Les sanglots de la révolution (Zeynep & Dmitri)

Les sanglots de la révolution
‟ Zeynep & Dmitri „

Il avait manqué de s’étrangler avec sa tartine en voyant le contenu de la lettre de Zeynep. Un courrier qui ne lui était pas particulièrement adressé. À en croire l’esclandre qu’il avait suscité, tous les élèves de Poudlard étaient au courant. Et combien de temps avant que l’information ne remonte aux oreilles des enseignants ? Le regard du garçon se déporta quelques secondes vers la table des professeurs. Nul doute qu’ils allaient, un moment où l’autre, apprendre la nouvelle. C’était un pari risqué qu’elle venait de faire.

Abolir le secret magique ? Une absurdité, bien sûr. Et pourtant, le contenu du message de la poufsouffle ne cessait de lui trotter en tête depuis qu’il l’avait lu. Colin le fustigeait depuis le premier jour, et les propos de cette sorcière, rencontrée dans la librairie londonienne, semblaient faire écho aux aspirations révoltées de la deuxième année.

Dmitri n’était assurément pas un révolutionnaire. Il laissait ce rôle aux gens comme Jazzlyn. Mais il ne pouvait toutefois s’empêcher d’être attiré par les propos de sa camarade. Il avait besoin d’en savoir plus. Il voulait entendre autre chose que les sermons de son grand-oncle et, sans réellement savoir pourquoi, il avait finalement envoyé un hibou à Zeynep. Il pensait qu’elle ne lui répondrait jamais, mais contre toute attente, elle l’avait fait. C’est pourquoi il se retrouvait à grimper les marches menant à la volière.

La neige recouvrait les dalles de pierres, menaçant quiconque essaierait de s’y aventurer trop vite de faire une malencontreuse chute. Il aurait pu choisir un lieu plus accueillant, une pièce chauffée du château où ils pourraient, si toutefois elle acceptait son rendez-vous, discuter sans risquer d’attraper un coup de froid. Mais en cette période hivernale, les pièces chauffées étaient rares et bondées. Les couloirs n’étaient guère plus accueillants ; trop de tableaux, trop d’oreilles indiscrètes.

Le tchèque atteignit finalement le sommet, pénétrant dans la volière ; elle était légèrement plus abritée du vent que le chemin qui y menait, et le sol n’était parsemé que de quelques flocons épars. Il n’y avait, comme il l’escomptait, personne sur place. Levant le bras en sifflant, pour appeler son hibou blanc et brun, il laissa Érasme se poser sur la manche de sa veste et glissa distraitement quelques friandises dans son bec. Si quelqu’un le voyait, il ne verrait qu’un élève prenant soin de son animal de compagnie. Avec les évènements derniers, être vu en présence de Zeynep risquait de bien trop d’attirer l’attention : tous le monde ne parlait plus que de ça, elle avait presque réussi à éclipser le sujet de l’empoisonnement du ministre et de la révolution contre l’interdiction d’utiliser la magie en dehors des salles prévues à cet effet.

Il était arrivé avec plusieurs minutes d’avances sur l’heure qu’il avait indiquée à la poufsouffle au cas où elle accepterait de le rejoindre. Il alla s’accouder à l’une des rambardes, Érasme vacillant désormais sur son épaule comme s’il était un perchoir. Au bout de quelques minutes passées seul, il entendit un crissement sur sa droite ; des bruits de pas dans la fine couche de neige annonçait la venue d’une autre personne. Dmitri se redressa légèrement, chassant d’un geste prudent l’animal pour qu’il aille se poser sur son véritable perchoir. À l’instant où le hibou décollait en pialant d’indignation, la brune chevelure de la révolutionnaire en herbe se détacha de l’obscurité naissante. « Bonsoir Zeynep » fit-il en fourrant ses mains dans les poches de sa veste rouge sombre. « Je dois t’avouer que je suis presque surpris de te voir. » Depuis leur précédente discussion, dans l’un des couloirs de l’école, ils n’avaient pas beaucoup échangé. Quelques mots tout au plus à l’occasion d’un cours commun. « Avec toute cette histoire, j’imagine qu’il serait malvenu de te demander comment tu vas ? » Combien de messages incendiaires avait-elle reçu ? Peut-être que des enseignants étaient déjà au courant et avaient déjà pris des mesures pour la sanctionner comme il se doit.

