S’il n’y avait eu aucun coup d’éclat de ma part depuis les vacances, ce n’était pas que je m’étais résignée à baisser les bras. La punition de Dmitri n’avait en aucun cas entamé ma détermination à lutter contre Sorensen. Et mon récent passage au grade acier, s’il m’occasionnait bien des tracas à cause des corvées à effectuer, n’était pas vraiment une surprise. J’avais passé des heures à la bibliothèque dans le but de rechercher des informations. De loin, on pouvait penser que je ne cherchais qu’à m’acquitter des divers devoirs supplémentaires qui étaient mon lot depuis mon passage au grade bronze. J’avais même pris l’habitude d’ouvrir systématiquement un livre de sortilèges quand je m’installais à la bibliothèque et parfois, je passais effectivement des heures, le nez plongé dans une matière qui me restait obscure. Mais souvent, ce manuel ne servait qu’à masquer le but de mes dernières recherches. Dmitri me l’avait dit, il fallait être discrets. Je m’en étais convaincue ou plutôt les Sorensen m’avaient convaincus qu’ils semblaient toujours avoir un coup d’avance sur nous. C’était fini, le temps des coups d’éclat et des tentatives inconsidérées. Maintenant je voulais réfléchir avant d’agir. Et pour réfléchir, je voulais savoir ce que mes ennemis avaient en tête.
Alors, le déclic avait eu lieu au détour d’une phrase d’un livre que je consultais pour tout autre chose. Je ne pouvais pas y croire au début mais visiblement, c’était bien vrai et Dmitri me le confirma. La magie pouvait permettre de lire dans les pensées. Et cela pouvait être la clef de ma recherche. Si je pouvais lire les pensées, je pouvais pénétrer l’esprit de Finnbjörn ou de son grand-père. Je pouvais connaître ses plans et m’y préparer. Je pouvais récupérer ce coup d’avance. Mais cela semblait un entraînement délicat. Alors j’avais passé un mois à me renseigner de manière théorique. Et aujourd’hui, je me sentais presque prête à essayer. Ou plus exactement, non, je ne me sentais pas prête. Mais j’avais lu attentivement les rares ressources de la bibliothèque si rapportant, je n’avais plus aucune chance d’accéder à celle de la réserve et j’étais impatiente de passer à la suite. Donc, je me disais que je me sentais prête. Je l’avais dit à Dmitri par lettre et aujourd’hui je lui avais donné rendez-vous pour lui en parler de vive voix. J’aurais voulu lui demander d’accepter que je tente de pénétrer son esprit mais je savais qu’il refuserait. Mais c’était une expérience que je voulais faire avec lui, alors, s’il ne devenait pas mon cobaye, je voulais au moins qu’il soit mon complice. Nous serions deux avec ce secret, deux avec cette nouvelle arme.
J’étais nerveuse, plus que d’habitude. Cela faisait des mois que je n’étais plus sereine. L’insouciance de l’enfance s’était évaporé quelque part entre mon abandon, la mort de mon frère et les mesures de Sorensen. Mais aujourd’hui, c’était pire. Alors, j’étais en avance au rendez-vous que j’avais moi-même fixé, celui dont j’avais cherché le lieu idéal pendant des heures avant de l’inscrire sur le morceau de parchemin qui lui était destiné. Dans ce coin de parc où les statues semblaient moins à portée de voix qu’ailleurs, je pouvais me douter que tout le monde serait vite au courant de notre entrevue. Mais qu’on sache que nous nous étions vu n’était pas si grave tant qu’on ignorait l’objet de notre rencontre. Tout le monde penserait à un rendez-vous amoureux, la Saint-Valentin était proche, j’avais décidé de l’inviter à la soirée à Pré-au-Lard et je lui avais déjà écrasé les pieds en dansant au bal de Noël. Présentement, j’avais même une marguerite à la main.
