Dance in the dark ☼ Septimus & Agatha

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

S
ept heures. Le soleil se lève, dévoilant un ruban écarlate au dessus de la chaîne de montagnes entourant le domaine, et j’essuie ma bouche sanguinolente. Les troncs mourants baignent dans une brume opaque, on n’entend que le craquement des brindilles : une atmosphère bien nébuleuse règne dans ces bois obscurs. D’un coup de baguette, je fais disparaître les traînées écarlates qui teintent ma robe de sorcière et délaisse le corps sans vie de la biche qui vient de me rassasier presque intégralement. Si pendant les vacances je me sentais libre de mes allées et venues dans la forêt, j’ai conscience que je dois redoubler de prudence : les cours ont repris depuis quelques jours à peine, les élèves les plus matinaux entament déjà des balades dans le parc, les plus courageux trottinent même au bord du lac. L’air de rien, je m’extirpe des fourrés dans lesquels je me suis cachée, réarrangeant ma jupe, chassant les feuilles mortes qui s’y sont logées. Le vent souffle une brise froide, faisant s’élever légèrement quelques unes de mes tresses noires dans mon dos… J’inspire longuement, me rappelant que je suis Agatha Kline, et rien ne saurait altérer l’image parfaitement contrôlée que je tiens à renvoyer au reste du monde. Et d’un pas digne, j’entreprends de remonter la pente menant à l’entrée du château, avec un dernier regard vers la lisière des bois, où j’ai laissé gésir mes dernières victimes. Je n’ai rien contre les animaux de la forêt… Mais comprenez-moi, chers lecteurs : dans ce cas de figure, c’est eux ou moi. Et quitte à choisir je préfère autant que ce soit eux.

Au ministère, ils se doutent de quelque chose : il y a deux courriers sur mon bureau, de la part de ce cher monsieur du département des créatures magiques, Mr. Jenkins. Ce dernier connaît parfaitement ma situation, puisqu’il suit mon dossier transmis par le MACUSA depuis mon arrivée en Europe, et il refuse de me lâcher la grappe. Tenez, il me demande si j’ai eu vent de cette recrudescence de braconnages forestiers dans la région, avec un ton chargé de sous-entendus… Qu’est-ce qu’il croit ? Que ça me plaît de me lever à l’aube pour chasser le gibier ? On trouve de moins en moins de viande rouge dans les cuisines, et il faut bien que je me ravitaille pour éviter à la direction d’avoir à ramasser dans le parc le corps d’un élève vidé de son sang. J’ignore donc ses courriers avec la certitude que je peux gérer mon propre régime alimentaire, et ce sans l’aide de personne. Depuis les fêtes de Noël, je ne songe qu’à m’abreuver d’hémoglobine jusqu’à m’en faire tourner la tête, si bien que c’est devenu une idée fixe. J’ai hésité à écrire à Jin, avant de renoncer finalement. À quoi ça m’avancerait ? Je tourne inlassablement en rond, cherchant à m’occuper l’esprit à tout prix. Et puis, prise d’une idée saugrenue, je me rue sur mon encrier, déroulant un petit rouleau de parchemin.

Votre proposition tient toujours ?
Je vous attends au sixième, à l’heure du dîner.

A.K.

Vous qui me connaissez bien, chers lecteurs - bien que vous ne soyez qu’un public sans âme tout droit sorti de mon imagination -, vous ne saurez jamais ce qui m’est passé par la tête. Vous souvenez-vous de ce drôle de bonhomme qui nous avait cueillies à la sortie de la bibliothèque, la petite intello et moi-même, au printemps dernier ? Figurez-vous qu’il fait partie de mon club de danse. Je ne le croyais bon qu’à passer le balai et astiquer les vitrines de la salle des trophées, à parler de ses lapins à qui veut bien l’écouter… mais il se trouve qu’il en connaît un rayon, sur les danses de salon. J’ai le sentiment que cela me fera oublier quelques heures ma soif inextinguible, alors je me suis finalement résolue à le contacter.

Seule ombre au tableau, je ne tiens pas particulièrement à être vue en compagnie du personnel de ménage de l’école. Vous savez comment naissent les rumeurs… je tiens un podcast, je ne peux pas laisser les autres raconter n’importe quoi à mon sujet… ! C’est pourquoi j’ai préféré le retrouver à une heure où tout le monde se trouvera dans la grande salle, espérant jouir d’une certaine discrétion. Lorsque je le vois apparaître, à l’autre bout du couloir, je jette un oeil inquiet derrière moi, espérant que personne d’autre ne se trouve dans les parages… Mais heureusement pour moi, il semblerait que nous soyons seuls. « Merci d’être venu, monsieur. » lui lancé-je, avant de désigner la porte dans le mur d’un geste du menton. Ce n'est pas franchement comme s'il avait mieux à faire, mais au moins il s'est donné la peine de venir... Ce concierge est un drôle d’oiseau, mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas être de bonne volonté. Alors sans tarder, je l’invite à pénétrer dans la pièce, m’assurant qu’aucun témoin ne puisse me porter préjudice… La salle sur demande a revêtu cette apparence toute simple, la même que lorsque Nikita nous enseigne ses chorégraphies. Les multiples miroirs nous renvoient à l’infini nos silhouettes : j’ai pour l’occasion les cheveux tressés en arrière, et un justaucorps noir dissimulé par ma robe que j’ôte finalement. Les poings sur les hanches, je me tourne vers le concierge. « J’ai besoin que vous m’enseignez quelques pas, vous aviez dit que c’était dans vos cordes. » déclaré-je sans détour. Après réflexion, je trouve cependant plutôt approprié de lui rappeler un élément fondamental… « Et pas de folklore russe, cette fois. »

@Septimus Veturia

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( Dance in the dark )

‎‎ ‎ Septimus avait pratiquement oublié cette histoire de cours particulier avant que le mot d’Agatha ne lui parvienne, le prenant presque au dépourvu. Ses sourcils s’étaient froncés à la lecture de ces phrases un brin autoritaires, mais il semblait tellement être dans la nature de la jeune fille de faire preuve d’assertivité qu’il ne lui en tint toutefois pas rigueur. Après tout, elle ne s’était jamais montrée désagréable ou méprisante avec lui ; c’était bien qu’il s’agissait simplement de sa façon d’être. Aussi lui répondit-il sans tarder que la proposition tenait bien sûr toujours, et qu’il serait présent – bien que cela le chagrine de rater le dîner, après lequel il quittait généralement le grande salle en charmante compagnie pour une tout aussi charmante soirée. Mais c’était pour la bonne cause ! Fergal le comprit tout à fait, se contentant de lui voler discrètement un baiser en guise de dédommagement. Ce fut donc porté par le doux souvenir de cette tendresse échangée que le concierge vaqua à ses occupations journalières, sans se soucier le moins du monde du cours du soir – le tango faisait partie de ces danses qui s’improvisent davantage qu’elles ne se composent, il s’agissait surtout d’apprendre les déplacements de base et d’ancrer le rythme aux pieds néophytes.
‎‎ ‎ Lorsque l’heure sonna, il se dirigea tranquillement vers la salle sur demande après avoir fait un rapide tour dans ses appartements ; il n’avait en réalité pas revêtu grand-chose de particulier, hormis les chaussures adéquates. Le partenaire masculin se contentait de diriger, c’était celle qu’il tenait entre ses bras solides qui devait pirouetter un peu – encore que cela demeurait relativement atteignable aux débutants du moment qu’on décomposait les mouvements. La silhouette de la Gryffondor se dessina bientôt à l’endroit prévu ; il lui sembla qu’elle paraissait un chouïa nerveuse, jetant des regards alentour comme si elle avait entendu un bruit suspect. Peut-être était-elle de nature anxieuse ; après tout, de nombreux élèves dissimulait leur stress derrière une façade bravache. “Merci d’être venu, monsieur” lança-t-elle en guise de salut au moment où il la rejoignait, tout sourire. “Ah, mais je t’en prie ! Je ne refuse jamais un cours à un élève curieux” rit-il doucement.
‎‎ ‎ Agatha indiqua la porte dessinée dans le mur d’un coup de menton, avant d’inviter l’adulte à lui emboîter le pas dans la salle sur demande pour l’occasion parée de ses atours habituels du club de danse. Barres d’entraînement et miroirs en pagaille s’étiraient autour de leur étrange duo, renvoyant le reflet cocasse de cette jeune femme au port altier toisant le petit homme maigre au regard éthéré. L’avantage de Veturia, c’est qu’il ne prêtait jamais une grande attention à ses interlocuteurs, trop occupé à laisser ses yeux trop clairs errer un peu partout autour de lui. Aussi ne prêta-t-il qu’une attention modérée à la façon dont elle posa ses doigts repliés sur sa taille pour l’apostropher : “J’ai besoin que vous m’enseigniez quelques pas, vous aviez dit que c’était dans vos cordes. Et pas de folklore russe, cette fois” ajouta-t-elle après un léger temps de battement. Battant des cils d’un air un peu surpris par ce ton pour le moins directif, Septimus bafouilla, déstabilisé : “Euh oui, c’est tout à fait dans mes cordes. Le tango est d’origine latine, rien à voir avec les pays slaves.” Il lui apparaissait nécessaire de le préciser, sourcils fléchis avec confusion face à cette demande incongrue. En tout cas, on ne pouvait pas reprocher à la Gryffondor de ne pas aller droit au but !
‎‎ ‎ S’avançant au centre de la piste, Septimus fit signe à sa jeune partenaire visiblement pressée de le rejoindre. Avec une étonnante élégance pour un homme si maladroit, il se redressa pour lui tendre la main ; invitation galante et muette à se rapprocher d’elle pour une première démonstration. ‎‎“Si tu le permets, je vais te montrer la position de base et quelques déplacements. Tu constateras que c’est assez simple, alors pas d’inquiétude à ce sujet !” Saisissant délicatement sa paume dans sa main aux longs doigts calleux, il lui fit poser celle-ci dans son propre dos, tandis qu’il joignait leurs deux autres mains après avoir glissé la sienne dans le dos d’Agatha. Quelques échos carillonnant d’une désagréable discussion avec Fergal le pressèrent de baliser cette position avec précaution. “C’est une danse qui nécessite beaucoup de contact et d’être très proche de son partenaire, mais si tu es mal à l’aise, nous pouvons procéder autrement ! Je ne voudrais pas que tu aies l’impression que quoi que ce soit… Enfin, je ne veux pas être déplacé” acheva-t-il un peu gauchement, voix s’étiolant dans un petit rire gêné. Avec hésitation, il posa des prunelles timides sur l’adolescente, attendant sa réponse.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