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@Zeynep J. Özdemir

Les dernières heures avaient été tendues. Je m’étais levé tôt le matin même pour remettre aux hiboux un courrier pour chacun des élèves. Je n’en avais pas dormi de la nuit et bien des fois, il m’avait fallu le souvenir du visage plein de mépris de Finnbjörn pour tenir le coup, pour monter la tête haute dans la volière, mes liasses de courrier à la main. Je me répétais que c’était sans doute le seul moyen de faire payer les sangs-purs et par là même d’éviter d’autres drames. Je savais que mes opinions concernant le secret magique n’avait rien de conventionnel mais je ne m’attendais pas à un tel déferlement unanime contre mon idée. Le pire était que les mots les plus durs ne venaient pas de Finnbjörn et de ses semblables. Felicia, ma préfète, me parlait de l’honneur de notre maison et Mallory, que je ne connaissais pas, me disait que c’était une idée moisie. Et c’était sans compter les regards obliques dans les couloirs, les murmures qui se taisaient à mon approche. C’était dur mais je savais pourquoi j’avais fait ça et je voulais m’accrocher au peu de réponses pas complètement négatives. Liam d’abord, qui malgré son désaccord, m’assurait de son soutien. Et Dmitri, plus étonnant. Ma dernière vraie discussion avec lui n’avait pas été de tout repos, mais je me devais peut-être de réviser mon jugement. Il ne m’insultait pas aujourd’hui et vu son grand-oncle, ce n’était pas rien. Même, il me proposait que l’on en discute calmement, loin des regards indiscrets. C’était un pari risqué mais j’avais désespérément besoin d’alliés et j’étais prête à tirer un trait sur notre précédente discussion si, l’espace d’un instant, je pouvais me sentir moins isolée.
Dmitri m’avait donné rendez-vous dans la volière et il était en avance. Encore dans les escaliers, je distinguais sa silhouette. Il paraissait parfaitement normal, comme n’importe quel élève venu prendre soin de son hibou. Marche par marche je montais l’escalier que j’avais déjà gravi le matin même, m’approchant de lui. Je devais sembler agitée, peut-être un peu tourmentée. C’était faux de dire que je ne m’étais pas préparé au pire. C’était encore plus faux de dire que la situation ne pouvait pas s’empirer. Et pourtant, entre s’y préparer et le vivre, il y avait souvent une marge.
« Bonsoir Dmitri. Pas autant que moi de ta lettre »
Je n’aurais jamais parié sur sa compréhension et en recevant son hibou, j’avais presque hésité à brûler le papier sans le lire, m’attendant à des insultes que je n’étais pas prête à lire. Pourtant, nul reproche ni dans sa lettre ni dans sa voix. Au contraire, il s’inquiétait de comment j’allais et avait la décence de supposer que cela n’allait pas. J’en restais encore étonnée, n’arrivant qu’à balbutier.
« Merci. »

Les sanglots de la révolution
‟ Zeynep & Dmitri „

Zeynep avait les traits tirés. En d’autres circonstances, l’on aurait pu y interpréter de la fatigue, mais il s’agissait sûrement au moins tout autant de préoccupation que de manque de sommeil. Rien de moins normal compte tenu de son courrier ; elle était bien loin d’un appel à la dissidence comme les « anonymes indignés ». Et elle avait signé de son propre nom. Tous le monde connaissait désormais son existence, à commencer par les sang-purs qu’elle haïssait et qui n’auraient aucun mal à s’en prendre, au moins verbalement, à elle.

Parmi tous ses comparses, Dmitri faisait office de vilain petit canard. Il n’était pourtant pas le premier à s’opposer aux idéaux traditionnalistes, en témoignaient les innombrables familles considérées comme traîtres à leur sang, mais il n’était pas celui qu’elle pouvait le plus prévoir. Lui non plus d’ailleurs ; il ne s’opposait pas en tout point aux siens et à leurs idées. Il était encore trop jeune pour réellement poser un avis politique réfléchi ; non, il voulait simplement se distinguer de ses frères et sœurs, il voulait qu’on le laisse s’intéresser à des choses aussi vulgaires que les fusées ou les avions s’il le souhaitait, et surtout, il ne voulait pas qu’on contrôle ses amitiés au prétexte qu’elles n’étaient pas assez nobles et pures. Il oscillait ainsi entre deux mondes sans savoir auquel il appartenait, sans pouvoir renoncer à l’un pour rejoindre l’autre. Et pourtant, c’était bien là le cœur de l’exhortation de la poufsouffle, quelques mois plus tôt : rompre avec sa famille. « J’imagine... » acquiesça-t-il lorsqu’elle lui confirma ne pas s’attendre à sa lettre.

