ft. C. Junior d’Archambault et le reste de l’équipe

La nuit avait été compliquée et le visage livide qui me faisait face dans le reflet du miroir le laissait voir sans le moindre mal. Il y avait bien des semaines que je n’avais pas été assailli à ce point par mes cauchemars… Les dernières lettres échangées, tant avec mes parents qu’avec Erin, n’y étaient sûrement pas pour rien. Ce qui se profilait — et ce quoi je refusais toujours de mettre des mots malgré tout ceux que ma mère y jetait à ma place — m’effrayait littéralement. Je crois que je n’étais prêt à rien et encore moins à quitter les jupons rassurants de l’adolescence, et que j’y étais encore moins prêt maintenant que ça semblait si réel. Je m’étais toujours prétendu capable de suivre les désirs parentaux avec une indifférence négligée mais force était de constater que c’était un mensonge éhonté. Je voulais revenir des années en arrière, me draper d’une insouciance qui n’existait plus et fermer les yeux sur cet avenir aux portes duquel nous nous tenions déjà. Je passai une main dans mes cheveux, considérant ça comme un effort suffisant pour le rendez-vous qui m’attendait de si bonne heure, et quittai le dortoir non sans un regard pour la silhouette de Thaddeus encore à moitié ensevelie sous les couvertures. La nuit avait sûrement été difficile pour lui aussi à en croire les interrogations pâteuses qu’il avait risquées entre nos deux lits… comme avant. Je pris la peine de refermer la porte sans la claquer et m’éclipsai sans plus tarder.

Une main dans la poche, l’autre tenant mon balai en pianotant discrètement sur le manche, pris dans les jeux du vent qui soufflait d’un bout à l’autre du parc, je regrettai de ne pas avoir mis quatorze heures pour les entraînements matinaux dans le contrat qui me liait désormais à la vermine. D’aucuns penseraient sûrement c’était inutile, moi, j’y voyais au contraire la certitude qu’elle ne pourrait pas me faire de crasse. Elle me détestait sûrement au moins autant que je la méprisais et il me semblait évident que, si elle en avait eu l’occasion, elle n’aurait pas hésité une seule seconde à se débarrasser de moi au risque de sacrifier sa si belle équipe. Il fallait bien dire que je ne m’abaisserais pas à lui cirer les bottes comme pouvait bien le faire Carla… Peut-être que Caleb le faisait aussi, je n’en savais rien…? et elle le savait très bien. Revenir jouer en leur compagnie après l’an dernier était ce que je pouvais faire de mieux les concernant et il me semblait même par moment que c’était déjà beaucoup trop. Sans surprise, mes coéquipiers étaient déjà sur le terrain à mon arrivée. Je me fendis d’un « bonjour » épuisé et étouffai un bâillement en guise de salutations avant d’abandonner ma monture à mes pieds en réprimant un frisson. J’aurais été mieux au fond de mon lit, c’était une évidence ! Notre merveilleuse capitaine entama presque aussitôt son laïus. On commencerait par affronter les Serdaigle, bla-bla-bla… La chanson était la même depuis au moins trois ans, je commençais à la connaître !

— Les poursuiveurs ne se connaissent pas alors que vous deux avez l'habitude de jouer ensemble.

Hmm… Moui… Nous avions l’habitude de nous entraîner à trois, ce qui changeait largement la donne. Ça n’était pas du tout la même dynamique en duo. Et, même si elle avait tendance à l’oublier nous n’avions jamais vraiment fait équipe durant un match l’an dernier. Elle m’avait remplacé au premier, nous avions joué sans elle au second et le troisième… n’avait pas vraiment été l’idée même d’un jeu d’équipe. Nous repartions pas de zéro, c’était un fait, mais il y aurait tout de même beaucoup à faire. Tous les schémas du monde pouvaient démontrer le contraire, je n’y croyais pas vraiment. J’aurais sûrement eu moins de mal à jouer avec Caleb, en réalité. Nous étions sûrement plus amis que je ne l’étais avec Carla et si nous ne pouvions pas vraiment dire que notre relation était basée sur la confiance, il y en avait sûrement davantage malgré tout. Mais bon, ça n’était pas moi qui prenais les décisions, je ne faisais que les appliquer…

— Carla a émis le souhait de travailler ses passes longues. Junior, tu l'aideras à progresser sur ce point - si cela te convient - et cela vous permettra de bosser la confiance et la communication entre vous.

