feat. Katie Douglas
Chipie, menteuse, boudeuse, épouvantable, curieuse, bavarde, brutale, rancunière, fragile, fière, secrète, horriblement jalouse, corruptible, entêtée ou encore élégante. Voilà tout un panel acidulé pour décrire la brunette aux sourires voraces et à la langue acide.
Il faut environ une demi-heure – rien de bien méchant, un compte à rebours ravissant à bien y penser, juste le temps pour tout un chacun de se rendre compte que sous le vernis bavard et espiègle, se cache un pissenlit dont l'urticaire parait presque permanent. Daisy gratte par sa frondeuse conversation et, dans une naïveté sournoise, s'en étonne parfois quand on lui en fait la remontrance. Elle n'est pas
toujours mauvaise - quoique - mais elle est curieuse, capricieuse et volontiers taquine, prête à asseoir sur autrui une autorité qu’elle juge nécessaire. Les tricheries sont de mise plus par amusement que nécessité et ce, même si elle travaille énormément, l'ambition en pointe de sa plume enchantée. Un égoïsme innocent zèbre ses sourires et son amour des imbroglios, des rumeurs et des scandales en tous genre la met bien trop souvent dans des situations délicates et inavouables.
Daisy aime à raconter qu’elle a longtemps vécu dans le Devonshire, sous des parfums sucrés et des paysages florissants qui accueillent et enivrent. Un manoir, un héritage, une célébrité cachée au sein de son arbre généalogique, elle esquisse des aquarelles merveilleuses sur des filiations imaginaires. Longtemps attendue, elle a été choyée, protégée. Ses parents ont d'ailleurs tendance à lui passer ses caprices et comptent - à juste titre - sur le solide bon sens de leur fille. Oui, c’est exactement ce qu’elle vous dirait, sans honte et sans trembler, dans un sourire hautain, accompagné de ce petit mouvement gracieux de tête qu'elle maitrise si bien.
La vérité est toute autre mais à quoi bon ?
Daisy vient de Londres, née dans l'hôpital principal sorcier de la ville. La banalité de ce qui a été longtemps son existence l'effraye aussi affute-t-elle ses récits selon son humeur. Les déménagements y aident, elle peut se réinventer à sa guise selon la géographie des lieux. Ses parents veillent à sa santé, de loin, comme on regarde une tarte cuire dans un four: sans vraiment s'en occuper mais en en appréciant l'odeur. Ils ne sont pas mauvais, ils ne la détestent pas, ne la repoussent pas non plus. Le souci est ici tout autre: dans une vie déjà aventureuse, puisqu'ils sont tout deux langues de plomb, il n'y a jamais réellement eu de place pour cette enfant. Les Miller sont juste terriblement occupés,
terriblement absent, laissant la petite fille à des voisines sévères, des rues poreuses ou des crèches grouillantes de monde.
Les rares jours où ils sont présents, Daisy s'imprègne de leurs paroles et des voyages qu'ils semblent tracer du bout de leurs rires.
De ses carences, elle se forge un caractère indomptable et férocement indépendant. Fière, égoïste, parfois cruelle, Daisy se soucie peu des conséquences de ses actions. Elle n'en a jamais réellement eu besoin puisqu'elle n'est jamais restée durablement à un endroit. La notion de foyer, elle se l'invente, se l'imagine dans des livres et dans une imagination qui se fait parfois sombre et envieuse. Elle comprend vite le pouvoir d'une moue, celui d'un compliment. On obtient plus avec du miel, même s'il pique en arrière goût. On obtient tout autant par la peur et les deux lui plaisent. Alors elle teste sur des amis volatiles, elle varie les poisons sur les rencontres fortuites ou sur les adultes qui montre un peu d'empathie face à la gamine esseulée, passant avec aisance du rire au larme, sans états d'âme aucun.
Puis vient Poudlard et sa lettre.