Il n’oubliait pas qu’elle lui avait avoué que sa propre famille l’avait abandonnée. Il se doutait que cette confidence ne lui avait pas été faite de bon cœur ; tous deux avaient vraisemblablement été chamboulés par leur discussion. Sa missive révolutionnaire était peut-être le fruit de cet abandon et de la disparition de ce garçon qui portait le même nom qu’elle ; l’action d’une jeune fille désespérée, qui n’avait plus rien à perdre. Devait-il se fier à quelqu’un dont les actions revêtaient un caractère presque suicidaire ? S’il écoutait sa raison, il ne l’aurait sans doute jamais recontacté. Ni commentaire insultant, comme d’autres, ni mot encourageant. Elle n’attendait rien de lui, et lui se jetait à pieds joints dans une situation qui le dépassait. Mais qui l’attirait inexorablement. « Merci. » fut sa seule réponse. Elle n’allait évidemment pas bien. Quelle étrange situation que de réaliser qu’il était peut-être l’une des rares personnes à ne pas l’enfoncer encore un peu plus profondément dans son désespoir.

« Désolé pour le lieu de rendez-vous peu... conventionnel. J’ai jugé préférable de trouver un endroit où les tableaux n’écoutent pas et où les rongeurs ne s’aventurent pas, de peur de se faire attaquer par des hiboux. » Il faisait bien entendu référence aux ragots que pouvaient colporter les peintures vivantes, particulièrement celles obéissants à son grand-oncle et qui surveillaient le garçon, et aux employés animagus du ministère. Depuis qu’il avait réalisé que l’inspecteur pouvait se transformer en un petit animal qu’il n’était guère étonnant de croiser dans les couloirs de Poudlard, il se méfiait presque de chaque araignée qui grimpait le long des murs.

Il la regarda quelques instants, ne sachant réellement par où commencer. « Tu crois réellement que c’est le code international du secret magique qui... » Il marqua une courte hésitation. « ...protège les sang-purs ? » Pourquoi, cette fois-ci, n’avait-il pas voulu s’inclure ? Il était inutile de nier son appartenance à ces sang-purs qui, comme elle le prétendait, bénéficiaient de cette protection.

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La volière n’était souvent pas considéré comme l’endroit le plus propice aux rendez-vous. Froide, bruyante, lieu de passage, elle avait tout pour ne pas offrir le calme et la tranquillité à une discussion sérieuse. Pourtant, malgré l’incongruité du lieu de rendez-vous, notre discussion n’avait rien de futile. La volière présentait l’avantage d’un relatif isolement. Paradoxalement, comme c’était un lieu où beaucoup d’élèves passaient, nous étions relativement tranquille. Ensuite nous étions à l’abri de deux types d’oreilles indésirables : les tableaux, grands espions du professeur de potions et accessoirement grand-oncle de mon interlocuteur. Et les rats, qui n’avaient certes pas la capacité de comprendre nos discussions sauf quand ils étaient en fait des inspecteurs animagi transformés. Pour l’instant, nous avions de la chance, l’endroit était désert et nul ne semblait s’aventurer dans les escaliers. Ce fut donc au milieu des hiboux qui voletaient que je murmurais un « merci » reconnaissant, dans les courants d’air que Dmitri m’expliqua sa démarche. Ce fut toujours entre les hululements des chouettes et le souffle du vent que nous entamâmes notre discussion. Dmitri s’interrogeait sur ce que je disais et c’était bien normal. Il avait grandi parmi les sorciers, dans une famille de sangs-purs et cela laissait forcément des traces dont j’avais conclu peut-être hâtivement la dernière fois qu’elles étaient indélébiles. Je restais défiante et guettais chaque détail dans ses propos permettant de penser qu’il penchant vers un camp ou un autre. Je remarquais ainsi qu’il ne s’incluait pas dans les sangs-purs, il n’avait pas dit « nous ». Je ne savais comment l’interpréter, lui qui était si attaché à sa famille. Mais il fallait d’abord que je lui réponde avant d’en savoir plus.
« Oui… Tu te rappelles notre discussion la dernière fois ? »
Cela m’étonnerait qu’il ait oublié. Il devait s’en souvenir autant qu’elle était gravé dans ma mémoire. Je lui avais avoué certaines choses que je n’avais dit qu’à peu de monde et l’avait enjoint de rompre avec les siens. C’était des mots qui ne s’oubliaient pas si facilement.
« Quand je te disais qu’il n’y avait qu’un seul monde… Le secret magique fait une coupure artificielle et cela exacerbe l’extrémisme des sangs-purs. Si on considère qu’il y a deux mondes, c’est logique de ce demander s’il y en a un qui est inférieur… Si au contraire on juge qu’il n’y en a qu’un, les distinctions n’ont plus de sens. »
J’avais l’impression d’avoir parlé longtemps et un instant, j’eus peur de l’avoir ennuyé. Alors je le regardais, espérant une réaction, quelle qu’elle soit.