F
aisant face à mon reflet, je m’observe dans toutes les coutures, vérifiant que ce vilain bouton d’acné qui parasitait mon front a bien disparu et que mes cheveux sont toujours soigneusement tressés. Derrière moi, apparaît la silhouette du concierge, à la démarche mal assurée. Il est gentil, mais ce n’est hélas pas un métier… Heureusement, il d’autres cartes dans sa manche que sa pratique intensive de la serpillère et l’art de remplir des montagnes de paperasse. C’est pourquoi, lorsqu’il a évoqué son expertise concernant tous types de danses, j’ai mentalement noté cette information, me disant que cela me servirait bien un jour ! Je ne connais mal le tango, à part par le biais de quelques scènes de soap-opéras américaines mettant en scène des couples glamours. Je peux vous assurer qu’après ma morsure, j’ai passé tout un été à me morfondre en me gavant de ces émissions… « C’est surtout beaucoup plus chic et sensuel ! » affirmé-je avec certitude. C’est vraiment une danse de salon, pas une sorte de chorégraphie extravagante digne d’un défilé militaire. Je n’ai rien contre Nikita, mais il peut toujours garder le kazachose pour le couronnement du prochain tsar, ou pourquoi pas, la victoire d’une guerre s’ils en gagnent une un jour. Même coincée dans le corps d’une fille de seize ans, j’en ai presque dix-huit aujourd’hui : je devrais être adulte, assumer ma féminité et attirer sur moi tous les regards envieux de mes camarades à l’occasion du bal de fin d’année, voilà à quoi devraient se résumer mes préoccupations. Vous rendez-vous compte, chers lecteurs, que mon espoir d’y arriver aujourd’hui repose principalement sur le personnel de ménage ? On dirait le début d’une mauvaise plaisanterie. J’ignore ce qui a fait de cet homme dépourvu de prestance un professionnel de la danse, mais si j’avais cru que ma route croiserait la sienne ailleurs que dans une buanderie pour lui confier mon linge, je ne l’aurais pas cru. « Où est-ce que vous l’avez appris ? » demandé-je, un brin curieuse. Pas d’illusions, chers lecteurs, je ne m’intéresse pas vraiment à lui : c’est juste histoire de faire un peu la conversation, laisser ce cours particulier se dérouler dans un silence de plomb serait mortellement gênant. Qu’il n’ait crainte, à l’issue de cette séance, le cours normal des choses reprendra : je quitterais cette salle pour me mettre quelque chose à manger sous la dent et éviter de charcuter un élève accidentellement, et lui pourra retourner à sa petite vie misérable de concierge.

Me livrant à quelques rapides exercices d’étirement, je prépare mon corps à l’exercice qui va suivre, soulageant quelques unes de mes articulations par des petits craquements sonores. Je suis pressée de me mettre à l’ouvrage, voyez-vous ? J’achève de bien tendre mes jambes et me redresse quand Monsieur Veturia m’invite à s’approcher de lui. J’ai un minuscule mouvement de recul lorsqu’il me propose sa main, que je finis par saisir. Disciplinée, je me laisse guider… j’ai bien l’habitude que la distance avec mes partenaires soit réduite, quand l’heure est au ballet. Il faudra juste me faire à l’idée que celui du jour est moins canon et un peu plus vieux… ! « Aucun problème, vous pouvez y aller. Procédons comme cela, c’est de la danse, après tout. » réponds-je en conservant une posture droite et le torse fier. J’ai un peu d’expérience, certes pas suffisamment significative pour prétendre que je maîtrise l’art de la danse, mais suffisamment pour savoir qu’il requiert une certaine proximité entre ceux qui la pratiquent. Seulement, je ne peux m’empêcher de lever un sourcil inquisiteur, lorsqu’il évoque ses appréhensions… Je me tourne vers lui et plante mes yeux dans les siens, en écartant encore davantage le sourire qui étire mes lèvres. « Parce que si vous vous avisiez d’avoir un geste déplacé, je ruinerais votre vie sans remords. Alors mieux vaut faire en sorte que cela n’arrive pas, vous voyez. » Je le dis comme je le pense : au moindre mot ou geste déplacé, si j'arrive à résister à la tentation de déchiqueter sa gorge d'un coup de dents, il se retrouvera au coeur d'une bataille judiciaire que son salaire de misère ne lui permettra même pas de payer. Je lève mon index que je plie légèrement sous mon menton, sans cesser de le dévisager avec insistance. Puis, inclinant le visage dans sa direction, j’ai un furtif regard en direction de nos pieds, trahissant mon impatience. « Alors, vous me montrez ? ». Pas le temps de lambiner, je suis venue ici dans un but précis. Je connais mes limites, alors si ce cher monsieur connaît aussi les siennes, nous ne devrions pas avoir de problèmes lui et moi ! Personnellement, je suis prête à m'exécuter, alors ne traînons pas inutilement.

@Septimus Veturia

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( Dance in the dark )

‎‎ ‎ Abîmé dans ses réflexions confuses sur l’étrange remarque d’Agatha, Septimus ne prêtait pas vraiment attention à la façon dont la jeune fille s’inspectait dans les miroirs qui les répliquaient tout autour d’eux. “C’est surtout beaucoup plus chic et sensuel !” affirma-t-elle avec assurance, faisant se froncer davantage les sourcils gris du concierge. Il dodelina de la tête, yeux trop clairs perdus dans des détails microscopiques de la pièce. “Ce sont deux types de danse différents. En règle générale, on a une affinité pour certains genres. J’imagine que tu dois préférer les danses de salon” musarda-t-il pensivement, sans trop comprendre où cette discussion les menait. Heureusement pour lui, la Gryffondor reprit les rênes de la conversation pour la ponctuer d’une question précise : “Où est-ce que vous l’avez appris ?” Cette fois, le visage de l’adulte s’éclaira et il reporta son attention sur la jeune fille – sans toutefois la regarder vraiment, comme il en avait l’habitude. Regarder les gens dans les yeux le mettait trop mal à l’aise pour qu’il ne fournisse cet effort régulièrement. “Avec des moldus” répondit-il d’abord vaguement. “Mes parents m’ont donné de solides bases concernant les danses de salon, alors ce ne fut pas très difficile de prendre ces cours.” Il ne voyait pas vraiment en quoi cela intéressait Agatha, mais, eh bien, puisqu’elle posait la question…
‎‎ ‎ La laissant à son échauffement, Septimus se contenta de s’étirer sommairement pour protéger ses articulations ; déjà bien mises en route avec son yoga matinal et son footing habituel avec Fergal. Il aimait le sport, l’activité physique ; contrairement à ce que son apparence maigrelette pouvait laisser entrevoir, il disposait d’une grande souplesse et d’une puissance non négligeable qu’il mettait en pratique tous les jours – curieusement, il avait toujours été plus manuel qu’intellectuel. C’était apaisant, d’occuper son corps à des activités concrètes. Aussi n’invita-t-il Agatha à le rejoindre au centre de la piste qu’une fois certain qu’elle s’était correctement échauffée ; il n’avait aucune envie qu’elle ne se blesse. L’aîné ne fit aucun commentaire sur l’hésitation visible qui la saisit lorsqu’il lui proposa sa main, se contentant de la noter dans un coin de sa tête. Exposant le déroulé des prochaines minutes, il recueillit avec un sourire l’acquiescement d’Agatha en plaçant ses mains sur son corps avec délicatesse. Seulement, lorsqu’il voulut la rassurer en lui exprimant qu’elle avait tout à fait le droit de préférer procéder autrement, le sourcil qui se dressa sur son visage hautain le fit se raidir – mais pas moins que son sourire qui s’étira davantage. “Parce que si vous vous avisiez d’avoir un geste déplacé, je ruinerais votre vie sans remords. Alors mieux vaut faire en sorte que cela n’arrive pas, vous voyez.”
‎‎ ‎ L’adolescente posa une question après avoir esquissé un geste que le cerveau de Septimus n’analysa pas, trop occupé à bourdonner fébrilement. Ses yeux, immenses comme ceux d’un lapin en hyperventilation, étaient posés sur un point flou du visage de sa partenaire ; impossible de manquer le choc qui ébranlait sa face soudain trop blême. Ce ton, cette expression, la menace pas même voilée ; tout s’embrouillait dans ses souvenirs emmêlés, tout lui brûlait le dos, là où s’épanouissaient des dizaines de souvenirs humiliants. Ce n’est pas elle. Chassant d’un battement de cils confus la terreur qui avait surgi d’entre les vagues d’un lointain marasme, Septimus rompit le contact et recula d’un pas, la bouche entrouverte. La sensation persistante d’être une minuscule proie face à un immense prédateur lui démangeait la nuque, mais il tenta de la repousser d’un bafouillement couinant : “Je… Non, je… Je suis désolé…” Déglutissement pénible qui envoya son regard hagard promener autour d’eux en quête de logique. Pourquoi… ? C’est une enfant, se rappela-t-il fermement. Il ne pouvait pas s’effondrer comme il s’était effondré entre les bras de Fergal après s’être ratatiné lorsqu’il avait haussé le ton. Tu n’es plus un enfant. C’est toi qui dois la protéger. Si elle réagissait aussi violemment, c’était forcément qu’elle avait de bonnes raisons de le faire – de sinistres raisons. Un soupir franchit ses lèvres tremblantes, tandis qu’il reprenait enfin contenance malgré ces mains qu’il tordait nerveusement sans même s’en apercevoir. “Je suis désolé que tu te sentes obligée de me menacer pour te sentir en sécurité” lâcha-t-il alors, ses prunelles cessant de vaciller pour se recouvrir d’une brume de compassion débordante. “Mais je te promets que je ne te ferai jamais le moindre mal, d’accord ? Je ne ferai jamais rien sans ton accord.” Insistance ferme qui soulignait l’importance de ces paroles, de cette promesse solennelle. Il refusait d’être la source d’angoisse de quelqu’un d’autre – pire, une menace. Non, il devait la rassurer.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