Évidemment, je n’étais pas amoureuse de Dmitri et si on m’avait demandé de m’exprimer à ce sujet, j’aurais vigoureusement démenti cette affirmation. Mais c’était bien agréable de l’imaginer et l’invitation que je prévoyais pour la Saint-Valentin était tellement factice que j’avais été demandé des conseils empressés à Azure. La tentation était grande d’effeuiller cette marguerite en l’attendant. Et d’ailleurs, je pouvais me risquer à le faire, au fond. Il suffisait de voir si quelqu’un d’autre m’aimait. Et pourquoi pas Finnbjörn justement, juste pour la blague ?
Alors, puisqu’il me restait quelques instants avant l’arrivée de Dmitri, je m’appliquai à arracher une à une les pétales de cette pauvre fleur qui n’avait rien demander à personne, surtout pas de savoir si Finnbjörn était amoureux de Zeynep. Toute appliquée à ma tâche, je ne vis pas Dmitri arriver et ne le remarquai qu’en levant les yeux après le verdict de la marguerite.
« Oh Dmitri ! Tu sais les superstitions moldues, c’est vraiment n’importe quoi… D’après la marguerite, Finnbjörn m’aime beaucoup, tu te rends compte ? »

@Dmitri D. van Aken

L’entrée en matière n’était pas des plus communes et elle tombait à plat. Dmitri semblait bien n’avoir aucune idée de ce que je pouvais faire avec la pauvre marguerite dont il ne restait plus qu’une tige et un pollen jaune qui se délitait peu à peu, dépourvu du soutien des pétales qui auraient dû l’entourer.
« Vous ne faites pas ça chez les sorciers ? »
Visiblement non. Ou alors, cette tradition n’avait pas atteint les Tchèques. Peut-être que le problème n’était pas tant que c’était une tradition moldue mais plutôt que ce n’était pas une tradition tchèque. Peut-être qu’il n’y avait pas de marguerite là-bas. Il devait faire froid, c’était sans doute pour ça. Au fond, je n’y connaissais rien mais la République tchèque était à l’Est, la Russie aussi et en Russie il y avait de la neige et sans doute pas de marguerite. Ça, j’en étais sûre, mon père m’avait déjà parlé de la Russie et du coup, c’était sans doute pareil dans son pays. Donc si je voulais mener mon enquête à bien pour savoir si Dmitri ignorait l’usage de la marguerite parce qu’il était sorcier ou parce qu’il était tchèque, il faudrait que j’aille interroger sur la question un moldu tchèque et un sorcier anglais. Mais je n’étais pas très sûre d’avoir envie de demander à Junior ce qu’il en pensait. Et j’avais plus important à faire.
« Tu vas trouver ça débile alors… Mais à l’école, on le faisait beaucoup. On prend une marguerite, on pense à un garçon, et on enlève une à une les pétales en disant ‘un peu, beaucoup, passionnément à la folie, pas du tout’ et la dernière pétale dit comment le garçon nous aime. »
Bon, il fallait espérer qu’il ne se demande pas pourquoi je m’étais dit que c’était une bonne idée de savoir à quel point Finnbjörn m’aimait. Surtout que la réponse était évidente : il me détestait. Mais c’était une manière comme une autre de passer le temps. Évidemment, j’aurais pu me livrer à une activité plus constructive, rédiger ce devoir supplémentaire de Sortilèges qui me donnait du fil à retordre par hasard. Mais là, l’espace d’un instant, je n’avais pas eu envie de songer à ce grade acier qui complexifiait un peu plus ma vie et qui semblait tant préoccuper Dmitri.
« J’ai arrêté de compter les devoirs supplémentaires… »
C’était surtout cela qui me pesait, plus que les corvées, plus que l’interdiction des sorties à Pré-au-Lard dont je n’avais au fond jamais profité. Je me maudissais d’avoir pris runes plutôt qu’étude des moldus. Ç’aurait été une manière simple d’avoir une bonne note et donc d’échapper aux devoirs supplémentaires. Alors que l’alphabet runiques me plongeait quasiment hebdomadairement dans une perplexité insondable et la crainte de ne pas parvenir à rendre à temps le devoir. Mais ce n’était pas cela le pire. Ce n’était que la partie visible, celle que je disais naturellement quand on me demandait comment ça se passait depuis la rétrogradation. Mais en devenant acier, j’avais surtout perdu tout accès à la Réserve. Ce n’était pas que mes tentatives avaient abouties. Je n’avais même jamais répondu au message de Thaddeus tant j’avais compris que c’était vain. Pourtant, cela maintenait un espoir. Peut-être que je serais quand même parvenu à lire au moins un bref instant, même sous surveillance, certains des ouvrages qui pouvaient me mener à mon nouveau but. Et désormais que ces espoirs étaient réduits à néant, il ne restait que l’empirisme pour pallier le manque de connaissances théoriques.