Les sanglots de la révolution
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Le vent soufflait tout autour d’eux son glacial blizzard et s’engouffrait dans les larges ouvertures de la volière. S’il y avait bien un endroit où il ne faisait pas bon d’être à cette époque de l’année, c’était ici. Le pire lieu à fréquenter par un pareil temps devait être le fond du lac. Mais au moins, ils étaient sûrs de ne pas être dérangés. Puisque le confort n’était pas au rendez-vous, le garçon ne perdit pas plus de temps que nécessaires aux mondanités et attaqua rapidement le vif du sujet. Il lui semblait de toute façon se souvenir que la poufsouffle préférait ce genre d’attitude à celle plus polissée qu’il avait autrefois pu avoir avec elle.

L’aiglon opina du chef à l’évocation de leur précédente discussion. Impossible de l’oublier : elle l’avait chamboulé plus qu’il ne l’aurait pensé, autant pour la révélation qu’elle lui avait faite que pour sa proposition de couper les ponts avec le reste des van Aken.

Après l’avoir laissée avancer ses propos, il laissa un instant le silence s’installer entre eux, comme pour lui offrir le temps de souffler. Cette discussion s’annonçait complexe, tant à cause des circonstances que parce que Dmitri craignait qu’elle se braque ou se fâche à nouveau contre lui. Il n’était pas monté jusqu’ici pour se disputer, mais pour avoir une discussion aussi sereine qu’ils puissent avoir compte tenu du sujet. « Donc pour toi, la seule solution est d’abolir le secret magique... et donc de risquer de connaître à nouveau des conflits ouverts entre sorciers et moldus. Parce qu’il y en a eu, autrefois. » Il parlait d’un ton calme et posé, sans reproche ni jugement. Il réfléchissait à voix haute plus qu’il ne lui répondait réellement, lui partageant toutefois le fruit de ses pensées, non sans une certaine prudence. « Si certains sorciers peuvent se penser supérieur aux moldus, tu ne penses pas que les moldus puissent également se croire inférieur à nous... et que ça crée des dissensions ? »

Un hibou hulula au-dessus d’eux, sinistre intervention de la nature dans une rencontre dont il n’était pas permis de l’imaginer aux abords d’un âtre flamboyant et chaleureux. Comme deux comploteurs, ils fuyaient la civilisation pour être certains de ne pas être écouté. Le tchèque était-il en train de conspirer avec la née-moldue, préparant une attaque contre l’une des plus vieilles institutions sorcières ? Institution qui lui avait toujours été présentée comme étant d’une importance capitale. Il ne désirait à vrai dire ni comploter, ni trahir, mais simplement entendre et comprendre les deux visions. Il appartenait au monde sorcier, mais elle prétendait qu’il n’existait qu’à travers la fiction du secret magique ; si tôt ce code abolit, il n’y aurait plus deux mondes distincts, mais bien un seul. Et dans ce cas-là, qui serait-il ? Elle menaçait le pilier sur lequel son identité avait été bâtie et il venait à elle pour l’entendre clamer oh combien il devait être détruit. N’était-ce pas suicidaire ?

« En ne connaissant pas notre existence, ils ne peuvent pas avoir l’impression de manquer de quelque chose... » Le garçon posa ses yeux azurins sur sa camarade de poufsouffle. Des moldus qui prennent mal l’existence de la magie, elle en connaissait vraisemblablement elle-même. Sinon, comment expliquer que ses parents l’aient abandonnée ? Elle devait savoir bien mieux que lui ce que pouvait ressentir quelqu’un qui n’avait pas de prise sur la magie face à une personne qui en avait.