D
epuis l’incident survenu à la bibliothèque l’an dernier, mon chemin n’a que rarement croisé celui de Septimus Veturia. Il faut bien reconnaître que je n’ai pas cherché à provoquer l’occasion… D’ordinaire, je fais même si peu attention à lui que j’en oublie parfois son existence. C’est son intervention lors du cours de danse, qui a attiré mon attention… Et même si je ne me vanterais pas d’avoir fait appel à lui dans le cadre d’une séance individuelle, je lui en suis reconnaissante de m’apporter son aide. « Je suppose, oui. » réponds-je en songeant à ces soirées dansantes au rythme endiablé, où j’aime que tous les regards soient rivés sur moi. « Et un jour, je voudrais apprendre celle de la scène de bal, dans West Side Story. Vous connaissez ? » J’en doute, peu certaine qu’il soit un homme de culture, mais après tout, je ne perds rien à demander… Quand j’étais plus jeune, je rêvais de vivre dans une comédie musicale, avant de me rendre compte que contrairement à Dirty Dancing, la vie ne mettrait pas sur mon chemin de jeunes et séduisants profs d’aérobic avec un blouson de cuir et une moto. À la place, me voilà initiée par un membre du personnel de ménage avec les cheveux grisonnants, tu parles d’une désillusion… ! Quoi qu’il en soit, on ne peut pas lui enlever le fait qu’il en connaisse un rayon. Il est manifestement doué d’une certaine expérience, et même si j’étais un peu sceptique au début, je pense réellement m’être adressée à la bonne personne. Je me demande bien d’où il sort toutes ces connaissances… c’est peut-être lié à ses origines, mais dans ce cas, il serait bien plus utile à nous enseigner quelques pas qu’à surveiller nos heures de retenue. « Oh, vos parents sont moldus alors ? Je vois. » J’ai cru entendre quelque part qu’il était cracmol, mais je confonds peut-être avec le garde-chasse, le prof de soins ou qu’en sais-je. À mes yeux, il n’est rien de plus qu’une version adulte d’un Thomas Chastel de ce monde, l’un des éternels personnages secondaires de l’existence, atones et sans saveur, se confondant avec la tapisserie tant ils sont transparents… Je n’avais pas l’intention de chercher à me renseigner sur lui, mais puisque nous sommes là… autant faire la conversation, non ? On a qu’à dire que je suis de bonne humeur, et que lorsque nous quitterons cette pièce, ce sera comme si nous ne nous étions jamais adressé la parole : je rejoindrais mes éternels tracas du quotidien et mes pensées amères, tandis que lui ira retrouvera ses balais et ses éponges.

À vrai dire, je n’ai rien craint de sa part : contrairement à ce que j’ai pensé la première fois en le voyant, j’ai la certitude que ce type est bizarre, mais je ne pense pas vraiment qu’il soit un pervers… À force, pour en avoir côtoyé un paquet au Chaudron Baveur, j’ai appris à les reconnaître. Je réplique, sans sourciller : « C’est juste pour mettre les choses au clair, ça évite les malentendus. » Et d’une certaine manière, cela me permet de garder un ascendant sur mon interlocuteur, il est plus confortable pour moi de contrôler la situation. Ce n’est pas parce que c’est qui enseigne que j’ai l’intention de lui confier les rênes… Pourtant, la suite me prend au dépourvu, et je reste coite face aux excuses soudaines qu’il m’adresse. « Je… que… » Mes joues virent au rouge vif, tandis que je bafouille comme une enfant devant son air contrit. Et le pire, c’est qu’il semble sincère… sincèrement désolé. Je ne m’attendais pas à ce qu’il interprète ainsi ma mise en garde, et à vrai dire, il y a quelque chose qui me met profondément mal à l’aise dans les mots qu’il m’adresse. Il aurait pu s’emporter, me défier, ou contraire, mettre une distance froide entre lui et moi… mais à la place, il reste empreint d’une profonde bienveillance, comme s’il cherchait à me rassurer. « Pardon ? » C’est tout ce que je suis capable d’articuler, la voix à demi étranglée. Il m’assure que je suis en sécurité avec lui, qu’il ne me fera pas de mal… Tout à coup la main qu’il a placée dans mon dos me rappelle un contact familier. Et pourquoi est-ce que diable je pense encore à ce soir-là ? À Chase, à la chaleur de ses doigts autour des miens tandis qu’on marche ensemble, tard dans la nuit, vers la station du métro… Un frisson me fait courber l’échine et je balaie brusquement toutes ces pensées parasites de ma tête, m’efforçant de m’ancrer dans cette réalité-là. Un peu ébranlée, je relève aussitôt les yeux vers le concierge. « Arrêtez de faire comme si vous compreniez ce que je pense, vous n’êtes pas Legilimens, si ? » m’empressé-je de répondre, sur la défensive, encore troublée par ses sous-entendus douteux. C’est un cours de danse, pas une séance de psychanalyse, que je sache ! À la base, je suis venue me distraire pour oublier ma soif de sang, alors s’il me cherche un peu trop, je vais peut-être devoir revoir mes plans et le mordre à la gorge pour me désaltérer. Évidemment, c’est ce que je pense sous le coup de la colère, chers lecteurs : en vérité, je ne m’y risquerais pas. Je ne suis pas comme lui, pas comme eux… ! « Non, bien sûr. Je n’ai pas peur. » me défends-je d’un air faussement assuré, levant le menton, le dos bien droit. Il est tristement ironique de se rendre compte que si l’un devait avoir peur de l’autre, ce serait à lui de me craindre… À mon tour, je place ma main libre sur son épaule, me répétant qu’il n’est que le concierge de l’école, que ce n’était pas comme si un type de son genre pouvait me faire défaillir. « Et je suis prête. Alors, vous me montrez ? » lancé-je avec aplomb en indiquant nos pieds immobiles, trahissant mon impatience d’en finir avec ce sujet-là. J’ai envie de danser, notamment pour oublier ce que je suis, et ses tergiversations sans queue ni tête ne font que me le rappeler.

@Septimus Veturia

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( Dance in the dark )

‎‎ ‎ L’instant de flottement qui les saisit lorsqu’ils furent enveloppés de leurs propres reflets réverbérés d’un bout à l’autre de la salle sur demande laissa Septimus songeur ; de ce genre de songerie qui l’éloignait du monde matériel et l’égarait loin de la réalité. Agatha était cependant bien déterminée à récupérer son attention ; alimentant une conversation dont il ne voyait pas tout à fait le but, mais il se laissa néanmoins porter avec politesse – rehaussée de cette gentillesse qu’il dispensait à tout être vivant passant dans son champ de vision. “Je suppose, oui. Et un jour, je voudrais apprendre celle de la scène de bal, dans West Side Story. Vous connaissez ?” s’enquit-elle, allumant une vive étincelle d’intérêt dans le regard trop clair de son professeur de fortune. Un rire chaleureux lui échappa, tandis qu’il penchait la tête avec un certain amusement. “Qui ne connaît pas West Side Story ?” Un certain nombre de sang-purs, sans doute, mais il n’en faisait pas partie. “La chorégraphie est un peu ambitieuse pour le moment, mais c’est dans mes cordes” confia-t-il finalement, le nez levé au plafond d’un air de réflexion profonde. Lui aussi, ça lui plairait bien d’exécuter cette chorégraphie. L’idée était légère, amusante – frivole, aussi, mais il ne disposait pas vraiment d’une foule de partenaires susceptibles d’accepter à l’avenir, alors autant ne pas la reporter.
‎‎ ‎ Lorsque la discussion glissa sur ses origines, Veturia retint un battement de cils déstabilisé. Évoquer ses parents n’était jamais une expérience agréable. Leur seule mention soulevait trop de vieux souvenirs ; et des moins vieux aussi, des plus mélancoliques. Un éclair lui rappela subrepticement l’odeur de la peau de Fergal noyée de ses larmes, mais il l’ignora et repoussa soigneusement les émotions soulevées par cette simple évocation. “Oh, vos parents sont moldus alors ? Je vois.” Il ignorait ce qu’elle voyait, exactement, mais il décrivit un doux signe de dénégation de la tête. “Non, mes parents sont des sorciers tous les deux. Les Veturia sont une lignée de sang-purs mineure ; tu as peut-être déjà entendu ce nom accolé à des moyens de transport magiques. Il s’agit de l’entreprise familiale.” Septimus marqua un temps d’hésitation, les lèvres entrouvertes, sourcils froncés, avant de soupirer. Il préférait encore que tout doute soit dissipé plutôt que de la laisser découvrir l’information par elle-même et en tirer des hypothèses déplaisantes. “Ils sont aussi connus, hélas, pour leurs liens avec la magie noire. Mais je n’ai plus rien à voir avec eux depuis longtemps.” La dernière phrase était énoncée un peu trop sèchement à son goût, mais au moins les choses étaient-elles limpides.
‎‎ ‎ Une fois l’échauffement achevé, les deux partenaires improvisés se mirent en place. Un peu maladroitement, l’adulte tenta de baliser les limites du contact – bien entendu soumis à son consentement pour chaque geste –, mais la menace d’Agatha le laissa coi un moment. Ébranlé, très certainement, mais surtout la poitrine lacérée à l’idée qu’elle ne fasse que se protéger en montrant les crocs. Il tenta bien de la rassurer, de faire preuve de douceur ; la jeune fille parut toutefois perdre ses moyens face à sa réaction, balbutiant une question qui ne trouva aucune réponse. Septimus était pétri de cette détermination chaude, rassurante comme un feu de cheminée craquant dans un foyer, qui paraissait faire céder quelque chose d’inattendu chez la Gryffondor prise de court. Il n’avait aucune intention de revenir sur ses propos et il lui paraissait évident qu’elle avait tout à fait compris ce qu’il lui disait. Enfin, elle releva des yeux armurés sur lui. Il sembla à Veturia qu’il entrevoyait peut-être pour la première fois qui était réellement Agatha Kline. “Arrêtez de faire comme si vous compreniez ce que je pense, vous n’êtes pas legilimens, si ? l’aposthropha-t-elle, la voix craquelée d’un accent de panique mal ravalé. Lentement, le concierge secoua la tête. “Non, pas du tout. Je veux juste faire preuve d’empathie. Ça me paraît être la moindre des choses.” Son ton était l’évidence même ; presque surpris d’avoir à formuler cette donnée factuelle. À ses yeux, ce n’était qu’une question de décence basique. “Non, bien sûr. Je n’ai pas peur.” Réponse en différé, défi plein de gronde contenue trop longtemps. Avec une assurance encore mal définie, Agatha redressa le menton et l’échine avant de poser sa main sur l’épaule de Septimus, qui n’esquissa pas un geste en retour. “Et je suis prête. Alors, vous me montrez ?” Exigence plus que demande, qui ne provoqua à nouveau aucune réaction chez son aîné – hormis un petit sourire fatigué. “Ce n’est pas une mauvaise chose, d’avoir peur. C’est humain. On craint pour les choses auxquelles on tient ; rien de plus normal.” À nouveau, l’évidence éclaboussa la conversation, tandis que son regard faisait l’effort de trouver le sien ; prunelles débordantes de compassion. “Si c’est ce que tu préfères, je te montrerai. Mais tu n’es pas obligée de faire ça ce soir. Je vois bien que ça t’a affectée et j’en suis désolé. Ma porte t’est toujours ouverte, y compris en dehors de ces cours particuliers.” Docilement, il attendit son verdict sans prendre aucune initiative.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

