Le premier jour, Septimus était soulagé. Lui qui était catastrophé à la seule idée de devoir partager sa chambre avec quelqu’un, il avait poussé un long soupir de soulagement en apprenant que son colocataire ne serait nul autre que Jaimie. L’angoisse l’avait saisi à la gorge rien qu’à la possibilité de dormir dans la même pièce que le directeur. Il avait donc prêté une attention distraite aux petits détails qui l’irritaient déjà lorsqu’ils avaient investi la hutte pour s’installer : le manque de rigueur dans le pliage des vêtements, la façon dont le professeur s’étalait pour remplir l’espace, les affaires qu’il laissait traîner par terre (Merlin, qui laissait traîner ses affaires par terre dans une hutte ? Vous imaginez toutes les cochonneries qui doivent macérer au sol ?), l’étourderie dont il faisait preuve en oubliant un objet de son côté – à lui, à Septimus ! – et, pire que tout, le fait qu’il touche à ses affaires. Le directeur de Gryffondor avait décidément un sacré problème avec la propriété matérielle. Il y avait son côté de la hutte et ses affaires ; ce n’était quand même pas si compliqué, non ?

Mais très bien, passons. Il ne s’était agi que du premier jour, ils étaient fatigués et avides de se vautrer dans leurs lits. Sauf que ce comportement ne s’était pas arrêté là, figurez-vous ! Il avait continué, pendant des jours, à agir de cette façon. Et le pompon, c’était sans nul doute la nuit dernière, que le professeur avait passée à ronfler. Déjà que le concierge serrait les dents au moindre reniflement ou rien qu’à l’entendre respirer un peu trop fort, mais là… là, c’était trop.

À peine levé, Septimus avait fait preuve d’une mauvaise foi et d’une humeur massacrante qui l’avaient rendu particulièrement désagréable pour tous les êtres vivants qui auraient eu le malheur de croiser sa route. L’une des premières choses qu’il avait faites (en dehors d’extirper sa tête ébouriffée de sous son oreiller d’un air meurtrier) avait été de retirer d’un geste excédé le tube de crème solaire que Jaimie avait eu l’outrecuidance de poser contre l’une de ses statuettes de lapin. Il avait ensuite soigneusement rangé l’objet sur la table, poussée contre un miroir abîmé, où étaient disposées toutes leurs affaires de toilette ; c’était bien plus logique ainsi. Le sorcier y avait également ajouté les bouchons d’oreilles du professeur, puisqu’il s’agissait aussi de préparation.

Une fois cela fait, il avait étalé son vieux tapis de gym à côté de son lit dans la ferme intention de faire ses étirements matinaux. C’était compter sans son œil d’aigle maniaque, qui capta immédiatement que le précieux cadre affichant une adorable photo de Golgoth et Crevette, ses lapins, avait été déplacé. Furieux, il s’était redressé et avait entrepris de rectifier cette immanquable bévue, avant d’être interrompu par une question de son compagnon d’infortune :

— Septimus, vous auriez vu mes bouchons d’oreilles ? Demain, il y a plongée et j'ai un élève qui m'a demandé de l'accompagner.

Précautionneusement, le concierge ajusta le cadre exactement comme il devait l’être (à gauche, précisément tourné à trente degrés en direction de son lit, légèrement illuminé par l’aube tous les matins), puis il se tourna vers Jaimie avec une lenteur menaçante. Si ses yeux avaient pu tuer, il serait probablement déjà en route pour Azkaban. Croisant les bras, Septimus répondit avec une sécheresse plutôt inhabituelle :

— Oui. Ils sont à leur place.

Cette réplique très maternelle, assortie d’un haussement de sourcil aigu, conférait soudain au sorcier l’aura d’un parent sur le point de priver son fils de sortie.

Contre toute attente, le professeur d’étude des moldus paraissait complètement désemparé face à la réaction de son colocataire temporaire. Ce dernier haussa son second sourcil, parfaitement ébaubi, tandis qu’il l’observait fouailler dans sa valise à la recherche du matériel égaré. Le faisait-il exprès, pour tester sa patience, ou était-il véritablement aussi bordélique qu’il le laissait croire ? Mais sa réaction, combinée à ses réponses, étaient si lunaires qu’il fallait bien admettre qu’un fond d’honnêteté y était bien pour quelque chose.

Grand prince, Septimus étendit un doigt précis sur la table faisant face au vieux miroir de guingois, où s’étalaient l’intégralité de leurs affaires de toilette et tous les objets ayant trait aux sorties – ce qui incluait les fameux bouchons d’oreilles de son interlocuteur.

— Ici, soupira-t-il avec irritation. À leur place, avec les affaires et de quoi se préparer pour sortir. C’est logique.