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Je n’aurais pas cru pouvoir dire cela d’une discussion avec Dmitri, mais j’étais contente de pouvoir débattre posément avec lui. Celui que je considérais jusque là comme un sang-pur un peu hautain se trouvait en réalité être plus compréhensif que bien des nés-moldus. Il n’était pas d’accord, je le savais, il l’avait dit mais il cherchait à comprendre, sans a-priori. Et c’était tout à son honneur de ne pas s’arrêter à ce qu’on lui avait inculqué, à ne pas se limiter à l’éducation rigide d’une famille sang-pure. J’avais sans doute été un peu dure dans mon jugement à notre première rencontre, mais pour ma défense, son nom n’inspirait pas confiance, son attitude non plus.
Il laissa un silence s’installer, sans que cela ne devienne pesant, comme s’il réfléchissait à ses mots suite aux miens. Seuls le souffle du vent et les craquements des oiseaux troublaient cette pause en-dehors du temps, dans une volière exposée au vent, peu accueillante. Si on avait voulu comploter, on n’aurait pas choisi meilleur endroit. Mais ce n’était pas de complot qu’il s’agissait pour l’instant, seulement de débat et d’explication.
« Il y a eu des conflits ouverts oui... »
Je réfléchissais en même temps que je parlais, j’avais abandonné cet air sûr de moi apparent pour me résoudre à livrer mes réflexions à l’état de l’ébauche qu’elles étaient. Je n’ignorais pas que les moldus avaient parfois été responsables de chasse aux sorcières. Je ne le niais pas, je m’étais renseignée sur le sujet, un peu. Je trouvais qu’on en surestimais largement l’importance mais je ne le récusais pas complètement.
« Aujourd’hui, les sorciers complotent et les moldus ne peuvent pas riposter, même pas comprendre ce qui se passe. »
Je ne savais pas ce qui était le mieux au fond. Mais je voulais me dire qu’il était normal de donner au moins les armes de la compréhension du monde aux moldus, à défaut de pouvoir leur mettre une baguette entre les mains.
« Les dissensions existent de fait. Ce n’est pas en faisait comme si tout allait bien qu’on règle la question... »
J’étais un peu moins sûre de moi, repensant à mon père. Au premier abord, sa réaction semblait confirmer les propos de Dmitri. Sur le moment, il avait très mal pris la nouvelle, c’était peu dire. Et pourtant… Et pourtant, je me prenais à rêver d’un monde où il aurait été au courant avant même ma naissance, où la magie n’aurait pas été quelque chose d’étrange, d’inconnu, de potentiellement dangereux. Un monde où certains parents apprendraient l’envoi à Poudlard, comme on apprend son inscription à n’importe quel collège. Un monde où tout le monde cohabiterait… Aujourd’hui c’était une douce utopie, cela ne se ferait pas du jour au lendemain et les premières années seraient sans doute douloureuses pour tout le monde. Mais cela en valait la peine, j’en étais convaincue.
« Certains apprennent l’existence de la magie le jour où on leur prend leur enfant... »
Ici, prendre avait plusieurs sens, puisque dans le cadre de mes parents, les sorciers leur avaient pris les deux : la première en l’élevant, le second en l’enlevant.
« Tu imagines ce que c’est d’apprendre un beau matin que ta fille ne va plus vivre avec toi pour aller dans une école dont tu ne sais rien, avec des inconnus dont tu n’as jamais entendu parlé ? Tu imagines apprendre la disparition de ton fils dans des circonstances inexpliquées ? »
Mon ton n’était pas véhément, en tout cas pas contre lui.

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À les voir ainsi, discutant posément dans l’antre venteuse des hiboux et autres chouettes, il était difficile de croire que quelques mois plus tôt, ils échangeaient quelque animosité au détour d’un couloir. Quelque chose avait changé entre leur première rencontre et maintenant. Était-ce Dmitri qui avait, malgré lui, appris à se montrer moins hautain et susceptible que son ton d’antan, ou Zeynep qui se montrait moins exigeante et méfiante qu’elle ne l’était alors ? À bien des égards, la seconde solution lui paraissait la plus probable : l’aiglon n’avait pas l’impression d’avoir beaucoup changé, pas en la compagnie de la deuxième année en tout cas. Amaïa avait bien distillé en lui une forme d’attitude inédite, plus franche qu’il n’était capable de l’être jusqu’à présent, mais ce changement était circonscrit à elle seule. Personne d’autre n’y avait accédé. Non, la différence venait bien de la poufsouffle : peu soutenu pour ses idées, elle semblait accepter l’intérêt du jeune van Aken en désespoir de cause.

