une voix timorée et prudente, il dit :

— Je suis sincèrement désolé pour votre famille. Je…

« Je ne savais pas ? » Bien sûr qu’il ne savait pas, comment aurait-il pu savoir ? Il s’arrêta net avant de se couvrir de honte tout seul comme chez Griffith et préféra lui offrir un simple sourire désolé. Si les Moldus avait un quelconque rapport avec le passé tragique de sa famille, il était normal qu’elle se montrât si froide à leur égard.

Cela aurait été un mensonge de dire que Caerwyn était seulement un peu mal à l’aise face à la situation. Il était en réalité mortifié, désireux de ne faire qu’un avec les murs de son cachot. Il se demandait sérieusement comment il avait pu devenir si inapte à juste interagir simplement avec autrui. Il percevait pourtant les efforts de sa collègue pour tenter de le défaire de cette nerveuse honte dont il était victime et coupable à la fois. Le professeur Grant parla alors de la bière qu’elle avait mentionné, annonçant que la boisson était originaire d’Afrique, l’invitant même à la goûter dans son bureau à l’occasion. Caerwyn était curieux et avait une affection prononcée pour cet alcool. Aussi, l’expérience le tentait indéniablement mais il n’aurait certainement pas le courage d’aborder le sujet à nouveau, comme si de rien n’était. C’était tout juste s’il osait la regarder dans les yeux – ce qu’il ne faisait pas, par ailleurs, préférant regarder la rencontre entre le sol et le mur – réalisant que raser les murs et baisser les yeux étaient peut-être les choses qu’il faisait mieux depuis des années et que tenter un audacieux changement pour relever le menton ne s’était pas montré bénéfique jusque-là.

— Je vous remercie pour l’invitation.

La voix était presque inaudible et presque rauque, la gorge d’une sécheresse irritante. Elle le reprit alors sur sa minorative et concise présentation, comme si elle n’était pas d’accord avec lui sur le qualificatif qu’il avait employé à son égard. Qu’il fût un abruti, il le pensait réellement. Et il ne comprenait pas comment Myrthilde pouvait tenter de le convaincre du contraire après ce qu’il venait de se passer. Quant à la réflexion sur la finalité, il n’était pas non plus en accord avec ses mots. Mais elle semblait avoir cette bonne volonté de vouloir réparer les choses, en témoignait son sourire plutôt doux, loin du visage ferme et froid qu’elle avait arboré quelques instants auparavant. Caerwyn lui rendit mais se garda bien de partir dans un débat stérile dont il sortirait forcément perdant. Elle ne le connaissait pas suffisamment pour tenter de le convaincre qu’il n’était pas un idiot. Elle n’était évidemment pas au courant des deux autres accrochages qu’il avait eu avec leurs collègues. Après tout, il gardait ces anecdotes honteusement pour lui. Quant au fait qu’il soit fini, il en commençait à être convaincu désormais. On le lui avait répété pendant plus de dix ans, il avait fini par l’intérioriser. Il n’avait pas beaucoup d’espoir d’être autre chose qu’un ermite qui préférait se cacher plutôt que de tenter d’interagir avec ses homologues Homo Sapiens. Cela ne lui réussissait pas, ce n’était pas bien grave. Il y avait une certaine résolution en lui, admettant volontiers qu’il ne s’agissait que d’une question de temps avant qu’il ne trouve la balance adéquat dans ce nouvel environnement qu’il considérait désormais comme hostile.