Poudlard et ses promesses d'un renouveau. Le terrain est plus grand - presque vertigineux. Elle est intimidée au premier abord mais des années à faire semblant, à s'acclimater à de la nouveauté, lui donne les moyens de s'imposer petit à petit. La meilleure parade c'est l'attaque et elle a la langue fort acide quand elle le juge nécessaire. Elle alterne les adorables conversations avec les piques assassines, repère ceux qui peuvent lui apporter quelque chose et s'en entoure sans vraiment s'apercevoir que tout ceci l'isole un peu plus encore. Elle rêve d'une famille mais n'en ayant aucune base, ne sachant ni comment fonctionne l'amitié, ni ce que faire confiance veut dire, les liens restent superficielles au mieux, tendus au pire. Les évènements n'aident pas, les attaques, les funérailles des figures protectrices de l'école, les changements d'ordre ne font que renforcer ce qu'elle a toujours su : il faut se préserver et s'entourer
de qui il faut,
comme il faut,
quand il faut.
Alors les sourires reprennent, regard crémeux et dents de nougatine. Elle se fait sucrée quand elle le juge nécessaire, laisse promener des pupilles en kalachnikovs quand sa patience s'amenuise. C'est un jeu d'attraction et de terreur, et si elle blesse, ma foi, ça leur servira de leçon. Les éraflures de l'âme ne sont pas si graves de toute manière, n'est-ce pas ?
Elle n'en est jamais morte après tout.
***
Anecdotes en vracs: - Très/trop sensible aux compliments, Daisy depuis son enfance a toujours eu cette inhérente faiblesse du maître corbeau sur son arbre perché. Elle s'en défendra si vous le lui faites remarquer, s'empressera bien vite d'ailleurs d'avancer le contraire dans une démonstration de mauvaise foi absolue.
- La curiosité est un si joli défaut. Le nez mutin, les idées fantasques, Daisy pose son petit minois là où généralement elle ne devrait pas. Refusez lui une réponse, agissez trop prudemment, drapez- vous de mystères et vous voilà sous le coup de sa terrible curiosité, curiosité qui lui a pourtant déjà compté tant de mésaventures.
Chassez le naturel...- Elle adore planifier les choses et surtout malheureusement la vie des autres. Son agenda pèse une brique et est remplie de post-it, billets, notes et astuces en tout genre. Malgré l'horreur toute relative de son caractère, elle reste de bons conseils.
On vous dit que si.
- Elle aime beaucoup son petit sac enchanté par ses propres soins qui n'est pas loin de peser autant qu'elle si on regarde ce qu’il contient. Voyez-vous, la beauté, ça pèse lourd.
- Elle adore les cocktails. Si c'est coloré, sucré et que c'est décoré d'une petite ombrelle, elle est aux anges.
- Elle a horreur des cartons. De tout ce qui n'est pas bien rangé d'ailleurs. Un vestige épidermique de tout ces déménagements à répétition.
- Elle a apprit à faire du roller dans un des immeubles miteux qu’elle a habité avec ses parents vers ses 5 ans. Comme ils l’abandonnaient cordialement au bas des escaliers, les autres enfants un peu plus grands ont fini par lui apprendre à en faire. Elle a néanmoins dû couper contact avec eux quand sa magie s’est manifestée lors d’une chute qui aurait pu mal tourner. Un autre déménagement, rien de nouveau en définitive…
- Quand elle sera grande - même si elle pense qu'elle l'est déjà, elle voudrait être aussi charismatique que le professeur Thorstein. Et épouser le professeur Aymler après l'avoir poussé à devenir au minimum ministre de la magie évidemment. Ce serait très bien.
- Daisy a un goût sur et beaucoup d'avis sur la mode qu'elle donne à qui veut (et même à qui ne veut pas).
- A corps défendant et contre toute raison, Daisy trouve Maxwell Carter très beau. Ca s'arrête là.
Elle se berce d'illusions temporaires en jugeant qu'elle ne cherche à le manipuler que par ambition et par souci d'autorité - puisque monsieur juge qu'il peut se permettre d'essayer de lui conter fleurette - et non pas pour assouvir un quelconque désir. Elle y voit comme un entrainement en quelque sorte et d'ailleurs, elle bat des cils avec onctuosité autant qu'elle assène quantité d'ordres impossible à suivre lorsqu'elle cherche à soutirer du poufsouffle quoi que ce soit. Car en vérité, Daisy le toise dans une régularité constante: dés qu'il ouvre la bouche, elle a envie de s'enfoncer dans le sol, dés qu'elle le voit crapahuter dans la salle de repas aux yeux de tous, tout charme s'évapore la plongeant dans un état interdit: pourquoi diable avoir consentie à batifoler ainsi avec lui ?