Mon regard glissa sur ma coéquipière, pas forcément moqueur mais un brin surpris malgré tout. Ainsi elle avait vraiment fait part de faiblesses potentielles à sa chère Skyler ? Je n’osais même pas imaginer les échanges qu’elles avaient, sûrement d’un laxisme et d’une stupidité à en faire vomir plus d’un — moi le premier. La suite, en revanche, eut le mérite de m’arracher un peu à la somnolence qui me berçait depuis mon réveil.

— Va pour des passes longues, acquiesçai-je dans un haussement d’épaules absent.

Ça n’était pas comme si mon avis comptait, de toute façon, et même sa sollicitude hypocrite ne suffisait pas à m’envelopper d’illusions. Si ça ne me convenait pas, nous ferions exactement la même chose puisque c’était elle qui avait les rênes et que nous n’étions là que pour nous exécuter. Elle termina par quelques directives à l’attention de Caleb que je ne pris pas vraiment la peine d’écouter.

— Des questions avant de commencer ?

Je secouai machinalement la tête avant de récupérer le souafle et de prendre de la hauteur, la tête plus dans le brouillard que je ne voulais bien l’avouer. Ce premier entraînement n’avait même pas commencé que j’en avais déjà assez et priais pour qu’il se termine au plus vite. Il serait trop tard pour retourner me coucher mais, avec un peu de chance, Erin serait sensible à mes supplications et accepterait de flemmarder avec moi tout l’après-midi…

ft. C. Junior d’Archambault et le reste de l’équipe

Les instructions avaient été données avec un je ne sais quoi d’hypocrisie qui, à mon sens, allait à merveille à notre chère capitaine. Il fallait bien reconnaître qu’elle avait au moins le mérite de s’écraser et de rester presque à sa place. Bien sûr, jamais une impure n’avait dû avoir l’opportunité de diriger quoi que ce soit dans notre monde mais j’aimais à croire que ça n’était pas notre nouveau directeur qui avait fait lui-même ce choix-là… Peut-être avait-ce été envisagé par Appleton et qu’il avait été plus simple de garder cette configuration-là plutôt que d’avoir le Ministère et les associations de parents d’élèves sur le dos avant même que l’année ne commence vraiment… Mais tout de même, c’était une honte pour notre chère école. Moins pire que Caldwell, cela dit… pour l’instant en tout cas. Mais lui atteignait des sommets, c’était encore autre chose. Notre accord obtenu plus pour s’assurer que nous ne la lâcherions pas plus que par réelle envie de faire quelque chose qui nous allait à tous — sincèrement, elle était sans nul doute la fille la plus prétentieuse de cette école, il était évident qu’elle se fichait bien de nous satisfaire, la seule chose qu’elle pouvait bien vouloir était de se sentir investie de cette mission divine sans que rien ni personne ne vienne lui mettre des bâtons dans les roues — chacun se mit en place pour commencer l’entraînement… Ma motivation était absente, j’avais juste envie de retrouver mon lit et mon chat, terminer ma nuit en comatant dans un coin… Mais j’avais assuré ne pas faire faux bond à cette délicieuse équipe, aussi restai-je là bien docilement, prêt à faire de mon mieux… ou du moins quelque chose de potable. Mais avant même qu’on ait pu s’envoler et commencer les échanges, une voix s’éleva de l’autre bout du terrain :

— Attendez !

Mon regard tourna machinalement dans la direction de l’importune. Une gamine, bras levés, se dirigeait droit sur nous, avec l’air exagérément important de celui qui se croit tout permis tout en sachant qu’il n’a rien à faire là. Si je ne me souvenais plus de son nom, il me semblait que c’était celle qui parlait à tous les fantômes du coin… ce qui suffit à éveiller ma curiosité. Oh, non pas que sa présence m’intéressait outre mesure, loin de là, mais ça m’intéressait de voir comment Mills allait gérer la situation avec quelqu’un d’aussi perché qu’elle devait l’être. Parce que, qu’on se le dise, Carla, Caleb et moi n’étions pas vraiment des cas problématiques. Tant qu’elle ne cherchait pas les ennuis, nous savions nous tenir correctement et respecter son « autorité »… C’était un bien grand mot mais peu importe… Alors que cette fille-là… Qui savait ?

