Je ne faisais pas la fière et c’était peu dire. Parfois, j’avais même l’impression d’avoir fait une grosse erreur, le genre d’erreur qu’on regrette toute sa vie. Le grand-père de Finnbjörn à la tête de l’école ne pouvait annoncer que de futurs problèmes, en particulier pour moi, qui en plus d’être née-moldue, en plus d’avoir voulu m’en prendre au secret magique et aux sangs-purs et de le vouloir encore, avait tout simplement frappé Finnbjörn. Et pourtant, malgré ce doute lancinant, je ne pouvais pas m’arrêter. Pas maintenant, pas après m’être mise plus de la moitié de l’école à dos, pas après avoir de toute façon foutu ma vie en l’air.
Ce combat était ma raison d’être, de manière complètement obtuse, étrange, folle peut-être mais je n’avais l’impression d’exister et de faire exister la mémoire de mon frère, le souvenir de ce que m’avait appris mon père, qu’à travers cette haine qui m’habitait. J’étais butée, c’était ma plus grande qualité et mon plus grave défaut. Je n’avais visiblement pas un instinct de survie très développé non plus, pas conscience des limites entre le courage et la folie. J’avais treize ans et je me sentais investie d’une mission qui me coupait de tous. Et quand on mène un tel combat, il faut des renseignements, cela peut éviter quelques bêtises, parfois… Et Maxwell m’avait justement promis des informations sur Caleb, informations dont je n’avais jamais vu la couleur. Il était à Durmstrang pour l’été, comme moi et j’étais déterminée à ce qui ne parte pas sans m’avoir donné ce qu’il m’avait promis. Je l’avais entendu dire qu’il irait sans doute explorer le bateau sur le lac dans la journée donc j’avais pris ma résolution : dès qu’il serait à bord, et un minimum seul, j’irai lui parler, lui rappeler notre contrat qui valait bien plus que les mornilles du premier.
Donc j’étais depuis peut-être une heure postée à quelque distance de ce fameux bateau quand je vis une silhouette masculine s’approcher. De loin, je ne pouvais savoir qui c’était mais j’étais trop obnubilée pour imaginer que cela puisse être quelqu’un d’autre que Maxwell. Et puis, j’avais toujours eu une vue un peu faiblarde, même si je n’avais jamais voulu porter des lunettes car je trouvais l’accessoire affreux. Et puis ce n’était pas si gênant…
Dans tous les cas, lunettes ou pas, j’étais convaincue que c’était Maxwell parce que je voulais l’être et je n’avais pas vraiment décidé de réfléchir. Donc sans hésiter, sans lui laisser le temps de redescendre du navire, je montais rapidement à mon tour. Il était à contre-jour et j’étais trop concentrée sur ma respiration sifflante – je n’avais jamais aimé le sport – pour me préoccuper plus précisément du fait qu’un garçon d’environ 17 ans n’était pas forcément synonyme de Maxwell. Surtout, je ne voulais pas qu’il parte avant que je lui ai parlé…
« Salut, comment tu v… »
Sauf que je venais de lever la tête et ce n’était clairement pas Maxwell qui se tenait devant moi. Dans d’autres circonstances, j’aurais murmuré un « désolée, je t’ai confondu avec quelqu’un d’autre » et je serais partie. Mais là, j’étais devant Finnbjörn et même si je n’en menais pas large, je ne voulais pas lui donner le plaisir de me voir fuir. J’étais en mauvaise posture, mais je ne voulais pas être lâche. Alors je le toisais, sans savoir ce qui allait se passer, essayant de masquer la crainte dans mon regard.