« Sans la Réserve, ça devient compliqué aussi. »
Dmitri savait de quoi je voulait parler. Et je savais aussi quel était ma tentation, maintenant qu’il était devant moi. Il avait refusé et je ne voulais pas lui forcer la main. Mais ce serait tellement plus simple s’il acceptait. Je ne ferais rien, jamais, sans son consentement. Il était hors-de-question que je trahisse sa confiance. Il était mon ami et s’il disait non, je devais admettre ses réticences et me tourner vers quelqu’un d’autre. Je trouverais bien, sans doute, quelqu’un dont je pourrais essayer de lire les pensées. Et avec quelqu’un d’autre, la recherche du consentement ne serait pas de rigueur.
« Je sais bien que tu ne veux pas que j’essaie sur toi... »
Je le savais et j’espérais qu’il ait changé d’avis, qu’il me dise tout de suite qu’il y avait réfléchi, qu’il voyait les choses différemment. J’affirmais que je savais avec l’espoir qu’il me détrompe.

Si le ton de la voix de Dmitri ne laissait aucun doute sur le fait qu’il jugeait étrange le début de notre conversation, il eut la délicatesse de ne pas me le faire remarquer ouvertement et même d’entrer dans mon jeu en s’emparant à son tour d’une marguerite. Un instant, j’espérais être l’objet de sa demande sans y croire vraiment, simplement par curiosité bien sûr. Mais il choisit de dédier ses pensées à Erin, dans un mimétisme presque parfait avec ma demande. Et sa marguerite avait sans doute plus les pieds sur terre que la mienne, concluant bien heureusement que l’amour d’Erin pour Dmitri se réduisait au néant et qu’il était sans doute surpassé par Junior dans ce coeur dont on pouvait douter de l’existence.
« Je suis pas forcément très douée, surtout pas en Sortilèges et en Runes... »
Et donc, non seulement les devoirs dans ces deux matières s’accumulaient mais en plus je me sentais obligée d’y passer une petite éternité à chaque fois pour espérer rendre autre chose qu’une copie blanche ou bourrée d’inepties. Ces devoirs n’étaient pas notés et ne semblaient pas avoir de conséquences mais je pouvais être sûre qu’un devoir bâclé entraînerait le double de parchemins à rendre la semaine suivante. Alors, je m’appliquais. Je ne pouvais même pas espérer tellement remonter en grade et échapper à cette corvée. Je pouvais même considérer que je prendrais mal de remonter dans le classement. C’était puéril évidemment mais en étant au plus bas, je savais que j’étais considérée comme nuisible par l’ensemble des pro sangs-purs et je n’avais aucune question à me poser sur les raisons qui pourraient les pousser à me ménager, puisqu’ils ne le faisaient pas. C’était une forme de boussole : si j’étais détestée par les Sorensen c’était que je devais être en bonne voie. Alors, j’assumais sans broncher les devoirs supplémentaires, maudissant silencieusement Aylmer qui, de mon point de vue, se faisait ainsi le soutien de la direction alors même qu’il suffisait d’entendre les ricanements de certains pour savoir que son sang était tout aussi souillé que le mien.
Dmitri se plaignait des corvées à effectuer et je pouvais comprendre. Si j’avais eu envie de le taquiner, j’aurais pu lui faire remarquer, qu’effectivement, quand on vit avec des elfes de maison à disposition, on n’a pas l’habitude de dépoussiérer les tableaux. Mais je n’avais pas non plus cette habitude, n’ayant eu ni elfes de maison, ni tableaux avant mon arrivée à Poudlard. Et surtout, ce n’était pas le moment de lui rappeler ce qui nous séparait et m’avait rendu très méfiante de son intérêt pour moi au premier abord. Alors, je me contentais de hocher à la tête, sans même lui signifier que ses corvées semblaient bien moins pénibles que celles des autres.