Il resta pourtant silencieux, n’arborant qu’un sourire timoré et poli, ne sachant se dépêtrer de cet état de malaise et de honte qui semblaient avoir élu domicile dans ses viscères. Myrthilde tenta à nouveau de détendre l’atmosphère devenue incroyablement pesante avec le mutisme pathétique de Caerwyn, s’octroyant un commentaire sur la décoration du bureau du nouveau « Maître » des potions de Poudlard. Il fut enfin d’accord avec elle sur le fait qu’il valait mieux avoir divers ingrédients exposés plutôt que des potions déjà faites. En effet, non seulement cela dissuadait les élèves de venir chaparder des décoctions déjà prêtes à l’emploi pour de quelques comptes méfaits d’adolescents mais cela évitait également Caerwyn d’abuser de Philtres de Paix. Il avait naïvement pensé être débarrassé de la médicamentation moldue mais il avait clairement sous-estimé Poudlard. Ou oublié. Peu importait, l’anxiété était sa désagréable colocataire désormais et le fait que la flemme de faire une simple potion pour se calmer l’obliger à s’endurcir. Ce n’était pas si mal finalement. Il y avait aussi une part d’éthique à tout cela : les ingrédients étaient mis à disposition des cours, de l’apprentissage, pas à la consommation personnelle d’un professeur aux nerfs sensibles. Poudlard ne devait certainement pas manquer d’argent mais cela n’était pas une raison pour piller les réserves pour son propre usage.

Le professeur Grant attira alors son attention sur le phonographe, précisant que c’était là sûrement l’élément le plus intéressant de la pièce. Il regarda l’objet en question et eut un bref rire soufflé. Elle ajouta rapidement quelques mots sur sa famille, lui assurant de ne pas se torturer plus l’esprit avec cela. Cette conversation était close. Il lui jeta un bref regard ainsi qu’un léger sourire timide mais reconnaissant. Il reporta alors son regard sur les disques et prit enfin la parole :

— Je ne suis pas sûr que cela vous plaise. Même de là où je v… Enfin chez les Moldus, ce n’est pas plaisant à toutes les oreilles.

Il ignorait pourquoi il venait de se censurer lui-même. Certainement pour ne pas paraître trop attaché à son ancien mode de vie. Il ne voulait pas faire croire à son interlocutrice que son « allégeance » était ailleurs, surtout si l’intimidante professeure ne les portait pas spécialement dans son cœur. Il avait opté pour des termes plus neutres mais il se doutait que le mal était déjà fait. Il haussa alors les épaules avec un sourire et finit par se lever et commença à fouiller sa pile de disques.

— Je me suis ruiné dans ces albums pour venir ici.

Il hésita à lui faire un cours sur les technologies radicalement différentes utilisées entre les deux mondes. Il eut un instant, réfléchissant cette fois-ci plus soigneusement au choix de ses mots, ne souhaitant pas donner l’impression de faire un cours d’Étude des Moldus. Avec la chance qu’il avait dernièrement, il y avait un monde où Myrthilde et Jaimie s’entendaient bien et qu’elle prenne ses propos comme une offense envers le directeur de Gryffondor.

— Les technologies sont différentes entre les deux mondes, j’ai dû m’adapter.

Il tenta un sourire légèrement enjoué qui n’était pas aussi convaincant qu’il ne le pensait. Il aurait pu parler des plateformes de streaming musical, des enceintes Bluetooth, de cette dématérialisation de tout mais il n’allait certainement pas le faire, sauf si elle posait la question d’elle-même. Quelques secondes passèrent avant qu’il reprenne :

— J’écoute un peu de tout en vrai, mais principalement du metal, avec peut-être une petite préférence pour le metalcore, un sous-genre. Ça me rappelle ma jeunesse. Mais je fonctionne plus pas groupe que par genre. Enfin peu importe.

Il eut un petit rire, gêné, presque honteux de raconter tout ça à une illustre inconnue mais il semblait que c’était la meilleure chose à faire pour récompenser les efforts de Myrthilde d’alléger l’ambiance bien trop pesante. Tenant inconsciemment son album favori contre lui comme s’il pouvait s’agir d’une bouée, il dit timidement :

— Et vous ? Vous écoutez quoi comme musique ?

La question était très bateau encore une fois, mieux qu’une interrogation idiote sur la météo mais pas loin de la remarque pitoyablement banale sur l’accent français de Griffith. Au moins, il y avait une certaine constance dans le niveau abyssal de ses tentatives de conversation. Il aurait pu lui proposer de lui faire écouter un morceau mais il n’était clairement pas suffisamment à l’aise pour cela. Sauf s’il s’avérait que Myrthilde ait les mêmes préférences musicales que lui – ce dont il doutait fortement. Il tenta alors un sourire poli et amical, se tenant toujours droit comme un piqué à côté du phonographe, le disque toujours contre lui.