Et sa logique lui paraissait vraiment implacable, en effet. Chaque chose était à une place déterminée selon son utilité, et non laissée au hasard ou casée approximativement à portée de main. Qui plus est, le concierge avait fait en sorte que la table soit scindée proprement en deux : à droite, les affaires de Jaimie et à gauche, les affaires de Septimus. Simple, clair, efficace. Qu’y avait-il de difficile à intégrer dans cette ridicule hutte, si petite à vrai dire, qu’il lui semblait souvent manquer d’air en plein milieu de la nuit ? Si bien, d’ailleurs, qu’il finissait par aller se promener au faîte de l’obscurité pour échapper à l’impitoyable régularité du souffle endormi du directeur de Gryffondor.

Après avoir désigné l’emplacement des fameux bouchons d’oreilles, le sorcier croisa à nouveau les bras avec un air farouche. Quelque part, tout au fond, il savait que son attitude était désagréable et paraissait même probablement disproportionnée – après tout, Jaimie n’avait rien fait de mal, et encore moins sciemment. Mais voilà, Septimus ne supportait pas de partager son intimité avec un autre être humain et encore moins de tolérer qu’on touche à ses affaires ; pire, qu’on les déplace et que l’on perturbe sa précieuse routine. S’il paraissait aussi fâché, c’était notamment parce qu’il était en réalité confus et désorienté.

N'importe quelle personne autiste était très attachée à sa routine, parce qu’elle permettait d’ancrer le quotidien, de limiter les dysfonctions exécutives et les pensées anxieuses inhérentes au moindre imprévu immiscé dans sa vie. Le voyage, le changement de paysage et la vie en communauté, associés au partage de son repaire le rendaient nerveux et l’empêchaient de dormir correctement. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il soit à ce point sur les nerfs au moindre désagrément. Septimus, finalement, n’était rien d’autre qu’un gros lapin ronchon, tapant du pied en fixant le nouveau venu dans la garenne d’un regard noir parce qu’il n’a pas demandé la permission de s’installer sur son territoire (et encore moins de toucher à ses jouets) !

Titillé par un pincement de culpabilité après avoir pris conscience de son ton excessivement cassant, le concierge grommela une vague excuse du bout des lèvres :

— Excusez-moi, je suis fatigué.

La façon dont le regard de Jaimie fixa la table avec insistance et une forme d’ébahissement interdit déstabilisèrent légèrement la posture raide et autoritaire de son collègue. Enfin, ses lèvres s’étirèrent en une mince ligne contrariée pour répliquer :

— Peut-être pour toi.

Un pincement d’anxiété agita l’estomac contracté du concierge, tandis que le reproche à peine dissimulé et le changement de pronom achevaient de le perturber. Bon, il y était peut-être allé un peu fort avec ces histoires de rangement. Le silence qui s’étira ensuite, inconfortable, acheva de lui tirer les excuses qui lui brûlaient la bouche – il ne parvint cependant pas à lui rendre son « tu », trop troublé pour s’adapter au changement de ton.

Avec une certaine inquiétude, Septimus observa les lèvres de son colocataire d’infortune se plisser à nouveau. Il sembla réfléchir un instant, puis se redressa pour s’emparer des fameux bouchons d’oreilles en perdition quelques instants plus tôt, avant de s’asseoir sur sa couchette. De longues minutes filèrent à nouveau, alors que l’aîné se dandinait nerveusement d’un pied sur l’autre et que le cadet jouait avec les petits objets moelleux – objets de cette dispute latente et un chouïa ridicule.

Pourquoi n’acceptait-il pas ses excuses ? Avait-il été trop loin ?

Le sorcier savait qu’il pouvait se montrer extrêmement désagréable lorsqu’il se sentait vulnérable et que son intimité était envahie, mais il n’avait pas été si odieux quand même…

— La chaleur n’aide pas, lança finalement le professeur pour rompre le silence.

Les épaules – jusqu’ici tendues – de Septimus se relâchèrent visiblement. C’était une perche comme une autre pour désamorcer le conflit larvé. Il l’accepta avec soulagement, sa posture se détendant visiblement, tandis qu’il décroisait les bras et frottait fébrilement ses mains l’une contre l’autre pour tenter de dissiper la tension accumulée dans chaque fibre de son corps. Il détestait autant partager sa chambre que se fâcher avec une personne qui lui était sympathique.

— Oui, soupira-t-il en secouant la tête avec une tentative timide de sourire désolé. Elle est assommante.

Cela n’excusait pas complètement son comportement, mais au moins le professeur d’étude des moldus semblait-il disposé à discuter posément plutôt que de lui rendre son agressivité à peine masquée. Septimus se sentait ridicule, à se conduire comme un adolescent hérissé par une intrusion parentale dans son antre.

— Préfères-tu que je lance un sort pour contrôler la température dans la hutte cette nuit ? proposa le directeur de Gryffondor pour enterrer la hache de guerre.

À nouveau, il le tutoyait. Perturbé par ce changement et par la proximité soudaine que cela lui paraissait transmettre, le concierge cligna bêtement des yeux pour dissiper son malaise et se concentrer sur la teneur de sa question.