C
urieusement, cette salle paraît un peu moins intimidante quand nous ne sommes que deux pour l’occuper. Quand Nikita nous a donné rendez-vous, la première fois, la crainte du ridicule, le regard des autres, m’obsédaient tant que j’aurais été bien incapable de danser librement sans m’en défaire… Ce soir, je m’en fiche bien : seules les images froides de nous-mêmes que nous renvoient les multiples glaces au mur peuvent nous juger. M’appuyant sur la barre, j’étire mes jambes en fixant la silhouette du concierge derrière moi. « Vous sous-estimez l’inculture de la plupart des élèves, je le crains. » soupiré-je, en me rappelant de cette élève de Gryffondor qui prétendait ne même pas savoir que Harry et Meghan avaient coupé les ponts avec le reste de la famille royale. Et dire que des gens vivent sans écouter les interviews d’Oprah Winfrey, vous y croyez, vous ? Si j’avais pu grandir, j’aurais voulu être elle. Toujours est-il que monsieur Veturia, que je prenais pourtant pour un ringard fini aux chaussettes dépareillées, possède finalement quelques bonnes références. Mes yeux brillent lorsqu’il affirme que la chorégraphie pourrait lui être accessible. « Vraiment, vous sauriez la reproduire… ? » Je serais curieuse de voir ça… ! C’est une chose qu’il possède quelques rudiments de danse et qu’il soit bien entraîné, mais de là à pouvoir suivre un tel rythme… ! Je serai franchement impressionnée, s’il y parvenait, surtout de la part d’un concierge. C’est pourquoi je finis par l’interroger un peu… Bon, je ne dis pas que c’est lui que je choisirais si je devais écrire un exposé sur une personnalité marquante, mais après tout, considérons que c’est plutôt atypique pour un membre du personnel de ménage d’être doué d’une telle expérience. C’est donc bien ce que je pensais : c’est un cracmol. A ce qui paraît, je devrais connaître son nom… Je réfléchis un court instant et réponds par la négative : « Je ne crois pas, je ne suis pas originaire d’ici. » Il doit s’en douter, mon accent américain le laisse aisément supposer, et cette petite garce de Poufsouffle l’a souligné lors de notre cours d’initiation. « Et vous, ça ne vous branchait pas, les transports ? » Je veux dire, aucun gamin ne rêve de conduire des Magicobus ou de réparer les proues de navires enchantées, mais ça reste toujours plus attrayant que concierge dans une école moyenâgeuse qu’il faut bien une journée à parcourir à pied. Enfin, comment puis-je prétendre comprendre ce genre d’individu ? Il ne faut pas avoir obtenir d’EE à tous ses ASPICs pour se rendre compte qu’on ne vient pas du même monde, lui et moi.

J’ai décidément affaire à un drôle d’oiseau. Loin de réagir comme je l’imaginais, ce concierge semble vouloir me déconcerter par tous les moyens. Pourquoi insiste-t-il ? Je n’attends aucune gentillesse de sa part, cette séance pourrait se dérouler dans le silence le plus total que ça ne me dérangerait pas. A la place, il s’obstine, creuse, s’excuse pour des fautes imaginaires qu’il croit avoir commises. « Ce n’est pas nécessaire, c’est bon. » réponds-je, un peu sèche. Ce torrent de compassion avec lequel il menace de me noyer commence à sérieusement m’inconforter. Vous ne trouvez pas ça ironique, chers lecteurs… ? Cela fait plus d’un an et demi que j’évolue entre les murs de cette école, et ce sans ne jamais perdre pied. Alors comment pourrais-je faillir maintenant, dans cette salle de danse à l’abri des regards ? Ses interprétations à propos de mon état mental me laissent confuse. Typique des européens ! Ils croient tout savoir, alors que la vérité c’est que ce bonhomme ne connaît rien d’autre que son propre bureau et les placards dans lesquels il ôte les toiles d’araignée. Je secoue la tête, dissimulant le trouble qui m’habite. « Quand on n’a plus rien à perdre, monsieur Veturia, on ne craint plus grand chose. » lancé-je avec une pointe d’amertume. Je hausse les épaules, feignant une profonde indifférence. Un silence s’installe dans la salle, les milliers de reflets de nous que nous renvoient les miroirs ont cessé de s’animer. « On attend juste que la vie passe, en priant pour qu’elle ne nous fasse pas sombrer dans l’oubli trop vite. » Ne vous en faites pas, je me comprends. C’est un peu cynique comme vision, mais c’est celle que j’ai développée pour survivre. Et ce qui m’y aidera le mieux, c’est de flamboyer comme une étoile, ce sera l’ultime preuve de mon existence. En bien comme en mal, je veux qu’on parle de moi, qu’on chuchote sur mon passage, qu’on me regarde du coin de l’œil. Croyez-vous qu’il est nécessaire de me confier inutilement sur les démons qui me hantent auprès du petit personnel ? Evidemment que non. D’une fierté impérieuse, je balaie d’un revers de main les inquiétudes qu’il formule à mon égard : « Je… je ne suis pas affectée. Et je n’ai besoin de personne ! » répliqué-je, d’humeur altière. Qui est-il, pour croire le contraire… ? A force de discuter seul dans son bureau ou d’avoir des conversations imaginaires avec ses lapins, il se croit peut-être légitime à recueillir quelque révélation faite sur un coup de tête. Mais je ne suis pas née de la dernière pluie, enfin… ! Je me suis toujours débrouillée seule, il n’y a aucune raison que cela change. Il me demande si je suis certaine de ce que je veux, et je mords la lèvre supérieure en réfléchissant à ma réponse, me massant le coude d’un air distrait. « Ça ira, c’est moi qui vous ai demandé de venir après tout. Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps. » Oh, je dis ça par pure politesse, ce n’est pas comme s’il y avait des choses plus intéressantes auxquelles il pourrait l’employer. Que je sache, il n’a ni rendez-vous avec le ministre de la magie ni une conférence internationale sur les sortilèges de récurage à l’heure où nous parlons, si ? Je cherche juste une échappatoire pour me sauver de ce bourbier dans lequel il a l’intention de m’entraîner, peu désireuse de faire face à mes angoisses intérieures.

@Septimus Veturia

black pumpkin

( Dance in the dark )