Caerwyn savait qu’il avait du mal à retrouver contenance après un épisode de honte comme celui-ci. Son opprobre lui collait un peu trop à la peau et le seul moyen de s’en détacher qu’il avait trouvé était de se cacher dans son trou comme une taupe. Or, dans son trou, il y était déjà, il n’avait donc aucune solution de repli. De toute façon, la fuite était ce qu’il avait fait pendant tellement d’années et cela ne s’était pas vraiment montré efficace. De plus, Myrthilde semblait avoir accepté la maladresse improbable de son collègue et tentait tant bien que mal de le détendre. Il devait passer pour un névrosé au comportement erratique, peut-être même pour un fou dangereux ? Après tout, n’était-ce pas pour ces raisons qu’il avait perdu la garde de ses enfants ? Préférant éviter de penser à ce genre de sujet maintenant, il reporta son attention sur sa collègue qui était restée assise tandis que lui s’était dirigé vers le phonographe. Elle le reprit pourtant sur son hésitation concernant ses origines, lui affirmant de ne pas se cacher pour autant, malgré leurs différences. Caerwyn eut un léger sourire reconnaissant avant de dire d’une voix relativement timide :

— La moto c’est dommage, mais les armes à feu certainement pas.

Il préférait les lames de toute façon. Et puis, la baguette n’était pas déjà une sorte d’arme en tant que telle ? Il existait même un sort qui donnait la mort tout simplement. C’était bien plus létal qu’une arme de poing, à ses yeux. Mais il ne voulait clairement pas se lancer sur ce débat plus que glissant, même avec quelqu’un de plus proche. Myrthilde l’empêcha de s’enliser dans des pensées inutilement philosophiques, lui indiquant qu’un sorcier au Chemin de Traverse avait mis un place un système pour adapter les supports Moldus à ceux des sorciers. Intrigué, il releva la tête. Il était curieux qu’il n’en avait jamais entendu parler. Cela dit, malgré ses quelques années à travailler dans la principale rue commerçante sorcière du Royaume-Uni, il ne s’y était pas aventuré plus que cela, alternant entre l’apothicairerie et chez lui, dans le quartier de Streatham au sud de Londres. Cela n’avait pas été sa meilleure période, s’efforçant de se remettre à niveau par rapport au monde sorcier. Si professionnellement, il n’avait eu aucun soucis, il avait encore de grosses lacunes sur les us et coutumes de cette communauté qu’il avait toujours esquivée. La citation qu’elle fit de l’élève et de son terme familier lui arracha un bref souffle rieur, parvenant à dérider quelque peu son visage contrit jusque-là.

— Je n’y manquerai pas d’y faire un tour la prochaine que j’irai à Londres. Vous avez égaillé ma curiosité.

Et en bon Serdaigle, il se faisait un devoir naturel de la satisfaire. Mais il sembla que ce fut celle de Myrthilde qui demanda à être rassasiée à l’instant présent. La professeure annonça en effet ne pas avoir une traître idée de ce qu’était le métal en tant que genre musical et exigea presque d’en avoir un aperçu. Il eut une moue hésitante malgré un sourire poli et baissa les yeux vers sa pile de disques, se demandant bien ce qu’il pourrait bien lui faire écouter sans passer encore plus pour un dément. De son côté, elle indiqua ce qu’elle écoutait en temps normal, faisant aussi une remarque pertinente sur les groupes de sorciers. Il demanda alors innocemment :

— Vous dansez souvent ?

Il reprit alors :

— Il est vrai qu’il y a peu de groupes sorciers purs en tant que tel. Peut-être parce qu’enchanter les instruments doit être plus faciles. Il est possible que les musiciens de formation soient dilués parmi les Moldus ?