« Oui, ça devient compliqué de trouver du temps libre... »
Je courais après le temps et plus encore, après les informations. J’avais abandonné les espoirs bien minces d’avoir accès à la Réserve pour consulter un certain nombre d’ouvrages. Avant le grade acier, les chances se limitaient à convaincre Thaddeus de me surveiller, ce qui n’était pas simple et surtout pas idéal. Maintenant elles étaient tout simplement inexistantes. Et quand je mentionnais ce sujet, Dmitri savait pertinemment où je voulais en venir. Je ne cherchais pas des informations pour le plaisir, je n’étais pas férue de grimoires poussiéreux. Je voulais apprendre à lire dans les pensées. Et là encore, ce n’était pas un but en soi. Je n’en pouvais plus de ne pas comprendre ce qui se tramait. Je voulais essayer d’avoir une arme supplémentaire contre les sangs-purs. En l’état, seul Dmitri était au courant. Et il semblait dans une certaine mesure près à m’aider.
« On verra quand tu retourneras au Manoir alors ! C’est sûr que j’y avais pas pensé, mais il y a peut-être des ouvrages intéressants... »
La perspective était enthousiasmante mais trop lointaine pour que je m’en contente. Je ne voulais pas attendre l’été, je ne le pouvais pas. C’était potentiellement maintenant que cela allait se jouer, pas dans six mois. Et Dmitri ne pouvait pas l’ignorer, il ne pouvait pas être surpris de la réitération de ma demande. Et je ne pouvais pas être étonnée de son refus. Je n’avais pas le droit d’être déçue, sur ce terrain il ne me devait rien, il ne m’avait rien promis. Il avait déjà refusé et il ne faisait qu’affirmer qu’il n’avait pas changé d’avis.
« Tu es mon ami. »
Je butai légèrement sur le dernier mot. Je ne l’avais jamais réellement formulé de la sorte, je n’avais jusque là jamais admis l’évidence de cette amitié qui me poussait pourtant à des actes inconsidérés. Et pourtant, il n’y avait pas d’autres mots pour définir notre relation. Et cette amitié bancale, imprévisible, était déjà trop importante à mes yeux pour que j’envisage de la trahir. Tant que Dmitri serait mon ami, je me refuserais à aller contre sa volonté. S’il refusait que je m’essaie à la légilimancie sur son esprit, je trouverais quelqu’un d’autre.
« Et donc je ne le ferai pas si tu ne veux pas. »
Que se passerait-il si, pour une raison plus ou moins trouble, je finissais par considérer Dmitri autrement ? Je n’étais pas du genre à avoir beaucoup de scrupules, je le savais. Et si j’étais prête à donner ma parole à un ami, j’étais tout aussi prompte sans doute, à me considérer libre de tout engagement dès lors que j’estimais les liens d’amitié rompus. Nous n’en étions pas là.
« Tu disais qu’il fallait un contact visuel c’est ça ? Du coup, il faut que je trouve quelqu’un que je vois assez souvent pour tester... »

Avec une assurance malhabile, j’entérinais en paroles un lien qui me paraissait désormais plus réel depuis que j’avais mis des mots dessus. Oui, c’était bien une forme d’amitié qui me liait à Dmitri. Cette amitié n’avait rien de simple et je n’en concluais absolument que je pourrais toujours faire confiance au jeune aiglon. Bien au contraire, j’avais âprement conscience du caractère bancal, explosif, de notre relation. Tout pouvait basculer à tout moment, dans un sens comme dans l’autre. Mais par ce terme somme toute banal, j’osais affirmer ce que je n’avais jamais pu envisager avant maintenant : j’avais un ami et il s’appelait van Aken. Bien sûr, d’une certaine manière, j’avais eu d’autres amis avant lui. Même si l’école moldue n’avait jamais été de tout repos pour moi, même si je me sentais trop différente pour y être véritablement intégrée, il y avait quelques filles que j’avais qualifié d’amies. Elles étaient peu nombreuses, ça avait été peu durable et je n’avais eu aucun mal à envisager de ne plus jamais les revoir quand j’étais entrée à Poudlard. Signe de la faiblesse de nos relations, je n’avais même pas véritablement cherché à leur mentir, à leur promettre que je reviendrais à chaque vacance, que cette internat étrange où j’avais bien dû assurer que je me rendais ne durerait qu’un temps. Je leur avais simplement annoncé, comme aux autres, que je changeais d’établissement. Il n’y avait pas eu d’effusions : nos liens ne tenaient sans doute qu’au fait que nous étions dans la même école.