Un sort pour contrôler la température ? Ça n’était pas de refus, c’était certain. Et ce n’était pas du luxe, considérant qu’il ne parvenait pas à fermer l’œil sans avoir au moins une couverture (beaucoup trop chaude pour la saison) sur lui ; sans elle, il se sentait nu et exposé, mais cela lui compliquait singulièrement la tâche pour rafraîchir sa peau brûlante et ensuquée. Si ça ne tenait qu’à lui, il aurait bazardé tous ses vêtements pour se blottir sous sa chère couverture lestée, mais… D’une part, il n’avait pas pu l’emmener pour des raisons pratiques, et d’autre part il n’avait absolument aucune envie de ne serait-ce que retirer son haut en présence de quelqu’un d’autre – fut-ce le sympathique Jaimie. À l’extérieur, il était d’ailleurs bien heureux de pouvoir prétexter la fragilité de sa peau pâle face au soleil pour conserver son tee-shirt, y compris pendant les baignades.

Enfin, tout ça était bien aimable, mais ça ne résolvait pas le problème majeur que représentait la simple présence d’un autre être humain dans la même pièce que lui au moment de s’endormir. Cependant, comment était-il censé aborder ce point épineux sans paraître parfaitement détestable ? Il n’avait déjà pas fait grande impression…

— Ce serait… agréable, répondit Septimus avec une certaine prudence. Je vous… te, se corrigea-t-il, remercie, c’est gentil de le suggérer.

Il allait lui falloir prendre l’habitude de le tutoyer, même si ce ne serait probablement pas très simple de fournir l’effort de la correction dans les premiers temps. Le concierge était toutefois conscient qu’il s’agissait d’une marque d’amitié balbutiante et il ne concevait pas de la refuser, surtout après s’être conduit comme un vieil ermite soupe-au-lait.

Hésitant, il se dirigea vers la table qu’il avait soigneusement scindée en deux dans l’objectif de ranger précautionneusement les affaires de la façon qu’il trouvait la plus logique. D’un geste large, il désigna la partie dédiée à son collègue.

— J’ai rangé v… tes affaires de ce côté-ci. J’ai pensé plus, euh, pratique d’y mettre tout ce dont… tu, buta-t-il encore, as besoin pour te préparer et sortir. Je suis navré de ne pas m’être expliqué, acheva-t-il, un peu penaud.

Dansant à nouveau d’un pied sur l’autre, il fit disparaître ses mains agitées dans son dos, légèrement embarrassé en prenant conscience de son attitude puérile. Enfin, tout ça aurait été bien plus simple si on lui avait laissé la liberté d’occuper une hutte individuelle. Ce n’était un plaisir ni pour lui ni pour le malheureux désigné pour cohabiter avec le concierge toqué. Avec angoisse, il s’interrogea : Jaimie irait-il se plaindre à Fergal de ses manies ? Lui qui était censé faire ses preuves, il aurait l’air fin, tiens !

Non, il ne pouvait décemment pas demander à son partenaire de jeter un sort de silence autour de son lit. Le professeur comprendrait forcément que Septimus cherchait à s’isoler des bruits extérieurs et de sa présence. S’il n’envisageait pas déjà de remonter au directeur leur cohabitation houleuse, il le ferait définitivement s’il lui posait la question.

Si Fergal en entend parler, comment est-ce que je vais justifier ça ?

Cette fois, c’était fini : son pauvre cerveau pétri de pensées culpabilisantes et inquiètes était lancé au grand galop. Malgré ses tentatives d’autostimulation (tirer sur ses doigts, enfoncer ses ongles dans ses paumes, osciller de plus en plus rapidement d’un pied sur l’autre, articuler des écholalies silencieuses), l’angoisse le prit à la gorge et il dut se rattraper à la table lorsqu’elle lui voila le regard et lui fit perdre l’équilibre.

Il ne prit pas garde à la façon dont une drôle de chaleur émanait de sa paume échouée sur la table, complètement ignorant du fait que son contact noircissait légèrement le bois – comme si une flamme affamée avait léché le meuble.

Il détestait ces moments-là. Perdre le contrôle de son esprit emballé, sentir son cœur battre jusque dans ses tempes douloureuses, peiner à respirer sereinement… Et tout ça pour quoi ? Pour une pauvre hypothèse ? Non, ce n’était pas qu’il détestait ces moments-là, c’était qu’il se détestait lui. Il se sentait stupide. Et sans doute Jaimie le trouvait-il tout aussi stupide, en plus de ne rien comprendre à ses agissements.

Lancer de dé :

Septimus prit à peine conscience que son colocataire s’était levé et rapproché de lui, de même qu’il n’entendit que des bribes assourdies de ses paroles. Il peinait à revenir à la surface, luttant contre l’angoisse qui lui comprimait les poumons et cloisonnait les mots dans des parties inaccessibles de son esprit. La chaleur dans sa main lui paraissait insupportable, mais il ne parvenait pas à comprendre pourquoi cette partie de son corps semblait soudain se détacher du reste comme un membre autonome. Le concierge ferma brièvement les yeux pour tenter de respirer plus profondément et convoquer le calme qui le fuyait ; sans succès.