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A veiled mist

Zeynep & Finnbjörn se confrontent à nouveau

Les doigts pianotant sur la balustrade, je me promène à travers le vaisseau, avec la fierté du capitaine. Enorgueilli par l’uniforme de Durmstrang, le charme nordique et la prestance qu’il me procure, je me tiens droit, le dos raide, face à cette étendue d’eau que je domine superbement. Je me plais même à faire claquer le talon de ma botte contre le planche, le coup retentissant comme un écho à travers la coque… Quelle ivresse. Dommage qu’il ne puisse quitter le rivage, je me serais volontiers imaginé derrière le gouvernail, mes sœurs à mes côtés, naviguant paisiblement sur le lac comme de fiers conquérants marins. Le vent s’infiltre dans mes cheveux, et les fait s’agiter, tandis que je réajuste la fourrure autour de mon épaule. Mais derrière moi, j’entends une voix qui suspend ma rêverie ; mes songes s’interrompent, et je me retourne lentement… vers une silhouette qui ne m’est pas inconnue, et que je ne m’attendais pas spécialement à croiser ici. Son initiative me surprend d’autant plus… Décidément, le temps ne l’a pas rendue moins entêtée, ni moins indisciplinée. « Zeynep Özdemirrr. Ça parrr exemple, quelle surrrprrrise. » déclaré-je, mes yeux posés sur elle, la fixant avec une insistance non dissimulée. L’audace avec laquelle elle soutient mon regard m’a toujours profondément agacé : pour une née-moldue, elle se permet sans rougir une quantité de choses qui lui sont naturellement interdites, et ce en niant les différences biologiques qui nous opposent. Et par exemple, elle se permet en ce moment précis d’oser me déranger dans un moment de méditation. Je croise les bras sur mon torse, et incline la tête dans sa direction… « Es-tu venue pourrr m’asséner un nouveau coup dans le bras… ? » lui demandé-je, levant un sourcil interrogateur. Après tout, la dernière fois que nous nous sommes croisés, elle avait profité de ma vulnérabilité pour me frapper, et je l’avais copieusement insultée. Je me fiche parfaitement que la disparition de son frère l’ait affectée au point qu’elle en perde la raison, et tout sens des réalités. Je me fiche qu’elle soit si pathétique qu’elle puisse se débrouiller pour attirer la sympathie des professeurs, ou de Dmitri Van Aken. Dans une société parfaite, qu’une insignifiante petite née moldue ait osé s’en prendre à quelqu’un de mon rang aurait été un véritable fait divers… Elle outrepasserait déjà ses droits en osant s’adresser à moi sans baisser les yeux ! Mais le relâchement des mœurs est tel, qu’une action aussi choquante peut passer inaperçue. Mais il est aisé de le lire dans nos regards : aucun de nous n’a oublié.

code by bat'phanie

Cette fois-ci, je n’avais pas fait exprès. J’avais tout fait pour l’éviter, ce qui n’était pas très compliqué, il ne cherchait pas non plus ma présence. On pouvait me reprocher beaucoup de choses mais aujourd’hui je n’étais pas coupable et je n’avais rien à me reprocher. C’était une méprise, une simple méprise, imputable à mon impatience de croiser Maxwell. Je ne voulais rien de mal à Finnbjörn – enfin si, mais pas plus que d’habitude. Mais que pouvais-je faire ? Lui dire « non pas du tout, je n’ai pas prévu de te frapper » et partir ? Lui assurer que je ne voulais pas le frapper – enfin, si mais que c’était pas dans mes plans immédiats ? Mon instinct de survie me conseillait une fuite de ce genre. Mais tout mon être se rebellait contre cette perspective. Lui était tout à fait sûr de lui, il se sentait à sa place, des ailes avaient dû lui pousser depuis la nomination de son grand-père. Il tenait à montrer sa supériorité et je ne voulais pas m’aplatir face à cela.
Et d’un autre côté, je n’allais peut-être pas lui répondre narquoisement « pourquoi me contenter du bras ? »… Je tenais un minimum à ma vie, parfois. En fait, j’avais d’autres projets que de mourir bêtement là, maintenant. Nous étions en Norvège, mon frère y était passé, je devais le retrouver, ou retrouver des indices. Et ma mort ferait trop plaisir à un certain nombre de sangs-purs pour que je la brade. Donc la provocation ouverte était exclue, les plates excuses aussi. C’était compliqué, je restais interdite, muette, je ne savais pas quoi dire.
De longues secondes s’écoulèrent ainsi, je le fixais sans dire un mot. Plus je réfléchissais, moins je trouvais. Ça en devenait ridicule, une marque de faiblesse de ma part. Et en même temps, n’étais-je pas faible ? Outre mon orgueil, n’avais-je pas toutes les raisons de fuir ? Mais ça en devenait ridicule, je le fixais, il me fixais, je ne savais pas quoi dire, j’hésitais et plus j'hésitais, plus il me semblait sûr de lui…
« Je n’ai rien à me reprocher. »
Les mots étaient sortis tout seul et moi-même je ne savais pas ce que je voulais dire par là, je ne savais pas si je parlais de la situation présente ou de tout le reste, si je le défiais ou restais sur la défensive. Je voulais paraître sûre de moi mais toute mon attitude contredisait cette volonté.