‎‎ ‎ La jeune fille n’était visiblement pas décidée à s’étirer en silence, mais cela ne dérangeait pas Septimus, car sa conversation était plutôt agréable. Il adorait les comédies musicales, alors pourquoi ne pas nourrir la discussion ? Un soupir franchit les lèvres d’Agatha à sa réponse. “Vous sous-estimez l’inculture de la plupart des élèves, je le crains.” Un brin amusé, le concierge étira un petit sourire en inclinant légèrement la tête. “C’est peut-être un peu daté pour les plus jeunes, maintenant.” À vrai dire, il était même un peu étonné qu’Agatha semble adorer West Side Story ; c’était après tout une vieille référence, aussi fut-il agréablement surpris de saisir l’éclat d’intérêt sincère dans le regard de l’adolescente lorsqu’il laissa entendre qu’il lui serait possible de reproduire la chorégraphie. “Vraiment, vous sauriez la reproduire… ?” l’interrogea-t-elle, un peu ébahie. Il ne se formalisa pas de son étonnement ; après tout, il n’était ni danseur de ballet ni professeur de danse de formation. Il n’était cependant pas stupide au point de lui confier qu’il s’agissait de l’un de ses intérêts restreints autistiques, raison pour laquelle il s’était toujours senti profondément mal à l’aise lorsqu’on lui avait suggéré de concourir dans ce domaine – une seule fois avait suffi à l’en vacciner, sensation persistante des regards scrutateurs sur son dos ensuqué. Si l’information de la perte de ses pouvoirs était confidentielle, celle-là l’était plus encore. Alors, il se contenta d’acquiescer, croisant sagement les mains dans son dos bien droit. “J’excelle surtout dans les danses rythmées, alors c’est tout à fait à ma portée, oui.” Il ne pouvait pas empêcher ses commissures de se relever davantage en constatant l’enthousiasme de la Gryffondor ; rien ne lui faisait plus chaud au cœur que d’intéresser un jeune.
‎‎ ‎ La curiosité attisée de sa partenaire du jour l’emmena toutefois sur des chemins plus déplaisants ; son histoire familiale. Refoulant une grimace, il concéda quelques bribes d’informations pour ne pas attirer davantage de questions – plus personnelles, plus indiscrètes. Il était facile d’allumer l’étincelle de l’interdit chez un enfant, et davantage encore chez un adolescent. “Je ne crois pas, je ne suis pas originaire d’ici. Et vous, ça ne vous branchait pas, les transports ?” s’enquit-elle, décidément déterminée à creuser le terrain miné. Veturia esquissa une moue contrariée, balayant la question d’une main un peu nerveuse. “On m’a refusé l’héritage” résuma-t-il alors, évitant soigneusement les angles les plus pointus de cette question. “Mais ça ne m’intéressait pas spécialement, non, de toute façon” évacua-t-il en haussant des épaules malgré tout raidies par le sujet épineux. Ses désirs avaient toujours été moqués par ses parents ; la danse, la sculpture et les lapins, c’était une vaste blague à leurs yeux.
‎‎ ‎ Le début de séance trancha nettement avec l’ambiance gentiment inquisitrice de l’échauffement. Menaces absurdes et excuses empathiques se fracassant sur la même lame roulant vers la plage pour s’échouer sur les galets polis d’émotions voilées ; rupture du contact physique pour une tentative maladroite de connecter le spirituel. “Ce n’est pas nécessaire, c’est bon” assura froidement Agatha face à la compassion du concierge pourtant sincère. Il n’insista pas, peu désireux de s’imposer dans cet espace confiné qu’ils partageaient sans vraiment s’éloigner tout à fait. Quand bien même, son regard trop clair disait toute l’honnêteté et le bien qu’il pensait à partager ces sentiments avec elle – on avait toujours besoin d’une ancre à laquelle se raccrocher lorsque la tempête était à son apogée, peu importait s’il s’agissait d’une ancre trouvée dans le sillage d’un autre navire. “Quand on n’a plus rien à perdre, monsieur Veturia, on ne craint plus grand chose. ” Septimus ne s’attendait pas à entendre tant d’âpreté dans la voix d’Agatha, elle habituellement si confiante ; pas plus qu’il ne s’attendait à entendre des paroles si définitives dans la bouche d’une si jeune personne. Seul un clignement d’yeux déstabilisé manifesta sa surprise, tandis qu’elle haussait les épaules sans conviction. “On attend juste que la vie passe, en priant pour qu’elle ne nous fasse pas sombrer dans l’oubli trop vite.” Cette fois, ses sourcils se froncèrent et il entrouvrit la bouche, avant de rétorquer : “La vie a encore plein de choses à t’offrir, tu n’es même pas majeure !” L’incrédulité perça malgré lui dans sa voix ; l’adulte tâcha de la ravaler, bien trop conscient qu’elle était mal avisée. Il se revoyait au même âge, persuadé que seule la mort pourrait mettre un terme à ses souffrances ; persuadé que plus rien ne pourrait le sortir de ce gouffre qui l’avait avalé tout entier. Ça aurait été présomptueux de prétendre que rien ne menaçait vraiment la santé mentale des adolescents – il était bien placé pour le savoir.
‎‎ ‎ Un petit soupir franchit ses lèvres, tandis qu’il reportait des yeux anxieux sur le visage si fier qui lui faisait face. ‎“J’ignore ce que tu as perdu, mais je peux te promettre que tu as encore beaucoup à gagner. Il suffit de t’observer un peu pour comprendre que tu es une gagnante.” Pas une battante, mais bien une gagnante ; une espèce bien particulière à laquelle n’appartenait certainement pas Septimus, mais qu’il décryptait sans peine dans le comportement de cette jeune fille insaisissable. S’il se garda bien d’ajouter qu’elle pouvait se confier si elle le souhaitait, ses traits tirés d’inquiétude le disaient sans peine. Pourtant, sa cavalière évacua d’une main agacée ses affirmations. “ Je… je ne suis pas affectée. Et je n’ai besoin de personne !” Cette fois, un petit sourire désolé étira les lèvres du concierge ; pas dupe, mais pas insistant. “On a toujours besoin des autres.” Observation posée, qui ne cherchait pas la contradiction ; il était difficile de s’y opposer dans un monde aussi social, à moins de vivre reclus en ermite – ce qui n’était vraisemblablement pas une ambition caressée par Agatha. Visiblement troublée, celle-ci se mordit la lèvre en assurant que ça irait, formulant qu’elle ne voulait pas lui faire perdre son temps. Commissures relevées qui se hissèrent un peu plus sur la face crayeuse de Septimus, dont les yeux brillèrent doucement. “Tu ne me fais pas perdre mon temps” assura-t-il, la laissant libre de prendre la prochaine initiative – poursuivre cette discussion ou renouer le contact physique.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

C
'est qu'il ne semble pas si dépourvu de goût, notre concierge... ! Si son style vestimentaire hasardeux et sa coupe de cheveux déprimante laissaient croire qu'il n'était qu'un vieux ringard, me voilà surprise de découvrir qu'il connaît bien ses classiques. Enfin, sauf qu'il croit West Side Story trop old-school... quelle erreur. « Vous, ça se voit que vous ne suivez pas trop les trends. » fis-je remarquer malgré moi d'un ton légèrement dédaigneux. Je veux dire, si vous avez scrollé TikTok l'été dernier, chers lecteurs, on n'y parlait que du #SharksChallenge. Mais bon, il n'y peut rien, après tout il est cloîtré entre ces quatre murs toute l'année durant à devoir ôter toutes les toiles d'araignée du plafond... ! La direction aurait franchement pu avoir pitié de ce pauvre homme, déjà dépourvu de pouvoirs magiques, et lui offrir un peu de réseau : là, le voilà condamné à la double-peine. Enfin, ça ne semble pas franchement le déranger ! À l'entendre, il trouve son épanouissement dans d'autres occupations. « Les danses rythmées, comme le cheerleading vous voulez dire ? » demandé-je, le sourcil levé, l'air légèrement circonspect. J'ai une image de lui qui me vient en train de se déhancher sur du Beyoncé avec d'énormes pompons et... Par Sanguini, je crains de ne plus jamais pouvoir m'ôter cette vision de la tête.

La suite de la conversation me fait emprunter une voie périlleuse sur un terrain glissant... Comment en suis-je arrivée à me confier à lui ? C'est bien la dernière personne de ce château auprès de laquelle j'imaginais rechercher de l'aide... ! Et pourtant, me voilà à me livrer sur mes pensées amères. Il me répond pourtant sans malveillance, avec une compassion qui semble presque sincère. Je réprime un rire sardonique : en effet, je ne suis pas majeure. J'aurais du le devenir il y a un an, et ma nouvelle nature m'en a privé, me contraignant vivre à une longue existence hors du temps et à me nourrir de chair fraîche. Je sauterais bien au cou de mon interlocuteur pour lui en faire une démonstration directe, mais je ne suis pas si pressée d'être renvoyée, surtout avec l'incident du bal... Une main posée sur ma hanche, j'incline mon visage dans sa direction : « Qu’est-ce que vous en savez ? » demandé-je d'un ton peu abrupt, le dévisageant avec une certaine sévérité. C'est fou, les adultes croient tout savoir sur tout, à nous dispenser des leçons de vie mielleuses empreintes d'une folle naïveté, mais ça ne prend plus avec moi : où étaient-ils, quand on m'a laissée pour porte sur le bitume froid... ? Monsieur Veturia est bien gentil, avec ses répliques tout droit tirées d'un fortune cookie, mais je ne pense pas qu'il soit capable un seul instant de se mettre à ma place en ce moment. Le détaillant de haut en bas, je finis par laisser mes mots trahir ma pensée : « Excusez ma franchise, mais je n’ai pas l’impression que la vie ait été très généreuse avec vous. » Autrement, il aurait reçu son héritage, et aurait pu disposer d'un bureau un peu plus luxueux. Ah oui, et il n'aurait pas de cals aux mains à force d'assister les elfes dans leurs taches les plus ingrates.

Il y a quelque chose de dérangeant dans les paroles qu'il m'adresse : je le vois bien faire des pieds et des mains pour se montrer délicat avec moi, mais cette façon de me parler comme si je souffrais intérieurement d'un quelconque mal... Pour qui se prend ce type... ? Je n'aime pas du tout la façon dont il sous-entend que je puisse être aussi vulnérable qu'il le laisse sous-entendre. Je n'aime pas son air compatissant, comme si quelque chose en moi était irrémédiablement rompu. Et je n'aime pas la manière dont il me pousse à me confier, comme si j'éprouvais un besoin irrépressible de lui livrer mes états d'âme. Parce que le pire, c'est qu'il y parvient... Heureusement, il ne débite pas que des inepties : certains de ses mots ont au moins pour mérite de me rappeler une évidence qui me sort trop souvent de la tête. « C’est vrai, vous avez raison. Je suis une gagnante. » réponds-je placidement, le menton légèrement relevé. Ma confiance en moi est bien un de mes derniers atouts, alors j'aurais bien tort de m'en priver pour me réfugier dans une pitoyable humilité. Je veux dire, il est vrai que la vie me sourit peu en ce moment, mais en comparaison avec la plupart de mes camarades insipides, je n'ai pas tant de quoi me plaindre... Certains vivront une vie si monotone qu'ils mourront probablement d'ennui avec un physique moyen et un travail payé ridiculement, tandis qu'avec ma carrure, je peux au moins espérer me marier à un type en costume riche qui m'offrira la vie luxueuse à laquelle j'aspire. Ne reste qu'à régler ce fichu problème de soif de sang, et les choses s'arrangeront d'elles-mêmes, c'est ce que je me dis en toisant mon interlocuteur. « Et c’est exactement la raison pour laquelle je ne devrais pas m’épancher inutilement. Je veux dire, vous n’êtes pas psychomage, si ? » demandé-je d'un ton faussement interrogateur en battant des cils. « À moins qu’il n’y ait un diplôme surprise de Sainte-Mangouste dissimulé dans votre bureau. Derrière l’armoire des objets confisqués, peut-être ? » fis-je mine de me questionner, en m'efforçant de reprendre contenance.