La chaleur devenait maintenant intolérable. Heureusement, la température chuta brutalement, tirant de longs frissons au sorcier qui put à nouveau respirer. Il rouvrit les yeux en cillant, presque étonné de voir Jaimie aussi proche de lui. De quoi parlaient-ils, déjà ? Confus, il retira la main de la table noircie sans remarquer quoi que ce soit et se frotta les yeux pour reprendre ses esprits. C’était comme s’il émergeait d’un sommeil agité. Il se sentait bizarre, électrique.

— Je suis navré, je… J’ai eu un moment d’étourdissement, s’excusa-t-il d’une voix blanche.

Ses yeux pâles se posèrent timidement sur le visage de son collègue, espérant que sa courte absence ne l’avait pas trop inquiété ou qu’il n’avait pas raté une partie importante de la discussion. Septimus se sentait gêné d’être le sujet d’un désaccord, à présent que la colère et l’exaspération avaient complètement disparu. Le vertige qui l’avait soudain saisi au faîte de son angoisse avait chassé – vidé, même – tout autre sentiment, hormis cette curieuse sensation électrisante qui lui parcourait le bout de ses doigts engourdis. Le concierge était probablement fatigué par tout le stress généré par le manque de sommeil, le changement de ses habitudes et l’étroitesse de ce nouveau lieu ; voilà tout.

Il s’humecta les lèvres, se rendant compte qu’elles étaient asséchées et que sa gorge était assoiffée. Le sorcier secoua la tête, encore légèrement sous le coup de cet étrange instant de basculement. Il avait l’impression d’évoluer dans un rêve.

— On pourrait, reprit-il laborieusement, convenir ensemble de l’organisation de la hutte, si cela vous… te convient.

Cette proposition lui paraissait tout à fait raisonnable. Ses sourcils se froncèrent comme sa vision périphérique s’assombrissait et que ses jambes se dérobaient sous lui sans qu’il ait le temps de se rattraper à quoi que ce soit. Il eut le réflexe d’amortir la chute de ses mains, tandis qu’il tombait à genoux sur le tapis tressé, le cœur battant trop fort dans ses oreilles. Son moment d’absence l’avait vidé de toute énergie – et sans doute son ventre vide et l’épuisement ne l’aidaient-ils pas à tenir sur ses jambes.

— Pardon, souffla-t-il si bas qu’il doute que le professeur puisse l’entendre.

Pourquoi s’excusait-il ? Ses pensées étaient emmêlées, la tête lui tournait. Il aurait voulu dormir mille ans.

Confusément, Septimus releva ses yeux troublés vers son colocataire, qui s’était agenouillé en face de lui avec inquiétude. Il l’entendit lancer un sortilège d’attraction, puis un bruit mat derrière lui ; il n’avait pas la force de se retourner pour regarder ce dont il s’agissait, mais il avait saisi dans sa vision périphérique vacillante la forme d’un matelas. Un peu stupidement, il se sentit touché par cette attention – quand bien même elle relevait du bon sens commun.

— As-tu besoin que j’aille chercher Marie-Alice ? l’interrogea le professeur, avant de lancer un Revigor sur son partenaire.

Aussitôt, Septimus poussa un soupir de soulagement. Le rythme de son cœur s’apaisa, sa vision se stabilisa et il ne sentait plus aussi cotonneux que quelques secondes plus tôt.

— Merci. Ça ira, balbutia-t-il, reconnaissant.

— T’as avalé quelque chose que tu as pas reconnu ? s’enquit Jaimie, une inflexion soucieuse dans la voix.

Lentement, péniblement, le concierge secoua la tête pour signifier son refus. Il se mordit les lèvres avec l’impression d’être – une fois de plus – ridicule.

— Je suis juste… épuisé et je n’ai rien dans le ventre. Je dors très mal depuis que nous sommes arrivés. C’est juste que… Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée de dormir dans la même chambre que quelqu’un d’autre, admit-il à contrecœur en détournant le regard.

Il espérait que le directeur de Gryffondor ne prendrait pas ombrage de cet aveu. Avec une grimace, il s’assit précautionneusement sur ses talons et se frotta le visage pour échapper à cette situation déplaisante. Lui qui voulait si désespérément nouer des relations amicales, le voilà qui repoussait tous ceux qui tentaient de lui tendre la main. Ne pouvait-il donc pas être comme tout le monde ? Il n’était même pas capable de supporter le bruit de la respiration endormie d’un être humain dans la même chambre que la sienne. Qui était aussi invivable, franchement ?

Inévitablement, sa confidence ne manqua pas de contrarier son compagnon d’infortune. S’il était apparu d’abord soulagé pour sa sécurité lorsque le concierge avait évacué l’intoxication alimentaire, une ombre passa sur son visage à l’instant où il confessa son malaise à l’idée de partager sa chambre avec quelqu’un. Il ne fallait pas être un grand penseur pour deviner qu’il se demandait ce qui posait problème ; pire, ce que lui, Jaimie, avait fait pour le mettre dans cet état. La réponse, en réalité, n’avait rien d’agréable à entendre pour qui que ce soit. Et Septimus n'avait aucune envie de la formuler à haute voix.