Les mimiques de Finnbjörn étaient sans équivoque et parfaitement compréhensible : il doutait de mon innocence. Plus que cela : il était convaincu de ma culpabilité. Je ne pouvais pas seulement me rassurer, me dire qu’à ses yeux les nés-moldus sont toujours coupables. Je savais, qu’à ses yeux, plus que tout autre, j’avais tout à me reprocher. Cela avait commencé dès notre première altercation, je le savais parfaitement. Au bal de Noël de ma première année, je l’avais provoqué, lui, sa sœur et Junior. J’avais fui ce jour-là à la première occasion mais je n’avais pas oublié et lui non plus. Cela avait continué, mes menaces de détruire le secret magique était un affront de plus, qu’il avait pu prendre personnellement, c’était lui qui me l’avait suggéré, m’indiquant dans un souffle que c’était le seul moyen de mettre fin à leurs exactions, sans m’en penser capable. Et puis, j’avais franchi un cap, m’en prenant physiquement à lui, ce qu’il me reprochait maintenant. Oui, je l’avais frappé et sur le moment, j’en avais été fière, d’une fierté malsaine de celle à qui l’on explique à longueur de journée qu’elle est inférieure et qui prend sa revanche. Finnbjörn était devenu pour moi l’incarnation des sangs-purs et quand je prononçais ce terme c’était son visage arrogant qui s’imposait à mon esprit. Aujourd’hui encore, il affichait clairement son mépris, tandis que j’assumais mes paroles. Je n’étais pas responsable. Tous mes actes n’étaient qu’une réponse légitime à son mépris.
Trois mois avant, je lui aurais sans doute craché cela à la figure, en miroir de ses adresses qui se voulaient supérieures. Aveuglée par haine, inconsciente du danger, je l’aurais ouvertement défié. Mais quelque chose avait changé. Était-ce un brin de sagesse qui ressurgissait ? Sørensen dirigeait Poudlard et j’avais tout à craindre. Je pouvais espérer me rassurer, le ministère n’était pas tombé aux mains des sangs-purs. Mais tandis que je fixais Finnbjörn, une douleur sourde étreignait mes entrailles. Les réminiscences lointaines d’un cauchemar par bribes dans ma mémoire, un cauchemar où sa sœur était mon bourreau, un cauchemar où j’implorais qu’elle me tue. Ce n’était pas réel, pas encore, mais cela pouvait le devenir. Il était temps de le dire : j’avais peur. Finnbjörn ne m’avait rien fait, il gardait même une certaine distance mais son regard froid, ses gestes calculés, ce que je lisais dans son regard… tout cela m’inspirait une crainte qui remplaçait peu à peu dans mes yeux l’air de défi que je tentais d’arborer. Cela se joua en une fraction de secondes mais je savais que ma peur deviendrait vite palpable, que je l’exprime ou non.
Sa question ne fit que renforcer mon trouble. Je ne voulais pas savoir ce qui pourrait m’attendre et en même temps imaginer était la pire des tortures. Je n’avais rien connu, je n’avais rien vécu, je n’avais eu que des bribes de ce que signifiait un pouvoir extrémiste. Blackman, aux yeux de beaucoup, semblait presque une histoire lointaine, une histoire dont je ne savais quasiment rien. Je n’avais rien vécu et je l’imaginais malgré cela tout changer, m’attaquer aux plus puissants, seule, sans soutien.
« N.. non… »
L’hésitation dans ma voix était pathétique, je le sentais et même temps elle était tellement plus normale que ce défi perpétuel que je voulais faire de ma vie. J’avais 13 ans, je m’attaquais au monde entier et je voulais faire croire sans succès que je n’avais pas peur… Je ne savais pas si ma dénégation était une réponse à l’interrogation de mon interlocuteur ou si c’était la crainte de la suite, la crainte de savoir et de le vivre.
« Mais je suppose que tu vas te faire un plaisir de me le dire. »
Ultime soubresaut d’une fierté moribonde, ultime défi à celui qui incarnait l’objet de ma haine. J’allais le regretter, j’en étais sûre. Je le paierais comme j’allais payer tout le reste. Mais contrairement à mon cauchemar, cette fois-ci je ne voulais pas supplier. Je subirais la tête haute. Du moins c’était ce que j’espérais, c’était ce que je voulais croire alors que je sentais déjà la peur reprendre le dessus, alors que je sentais presque le regret de mes paroles s’emparer de mon être.