Une fois n’était pas coutume, ils conversaient donc sans que la moindre parcelle de voix ne soit salie par une intonation énervée ou provocante. Une simple conversation sur fond de réflexion. Le tchèque n’aurait sans doute pas dû vouloir se trouver avec elle dans un endroit à l’abri des oreilles indiscrètes : ils ne faisaient rien de mal, alors pourquoi cacher la teneur de leur discussion ? Il n’était à vrai dire pas sûr de lui. Le courrier de son interlocutrice avait éveillé en lui une grande curiosité qui n’allait pas sans son lot de complication : un regard extérieur pourrait croire qu’il adhérait aux idées dangereuses de la née-moldue, ce qui, sans être tout à fait le cas, n’était pas totalement faux. Il n’avait plus les certitudes inculquées par sa famille au sujet du secret magique. Il ne désirait pas pourtant tout balancer d’un revers de la main, mais il voulait des réponses, et compte tenu de son habitude à toujours contredire les idées familiales, ce simple désir de réponse pourrait facilement être interprété comme une guerre ouverte contre le secret magique. Pour une fois, ça n’était pas le cas et il se trouvait dans une position hasardeuse, désirant pour l’heure garder une partie de ses doutes pour lui.

« Aujourd’hui, les sorciers complotent et les moldus ne peuvent pas riposter, même pas comprendre ce qui se passe. » Le garçon hocha pensivement de la tête sans répondre, la laissant poursuivre le fil de ses idées. Celui-ci arriva bien vite sur un terrain autrement plus glissant. Elle parlait de ses parents, de la découverte de son inscription à Poudlard et de la disparition de son frère. Dmitri glissa instinctivement sa langue entre ses dents, la mordant légèrement dans un geste invisible de nervosité. Il lui était facile de répondre à la première assertion, mais la seconde était plus complexe, le sujet étant, à juste titre, très sensible. « Pour Poudlard... retirer le secret magique ne changerait pas grand-chose. Même s’ils en connaissaient l’existence, les moldus continueraient d’apprendre du jour au lendemain que l’un de leurs enfants est un sorcier. Et ils ne partent pas à vie, les enfants retournent chez leurs parents pendant les vacances. » Il plongea son regard dans celui de sa camarade, avant de se corriger : « Enfin, normalement. » Son cas était un peu particulier, il ne pouvait le nier, mais il serait donc malhonnête de l’utiliser comme un argument général.

L’aiglon haussa les épaules, affichant un sourire froid, dénué de joie. C’était une étrange manière d’exprimer qu’il était désolé pour son frère. Il ne pouvait décemment pas riposter sur la question de son enlèvement s’il ne voulait pas provoquer une nouvelle dispute entre eux. Délicat ? Non, simplement réaliste. « Tout ceci ne m’avance pas beaucoup : ce n’est pas parce que des dissensions existent malgré nos lois qu’il faut abolir ces lois. » Il fut un instant tenté de pousser le raisonnement par l’absurde, qu’elle lui servait déjà, à son paroxysme, mais une fois de plus, la disparition de son frère l’en empêcha. « Désolé de me faire l’avocat du mage noir, mais... je sais pas, je trouve ça trop simple. On supprime le secret magique et tout est formidable ? »

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Dmitri faisait des efforts, il y mettait de la bonne volonté mais je le sentais sceptique. C’est dans ces moments-là que la différence entre né-moldu et sang-pur se faisait la plus nette. Le secret magique ne pouvait pas avoir le même poids sur sa vie. Je lui avais dit, la première fois que nous nous étions parlé, qu’il avait le choix de rompre avec sa famille. Pour moi, ce n’avait pas été un choix, le secret magique en avait décidé ainsi. J’aurais pu accuser mon père, je l’avais un peu fait au début mais maintenant que mon frère avait disparu, ce n’était pas à mon père que j’en voulais. Pourtant, la remarque de Dmitri pouvait paraître sensée : dans la plupart des cas les enfants sorciers gardaient contact avec leur famille. Mais pas toujours. Et un seul qui perdait sa famille, c’était déjà trop. Et puis au fond, j’étais persuadée qu’il avait tort. Même si apprendre du jour au lendemain que son fils ou sa fille a des pouvoirs restent un choc, ce n’est pas la même chose si c’est un fait que t’as caché pendant des années ou si tu sais que depuis le début que c’est une éventualité.
« Ils l’apprendraient du jour au lendemain peut-être mais ils sauraient dès le début que c’est possible, que ce n’est pas grave et que ça existe. C’est complètement différent. »
Mon père l’avait mal pris justement parce qu’il avait l’impression qu’on le sortait de sa réalité, que sa fille sortait délibérément de son système de croyances, de ses convictions. Je ne répondis pas sur le fait que ma situation n’était pas normal, le sujet était encore trop douloureux pour moi.
La discussion se poursuivit, calmement, jusqu’a ce que Dmitri m’avoue qu’il trouvait simpliste mon argumentation, la tordant pour correspondre à son accuation.
« Ce n’est pas ce que j’ai dit... »
Je soupirais. Je ne voulais pas gâcher cette relation naissante qui repartait sur des bases plutôt positives, mais je devais bien admettre que devoir continuellement se justifier avait un côté agaçant.
« Je ne dis pas que tout sera réglé, il restera des sangs-purs extrémistes mais ils auront une protection en moins pour leur méfait. »
J’étais resté neutre, ne le faisait pas passer dans l’autre camp d’un « vous » accusateur, attendant de voir sa réaction. La discussion pouvait déraper et au fond je ne le voulais pas vraiment.