— Moi non plus… depuis longtemps, rebondit le professeur d’étude des moldus. Mais ça ne me met pas dans cet état, souligna-t-il.

Une grimace désolée étira les lèvres de l’aîné, qui ne pouvait pas s’empêcher de voir un reproche dans cette précision. D’un autre côté, comment pouvait-il deviner le centième de ses troubles sensoriels s’il ne lui en parlait pas directement ? Ce n’était pas quelque chose de très commun ; ou même de très connu. Il pouvait parier sans trop se tromper que Jaimie n’avait jamais entendu parler de tels désordres. Probablement, même, trouverait-il cela ridicule, voire absurde.

Une légère pause s’étira, tandis que le trentenaire demeurait silencieux, gêné de reconnaître que sa réaction paraissait disproportionnée pour l’écrasante majorité des gens… des gens normaux, osa-t-il compléter intérieurement. L’explication derrière son comportement ne lui paraissait pas plus enviable que l’aveu de son malaise. Que dirait Jaimie s’il apprenait qu’il avait un trouble neurodéveloppemental ? Il n’avait pas envie de voir son comportement changer à son égard ; il n’avait pas envie de lire la pitié dans ses yeux ; il n’avait pas envie d’être infantilisé ; il n’avait pas envie de déchiffrer la répulsion ou la peur dans son regard ordinairement bienveillant ; il n’avait pas envie… Il n'avait jamais rien voulu de tout ça. Il le subissait tout autant que son interlocuteur.

— Qu’est-ce qui te pose problème exactement ? l’interrogea le directeur de Gryffondor en lui tendant une main secourable, après avoir reposé ses bouchons d’oreilles – drôles de petits objets pour une pareille discorde.

Reconnaissant, Septimus accepta sa poigne et se releva précautionneusement avec son aide. Il fut surpris de constater que la tête ne lui tournait pas ; sans doute était-ce encore l’effet du sortilège revigorant qui le soulageait des conséquences de son ventre vide combiné à son épuisement. Il relâcha leur courte poignée de main sitôt qu’il fut relevé, avant de pincer les lèvres en prenant conscience que cela pouvait être interprété comme du rejet – encore.

— Merci, articula-t-il d’une voix croassante en espérant dissiper l’embarras qui lui faisait monter le rouge aux joues.

À nouveau, un silence s’étira. Il ignorait comment le combler sans offenser davantage son colocataire, qui était décidément très mal tombé. Que pouvait-il répondre à sa question sans sembler encore plus odieux ?

La vérité, trancha une voix raisonnable dans sa tête.

Mais était-ce si raisonnable que cela ? Cela expliquerait sans doute bien des choses aux yeux de l’homme qui lui faisait face, dans l’attente de sa réplique. Les balancements, les mains tordues dans tous les sens, l’embarras palpable à chaque interaction sociale mal anticipée, sa bizarrerie au quotidien, les yeux fuyants, son obsession pour les lagomorphes, ses réactions disproportionnées aux stimuli, les difficultés qu’il éprouvait à supporter le contact des autres… Enfin, à supposer que Jaimie s’y connaisse un minimum en matière d’autisme. Autrement, cela n’éclaircirait rien ; peut-être le penserait-il tout simplement fou – peut-être penserait-il même qu’il mentait.

Le concierge déglutit, visiblement effrayé par ce qu’il allait dire, par la vulnérabilité qu’il s’apprêtait à mettre au jour. Il aurait préféré s’enfuir, laisser cette discussion en suspens et ne plus jamais y revenir. Sa bouche s’ouvrit, puis se ferma sans qu’un seul son s’en sorte. Ses yeux se détournèrent ostensiblement, cherchant quelque chose – n’importe quoi – auquel se raccrocher pour ne pas affronter l’expression de Jaimie. Naturellement, ses mains se joignirent pour se frotter l'une contre l’autre avec nervosité. Sans qu’il en prenne vraiment conscience, il se mit à se balancer sur ses talons pour apaiser l’anxiété aiguë qui lui comprimait la poitrine et le rendait mutique.

Pas maintenant, supplia-t-il son corps en tentant d’attraper les mots qui fuyaient désespérément à chaque nouvelle tentative.

Il ne pouvait pas faire une crise maintenant. Le sorcier appréciait sincèrement son cadet ; il refusait qu’il croie que le problème venait de lui. Se faisant violence pour s’exprimer, il enfonça ses ongles dans ses paumes jusqu’à les faire saigner. La douleur envoya une secousse, qui remonta le long de ses bras, rampa le long des poils hérissés de sa nuque et secoua suffisamment son esprit engourdi de panique pour faire surgir la voix qu’il avait perdue.

— C-ce qui me gêne…, balbutia-t-il avec une petite voix atrocement enfantine, s’humectant nerveusement les lèvres. Le, euh, la lumière, la proximité, l’intimité, l-le son de ta respiration dans l-le silence…

Ses mâchoires se serrèrent, à mesure qu’il entendait les accents pathétiques de sa propre voix trébucher sur les mots.

Allez, crache le morceau. Finis-en.