@Septimus Veturia

black pumpkin

( Dance in the dark )

‎‎ ‎ Il était difficile de ne pas lire le ravissement dans les prunelles trop claires de Septimus alors qu’ils conversaient de West Side Story. Lui qui se pensait vieux jeu en plus d’être à la marge, le voilà comblé ! La remarque d’Agatha, cependant, fit naître une lueur d’incompréhension dans son regard. Il peinait à interpréter la tonalité de sa voix et l’utilisation du mot dans ce contexte spécifique le laissait perplexe. “Les trends ?” répéta-t-il candidement. “West Side Story revient à la mode ?” On décelait de l’enchantement dans son interrogation enthousiaste – semblable à celui d’un enfant auquel on annoncerait la venue imminente d’une surprise. Pourtant, il était à peu près certain de ne pas en avoir entendu parler. D’un autre côté, il n’avait qu’un usage exceptionnel de son vieux smartphone et il devait avouer qu’il se rendait bien plus volontiers sur les groupes de propriétaires de lapins sur Facebook plutôt que sur les actualités musicales. Ce n’était sans doute pas qu’à imputer à l’âge, en l’occurrence… Mais cela ne l’en rendait pas moins capable de lui assurer être en mesure de reproduire la chorégraphie, puisque le rythme entrait tout à fait dans ses domaines d’expertise. “Les danses rythmées, comme le cheerleading vous voulez dire ?” s’enquit-elle, à son tour perplexe. Un petit rire secoua le concierge, qui secoua la tête. “Plutôt comme le charleston ou le disco” corrigea-t-il. Peut-être était-ce démodé, il n’en savait rien, mais toujours était-il qu’il s’amusait comme un petit fou sur ces danses électriques.
‎‎ ‎ La brutale rupture du contact mit cependant un terme glacial à cet échange badin. Là, derrière ce regard d’ombre farouche, évoluaient des ombres indistinguables qui lui hérissaient l’échine. Et pourtant… Veturia ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver du regret et de la compassion face à cette attitude revêche, cette prédatrice-née blessée qui ne faisait plus illusion dans le faisceau trop sensible de ses propres échos. Agatha avait beau jeter les mots comme des ordures, le défier d’un menton fier et gonfler la poitrine comme une lionne défiante, son aîné ne ressentait pas la moindre peur ; pas la moindre envie de reculer. Quelque part derrière les broussailles qui dissimulaient la silhouette du fauve se trouvait une similitude aiguë, presque oppressante qui lui faisait incliner la tête en silence avec une moue désolée. “Qu’est-ce que vous en savez ?” feula-t-elle, sur la défensive. Un petit sourire triste naquit sur les lèvres pâles du concierge, qui ne se montra pas le moins du monde déstabilisé par son comportement rétif ; ses épaules se haussèrent doucement. “J’ai longtemps cru que la vie ne valait pas la peine d’être vécue ; que personne ne me tendrait jamais la main – du moins, pas sans exiger quelque chose en retour. J’ai eu tort de désespérer.” Évidemment, les yeux de la Gryffondor parcoururent sans s’en cacher la maigre silhouette de l’adulte ; jaugeant sans vergogne son air fatigué, ses cheveux blanchis avant l’heure, ces rides arrivées trop tôt et sa tenue modeste. Évidemment qu’elle émit des doutes, avançant que la vie n’avait pas été tendre avec lui. “C’est vrai” admit-il en cessant de sourire, soudain plus sérieux. “La vie est un hasard cruel ; injuste, en plus de ça. Mais si on ne peut pas lutter contre les cartes qui nous ont été distribuées, nos choix peuvent changer la donne. On peut choisir… d’admettre qu’on a besoin d’aide, de faire confiance à quelqu’un qui nous tend la main. Parfois, on ne prend pas les bons risques.” Septimus cherchait ses mots, les pesait avec une lenteur inhabituelle. Il sentait bien qu’il risquait d’effrayer la créature sauvage qui le toisait, prête à prendre la fuite au premier geste brusque. Ne rien tenter serait en revanche pire que de supporter son dédain et son hostilité ; ces derniers n’étaient que la surface du problème, ce qu’il en percevait de son point de vue partiel et partial.
‎‎ ‎ S’emparant soudain des paroles de son interlocuteur, Agatha les retourna contre lui sans hésiter comme elle saisirait un poignard pour blesser son agresseur. Veturia n’était pas dupe ; elle avait beau brandir sa fierté en bouclier et tenter de le repousser par des piques acérées, il était trop tard pour colmater les fissures qu’elle l’avait laissé entrapercevoir. “C’est un échange informel, pas une thérapie” répondit-il doucement. “Si tu en as besoin, je te redirigeai vers les personnes compétentes – qui ne m’incluent pas, comme tu le soulignes. Mais si tu as besoin d’une oreille attentive et d’empathie… Ma porte te reste ouverte.” Pouvait-il vraiment faire plus, dire plus ? S’il aurait aimé lui faire comprendre qu’il ne cherchait qu’à l’aider, il refusait de forcer quelle que confession que ce soit. Aussi se contenta-t-il de croiser sagement les mains dans son dos, ce qui lui permit de frotter nerveusement ses doigts les uns contre les autres sans troubler l’adolescente ni faire mine de se rapprocher physiquement d’une quelconque façon.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

L
es choses échappent à mon contrôle, je le sens : je perds les rênes de la discussion, laissant mon interlocuteur m'emmener sur des sentiers inconnus. Et tous les miroirs qui nous entourent ne cessent de me renvoyer cette image de nous... je me sens vulnérable. Monsieur Veturia a beau essayer comme un beau diable de me rassurer, avec son optimisme dégoulinant et ses phrases bien faites, ses efforts ne suffisent pas. Forcément... Je n'aurais qu'à me plonger dans un bouquin de développement personnel, si c'était là le remède que je cherchais. Mais par dessus tout, je crains férocement de me retrouver face à moi-même. On dirait bien que je ne mène plus la danse... « Et qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis, vous ? » demandé-je, un brin circonspecte. J’ignore si le fait de devenir concierge lui est apparu comme un signe providentiel ou sauveteur de sa petite vie misérable, mais si c’est le cas, nous n’avons pas la même conception d’une rédemption. Ou alors, ses attentes sont tout simplement bien plus basses que les miennes… Faire le deuil de mes aspirations passées est un travail que je pensais pourtant loin derrière moi. Et je demeure ainsi, incapable de comprendre l'air pourtant sincère de mon interlocuteur... Est-ce de la naïveté, de l'innocence ? Je détourne le regard, repoussant quelques unes de mes tresses noires par dessus mon épaule d'un geste sec. « Vous croyez sincèrement que ça suffit… ? Pas de langue de bois, s’il vous plaît. Toute l’aide du monde ne suffit parfois pas à retrouver pied. » À vrai dire… ce n’est pas comme si j’avais un jour essayé. Je ne me confie pas d’ordinaire, préférant garder mes relations superficielles de manière à demeurer hors d’atteinte, c’est toujours comme ça que j’ai fonctionné. Je n’ai même jamais parlé à personne de ma nature de vampire, si ce n’est lorsque j’y ai été contrainte… à ma mère, aux autorités du MACUSA, et même à Jin. Je trouve un refuge bien plus confortable dans des discussions futiles et des sujets frivoles, à parler de la pluie et du beau temps, de styles de danses... Le podcast est un bon échappatoire en lui-même. Et cette salle, modelée à ma convenance, au sein de laquelle je lui ai donné rendez-vous, n'est qu'un abri de plus.

Face à sa proposition, je me sens prise au dépourvu. Hésitante, j'entrouvre la bouche, ignorant ce qui pourrait bien en sortir... les mots se bloquent dans ma gorge, entremêlés par la confusion qui règne dans mon esprit. Et je suis tentée de céder à ses appels... ! Je n'avais pas prévu de lui confier ce poids qui pèse dans ma poitrine, et encore moins à lui, concierge insignifiant aux airs bonhommes. Quelle ironie, que ce soit lui qui se retrouve à recueillir ma peine, quand j'ai pris un malin plaisir à le descendre... Et puis, au dernier moment... je me ravise brusquement, secouant la tête. Je ne suis pas prête. « Je… non, c’est bon. Je n’en ai pas besoin. Je vais très bien, ne me parlez pas comme si j’allais commettre une bêtise, ou quelque chose dans le genre. » Je ne veux pas qu'il aille s'imaginer que je suis faible : je le serais seulement à l'ombre des regards, derrière un voile opaque, là où nul ne pourra m'apercevoir. J'allais m'en tenir là et lui proposer de prendre congé immédiatement, mais je n'y parviens pas non plus... C'est pourtant ridicule ! Je pourrais l'envoyer paître avec une simplicité enfantine, l'invitant à rejoindre ses placards à balais pour aller y trouver la compagnie des araignées, sans n'avoir à craindre aucune conséquence. « Tout ce que je veux, c’est ne pas être seule ce soir. » concédé-je finalement dans un souffle, comme un murmure. C'est un aveu difficile, voilà des failles que j'aurais préféré garder secrètes. Et pour faire face, je me gorge d'orgueil : « Alors contentez-vous de rester, et montrez-moi ce que vous savez faire. » Je redresse mon visage, le plaçant à la hauteur du sien, massant mes poignets. À vrai dire, il aurait toutes les raisons du monde de ne pas accepter... je n'ai rien fait pour être de bonne compagnie, c'est même plutôt l'inverse. Pourtant, alors que j'ai tout donné pour le faire fuir, il est resté là, humble et compatissant. Bon sang... je le déteste, d'être aussi mielleux ! Personne n'est comme ça de manière désintéressée, ça n'existe pas, alors qu'il cesse immédiatement son petit numéro de bon samaritain et qu'il aille jouer à Marraine-la-bonne-fée ailleurs, moi je n'y crois pas. Je n'ai pas besoin de ce type, ni de son ton sirupeux, ni de son savoir-faire. Et pourtant, ce sont mes propres mots me trahissent une nouvelle fois : « S’il vous plaît. »

