La veille, on avait négligemment demandé à Septimus s’il comptait participer à l’animation des barques sur l’îlot désert. Il leur manquait apparemment un participant pour l’une des équipes ; en compensation de sa contribution, il n’aurait qu’à prendre une pause bien méritée avant le début de l’événement, puis se joindre à eux lorsqu’ils en auraient besoin.

Le concierge ne s’était pas renseigné sur cette histoire d’activité nautique, puisqu’il n’était pas censé s’en charger à l’origine. Trop occupé à rédiger une lettre à Victoire, les sourcils froncés et mâchonnant distraitement sa plume, il avait répondu un vague « Hm, hm » qui avait valeur d’assentiment. À ce moment précis, il s’était fait la réflexion que bah, pourquoi pas, après tout ? En bon encadrant vertueux, il faisait une bonne action en secourant ses collègues. Il ferait un peu bronzette sur la plage, puis se lancerait pour une balade en mer dans une barque avec quelques élèves ou collègues. Ça pourrait être plutôt agréable – et peut-être qu’il aurait davantage de choses à raconter à son amie férue de rapaces nocturnes après que la première moitié du voyage fut passée.

Tout innocemment, il s’était rendu sur place avec un bon bouquin et une serviette pour se prélasser, paré de lunettes de soleil qui lui mangeaient une bonne partie du visage, d’un chapeau à larges bords et d’un tee-shirt dont il ne débarrassait pas même pour se baigner – sa peau trop pâle n’était pas une grande amatrice du soleil. La douceur du sable fin sous ses pieds nus était une véritable caresse. Cependant, il aurait dû se douter que quelque chose de louche se tramait lorsqu’il entendit le coup de sifflet de Jaimie, alors qu’il était paisiblement allongé sur le ventre à tourner une page de son livre. Mais entretemps, le sommeil le nargua suffisamment, bercé par le roulis des vagues, l’air salin et la caresse du soleil sur sa peau, qu’il piqua du nez et ne fut donc témoin d’aucune activité suspecte.

Lorsqu’il émergea de sa sieste inopinée, réveillé par l’appel de son nom, il émit un grognement en sentant immédiatement la morsure d’un coup de soleil sur toute la face extérieure de ses mollets dénudés par son short. Ses avant-bras avaient été épargnés grâce à l’ombre profilée de son grand chapeau. Il jura tout bas en examinant les dégâts, se frottant les yeux pour faire passer la somnolence qui l’avait saisie sans prévenir.

Il se sentait un peu confus, après avoir rêvé que sa famille avait mystérieusement retrouvé sa trace et menacé de tuer ses lapins en les gavant d’estragon (ce qui n’avait aucun sens, puisque l’estragon était excellent pour les lapins). Et puis, si ses parents et lui avaient de nombreux différends idéologiques, ils n’avaient jamais une seule fois manifesté de violence envers les animaux.

Seulement envers moi, songea-t-il avec amertume.

Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées, abandonna son livre et sa serviette, puis se rendit tout guilleret près des barques où étaient regroupés adolescents et adultes. On lui indiqua qu’il concourrait (l’emploi de ce terme lui fit hausser un sourcil) dans le groupe du professeur Grant et de Moritz, aussi les rejoignit-il tranquillement, s’étonnant un peu plus au fur et à mesure de sa marche paisible de constater une si grande agitation et un tel empressement de la part des sorciers qui l’entouraient. Ce n’était qu’une promenade, n'est-ce pas ?

Lorsqu’il parvint à bon port et qu’on lui expliqua qu’il s’agissait d’une course de barques comprenant des obstacles et des attaques de créatures de l’eau, toute sa bonne humeur s’était envolée.

Tu aurais mieux fait de faire ta BA un autre jour, crétin.

S’il savait au moins nager, il n’était ni un amateur de compétition ni un amateur de bateaux. C’était tout juste s’il savait utiliser des rames. Alors, il ne fallait pas lui parler d’esquiver les attaques de créatures aquatiques belliqueuses. Non mais on cherchait à tuer les élèves dans cette école ou quoi ? Il n’était plus un ado, mais il n’avait pas spécialement envie de se mouiller dans cette affaire de course absurde.

Passé la consternation et l’abattement, il se fit une raison et s’approcha de son embarcation avec une espèce de grimace de dégoût. Ce n’était pas spécialement qu’il détestait l’eau, c’était simplement qu’il préférait y patauger gaiement au bord de la plage plutôt que d’y ramer pour sa vie. Bon, peut-être qu’il exagérait un peu. Ça ne pouvait pas être si dangereux, puisqu’on laissait les élèves y participer sans qu’il n’y ait nécessairement un adulte dans le groupe. N’est-ce pas ?