Oscillant de plus en plus rapidement de ses orteils à ses talons, il leva ses mains jointes à son front pour y enfouir son visage et le dissimuler avec ses avant-bras tremblants. Il aurait voulu s’accroupir en sanglotant, se frapper la tête des mains jusqu’à en avoir les oreilles qui tintent et laisser la crise qui menaçait de le submerger l’envelopper tout entier pour gémir tout son soûl, broyé par la peur qui le saisissait à chaque fois que les souvenirs humiliants des réactions dégoûtées ou effrayées de ceux à qui il se confiait entraient en collision avec le présent.

Enfin, les mots franchirent le barrage de ses lèvres frémissantes, toute couleur quittant son visage :

— Ce n’est p-pas ta faute. J-je suis autiste.

Un tisonnier brûlant de honte se ficha dans son ventre tordu d’angoisse lorsqu’il s’entendit supplier :

— Ne le rép-pète pas, s-s’il te plaît…

Le cœur au bord des lèvres, submergé par la panique, alors que Jaimie l’écoutait attentivement, il lui fallut toute la volonté du monde pour ne pas exploser – ou plutôt, imploser. Lorsqu’il parvint à extraire le douloureux aveu du fin fond de ses entrailles et à baisser les avant-bras qui dissimulaient son visage pour prendre conscience de ce qui l’entourait, il fut presque étonné de voir le professeur assis sur une chaise – de son côté, nota-t-il avec reconnaissance. Son colocataire était sincèrement de bonne volonté. Ce dernier se contenta de hocher la tête, une expression que Septimus ne parvenait pas à déchiffrer soigneusement lissée sur ses jeunes traits.

— D’accord, dit-il simplement.

Un peu déstabilisé par la facilité avec laquelle son cadet avait acquiescé, le concierge le dévisagea en clignant des yeux. Ses balancements se calmaient doucement, à mesure que la tension le quittait et que le regard paisible de Jaimie l’ancrait à leur réalité.

— Je ne dirai rien, promit-il avec sincérité. Mais… comment faisiez-vous quand vous étiez étudiant ? ne put-il s’empêcher de demander, l’air curieux.

Son pragmatisme était peut-être déconcertant, mais il réconfortait et détendait considérablement son interlocuteur. Respirant un peu plus facilement, ses ongles quittèrent la chair creusée de ses paumes rougies et il déglutit pour se donner le courage nécessaire pour développer.

— J’utilisais beaucoup de sortilèges antibruits, expliqua-t-il en grattant malgré lui le dos de sa main. Je maîtrisais assez bien les différentes formes d’assourdissement magiques et j’avais quelques potions à disposition pour la nuit – j’étais incapable de dormir dans un dortoir, autrement. Aujourd’hui, je… J’essaie d’utiliser d’autres moyens moldus, mais c’est plus difficile. J’ai, euh, ce qu’on appelle des troubles sensoriels – ce qui est très commun dans l’autisme – et je supporte très mal le contact et les sensations de nombreux objets. Pour ça, la magie, étant intangible, était mille fois plus confortable, mais je… Eh bien, je n’en suis plus capable.

Son pouls pulsait encore bruyamment jusque dans ses oreilles, mais il s’était notablement apaisé depuis sa première confession. Aussi fut-il capable de reporter un regard un peu inquiet, mais surtout vulnérable, sur son confrère. Peut-être pourrait-il l’aider, maintenant qu’il savait tout ça ?

Un silence inconfortable s’étira après les explications du concierge, tandis que Jaimie lui lançait un regard désagréable. Il ignorait comment l’interpréter exactement, mais il avait la sensation que cette discussion et cette situation l’exaspéraient au plus haut point. Aussi ne pouvait-il pas expliquer autrement l’émotion qu’il lisait dans ses yeux. Le malaise n’eut heureusement pas le temps de grandir, car Septimus capta le geste discret de son interlocuteur, qui extirpa sa baguette de sa poche pour l’observer un bref instant, avant de reporter à nouveau son attention sur son aîné.

— Alors pour les potions, commença-t-il, j’imagine que Marie aura de quoi t’en faire dans tout ce qu’elle a pu trimballer dans l’étrange sacoche de voyage avec les patchs multicolore. C’est son arsenal, qu’elle m’a dit.

Le concierge hocha la tête pour marquer son assentiment. Il devrait bien parler de ses problèmes de santé à l’infirmière à un moment ou un autre. Après tout, il n’était même pas obligé de lui confier l’exacte et complète vérité ; il pouvait se contenter de demander de quoi dormir. Mais entre son arrivée tardive à Poudlard et le voyage scolaire plutôt riche en rebondissements déplaisants, il n’avait pas eu le temps de lui en toucher un mot.

— Et pour les sortilèges, enchaîna le professeur en levant sa baguette, l’air déterminé, il va me falloir apprendre les autres… qui ne sont pas assurdiato, alors autant s’y mettre, non ? Formule et mouvement. Tu crois pouvoir faire cela ? l’interrogea-t-il, passant une main visiblement gênée dans sa nuque.