Daisy sait peu de choses en définitive sur les siens, et pour cause. Longtemps ballottée d'un endroit à un autre, il lui a manqué l'assurance que procure les étreintes parentales, les lectures nocturnes qui chassent les monstres au pied du lit, les baisers chantilly lors des anniversaires, toute ces petites touches de rose qui font l'importance et la magie de l'enfance.
Elle ne s'en plaint pas pourtant. Jamais.
Ce qui ne fait qu'égratigner, ne tue pas et ce qui ne tue pas rend plus fort, n'est-ce pas ?
Elle y puise une arrogance supplémentaire, celle de savoir qu'elle peut créer à sa guise un foyer factice, celle qu'elle pourra toujours s'en sortir et qu'à défaut de rien, on peut tout.
Fille unique, au caractère injuste, aux demandes excessives, Daisy ne voit pas - ou peut-être ne le voit elle que trop bien - elle est surtout un accident de parcours. Ses parents sont langues de plomb, le métier secret, les contes livrés en vitesse à leur fille jour après jour, années après années, tous plus faux les uns que les autre. C'est que le mensonge coule avec une facilité déconcertante dans le sang des Miller. Les couvertures se sont échelonnées sans vergogne, les légendes se sont arrangées sans réelle empathie et la gamine aux boucles sages a été mise de côté, l'enseignement lointain, le cœur en friche dévoyé de cette tendresse si nécessaire. Ils ne l'ont pas fait exprès, l'ambition et le désir de servir une patrie sorcière séculaire en étendard comme seul objectif. Ils sont altruistes, plein d'un idéal qui s'effrite maintenant qu'ils se sont aperçus que Daisy a bel et bien grandit loin de leurs regards opaques.
Daisy n'a jamais compris réellement pourquoi, elle ne sait pas ce que font ses parents, pense d'ailleurs qu'ils occupent des emplois minables quelque part et puis peu importe après tout.
Elle s'est depuis longtemps déjà décidé à les réinventer.
La mémoire des êtres est tout sauf fiable. Elle change d’un esprit à un autre, se modifie sous les sensations diverses et se dissous parfois sous les volontés cachées.
En toute honnêteté, Daisy peut le dire : elle n’est pas toujours certaine de comprendre ceux qu’elle aime. Ils sont plus rare qu’on ne le croit. Les émotions sont toujours un peu en berne, loin de ses véritables préoccupations. Tout du moins le croit elle.
(elle se trompe)
Ses amies la prennent parfois au dépourvu sous la soie de leurs froncements de sourcils désapprobateurs, Maxwell la perturbe dans des typhons d’intensité qu’elle ne perçoit qu’à petites touches de rancune tenace et le monde des sorciers et ses travers la bouleversent bien plus qu’elle ne voudrait l’admettre.
Elle les chérit pourtant, chacun d'entre eux - oui - à sa manière, bancale et féroce et où rien ne va. Loin du tumulte d’une première année sombre et de tous ces secrets cachés entre les murs et sur les lèvres. Elle voudrait encore faire des courses de crapaud dans le jardin, faire du roller et s’égratigner les genoux sans peur du qu’en dira-t-on, porter une vieille salopette et garder ses cheveux emmêlés sans avoir peur,
elle voudrait mais tout change inexorablement. Les rubans ont remplacé les fleurs, les jupes se sont raccourcies et la langue s’est parée d’un peu de la cruauté du monde.
Peut-être que c’est ça, grandir.
Peut-être.
**
EnfanceElle court en riant sur le bitume et ses délices, se cache dans les escaliers. Chez elle, il n’y a rien, juste des parents qui ressemblent à des coups de vent. Ici il y a d’autres enfants, d’autres visages. Elle aime être entourée la gamine, sentir les yeux et une pointe d’admiration barbare à son égard. Le vent fait flotter sa casquette et Daisy sautille. Ils sont à Newcastle, Edimbourg, Brighton, Londres. Aux quatre coins du Royaume Uni et plus encore Les paysages changent si souvent qu’elle n’en tient plus vraiment compte. Les Miller peuvent déménager même en pleine nuit.
Rien ne perdure.
Omnia mutantur, Nihil interit.
Elle pleurait au début mais plus maintenant. L'insouciance creuse des fossettes sur ses joues rondes lorsqu'elle rit. Elle a cinq ans et prends des leçons de roller. Elle a cinq ans et sait déjà le poids cristallin des apparences.