Jetant un regard un peu désespéré à ses deux concurrents (Merlin soit loué, il y avait un professeur avec lui), il poussa un lourd soupir angoissé et se mit en position pour le départ.

— Ça va bien se passer, marmonna-t-il à haute voix pour lui-même.

Il se passa très exactement quarante-cinq secondes entre cette phrase et le moment où Septimus plongea tête la première dans sa barque tandis que les autres poussaient la leur vers le rivage pour les mettre à l’eau.

Sonné par le choc, il émit une petite plainte vexée et se frotta le crâne, se redressant péniblement. En voulant prendre appui profondément dans le sable pour faire bouger la lourde embarcation de bois, il avait tout simplement glissé sur une algue et s’était retrouvé propulsé directement dans le bateau. Il fallait bien avouer qu’il était à deux doigts de demander s’il pouvait abandonner, mais… Bon, il avait dit qu’il participerait pour dépanner, non ?

Alors, il se redressa et s’apprêta à pousser une nouvelle fois pour rattraper son retard, résigné. En espérant de ne pas manquer de s’assommer une seconde fois.

Lancer de dé :

La honte. C’était clairement la honte, il n’y avait pas d’autre mot. S’il ne s’assomma pas cette fois, et parvint à faire glisser la barque en direction des vagues, il manqua de s’éborgner avant de les atteindre.

L’une des pagaies, temporairement posée en équilibre précaire sur le banc de rame, avait malencontreusement bougé lors du premier choc que le concierge avait infligé au bateau. En poussant une seconde fois l’embarcation, il avait achevé de la faire tomber ; elle avait alors glissé sur le sable, Septimus avait marché dessus et manqué de se prendre le plat de l’objet en pleine figure.

Il ne devait son salut qu’à un réflexe inattendu de son propre corps : se jeter sur le côté pour finir à plat ventre sur le sol, les mains au-dessus de la tête comme s’il se protégeait d’une attaque de bombe. Curieux instinct de survie, mais au moins n’avait-il pas pris de rame en pleine face ; ce qui aurait définitivement signé l’une des pires hontes publiques de sa vie.

Dans un grognement, il laissa retomber son front contre le sable pour étouffer ses jurons fleuris. N’était-il pas bien, là ? Le ventre et le visage contre le sable chaud, étalé sur la plage comme un pauvre déchet rejeté par le reflux.

Il songeait sérieusement à abandonner, maintenant.

Lancer de dé :

La voix – à présent lointaine – du professeur Grant lui parvint depuis sa pathétique position de mollusque ensablé. Par un réflexe saugrenu, il pivota légèrement la tête pour enfoncer sa pommette droite dans le sable, dégageant ainsi son oreille gauche.

— Allez, je vous attends ! crut-il comprendre.

Un sourcil argenté se haussa, aigu, sur sa face pâle marbrée de poussière humide.

— Eh bah, tu vas m’attendre longtemps, chérie, grogna-t-il pour lui-même en roulant sur le dos, essuyant sa bouche en grimaçant. Si ça te fait plaisir de gagner contre un handicapé et un gosse, marmonna-t-il avec mauvaise foi en retirant une algue granuleuse collée à son menton.

Exfoliation gratuite. Beurk.

Est-ce qu’il devait vraiment se relever ? N’avait-il pas plutôt intérêt à rester là et faire mine de chercher des galets ? Ça, c’était dans ses cordes. Il pourrait éventuellement se traîner à quatre pattes jusqu’au rivage pour enfoncer son popotin sali dans les vagues et crier des encouragements depuis le bord de l’eau. Oh, ça pourrait se faire. Septimus se voyait bien les accueillir à l’arrivée en lâchant un « Je vous ai attendus, dites donc ! » tout sourire.

Ça le mettrait sans doute nettement moins de méchante humeur que de faire cette maudite course.

Allez, Veturia. Du nerf.

C’est qu’il commençait à s’invectiver un peu trop souvent pour faire des choses déplaisantes, ces derniers temps. D’un coude, il se redressa… un peu trop vite. Un « Bordel de… » lui échappa tandis qu’une douleur fulgurante lui fissurait les reins. Dans un couinement défait, il se laissa précautionneusement retomber sur le sol. Et voilà qu’en plus, avec toutes ces histoires, il s’était fait mal. Génial.

Dans un soupir, il étala ses bras en croix et tâtonna à la recherche des lunettes de soleil qui avaient sauté en même temps que lui lorsqu’il avait esquivé la rame traîtresse. Il mit la main dessus au terme de plusieurs longues secondes et les chaussa d’un doigt dédaigneux sur son nez, bien décidé à fixer le ciel dénué de nuages jusqu’à ce que mort s’ensuive – ou que quelqu’un le prenne en pitié.

Lancer de dé :

HRP :