Septimus cligna des yeux, demeurant un moment muet. Il ne s’attendait pas à ça. Le sorcier aurait pensé que Jaimie connaîtrait quelques variantes des sorts de silence, car assurdiato appartenait davantage à la catégorie des maléfices – puisqu’il était destiné à tenir des conciliabules secrets plutôt qu’à s’isoler du bruit pour se concentrer ou créer un peu de paix dans le chaos. C’étaient ces derniers points que le concierge recherchait ; heureusement, il avait gardé en tête le sortilège qu’il considérait comme le plus utile pour s’isoler du monde extérieur.

— Euh, oui, balbutia-t-il en se reprenant.

Il se dirigea vers sa table de chevet, où il avait laissé sa baguette. Ordinairement, il la trimballait partout avec lui, mais lorsqu’il n’avait pas encore mis le nez dehors, il avait plutôt tendance à la laisser tranquillement reposer à côté de lui. C’était d’ailleurs une manie assez étrange pour un sorcier sans pouvoirs, mais elle dénotait surtout l’espoir vibrant qui l’animait encore à l’idée de pouvoir la réutiliser un jour – et dans un autre contexte qu’un cours improvisé pour améliorer une cohabitation chancelante entre deux collègues dont les personnalités se situaient aux antipodes. Enfin, au moins n’était-ce pas une initiative inutile ; surtout si Septimus pouvait in fine bénéficier des capacités magiques intactes de Jaimie pour enfin dormir un peu mieux (ou du moins, dans le silence).

Le concierge s’empara de sa chère et courte (seulement seize centimètres !) baguette en bois de vigne, dont il caressa machinalement les contours patinés par le temps. Il affermit sa prise autour du manche délicatement sculpté et revint vers le jeune homme qui s’était pourtant glissé dans les lourdes chaussures de directeur de Gryffondor. Parfois, Septimus songeait que Jaimie avait soit beaucoup d’ambition, soit une certaine forme d’altruisme qui confinait au masochisme. S’il se rappelait bien, il s’agissait d’un ex-Gryffondor, aussi la seconde option paraissait-elle la plus probable.

— Bulla silentium, énonça-t-il le plus clairement possible en décrivant un grand S élégant avec sa baguette, qu’il enferma dans un cercle étroit. C’est la formule, crut-il bon de souligner avec un air dépité, constatant que – même sans y croire – le sort pourtant bien exécuté ne produisit aucune bulle de silence près du bureau qu’il avait visé.

Il aurait pu s’en rendre compte grâce au très léger chatoiement bleuté qui encerclait la zone ensorcelée, mais aucune trace de magie dans l’air. Le presque-quadragénaire émit un petit soupir, avant d’exposer les effets du sort de silence :

— Celui-ci est censé créer une bulle de silence d’environ un à deux mètres carrés sur la zone visée. On peut entendre ce qu’il s’y passe de l’extérieur, mais une fois à l’intérieur, on est complètement coupé du reste du monde. C’est très pratique pour se concentrer ou se reposer.

Il était étonné que Jaimie ne connaisse pas ce sortilège. À son époque, il était très utilisé pour réviser dans une grande salle trop bruyante ou dans un couloir, à quelques heures d’un examen. Et puis, en tant que personne autiste, il en avait fait un usage abusif à toute heure du jour et de la nuit pour s’isoler et pouvoir souffler un peu. C’était l’une des choses qui lui manquaient le plus.

Jaimie observa un silence presque respectueux pendant tout le court trajet de son aîné jusqu’à sa table de chevet. Il ne l’interrompit pas plus lorsqu’il lui fit la démonstration du sort de silence convoité, ni n’émit de commentaire lorsqu’il sembla parfaitement déçu face à l’absence de réaction de sa baguette. Bien qu’il sache pertinemment qu’il ne se passerait rien, le constater une énième fois lui assenait toujours le coup avec autant de force ; comme un manteau de plomb lestant ses épaules maigres. Septimus était reconnaissant que le professeur d’étude des moldus n’émette pas un son durant tout le temps que dura ce spectacle pathétique.

Son cadet se concentra plutôt sur la formule magique, qu’il répéta pour s’approprier les syllabes et la prononciation, tandis que le concierge détaillait les effets du sortilège, ainsi que son intérêt. Une fois son explication achevée, Jaimie se leva et répéta le geste avec sa propre baguette plusieurs fois, jusqu’à parvenir à un résultat qu’il estima satisfaisant ; son colocataire n’eut aucun besoin d’ajuster la manœuvre. À vrai dire, il n’avait aucune envie de l’aider. Pas par méchanceté non, mais parce qu’il se sentait bêtement jaloux à l’idée que le directeur de Gryffondor n’avait jamais tenté ce sort et qu’il le réussirait sans doute du premier coup sans aucun effort. La réalité, c’est qu’il n’avait pas besoin de l’aide d’un sorcier sans pouvoirs.

— Bulla silentium, finit par dire Jaimie en répétant le mouvement avec plus d’assurance.