Dos bien droit, menton relevé, mains posées devant soi.
Tu es la fille cachée d’un prince, Daisy.Elle a le temps encore de jouer avec ses jeux charmants. Elle ment sans vergogne, dit à tous combien elle est couvée, que ses parents sont aimants et lui donnent les plus beaux joujoux, les meilleurs bonbons, les plus délicieux fruits. Qu’ils s’occupent d’elle et qu'elle poudre abondamment de baisers et de douceurs leurs joues confites.
Les anglaises en couettes enrubannées de rouge, Daisy plie ses genoux tout comme on lui apprend à se montrer sage et à plier l'âme chez la voisine un peu bougonne à l’âge antique. Révérence, port de tête, saluts esquissés de la pointe du visage. Les expressions changent sous la souplesse des bougies d'anniversaires solitaires. Enfant, jeune fille. Les nuances se font autre et les rubans se serrent. Tête haute, épingles dans les cheveux. Ça pique et elle aime bien.
Elle existe. On lui passe ses sautes d’humeur à l’abri de ses sourires de miel. Daisy troque lentement ses vêtements pour d'autres. Des tissus qu’elle apprend à associer. Le tartan est synonyme de marchandages féroces, la dentelle c'est quand on veut oser ce que l’on ne devrait pas, le velours pour la force brute. Les couleurs ont un rôle aussi : le rose caresse, l’or insiste, le rouge contraint.
Elle ne se fera jamais dévorer si elle sait manipuler tout ça.
**
Septembre 2022, Charing Cross stationSes parents sont les plus jolis adultes de tous les temps et aucune tenue rébarbative, comme cette robe noire, ne pourra rien y faire.
Ses parents sont aussi extrêmement méchants et ça, Daisy ne manque pas de le faire savoir, tout poings fermés et mine boudeuse. «
Je pouvais venir toute seule ! Le monsieur des lettres m’a dit qu’il m’emmènerait et j’allais le payer en barre de chocolat. J’en avais gardé trois ! Oui ! » Elle tape du pied et cache son désarroi dans des caprices effrontés aussitôt réprimandés. La voix parentale est douce mais il y a du fer sous les chuchotements, du désarroi aussi,
de l’incompréhension. « Tu nous écriras Daisy ? » L’enfant attend quelques secondes, de quoi laisser le venin s’éparpiller sur sa langue. Un peu de vengeance rapide. «
Non. » Elle n’en pense pas un mot mais le monde entier cherche à la vexer. De quelle droit lui demandent ils ça maintenant ?
Elle en rêve de Poudlard depuis des mois, attend fébrilement les minutes qui la séparent du château magique mais elle a tout de même demandé il y a quelques semaines à ses parents de rester avec eux. Elle a tout essayé, les minauderies, les biscuits et même les mentons tremblants doublés de grands yeux humides. Rien n’y a fait – et devant ces « non » successifs, elle s'est sentie l’âme tout à fait persécutée.
Elle peut dire non à son tour.
Bien fait.Le chagrin passe pourtant aussi rapidement qu’un vif d’or sous le nez d’un joueur endormi et elle saute à pied joint dans le train bondé. Elle lève son petit nez victorieux comme si elle les mettait au défi de la retenir.
Ils n’en font rien.
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Rentrée 2022Poudlard est tout ce dont elle rêvait et mieux encore. Elle aime à traverser les couloirs remplis de rumeurs fécondes, s’amuse dans une curiosité teintée de fascination à voir des couples se faire et se défaire, se scandalise par l’attitude de certains avant de se gorger des enseignements offerts pendant les cours. Tout est nouveau et sujet à bavardages. Tout lui semble tailler sur mesure.
Le Choixpeau la chatouille et elle se mord les lèvres quand il s’est posé pour la première fois sur elle. « Allons donc, une rebelle. » Daisy ouvre la bouche tel un poisson rouge avant de la refermer. «
Certainement pas et vous savez monsieur le Choixpeau, un ruban doré serait du meilleur effet sur vous. J’ai lu dans Sorcière Magazine que c’était à la mode cette année ! » Elle ne sait pas si le tressautement qui habite l’artefact est dû à un rire ou à un ronchonnement. Il annonce sa maison et elle se fend d’un sourire satisfait avant d’aller rejoindre sous les applaudissements sa nouvelle tablée.
