Tout va bien... (Zey et Tri)

Une sortie à Pré-au-Lard des plus normales. Nulle conspiration cette fois-ci, je pouvais en être certaine. Ou presque. Si tout se faisait dans la plus stricte légalité, pourquoi avais-je laissé les autres me dépasser ? Pour m’étais-je tenu à l’écart des conversations qui enflammaient certains élèves, à base de déguisements en citrouille, de farandole de chauves-souris et de bonbons diaboliques ? Halloween n’avait pas épargné Poudlard et pourtant je ne m’étais pas sentie impliquée dans cette fête. J’aurais pu arguer que l’ambiance n’était pas à la fête, que le meurtre de Michaela pesait encore sur l’école, que sous ses airs de normalité, le monde des sorciers ne brillait toujours pas pour sa tolérance. J’aurais pu invoquer des raisons plus personnelles, les retrouvailles avec mes parents cette été, le portrait de mon frère, entouré de bouquets de fleurs, qui trônait en bonne place dans le salon. Ou alors, j’aurais pu tout simplement me rendre à l’évidence : j’allais retrouver Dmitri. Et quand il s’agissait du jeune aiglon, rien n’était jamais normal.
À l’école, il se murmurait sans doute des choses sur notre relation. Ça jasait certainement dans les couloirs, quand ceux qui s’en préoccupaient n’avaient pas de nouvelles plus croustillantes. Il ne fallait pas être bien perspicace pour voir les remous de notre amitié, les périodes de froid, où son nom seul suffisait à me faire entrer dans une colère noire ou une tristesse affligée, et les accalmies, les projets ébauchés, les rapprochements. Mais personne, même les plus friands de rumeurs absurdes, ne pouvaient deviner ce que cachaient nos poignets. La ligne qui serpentait sur ma peau me rappelait à jamais ce que j’avais fait, ce que nous avions fait. Alors aujourd’hui tout pouvait arriver. C’était dans ces moments de pures banalités que s’était noué les intrigues les plus folles.
Je n’avais pas tiqué à l’énoncé du lieu de rendez-vous. Je ne connaissais pas assez Pré-au-Lard pour me rendre compte d’une quelconque étrangeté. Dmitri n’était pourtant pas un toquard, s’il m’avait proposé ce coin de rue légèrement lugubre, il savait ce qu’il faisait. Pourtant, cette rue m’en rappelait une autre et un autre van Aken avec. L’allée des Embrumes, son troll et un professeur de potions décidé à user de son pouvoir et de son ascendant, à coup de canne. Espérons qu’il n’y ait pas de troll ici, espérons que Dmitri m’explique vite ce lieu des plus étranges, espérons que tout se passe comme prévu, quoiqu’il n’y ait rien de clair dans mes prévisions, une simple volonté de le retrouver, une légère crainte quant à la nomination de son grand-oncle.

@Dmitri D. van Aken

Par bien des aspects, Pré-au-Lard était un petit village paisible où seule la normalité sorcière avait cours. Nul moldu ne venait risquer ici que des ennuis vous tombent sur le coin du museau, laissant à chacun pleine liberté de vie ; la magie n’y était pas interdite, pour les mineurs, et c’était sûrement là l’un de ses attraits principaux. Encore que Dmitri n’ait jamais trop eu à pâtir de l’interdiction d’user de sa baguette, le manoir étant si entouré de magie qu’un sort n’alerterait pas plus le ministère ; et il ne s’en privait pas. Alexander n’avait même jamais exigé de lui qu’il se garde de désobéir à cette règle idiote – que l’on rappelait à chaque fin d’année à tout élève, qu’importe leur famille et le milieu où il vivait – si ce n’était plutôt qu’il l’y encourageait, à sa manière.

L’autre intérêt du village était qu’il promettait de nouveaux horizons : il se lassait parfois de Poudlard, de ses couloirs, du murmure des tableaux et du piaillement des adolescents dans la grande salle. Dans les rues principales, le calme n’y était pas beaucoup plus présent, mais les illuminations, les décorations et les odeurs vous happaient avec tant d’efficacité qu’il était difficile de ne pas tomber sous le charme. L’attrait des premières expéditions ne s’était pas encore estompé et l’aiglon savourait chaque annonce de sortie à Pré-au-Lard avec le plus grand plaisir. D’autant qu’il fallait bien qu’il dépense son argent de poche et qu’il avait beaucoup de dépenses en tête – beaucoup trop à dire vrai.

Et dans tous ses projets, entre les souvenirs à amasser, sa peinture et ses tentatives un peu enfantines de repousser les limites magiques de celle-ci, il avait sa vie d’adolescent qui prenait progressivement forme. D’un côté, il ne parvenait à se détacher du deuil, d’autant que la mort lui devenait plus absurde à mesure qu’il l’observait sous l’œil d’un van Aken, et de l’autre, il demeurait encore un enfant qui avait besoin de rêver et de s’évader. Il n’était en fin de compte qu’un garçon qui n’arrivait pas totalement à trouver sa place, comme balloté de tous les côtés par tout ce qui gravitait autour de lui.

Et Zeynep en faisait partie. À l’image de sa vie, leur relation était conflictuelle et inégale. Aujourd’hui, il pouvait affirmer sans ciller qu’elle était son amie, mais il en avait été autrement quelques mois plus tôt. C’était peut-être parce qu’ils ne savaient pas communiquer sans finir par se disputer qu’il tenait tant à l’inclure dans sa journée, quand bien même il avait des projets qu’elle ne partageait pas avec lui. Et ainsi, ils avaient fini par convenir qu’ils se retrouveraient à Pré-au-Lard, haut lieu de tranquillité à l’écart des tableaux ; ce qui était toujours un bon argument pour plaire à la poufsouffle, qui n’avait pas grande confiance en ceux-ci, peut-être à plus forte raison depuis qu’Alexander avait été nommé directeur de maison.

Lorsque le tchèque aperçut sa camarade, à l’angle de la rue où il lui avait donné rendez-vous, il pressa le pas pour l’y rejoindre. Ça n’était sans doute pas l’endroit le plus fréquent pour se retrouver, mais il avait le double avantage de ne pas être bondé de monde – ce qui facilitait grandement les choses quand il fallait repérer quelqu’un – et d’être sur le chemin de son principal objectif du jour... mis à part celui de passer une après-midi tranquille à Pré-au-Lard, comme tout adolescent qui se respecte. « Salut Zey ! » Le jeune homme avait troqué son uniforme contre une tenue plus neutre, s’abritant pour se protéger du vent sous une coupe qui semblait presque plus lourde que lui. Heureusement, en quittant l’alcôve principale pour rejoindre les petites ruelles du village, il pouvait s’abriter de la brise. « Désolé, je t’aurais bien donné rendez-vous aux trois balais, mais je dois absolument passer dans une boutique avant... et je t’avoue que je ne suis pas tout à fait sûr de supporter la vue de Carter, j’évite d’y aller quand il est au bar. » Le simple fait de revoir le visage du meilleur ami de son défunt cousin avait le don d’éveiller en lui colère et tristesse. Ça n’était pas nécessairement contre lui – encore que ça restait à vérifier – mais il représentait des souvenirs que Dmitri n’avait pas envie de remuer. « Tu...vas bien ? »