C’était un commentaire tout aussi innocent que sa question et il espérait fortement qu’il n’allait pas commis une nouvelle remarque désobligeante qui aurait été purement involontaire. Après une brève moue, il retourna dans sa pile de disques et finit par en dénicher un. Ce n’était ce qu’il écoutait de plus violent, mais cela ne devrait suffire pour des oreilles non-initiées.

— Cela risque d’être un peu différent de ce que vous avez l’habitude d’écouter, je ne suis pas sûre que vous pourriez danser de la même façon dessus que sur du R’n’B.

Il eut un sourire amusé avant de mettre le morceau (*).

— Pour la petite histoire, c’est à un festival de ce genre où j’ai rencontré Fergal des années auparavant maintenant. Ça ne nous rajeunit pas.

Il s’était quelque peu détendu, son sourire se faisant plus franc, même s’il avait toujours l’impression de marcher sur des œufs. Leur amitié de longue date était-elle un secret ? Vu le placage d’accueil auquel il avait eu le droit devant leurs autres collègues, il était parti du principe que non. Et puis les secrets n’étaient pas forcément la meilleure façon de s’intégrer. Autant que les choses soient claires dès le début. Machinalement, sa tête se secoua discrètement au rythme de la batterie tandis qu’il retourna s’asseoir. La musique n’était pas si forte, ne les empêchant pas de discuter si besoin.

Caerwyn répondit avec un sourire amusé à la brève remarque de la professeure Grant sur les moyens de locomotion moldus et sorciers. Si la moto n’était pas faite pour elle, il se tenait également très loin de balais volants. Il n’avait jamais réitéré l’expérience depuis son accident au milieu de la première année, un défaut dans un de sortilèges qui rendait le balai praticable qui l’avait valu rester alité une journée à l’infirmerie avec des douleurs atroces. Il n’en parlait jamais, toujours un peu honteux de cette anecdote mais pour l’instant, il ne tenait strictement sa promesse ne jamais plus enfourcher un manche à balai. Cependant, il n’avait jamais essayé le tapis. Cela serait sans nul doute beaucoup plus confortable qu’un pauvre morceau de bois entre les cuisses. Certainement moins maniable, clairement pas destiné à une pratique sportive, mais pour les longs trajets, cela devait particulièrement agréable. Mais rien ne valait une moto et aux vrombissement du moteur entre ses genoux. Et puis une selle en cuir était bien plus confortable (et moins dangereuse) qu’un bout de bois de cinq ou six centimètres de diamètre. Il demeurait cependant curieux d’essayer un tapis volant à l’occasion, même si cette dernière ne se présentera sûrement jamais.

L’ambiance semblait s’être grandement détendue. La professeure d’Histoire de la Magie semblait avoir accepté le fait que son nouveau collègue n’était pas bien méchant, juste grandement maladroit. Dire que la musique rassemblait n’aurait pu mieux se vérifier qu’à ce moment-là. Il n’y avait pas de grande complicité digne de ce nom entre les deux collègues pour autant, mais la discussion s’écoulait sans aucune animosité. Grant parla alors de la danse qu’elle semblait pratiquer assidûment et dont elle semblait avoir besoin pour se laver l’esprit après une journée de cours. Il était vrai que l’Histoire de la Magie n’était pas forcément la matière la plus ludique à enseigner. Son enseignement ne devait (il l’espérait) rien avoir avec celui du Professeur Binns mais il était vrai que tout y était grandement théorique. Si Grant aimait l’action, aussi passionnée fut-elle sur le sujet qu’elle enseignait, les journées pluvieuses pouvaient certainement lui paraître un peu longues. Il eut un sourire amusé et surprit quand elle mentionna les pistes de dance. Il était intrigué par cette remarque, se demandant s’il existait des clubs sorciers ou si elle se rendait dans ceux moldus, sachant que son expérience avec ces derniers semblait quelque peu froide. Décidément un peu curieux, il dit :

— J’ignorais qu’il existait des boîtes de nuit dans le monde des sorciers. Je vous avoue que même chez les moldus, ce n’était pas trop ma tasse de thé. Vous allez vite vous en rendre compte, la musique qu’ils y diffusent n’est pas tout à fait la même que j’écoute.