Ses parents lui manquent mais cela a toujours été le cas aussi ne le remarque-t-elle pas vraiment. Sa nouvelle vie est un bonheur inépuisable qu’elle cache précieusement sous un torrent de remarques frivoles. On lui parle d’attaques et de menaces, d’histoires du ministère dont elle n’a cure, les dires si contradictoires qu’elle ne sait quoi en penser. Les journaux charrient d’étranges nouvelles qu’elle préfère ne pas considérer, tout entière à son innocent égocentrisme.
La chute des illusions n’en est que plus brutale.
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Halloween 2022La peur s'infiltre. Elle martèle.
Peu importe l’horreur pourvu qu’on ait l’ivresse.
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Noël 2022Est-ce que c’est un test ?
Cela commence par des questions, et la certitude que les questions viennent le plus souvent avec des réponses. Les nouveaux professeurs de Poudlard demandent – non – ils exigent : connaissez vous votre nom, connaissez vous votre sang, connaissez vous votre place ? Elle apprend vite, le monde change. Son nom est
sale gamine, Daisy, Miller, son sang est tolérable, à peine, et sa place est silencieuse.
(Onze ans, ce n’est pas un âge pour voir les vertus s’effondrer.)
McGonagall n’est plus, l’oraison fleurie en guise de linceul. Elle a emporté trop de choses. Désormais les nés-moldus se volatilise dans les catacombes.
Il faut tenir se dit-elle. Elle les voit les réponses aux questions précédentes, elles sont là à la pointe des sortilèges lancés et des larmes de certains étudiants. Aux nés-moldus, leur nom n’a pas d'importance, leur sang est marasme, leur devoir est leur place et ils n’en n’ont pas dans ce nouveau monde.
C’est un conte de fées, leur dit-on, un de ceux macabres qu’on se lit sous la couette les nuits de Samain pour se faire peur ; un de ceux qui devient trahison s'il se raconte trop souvent. Elle, elle est petite et se cache. Le monde autour d'elle meurt d’espoirs perdus, et elle se demande si elle l’affame elle aussi, contribuant un peu plus à l'ombre des os et des yeux concaves autour d'elle.
La voix du nouveau directeur tonne recouvrant les piaillements des élèves punis.
Ce n’est pas juste tout ça. Il y a quelque chose de pourri à Poudlard. Quelque chose de rampant, de noir, de sanglant. Il y a quelque chose qui la secoue, qui n’apparait dans aucun des manuels de bonne manière que la vieille voisine lui faisait lire quand elle était petite. « Doloris est un sortilège qu’il faut
vouloir. » Blackman sourit devant les élèves terrifiés, l’incisive sanguine sous l’œil cruel. « Si vous ne vous dépêchez pas, je m’en occupe moi-même. » Il y a quelque chose qui lui donne envie d’hurler, à s’en arracher la gorge, de fuir jusqu’à sentir ses poumons se fendre. « Et ensuite je m’occupe de vous. » Il y a quelque chose qui fendille la coquille luisante de ses rêves poudlardien, quelque chose qui lui fait oublier un à un, tous les bons et loyaux principes qu’on lui a enseignés.
C’est la colère qui explose dans un bredouillement terrifié.
Dans le vert des contraintes et des sortilèges, il y a quelque chose qui lui donne la nausée.
(Le test est passé.)
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Noël 2024«
Cette pauvre Alicia, je préfèrerais mourir que d’avoir un bouton aussi disgracieux sur le nez la veille d’un bal. » Les commérages vont bon train, les rires un peu cruel sur les lèvres framboisines féroces. Daisy inspecte son reflet, rajustant son ruban porte-bonheur. « C’est vrai que tu vas au bal avec l’un des poursuiveurs Gryffondor. Il a
seize ans. » Oh, elle jubile maintenant et sourit d’un air faussement embarrassé, raconte en embellissant un peu ses manœuvres charmantes, y met du mystères et des battements de cils adéquat. Elle se sent terriblement adulte maintenant, sous l’œil admirateur de ses amies. Les cauchemars sont loin et elle ne compte pas les effleurer de nouveau, elle ne compte rien laisser d’autre que les fanfreluches et les rires la revêtir cette fois-ci.
De miel et de joie.