— Je voudrais essayer. Je sais qu’il reste une place. Et je vais vite, super vite. Juré.

Je reposai mon balai et croisai les bras sur mon torse, les yeux allant de notre capitaine à la nouvelle venue. En soi, il restait une place, c’était un fait… Mais quelque chose dans son attitude, prétentieuse et provocatrice, me laissait espérer qu’elle se ferait envoyer sur les roses.

— J’peux ?

Le visage de Mills me parut changer de couleur. Cet entraînement semblait tout à coup valoir le détour.

— Tu te prends pour qui ? De quel droit tu te pointes ici et tu me demandes à moi, la capitaine, d'attendre ?

Ah ! Il n’avait fallu qu’une petite fille pour qu’elle monte ainsi sur ses grands chevaux ? Certes, elle n’avait pas fait preuve d’une très grande politesse mais il fallait garder les pieds sur Terre. Ce n’était qu’un poste de capitaine, pas celui d’Impératrice de l’école. En soi, on pouvait très bien lui demander d’attendre sans que ça ne constitue un crime de lèse-majesté ou pire encore… Mais j’étais content de voir son vrai visage, loin des questions mielleuses qu’elle nous avait adressées, à nous. Sûrement qu’elle se serait comportée exactement de la même manière si elle n’avait pas eu conscience que, toute capitaine qu’elle était, elle n’était rien sans ses joueurs.

— Les sélections, c'était y'a trois semaines. Donc non, tu n'peux pas.

Je m’attendais à ce que ça en reste là, que la gamine reparte en boudant aussi rapidement qu’elle était arrivée et qu’on puisse enfin s’entraîner… Qu’elle parlemente deux minutes, à la limite, avant de comprendre que ça ne servait à rien… Mais elle n’en eut pas le temps que la Toute Puissante Capitaine reprenait déjà, avançant vers elle comme un prédateur sur sa proie. Sûrement qu’elle devait être heureuse d’avoir l’impression d’avoir l’ascendance sur quelqu’un, fut-ce une môme de douze ou treize ans tout au plus. Le sang-de-bourbe était quand même un animal aux réactions fascinantes… Ce fut là-dessus qu’elle sembla se souvenir de notre existence.

— Eux sont ici parce qu'ils ont accepté de se plier aux sélections. Ils auraient pu s'en passer : ce sont des très bons joueurs qui étaient déjà dans l'équipe l'an dernier. Mais ils l'ont fait, pour l’équité.

Qu’elle continue à chanter nos louanges, c’était toujours plaisant même si sa salive pleine de microbes rendait les compliments un brin plus amers. Et, en toute objectivité, je l’avais fait parce que Carla était venue me chercher et que tous m’avaient brossé dans le sens du poil… Parce que l’équité, tout le monde savait que ça n’était pas et n’avait jamais vraiment été ma priorité. L’ombre d’un sourire dubitatif étira imperceptiblement mes lèvres. J’avais l’impression d’être au spectacle, ce matin, je ne regrettais presque plus d’avoir eu à m’arracher à la douce étreinte de ma couette.

— Tu crois qu'il reste une place vacante parce qu'on manque de joueurs ? Il reste une place vacante parce que je n'ai pris que les meilleurs !

Ouuuuh, le vilain mensonge ! D’accord, elle n’avait pris que les meilleurs… mais vu la nullité des manchots qui avaient participé aux sélections, ça ne voulait pas dire grand chose. N’importe qui en mesure de tenir sur son balai et d’attraper une baballe était forcément meilleur… Si elle était parfaitement honnête, elle admettrait au moins qu’il restait une place parce qu’elle manquait de joueurs capables de jouer. Que nous soyons tous les trois de bons joueurs n’y changeaient rien. La distance entre Mills et sa nouvelle ennemie n°1 — j’étais déçu, j’avais espéré garder ce privilège au sein même de notre équipe — assassinée, celle-ci semblait à deux doigts de lui sauter à la gorge. Le Quidditch était un sport violent avant même qu’on n’ait à monter sur nos balais, maintenant, personne n’avait pris la peine de me prévenir ! Les nerfs lâchèrent et le ton monta brusquement :

— Mais toi, t'es au dessus de ça, pas vrai ? Tu crois qu'il te suffit de venir parce que t'as un trou dans ton planning et que t'as envie de te divertir. Tu crois que je n'ai pas passé des nuits entières à adapter ma stratégie à cette configuration d'équipe. T'es qui pour venir cracher sur mon travail comme ça ?!