@Septimus Veturia

black pumpkin

( Dance in the dark )

‎‎ ‎ Contre toute attente, une étonnante assurance avait pris le contrôle du comportement de Septimus. Peut-être parce qu’il était douloureusement conscient que l’hostilité d’Agatha découlait clairement d’une souffrance enfouie, niée avec férocité ; peut-être parce qu’il ne pouvait pas s’empêcher d’être convaincu qu’une main tendue et giflée valait toujours mieux qu’une façade joliment entretenue. Évidemment, la jeune fille n’était pas miraculeusement gagnée par le récit de son expérience, en dépit de la conviction sincère qui vibrait dans sa voix. “Ce qui m’a fait changer d’avis…” répéta-t-il doucement. C’était une bonne question, puisqu’il n’y avait pas d’élément déclencheur à proprement parler ; pas d’illumination qui avait fait basculer sa vie du jour au lendemain. Non, c’était plus subtil que ça. “L’impression de me sentir utile, désiré” choisit-il de répondre. La tentation de s’étaler sur les lapins et ô combien ils étaient de merveilleuses créatures était grande, mais même lui était bien conscient que cette digression n’avait aucune importance. Le plus important, c’était qu’Agatha s’approprie sa réponse pour y trouver la sienne. “D’avoir une place, un rôle à tenir ; que tout n'était pas vain ou vanité.” Même si cela signifiait trivialement qu’il s’occupait de sauver la vie de petits herbivores fragiles dont personne n’estimait la valeur. Mais chacun avait une ambition, un rêve, une passion ; il ignorait ce qui touchait la Gryffondor, mais il était convaincu que chaque adolescent était capable de se réaliser en trouvant sa voie. Peu importait qu’elle ait de la valeur aux yeux des autres.
‎‎ ‎ Agatha détourna les yeux, comme si elle était gênée par les propos ou le regard de son interlocuteur qui lui affirmait que saisir une main tendue pouvait rebattre les cartes. “Pas de langue de bois” promit-il avec douceur. “Bien sûr que toute l’aide du monde ne suffit pas” acquiesça-t-il, le regard scintillant toujours de cette lueur tendre – convaincue de bien faire. “Il faut vouloir aller mieux pour reprendre pied. On ne peut pas sauver une personne qui n’a pas envie de saisir la main qu’on lui tend. C’est pour cette raison qu’à mon humble avis, le choix le plus dur réside toujours dans celui de saisir cette main. Et ce choix n’appartient pas à ceux qui veulent aider.” Il espérait être suffisamment clair, compréhensible. Saisissait-elle que l’essentiel reposait sur elle ? Qu’elle était entourée d’adultes bienveillants prêts à lui donner l’élan nécessaire pour remonter la pente ? Il lui était impossible de ne pas nourrir cet espoir.
‎‎ ‎ Sa proposition de suivre une thérapie parut la troubler au plus haut point. Un instant, il crut qu’elle allait lâcher ce qu’elle avait sur le cœur ; impossible de ne pas lire l’hésitation qui oscillait dans ses yeux sombres. Puis, elle secoua la tête et déclina avec ce même air de défi qu’elle arborait depuis le début de leur échange. Ce fut au tour du concierge de faire un signe de dénégation de la tête, quoique le sien soit plus lent, moins brutal. “Il n’y a pas besoin d’être sur le point de commettre une bêtise pour consulter. Il suffit d’être un peu anxieux à cause des examens, en réalité. Rien de bien méchant.” Dédiaboliser la figure du psychologue lui paraissait important. Quand bien même il était plein de bonne volonté, Veturia savait qu’il ne disposait pas des outils et du statut nécessaires pour lui venir en aide au mieux. Alors, cette porte devrait rester entrouverte pour son propre bien. Cependant, il n’était pas préparé à l’aveu qui fut murmuré tout bas et qui lui pressa le cœur comme un citron acide ; la brusque envie de la prendre dans ses bras pour lui assurer que tout irait bien le saisit, mais il ne bougea pas d’un centimètre. Elle ne serait pas seule. Elle se redressa, gonflée de cette fierté qui la caractérisait, lui ordonnant presque de rester ; avant de le lui demander sur un ton presque blessé, dont les accents firent luire un bref moment les prunelles pâles de Septimus. Un petit sourire ourla ses commissures tremblantes, qu’il lissa du mieux qu’il put pour dissimuler son émotion derrière l’envie farouche de saisir cette perche tendue, inespérée. “Bien sûr.” Ton de l’évidence, doux et posé. “Ce soir et tous ceux qui en auront besoin.” De sa compagnie, de sa présence, d’une danse ou simplement d’une oreille attentive au silence plein de mots qui refusaient de sortir de cette poitrine qu’on devinait étriquée de larmes toujours contenues à sa simple vue.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

S
incèrement, si j'avais imaginé une seconde qu'il n'aurait fallu que quelques minutes à Mr. Veturia pour abaisser les barrières les plus hautes, que j'ai érigées autour de moi pour me protéger du monde, j'aurais ri à gorge déployée. Lui, un quarantenaire socialement à la traîne, au style vestimentaire approximatif et au statut misérable... ? Pourtant, je consens à écouter les quelques leçons qu'il a me dispenser, sait-on jamais. Après tout, je suis suffisamment désespérée pour chercher partout un remède à cette amertume qui me consume lentement. Ben voyons, première nouvelle… se sentir utile et désiré quand on occupe un poste de concierge doit requérir un sacré mental. C’est très bien que ce pauvre homme se persuade de toutes ces belles choses, mais quitte à se trouver une raison de vivre, autant que ce soit sans avoir à récurer les fientes de hiboux dans la volière. Au moins, tout optimiste qu'il soit, je me dis que si même cet énergumène est parvenu à retrouver son chemin dans la brume, c'est que tout n'est pas perdu pour moi. « Je vois. » C'est tout ce que je trouve à répondre, à vrai dire. J'ignore si Mr. Vetturia a raison ou tort, toujours est-il que l'exercice me semble relativement compliqué. Comme s'il était aisé de saisir une main tendue... « Et s’il arrive que l’on fasse du mal à ceux qui cherchent à nous aider ? Ça veut dire qu’il ne restera bientôt peut-être plus personne, j’imagine. » Le visage effrayé de Jin est le premier qui m'apparaît. Je ne voulais pas le blesser, pourtant mes crocs ont déchiré son épiderme avec une violence que je n'ai pas su contrôler. Il ne m'a pas répondu de toutes les vacances, alors j'imagine qu'il ne voudra plus me revoir... Et c'est pourtant le seul avec qui je peux parler librement, puisqu'il connaît ma nature. Quant aux autres, plus le temps file, et moins je suis tentée de me résoudre à dire la vérité à mon propos. Azure est tellement focalisée sur ses problèmes de coeur qu'elle serait bien incapable de deviner qu'elle prend le thé avec un vampire... Et les enseignants sont tellement rigides que je me vois mal me confesser auprès d'eux.

Je soupire, croisant le temps d'un instant le regard réprobateur jeté par mon propre reflet dans l'un des miroirs de la pièce. « Les examens ne me font pas peur. Pour l’avenir qui m’attend, je ne sais même pas si j’en aurais besoin. » Disons que c'est l'avantage d'un temps qui ne s'écoule plus... Les quelques siècles qui me séparent de l'espérance de vie d'un être humain banal rendent ce genre de considérations tout à fait futiles. Je ne me suis pas présentée à mes derniers examens, quant à ceux de cette année... j'ignore si j'ai véritablement envie de les obtenir. Pourquoi ne pas laisser traîner les choses et retarder l'échéance de ma septième année... ? Je ne suis pas pressée de changer d'établissement avant d'errer sans but au sein de la société sorcière... Une fois que je serais sortie de l'école, on ne me verra plus comme un individu, simplement comme un être surnaturel potentiellement dangereux. Alors, je préfère nettement me réfugier entre ces murs protecteurs, et me focaliser sur mes petits problèmes adolescents, sur mon podcast, sur des leçons de danse. C'est mieux comme ça, et heureusement mon interlocuteur accède à ma requête. Son visage transpire d'une gentillesse dégoulinante, et j'aurais mille-et-un reproches à adresser à ces phrases toutes faites qu'il m'adresse d'un ton mielleux... Malgré tout, je lui suis reconnaissante de rester... rien ne l'y obligeait, après tout. Quand bien même je m'efforce de demeurer digne, il n'est pas aussi aisé de se travestir face à autant de glaces qui me renvoient inlassablement le même reflet. « Merci. » réponds-je simplement, camouflant l'émotion qui se devine à travers ma voix. Je reprends ma posture, retrouve ma contenance, et m'éclaircis la gorge : « Alors, vous me montrez ce que vous savez faire… ? Sinon je vais finir par croire que vous ne vous y connaissez pas autant que vous le prétendez. » lui adressé-je, d'une voix teintée de provocation. Après m'être autant épanchée, je suis ravie de me laisser aller à des préoccupations plus légères, comme le rythme auquel nous irons pendant qu'il m'enseigne quelques pas.