À Poudlard, par contre, je m’étais fait, véritablement des « amis », le genre à qui ont écrit quand ils ne sont plus là, le genre chez qui ont va en vacances. Liam me manquait encore aujourd’hui et je savais que d’ici ce weekend, je lui enverrai un hibou pour prendre des nouvelles. Mais ce n’était pas le même lien, pas la même confiance qui nous unissait. Le lien était moins bancal et moins fort aussi, sans doute. C’était mon ami mais je n’avais jamais pu envisager vraiment le mêler à mes actions. Et la légilimancie resterait sans doute quelque chose que je lui cacherais. Kathleen, ma camarade de dortoir, pouvait rentrer dans cette catégorie aussi, en plus surfait. J’avais une conception somme toute assez utilitaire de notre relation et dès le début j’avais plutôt estimé utile de me rapprocher d’elle pour ce qu’elle connaissait des sangs-purs plutôt que par réelle préoccupation pour elle.
Dmitri semblait tout aussi mal à l’aise que moi à l’évocation de ce fait mais il eut plutôt tendance à le confirmer, aggravant mes craintes en même temps qu’il les apaisait. Mais je pensais pouvoir dire que nous étions tout les deux soulager du changement de sujets et de l’irruption de son père dans la conversation. Je ne connaissais pas ce dernier, Dmitri en parlait peu, mais il semblait d’une certaine manière être de bon conseil concernant la légilimancie puisqu’à ce jour il était le seul dont je connaisse la condition. Il ferait sans doute un arrêt cardiaque en apprenant qu’il servait aujourd’hui d’exemple dans une conversation visant à expliquer à une née-moldue soucieuse de faire payer aux sangs-purs leurs crimes, comment le renverser, lui et tous les autres. Tout cela confirmait bien qu’il fallait que je commence par un proche et que je ne me contente pas de fixer Erin au détour de la salle commune.
« Franchement, j’ai hésité à faire une petite liste... »
Et je savais que je risquais de la faire dès que je rentrerais dans mon dortoir.
« Déjà, on peut exclure les pro sangs-purs, pour l’entraînement, c’est trop risqué encore. »
Si cela se trouvait, les Sorensen ignoraient tous de la légilimancie. Mais c’était parfaitement possible qu’ils en connaissent eux-mêmes et qu’il se doute de quelque chose en me voyant tenter de les regarder fixement. Et je ne savais pas bien dans quelles mesures une tentative ratée pouvait se remarquer.
« J’avais pensé à Kathleen sinon mais je suis pas convaincue… Si Liam avait été là, j’aurais sans doute tenté. »
Lui aurais-je demandé son accord, comme je le faisais aujourd’hui ? Rien n’était moins sûr. Et Dmitri serait tout à fait légitime à s’interroger sur la définition de l’amitié qui me guidait à me préoccuper de son avis à lui, sans même évoquer celui de mon meilleur ami.