J’avais beau être passé maître dans l’art de dramatiser et d’exagérer à la moindre occasion, je trouvais qu’elle en faisait un peu trop, tout de même. Un peu de retenue ! Personne n’avait craché sur rien du tout. C’était juste une fille qui demandait si elle pouvait montrer qu’elle savait jouer. D’accord, un « désolée d’arriver seulement maintenant » et un « s’il te plaît » auraient été les bienvenus mais ça ne voulait pas dire pour autant qu’elle trouvait qu’elle était la pire capitaine de l’histoire ou qu’elle voulait qu’elle change absolument tout pour ses beaux yeux. Elle savait qu’on était pas au complet, elle avait voulu tenter sa chance, quel était le mal à ça ? J’étais après le premier match, il y avait deux ans maintenant, parce que des joueurs avaient abandonné et que j’y avais vu un bon moyen tant de me faire bien voir auprès de l’affreuse direction qui était en poste alors que de profiter de la petit gloire — qui m’avait rapidement lassé — que nous offrait les équipes et personne ne me l’avait jamais reproché. Au contraire, je pense que l’équipe en place avait eu conscience que mon arrivée était presque providentielle quand bien même ils ne devaient pas être particulièrement ravis de me voir. C’était à peu près la même chose avec elle. En un peu plus embêtant peut-être parce qu’en soi, nous pouvions quand même jouer à quatre.

— T'sais quoi ? Puisque apparemment je n'ai aucune légitimité à tes yeux, on a qu'à les laisser choisir. Débrouille toi.

Sur quoi elle recule et va bouder comme une enfant capricieuse. Non mais… vraiment ? La maturité ne faisait pas partie des qualités requises pour le poste ? C’était dommage, ça pouvait servir ! Mon regard interrogea machinalement mes coéquipiers. D’un côté, sûrement que nous devrions soutenir Mills, question de principe… D’un autre… Sérieusement ? Elle nous fait une crise parce quelqu’un veut tenter sa chance ? Je lâchai un soupir et haussai les épaules.

— Peu importe les raisons, il nous reste une place. Ce qui n’est pas le cas en face, rappelai-je à notre capitaine en tournant la tête dans sa direction. Alors oui, peut-être que la communication est plus aisée entre Carla et moi qu’elle ne peut l’être entre les nouveaux de Serdaigle, mais on aura du mal à avancer, à deux, on n’arrivera pas à se démarquer, ils pourront toujours avoir un coup d’avance sur nous, et ce malgré toutes les stratégies que tu pourrais envisager.

Je n’étais pas revenu pour me faire balader par un troupeau de volailles drapées de bleu…

— Qu’est-ce que ça nous coûte de la laisser nous montrer ce qu’elle vaut ? Si elle ne sait pas jouer, on en reste là. Si elle se révèle à la hauteur, ça nous évitera un handicap au prochain match. Et puis, ça garderait l’équité qui est si chère à notre équipe. Elle gagnerait sa place au mérite, comme nous. C’est dans notre intérêt de la laisser faire.

Je jetai à peine un regard à la blonde, pas certain qu’elle vaille grand chose sur un balai… Mais dans le pire des cas, ça nous ferait perdre dix minutes… et le peu de cohésion qu’il nous restait encore si Mills avait envie de me faire retomber la faute dessus… mais qu’importe. Je finis néanmoins par reporter mon attention sur ma capitaine.

— Par contre, je crains qu’il ne soit pas particulièrement bien venu de nous imposer les risques liés à ta consommation de tabac… sans parler de tes performances qui pourraient en pâtir… Au cas où tu l’aurais oublié, nous n’avons aucun batteur de secours.

Ma voix resta posée, presque douce, comme si je parlais pour elle plus que pour moi — alors qu'elle pouvait bien ruiner sa santé si ça lui faisait plaisir, je m'en fichais éperdument — qu'importe si elle se parait de sous-tons moralisateurs au possible. Après tout, elle se comportait comme une enfant, c'était la moindre des choses que de la traiter comme telle, non…?