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‟ Zeynep & Dmitri „

Pouvaient-ils seulement être d’accord ? À mesure qu’il discutait avec Zeynep, l’aiglon ressentait de plus en plus de doutes. Dans les propos de la jeune fille, il retrouvait une forme de consécration des oppositions qu’il avait toujours entretenues avec sa famille, mais paradoxalement, il se sentait parfois poussé vers eux par ses mêmes paroles... comme si malgré toutes les idées et bonnes intentions qui pouvaient l’animer, il restait indubitablement lié à ses ancêtres. Au fond, n’était-il pas seulement un garçon un peu têtu en plus milieu d’une crise d’adolescence trop précoce ? Il réfutait cette idée, n’y pensait même pas et demeurait, de fait, coincé entre deux idées qui ne pouvaient totalement se concilier. « Ils l’apprendraient du jour au lendemain peut-être mais ils sauraient dès le début que c’est possible, que ce n’est pas grave et que ça existe. C’est complètement différent. » Plus conciliant que d’accoutumée, Dmitri opina du chef. Il pouvait au moins lui reconnaître qu’il y avait du vrai dans ses propos. Il était évident que le choc devait être rude pour bon nombre de personnes lorsqu’ils apprenaient que leur enfant était capable de choses qu’ils n’avaient jamais osé imaginer jusqu’alors.

« Je ne dis pas que tout sera réglé, il restera des sangs-purs extrémistes mais ils auront une protection en moins pour leur méfait. » Le jeune tchèque haussa des épaules, comme pour capituler, ce qui n’était toutefois pas le cas. Il était simplement prudent : il craignait d’en revenir à leur première discussion. Il ne voulait pas l’entendre à nouveau dire qu’il pouvait faire le choix de rompre avec sa famille, il ne voulait pas qu’elle accuse à nouveau les siens de pensées ou d’actes dont ils étaient sans nul doute réellement coupables mais qu’il préférait faire mine d’ignorer, devant elle tout du moins. Face à son grand-oncle, ou à ses parents, il n’avait jamais hésité à se montrer accusateur jusqu’à un certain point. Mais il n’y avait que lui qui avait le droit de le faire, dans l’intimité de sa famille. Il ne pouvait laisser d’autres personnes cracher ainsi sur son nom. « Je ne sais pas... » fit-il après quelques secondes de silence. « On parlait au début de dissensions entre nés-moldus et certains sang-purs, mais maintenant tu évoques de véritables méfaits... Ça n’est pas tout à fait la même chose. » Il avait l’impression, qu’en filigrane, il n’était pas question d’extrémistes à l’existence abstraite, mais de sa famille, de ses proches. En conséquence, il se sentait presque obligé de les défendre. « À t’écouter, on croirait que les sorciers ont mis en place le secret magique pour permettre aux sang-purs de commettre je ne sais quelles exactions... Qu’il protège une certaine vision de notre société, je veux bien le croire, mais le temps du Seigneur des Ténèbres n’est plus, notre monde n’est pas centré autour de l’envie d’éradiquer les moldus. » Dmitri glissa les mains dans les poches de son pantalon, le regard fuyant quelques instants celui de la née-moldu pour venir observer le paysage écossais qu’ils pouvaient distinguer depuis leur perchoir. Lorsqu’il reprit la parole, les yeux à nouveau plongés dans ceux de la brune, sa voix était plus basse, pas un murmure, mais presque. « Je vais sûrement être rude, mais... si tu veux que nous parlions à armes égales, je dois savoir : tiens-tu pour responsable les sang-purs de la disparition de ton frère ? » L’article de la Gazette du sorcier qu’il avait lu faisait état d’une intervention magique, sans pour autant pouvoir en dire plus. Partant, il était facile de rejeter la culpabilité sur les sang-purs, quand bien même n’importe quel autre humain ou créature doté de pouvoir aurait pu être mêlé à ça.