« Tu ne m’avais pas dit, » Le reproche perle dans un des regards qui la prend à part. «
Dire quoi ? » Le silence est éloquent. « Je pensais que nous y allions toutes ensembles. » L’idée l’irrite et une moue s’accroche aux lèvres. En vérité, elle aurait préféré mais c’est une question de prestige « Au lieu de ça, tu vas avec un garçon dont tu ne m’as jamais parlé. » Daisy gigote, fort embêtée. «
J’ai peut-être un peu exagéré. Il ne le sait pas, il m’a juste dit que j’étais chou et qu’il me verrait volontiers au bal. Franchement c'est tout comme. » « Daisy ! Ça n’a rien à voir ! » Rho toute ses règles ! Elle fronce le nez en serrant ses livres contre elle. «
C’est un tout petit mensonge et personne n’y verra rien. Et je suis certaine qu'il va fondre en me voyant comme de la barbe à papa dans un verre de jus de citrouille. Puis, tu as vu comment cette morveuse de Cindy était jalouse, ça lui apprendra. » « Un jour Daisy, il va t’arriver des bricoles tu sais. » Le bras glisse sous celui de son amie, le sourire mutin en étendard pétillant. «
Un jour, peut-être… »
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Rentrée 2027« Maxwell fait encore le pitre. N'empêche qu'il est poursuiveur et préfet cette année ! La classe. » Des rires fuses plus loin et Daisy penche son visage, regard acéré. Elle cille lentement sous la remarque. Elle a des souvenirs qui lui zèbre la mémoire, ses mains sur elle, sa bouche sur lui. Du sang. Elle ne sait même plus à qui il appartenait. (aux deux) Une moue s'installe, contrariée. Elle a été sotte mais lui aussi. Il payera sa faiblesse. Il l'a déjà fait se dit-elle avec satisfaction.
«
Il m’écrit des poèmes. » Elle dit ça comme si c’était là chose toute naturelle et que tout un chacun en faisait autant. «
Ils ne sont pas très raffinés mais enfin, il est pouffsoufle. » La mine entendue, pleine de commisération, elle feuillette à nouveau son magazine, laisse la rumeur enfler. Il faut toujours contrôler la narrative. L'intrépide préfet bronze et noir a bien laissé courir des horreurs sur elle fût un temps mais entre le coureur de jupons qu'il est et elle, ça n'a pas été compliqué de le faire passer pour un prétendant éconduit qui se venge par mesquinerie.
Comme si dans cette guerre souterraine, il pouvait l'emporter...
A vrai dire, le sommeil la gagne mais elle se force à garder bonne mine. Si seulement elle n'avait pas à se lever plus tôt que tout le monde pour recourber un à un ses longs cils, les ganter de noir et se donner cet air de poupée. Elle ne revendique pourtant pas une beauté à couper le souffle ou apte à propager des guerres mais elle doit œuvrer en ce sens,
toujours. Le pouvoir ne réside pourtant pas dans l’harmonie et ne l’a jamais fait – elle le sait bien. Ce qui attire, ce qui heurte et immobilise, c’est le sentiment de rupture. La fin de ce que l’on pense posséder, contrôler attire irrémédiablement . Il y a de l’éphémère aussi dans le désir, des vêtements qui parlent à la place des corps, des couleurs qui fuitent sur les visages suavement fardés d’artifices et de mensonges.
Daisy peut séduire, elle connait les autres et leurs envies hypocrites, parvient à leur murmurer d'effroyables contes à faire trembler leurs cœurs. Jolie, mignonne, redoutable, on lui attribue myriade d’adjectifs tous plus pertinent les uns que les autres ; mais c'est là toute l'ironie: rien n'est vrai.
Absolument rien.**
Octobre 2027Le reflet est immaculée. Elle est
parfaite. L'illusion prend et c'est tout ce qu'elle est. De l'autre côté du miroir, Daisy retrouve cette sensation familière, celle de ces heures interminables passées seule dans des salons âpres quand elle avait huit ans, l'écho ardent de ses déserts affectifs. Ses mensonges sont désormais si grands et si constants qu'ils ressemblent à des sables mouvants dont elle ne peut se dépêtrer.
Elle ne s'est pas perdue à Poudlard, non, juste enfoncée.
Peu importe. Elle trouvera une solution.
Omnia mutantur, Nihil interit. Tout change, rien ne périt.