Les aveux amicaux faits, la discussion dériva à mon initiative sur ce qui était l’objet de mes préoccupations ces derniers temps : tester la légilimancie, trouver un cobaye dont je tenterais de pénétrer les pensées. Si Dmitri avait accepté de jouer ce rôle, tout aurait été plus simple. Mais puisqu’il refusait et puisque je ne me voyais pas transgresser l’interdit que je m’étais fixé de ne rien tenter sans son autorisation, nous devions réfléchir à quelqu’un d’autres. Dans la liste que j’avais essayé d’établir, aucun nom ne semblait franchement se détacher. Liam n’était plus là, Kathleen était trop bavarde. Pour le premier, la question se serait sans doute posé de l’en informer. Pourtant, ce n’était pas évident de savoir la conclusion que j’aurais tiré de cet interrogation. Contrairement à Dmitri, j’avais toujours tenu Liam loin de mes combats. Je n’avais jamais jugé bon de le prévenir à l’avance de mes tentatives, jamais impliqué dans mes plans plus ou moins abouti. Il avait été spectateur de mes esclandres, de mon fait et du sien. Du sien, car il n’avait jamais cherché à faire autre chose que suivre de très loin. Du mien, car je n'avais jamais voulu qu’il y soit mêlé.
« Je ne sais pas si je l’aurais mis au courant »
Dmitri pouvait se dire qu’il avait cette chance au moins, et que l’implication qu’il avait naturellement pris, au moins en pensée, dans mes recherches le préservait un peu, pour l’instant, d’intrusions inopinées. Quant à Kathleen, la possibilité de la mettre au courant ne m’avait pas effleuré.
« Kathleen c’est hors de question qu’elle sache ! J’essaie d’être discrète maintenant ! »
Référence évidente à notre discussion de début d’année.
Mais dans tout cela, je n’avais pas de bonnes perspectives et Dmitri avait raison : je ne pouvais pas me permettre de m’éparpiller.
« Non, il faut que je me fixe sur une personne, si possible qui n’y connaisse rien pour ne pas être repérée. Tu aurais une idée ? »

Je n’avais jamais envisagé parler de légilimancie à personne d’autre que Dmitri. Il était le seul en qui j’avais un semblant de confiance à ce propos, le seul surtout, que j’estimais pouvoir embarquer consciemment dans mes plans plus ou moins foireux. Si j’avais su que tous les soirs, il racontait sa journée à son grand-oncle, si j’avais su que tous les soirs, il était sous veritaserum, jamais je ne l’aurais considéré de la sorte. A ce stade, je ne le savais pas, mais un des sangs-purs que je haïssais le plus était presque autant au courant que lui de mes recherches. Et Dmitri, en termes de secret, était semblable à une passoire. Il ne me l’avait pas dit, il aurait dû sans aucun doute. Mais nous aurions tout le temps de nous disputer à ce sujet et à d’autres plus tard. Tout de suite, l’heure était à la complicité et à la recherche assidue d’un cobaye.
Dmitri m’égrena alors quelques noms. Sarah me sembla autant qu’à lui une mauvaise idée. Elle était sang-pure, elle connaissait sans doute l’existence de la légilimancie et elle était trop proche de Kathleen pour ne pas avoir les mêmes défauts qu’elle en termes de bavardages bien trop inconséquents. Kathleen s’excluait pour les mêmes raisons de la liste même si puisqu’elle était dans mon dortoir, cela aurait été assez simple de tenter. Mais pour les deux s’étaient trop risqué, elles risquaient de le découvrir assez vite, surtout si je n’étais pas au point. J’écoutai à peine quand il me parlait d’Azure car, il ne le savait pas mais c’était ses conseils qui m’avaient conduit à lui proposer qu’on se voit.
« Ouais, je sais pas trop… »
Son nom m’emmenait loin de ces considérations. Si j’avais parlé à Azure, c’était pour avoir des conseils pour inviter Dmitri à la Saint-Valentin. Et plus le temps passait, plus la discussion avançait, moins je me sentais capable de me lancer. Je savais avoir un minimum de courage pour m’en prendre aux sangs-purs. J’en avais beaucoup moins pour inviter un ami à quoi que ce soit. Il ne me restait qu’à trouver un prétexte pour fuir, maintenant que nous nous étions tout dit sur la légilimancie et que je rougissais à l’idée d’aborder l’autre sujet qui me tenait à cœur.
« Il faut peut-être qu’on y aille non ? Au cas où quelqu’un nous remarque… »
Ce n’était pas complétement faux comme problème, vraiment pas.