Il eut un sourire, songeant au fait que lui ne faisait pas spécialement attention à son propre corps. Peut-être devait-il changer ses habitudes. Arriver à Poudlard n’avait-il pas bousculé son quotidien ? La professeure Grant partit dans une réflexion sur la magie dans la musique, que ce soit concernant les sortilèges en eux-mêmes ou les propriétés de certaines dans les rituels. Bevans se rendit compte qu’il n’avait jamais songé à la question et pourtant, il souhaitait en savoir beaucoup plus désormais. Il avait bien évidemment entendu parler de ces danses cérémoniales païennes louant la nature et la forêt, où des groupes d’individus communiaient autour d’un feu de joie. Les Scandinaves, les Amérindiens, si cela tombait sous la définition des croyances, il devait forcément y avoir une part de sorcellerie commune, n’est-ce pas ? Il n’y avait pas trois cents façons de pratiquer la magie de toute façon. Dommage qu’il venait de jeter son dévolu sur une chanson à faire écouter à sa collègue. Il connaissait un groupe qui répondait parfaitement aux côtés magiques et spirituels de la musique. Il pourrait toujours lui faire écouter après.

La réaction de Myrthilde face à la chanson proposée arracha à un sourire amusé mais nullement étonné à son collègue. Pour des oreilles non initiées, oui, la première écoute était souvent déroutante. Cependant, elle sembla s’ouvrir un peu plus au fur et à mesure de l’écoute et indiqua y comprendre les effets cathartiques et pourquoi son collègue ne semblait pas avoir besoin de danser pour se vider l’esprit. Il eut un bref rire et dit :

— Et encore, il y a bien pire que ça. Le métal a beaucoup de sous-genres et certains sont bien moins mélodiques que ça. Pour ma part, c’est cathartique. Il est vrai qu’on danse pas vraiment, mais en festival, il se créé souvent des sortes de mouvement de foules volontaires. On appelle ça des pogos. Le public se divise en deux ou fait un cercle et au moment culminant de la chanson qui se joue, tout le monde se court dessus.

Il eut un rire.

— Il faut pas être agoraphobe ou être allergique au contact. On en ressort souvent avec quelques bleus. Mais c’est bien moins gracieux d’une chorégraphie bien huilée, je vous l’accorde volontiers.

Lui souriant, il l’écouta alors aborder la fameuse bataille de boules de neige qui s’était tenue le jour de son arrivée. Il eut à nouveau un bref rire, bien que gêné, avant de regarder ses pieds. Il dit d’une petite voix :

— Décidément, tout le monde est au courant…

Il ignorait qui avait fuité cette information mais il fallait dire qu’il y avait eu tellement de participants qu’il était logique que tout le corps professoral ait entendu parler de l’arrivée insolite du nouveau professeur. Quelque peu embarrassé sans qu’il n’en sache réellement la raison, il eut un sourire contrit. Il ignorait pourquoi il se sentait honteux de cette anecdote. Sûrement parce qu’il avait l’habitude de raser les murs et que de se faire remarquer immédiatement le plaçait dans une situation qui l’inconfortait. C’était ridicule pourtant, il était certain que tous s’en amusaient plus qu’autre chose mais il pouvait s’empêchait de se sentir quelque peu ridicule. Et puis, si tout le monde était au courant de cet accueil un peu brut, ses échanges personnels qui avaient dégénéré avec ses collègues allaient se savoir également. Au moins, aurait-il une vraie raison de raser les murs. Il chassa rapidement la brève inquiétude sur son visage et sourit à nouveau amicalement à sa collègue. Finalement, il désigna le phonographe et dit :

— Je peux vous mettre autre chose si vous voulez. J’ai justement un groupe qui reprend des chants de rituels.

Puisqu’ils avaient abordé le sujet des transes via la musique, il avait les morceaux parfaits pour cela. Il ignorait si cela allait intéresser sa collègue, mais cela lui permettait au moins d’esquiver la conversation.