@Septimus Veturia

black pumpkin

( Dance in the dark )

‎‎ ‎ Difficile de déterminer si ses paroles atteignaient la jeune fille, dont le visage demeurait énigmatique. Un “Je vois” neutre lui donna le fol espoir que, peut-être, il n’était pas complètement à côté de la plaque ; que ses efforts n’étaient pas totalement vains ; qu’il avait fait un peu de bien. Septimus était sincèrement persuadé qu’on ne perdait jamais son temps à tendre la main aux autres, y compris lorsqu’elle était refusée ou dédaignée ; s’il mourait en ayant au moins consolé un cœur brisé, il n’aurait pas vécu en vain. Sa prochaine question lui fit cependant froncer brièvement les sourcils. “Il y a toujours quelqu’un” répliqua-t-il, l’air pensif. “Il est très commun de blesser ceux qu’on aime lorsqu’on souffre. Mais nos proches savent pertinemment faire la distinction entre l’intention de nuire et le dégât collatéral. Tu n’es pas malveillante, Agatha. Je suis sûr que tes amis le savent.” Je suis sûr qu’ils le voient comme moi je te vois. Comme deux flaques de lumière chaude, ses yeux s’éclairèrent doucement alors qu’un sourire rassurant se dessinait sur ses lèvres. Il la saisissait parfaitement, la fêlure qui transpirait par l’amertume affichée de l’adolescente. S’il l’entrapercevait, ses proches devaient nécessairement la connaître.
‎‎ ‎ Un soupir froissa un bref instant l’expression composée de la Gryffondor, dont le regard erra près des miroirs qui les encerclaient. “Pour l’avenir qui m’attend…” Ces mots résonnèrent dans la caboche troublée de Veturia, qui observait à présent Agatha avec curiosité. “Quel avenir ?” s’enquit-il doucement. Ça lui remuait le bide, d’entendre tant de fatalisme dans la voix d’une si jeune personne – peut-être parce qu’il craignait de passer à côté d’une détresse plus grande qu’il ne se l’était figuré de prime abord. Alors, sans hésiter, il accepta de lui tenir compagnie ce soir ; et tous ceux dont elle aurait besoin. Si elle n’était pas prête à se confier, il pouvait au moins lui offrir sa présence, à défaut de pouvoir lui apporter une aide concrète. Le remerciement sobre qui passa la barrière des lèvres de la jeune fille fut accueilli d’un sourire, sans s’attarder sur les émotions qui vibraient dans sa voix. Il ne la forcerait à rien ; ce n’était pas de cette façon qu’il gagnerait sa confiance, de toute façon.
‎‎ ‎ Elle se redressa, lissant son visage de princesse hautaine comme pour en chasser les derniers vestiges de leur conversation. Un rire franc échappa au concierge lorsqu’elle exigea plus ou moins qu’il lui fasse ce fameux cours – qui était, après tout, le prétexte de leur rencontre. “Très bien, très bien. Le tango n’a rien de bien compliqué ; tout ce que tu dois faire, c’est me suivre comme mon ombre.” Précautionneusement, il se rapprocha d’elle jusqu’à ce que leurs poitrines se touchent, tandis que leurs bassins demeuraient à bonne distance ; il passa une main légère dans son dos, puis joignit l’autre à celle de sa partenaire. “C’est moi qui mènerai la danse, tu as juste à me suivre. La clé, c’est la spirale : il faut que tu exagères le mouvement de marche de sorte à ce que ton bassin et ton épaule se tordent en miroir. Tu auras un meilleur équilibre de cette façon.” En guise de démonstration, il avança son pied vers le sien pour l’obliger à le placer en arrière, corps de travers pour accompagner le mouvement afin de ne pas bouger du point sur lequel ils se tenaient. À l’inverse, il envoya son autre pied en arrière pour l’inviter à avancer le sien – démonstration simple du balayage en miroir pour lui faire comprendre la façon de se placer et le rythme attendu. “Tes pieds doivent toujours être pointés sur la tranche extérieure, c’est ce qui fait toute l’élégance du mouvement. Lorsque tes pieds sont groupés, il faut toujours que tes appuis soient accordés à la direction que la danse impose ; ici, tu vois que ma cheville dirigeante est légèrement cassée en position groupée.” Il baissa son long nez sur ses pieds regroupés pour l’inviter à observer. Une fois les bases acquises, le tango pouvait être rapidement maîtrisé du moment qu’on ancrait le rythme et les placements dans sa façon de se mouvoir.

ft. @Agatha Kline

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Dance in the dark

Un pas sur le côté

J
'ignore ce qui m'arrive. Me voilà passée du haut de mon piédestal au bureau des plaintes, en un claquement de doigt. Quelle est cette sorcellerie ? Je crois que j'ai sous-estimé ce concierge et sa faculté à m'arracher des vérités que j'aurais préféré garder enfouie. Comme si je ne venais pas de le menacer quelques minutes auparavant... Pire encore, il est gentil avec moi ! Non seulement il écoute mes ennuyeuses confidences sans jugement, mais en plus de cela, il cherche à m'aider. Vous rendez-vous compte comme tout cela est humiliant, chers lecteurs ? La mine assombrie, fuyant mon reflet dans le grand miroir, me voilà débarrassée de toute ma superbe, acceptant à contrecœur cette main tendue. « J’espère que vous avez raison. » soupiré-je, avant de relever les yeux vers lui. « J’ai l’impression que le monde s’effondrerait autour de moi, si je disais tout. Je ne sais pas si j’y arriverais un jour. » avoué-je avec fatalisme. J’imagine que pour quelqu’un qui ne connaît pas les enjeux au cœur des problèmes que je vis actuellement, tout ce que je raconte doit paraître bien confus. Je suis en train de parler de l’éternité à un simple être humain, qui décèdera d’une mort naturelle d’ici quelques années ! Et puis, comment me plaindre de ce qui m'arrive... ? C’est moi, après tout, qui ai veillé à ce que mes relations ne soient que superficielles, construit un rempart pour empêcher quiconque de m’approcher de trop près, comme si je craignais d'être à nouveau affectée par des sentiments parasites ou des émotions trop difficiles à maîtriser. Même Azure, dont je connais pourtant tous les déboires sentimentaux, ne sait pas grand-chose de moi, au fond, si ce n’est ce que je veux bien lui montrer. Personne ici ne sait rien de l’enfer que j’ai traversé avant d’arriver en Europe, personne ne sait ici combien il est insupportable de pénétrer dans une salle bondée, de soumettre ses sens à l’épreuve de la tentation constante. Pas même Jin. Et paradoxalement, malgré leur ignorance, je leur en veux, de ne pas savoir lire au delà des lignes. Fatalement, je sais qu'un jour viendra où je me retrouverais seule, pour de bon.

En une année et demie, la notion d'avenir a eu le temps de devenir un concept abstrait, dépourvu de la moindre signification. Condamnée à quelques siècles de plus sans prendre une ride, j'ai du revoir mes ambitions à la baisse et les adapter à ma condition... Et parfois, je me rends compte que j'en veux à la Terre entière, de continuer à tourner indifféremment. Ce pauvre concierge n'en sait rien après tout ; quand on occupe une position aussi inexistante que la sienne, on se contente de voir défiler les lendemains en attendant une retraite misérable. Pourtant, une peine sincère se lit dans ses yeux quand j'évoque mes frustrations. « C’est… il est différent de ce que j’imaginais. C’est tout. » Difficile d’en dire plus. Qu’est-ce qui m’en empêcherait, pourtant ? Il est bien inscrit sur mon dossier scolaire que je suis un vampire, tout le corps professoral est censé en avoir connaissance. C’est juste que… le dire à voix haute rend ça plus réel, il change le regard des autres sur moi. Vous savez, j’ai toujours aspiré à être au centre de l’attention, qu’importait l’opinion bonne ou mauvaise que l’on puisse avoir de moi, pourvu que je sois aux cœur des préoccupations. Mais ça… ce n’est pas ce que je veux être. Une créature nyctalope qui se repaît du sang chaud qui coule dans les veines des humains : c’est une destinée qu’on m’a forcé à embrasser… J’étais la reine, trônant autour d’une cour rayonnante, et maintenant, me voilà, à baragouiner des réflexions pessimistes sur la vie devant le concierge cracmol de l’école, soit le bas de la chaîne alimentaire. Je l’ai traité si durement, et le pire, c’est qu’il a l’air de compatir sincèrement pour moi… Vous ne trouvez pas la situation tristement ironique, chers lecteurs ?

Alors, je préfère bien volontiers ranger mes vieux démons dans leur placard, et m'abandonner à la danse. Obéissante, j'écoute docilement les instructions données par Monsieur Veturia, observant silencieusement ses mouvements. C'est qu'il s'y prend plutôt bien, pour une homme à tout faire... ! Et moi qui croyais avoir affaire à un vieux croulant qui ne disposait plus que de quelques vestiges de savoir, disons que la surprise est bonne en le voyante à l’œuvre. Son rythme est même parfois difficile à suivre, c'est plus impressionnant encore que lorsqu'il esquissait quelques pas de cette danse militaire russe. La spirale, la démarche, le déhanché... je prends note de tout, m'efforçant de reproduire ses gestes en miroir. Je n'ai pas vraiment pour habitude de me laisser mener... disons simplement que pour une fois, j'y consens. À mon tour, je tords mon bassin et mon épaule, avant de me retourner dans sa direction : « Comme ça ? » demandé-je à son attention, soucieuse de son avis... Maintenant, les pieds. Tranchés à l'extérieur, penser à casser la cheville... Chez lui, cela semble si facile ! Comme s'il lui avait fallu des années pour parvenir à un tel résultat. « Je pensais qu’à force d’inspecter les nids de Doxys au plafond vous auriez le dos en compote, mais… vous êtes plutôt souple en fait. Vous cachez bien votre jeu ! » Certes, ça ne ressemble pas à un compliment, mais c'en est bien un. Je jette un œil amusé à nos silhouettes dans le miroir, contemplant la chorégraphie brouillonne qu'elles offrent. Et puis, je me rends compte, au fur et à mesure, de l'exercice, que cette boule dans mon ventre a disparu, sans même que je ne m'en sois aperçue. À présent, seul compte le rythme à suivre, et la cadence de nos pas... jusqu'à ce que le crépuscule ne cède sa place à une nuit noire.

@Septimus Veturia

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