Sans surprise, un délicat miroitement bleuté l’enveloppa, signe que le sort était correctement lancé. Un pincement au cœur détourna brièvement l’attention de Septimus de l’expression surprise de son collègue, pour qui l’expérience de l’isolement sonore ne semblait être tout à fait plaisante. Le jeune homme tendit le bras vers la sphère quasiment imperceptible qui l’entourait, l’air perplexe, puis reconcentra son attention sur son aîné.

— Étrange, l’entendit-il dire distinctement.

Sachant combien c’était inutile, Septimus ne répliqua pas à haute voix et se contenta d’un petit sourire triste en haussant les épaules. Au fond, il aurait dû se sentir soulagé et reconnaissant à l’idée de pouvoir dormir en paix les prochaines semaines grâce à l’investissement de Jaimie, mais il était surtout rempli d’amertume face à sa propre impuissance. Ces recherches sur les interactions entre maladie et magie devenaient vraiment nécessaires s’il ne voulait pas devenir fou durant la prochaine année scolaire. Être entouré en permanence de ce dont il avait été injustement privé était un rappel trop douloureux pour qu’il puisse songer à se résigner sans avoir tout tenté – surtout maintenant que Thomas lui avait prouvé qu’il restait un peu de magie en lui. Il y avait peut-être un espoir, et c’était à ça qu’il devait se raccrocher désormais.

— Merci, lança-t-il tout de même en prenant soin d’articuler, au cas où Jaimie parviendrait à lire sur ses lèvres.

C’était déjà ça de pris. Et il le prenait volontiers.

Jaimie semblait à peu près aussi perplexe face à la sensation de se trouver coupé du son ambiant que face à la tentative de remerciement de son collègue, qu’il n’entendait pas. Septimus avait beau avoir articulé du mieux qu’il le pouvait, sans doute le professeur ne parvenait-il pas à lire sur ses lèvres. D’un coup de baguette, son cadet mit fin au sortilège pour l’interroger :

— Tu disais ?

— Je disais « merci », précisa le concierge avec un petit sourire fatigué.

Le directeur de Gryffondor émit ensuite le souhait que l’apprentissage de la bulle de silence lui soit utile, avant de lui retourner son sourire. Bien qu’il semble fournir tous les efforts du monde pour paraître optimiste, il était évident que Jaimie ignorait quoi faire face à l’air affecté de son colocataire estival. Septimus avait tenté de se reprendre, de dissimuler la tristesse gluante qui l’avait malgré tout envahi, mais c’était peine perdue. Il n'avait pas retenté de lancer un sort depuis sa visite de la salle sur demande avec Thomas. Et ça faisait toujours aussi mal de ne pas sentir la vibration familière dans le creux de sa paume, signe que la baguette produisait de la magie.

De son côté, le professeur d’étude des moldus était visiblement embêté par la situation et ignorait quoi dire. Un surgissement de compassion naquit dans la poitrine du concierge, qui ne connaissait que trop bien cette sensation d’impuissance et d’embarras mêlés. Sans doute pour trouver de quoi s’occuper et ne pas rester bêtement sans savoir quoi faire, Jaimie rangea sa baguette et récupéra ses bouchons d’oreilles là où il les avait laissés. Mais quelque chose l’arrêta dans son mouvement ; son regard se fixa sur une tache noirâtre qui se dessinait sur le bois du meuble.

— T’a reçu une lettre qui a pris feu ou c’est la table qui était comme cela ? demanda-t-il, interloqué. J’te jure que j’y suis pour rien ! ajouta-t-il précipitamment en levant les mains, comme s’il voulait prouver son innocence.

Pour toute réponse, le sorcier sans pouvoirs cligna des yeux, un peu déstabilisé par sa réaction. Jaimie croyait-il vraiment qu’il allait l’accuser d’avoir brûlé le bureau comme s’il s’agissait d’un élève récalcitrant ou d’un enfant menant d’étranges expériences pouvant tourner au désastre ? Non, Alexander était un adulte responsable. Il n’y avait aucune raison qu’il ait eu l’idiotie de ramener quoi que ce soit susceptible de prendre feu dans une hutte.

— Je sais que tu n’y es pour rien, le rassura donc son aîné en haussant les sourcils pour marquer son étonnement. Ce n’est pas moi non plus. En revanche, je ne me souviens pas d’avoir vu cette tache à notre arrivée.

Pensifs, ses yeux se plissèrent légèrement pour détailler le bureau depuis son point de vue plus éloigné. Il ne voyait rien d’anormal, tout était à sa place. Septimus avait une bonne mémoire des détails, et il était à peu près persuadé que ce menu dégât n’était pas présent au départ. Mais si ce n’était ni lui ni Jaimie, qui en était responsable ?

— C’est bizarre… dit-il lentement. Peut-être que ma mémoire me joue des tours et que la tache était là depuis le début, suggéra-t-il sans grande conviction.

Cela avait-il une grande importance, de toute façon ? Vraisemblablement, il ne s’agissait pas d’une découverte dramatique. La seule chose qui l’embêtait, c’était d’envisager que quelqu’un ne se soit introduit dans leur hutte pour y fouiner. Ça pouvait être un élève – ou un habitant du village, qui sait ?