La discussion semblait aller de bon train, comme si leur petit accrochage n’était déjà qu’un lointain souvenir dans l’ambiance générale de la salle. Caerwyn n’oublierait pas tout de suite, cependant, encore trop sévère avec lui-même, capable de se reprocher ce manque de tact pendant de longues semaines encore. Mais pour le moment, il avait cessé d’y penser. Parler musique était nettement plus agréable, surtout si cela lui permettait de découvrir des choses. Et sur ce sujet, le professeur de potions se connaissait, il parlait papoter pendant des heures, toujours friand de découvrir de nouvelles choses. Suite à son explication sur les pogos en festival, la professeure Grant renchérit en citant d’autres exemples situés sûrement pour d’autres types de musique, d’autres cultures, que Caerwyn craignait de ne pas connaître. Cependant, curieux, il l’écouta très attentivement s’attendant à ce que sa collègue lui en explique un peu plus. Néanmoins, elle semblait plus réfléchir à voix haute que lui offrir bénévolement un bref cours sur les cercles rituels dans la musique. Elle enchaîna pourtant sur la mention d’une classe commune avec Wenceslas. Réellement intéressé par le sujet, Caerwyn fut presque déçu de ne pas l’entendre poursuivre plus et d’enchaîner sur un aveu de curiosité concernant les fosses.

— Je serai vraiment curieux d’en apprendre plus à l’occasion sur ce sujet. Mes connaissances magiques ont été un peu flétries par le temps et il se peut que j’ai raté des choses vraiment intéressantes à savoir.

Il avouait facilement de ne pas être un grand érudit dans la magie. Ces dernières années, il ne s’était bien concentré que sur la potion, seule domaine qu’il l’avait vraiment intéressé à l’époque avant qu’il ne s’embarque dans son exil volontaires loin du monde magique. Il ne se faisait pas d’illusion : il devait avoir des lacunes un peu partout dans toutes les matières de base.

— Je ne sais pas si on peut vraiment appeler cela un pèlerinage.

Il eut un sourire.

— Mais ce serait avec plaisir de vous faire découvrir ceci. Si en contrepartie, vous m’expliquez également c’est que le vimbuza et l’importance des cercles de pierre dans la magie.

Caerwyn n’était pas du genre à mettre souvent le nez hors de chez lui spontanément. Il suivait volontiers les impulsions des autres mais lui avait plutôt tendance à s’enliser par lui-même dans sa routine. Si sa collègue avait envie de lui faire découvrir de nouvelles choses, il ferait un bien piètre directeur de Serdaigle s’il disait non. Elle avoua alors que les informations et les rumeurs circulaient vite, même au sein de l’équipe pédagogique. Si Caerwyn pensait que les ragots étaient surtout quelque chose propre aux élèves, il s’était mis le doigt dans l’œil. Il allait devoir se faire à l’idée que tout se saurait dans ce château. Il retrouva pourtant son sourire lorsque la professeure Grant acquiesça à l’idée de changer de musique. Il entreprit alors de changer le vinyle (décidément la technologie moldue était bien plus pratique) et laissa le morceau (*) raisonner doucement entre les murs du cachot.

— Je serai ravi d’en apprendre plus sur la musique rituelle, peu importe de quelle continent elle vient. C’est toujours un sujet passionnant, aussi fédérateur que clivant parfois. On en a souvent un usage récréatif si je puis dire mais je sais qu’elle a beaucoup d’autres propriétés très méconnues. Je n’ai jamais entendu parler de sonorités visant à enchanter certaines potions mais cela ne m’étonnerait pas que cela existe.

Il eut un grand sourire jovial.

— Vous m’avez rendu curieux ! N’hésitez pas à venir frapper à ma porte également, quelque soit la raison, elle est toujours ouverte. Et je n’oublie évidemment pas votre potion, je vous fais cela au plus vite.

Finalement, la conversation s’était un peu mieux terminée qu’elle n’avait commencé. La musique parvenait vraiment à fédérer, malgré des goûts et des origines bien différentes parfois.