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« Je ne peux pas être sûre que les sangs-purs soient responsables, non. »
Entendant les mots de Dmitri, j’avais répondu automatiquement, sans réfléchir plus que cela à mes paroles. Je ne pouvais pas être sûre, dans le sens où je n’avais pas de preuves tangibles. Mais je n’en avais pas besoin pour les accuser, car ils faisaient des coupables idéaux. Je les accusais donc à demi-mots, disant que je n’étais pas sûre pour dire que je le pensais, affirmant ma colère contre eux sans l’exprimer. Je savais bien, en théorie que je ne pouvais pas mettre tous les sangs-purs dans le même sac. J’avais affirmé à Caleb avoir une amie sang-pure, Kathleen, qui était certes très gentille mais pas bien radicale. Mais tout en affirmant cela, je lui avais clairement signifié qu’en tant que sang-pur, il était méprisant par défaut. Et de méprisant à coupable d’enlèvement, dans mon esprit rongé par la colère et la tristesse, il n’y avait qu’un pas.
« Et pourtant… qui d’autres ? »
Mon raisonnement – s’il on pouvait l’appeler ainsi – était simple : l’enlèvement était l’oeuvre d’un sorcier, c’était admis. Et je ne pouvais pas imaginer un né-moldu décider d’enlever un moldu, ça n’avait aucun sens, sauf à considérer que ce n’était pas un enlèvement en raison de l’absence de magie chez mon frère. Mais depuis quelques mois, un an peut-être, toutes mes pensées étaient conditionnées autour du fait que l’opposition se jouait entre moldus et sangs-purs. Je ne pouvais imaginer autre chose et les motifs crapuleux me semblaient peu crédibles, sinon il y aurait eu une demande de rançon ou autre. Je n’étais pas parano, je ne voulais pas croire que je me montais des films toute seule. Mais admettre autre chose revenait à exprimer la vanité de mon combat, l’inutilité de mes actes impatients, de mon impulsivité qui m’attirait plus d’ennui qu’autre chose.
« Et quand bien même ils n’auraient rien à voir directement avec la disparition d’Ahmet… Certains entretiennent un climat de mépris qui favorise de tels actes. Donc ils sont complices. »
Cette fois, j’avais plus d’aplomb dans mes paroles, moins d’hésitation. Mais en disant cela, je me repris aussitôt, me rappelant qui j’avais en face de moi, me souvenant de comment c’était terminé notre première rencontre.
« Enfin pas tous, bien sûr... »

Les sanglots de la révolution
‟ Zeynep & Dmitri „

« Peut-être que ton frère a été enlevé par des sang-purs... mais n’importe quel sorcier un peu fou pourrait être responsable de sa disparition. Des fous, il y en a partout, pas seulement chez les sang-purs. » Le garçon haussa les épaules, une expression conciliante adoucissant légèrement les traits de son visage. « Mais c’est vrai que de savoir qu’un sorcier est mêlé à cette histoire et que ça tombe sur le petit frère d’une née-moldue est... bizarre. Un peu trop pour que je puisse prétendre qu’il s’agisse d’un simple hasard. » Il disait ça tant par soucis de lui montrer qu’il n’était pas totalement fermé à l’idée que des sang-purs soient réellement mêlés à cette histoire que parce que l’honnêteté lui forçait à reconnaître une trop forte coïncidence. Il y avait tant de coupables possibles, mais une certaine logique forçait à admettre la possibilité qu’un sang-pur y soit mêlé. Ça ne changeait pas réellement le cœur de leur discussion, mais au moins, il savait à présent qu’une vendetta personnelle se cachait derrière les propos de la poufsouffle.

Il était bien moins convaincu par la suite de ses arguments. Le climat de mépris, que les sang-purs entretiendraient, serait responsable de sa disparition. Des phrases vides, à son humble avis. Mais comment lui expliquer que de son point de vue, les sang-purs aux idéaux traditionnels, comme son grand-oncle, n’étaient plus si nombreux ? Leur nombre baissait drastiquement et s’ils se montraient plus visibles encore, ça n’était que pour compenser cette recrudescence inévitable. Au fond, l’incompréhension du garçon se trouvait là : les sang-purs voyaient chez les moldus et, pire, chez les nés-moldus, des personnes qui pourraient leur nuire, alors même que ces né-moldus s’estimaient en position de faiblesse. Lui-même ne parvenait à voir chez les moldus une source de danger : il trouvait leur technologie passionnante, mais en l’état des choses, elle ne fonctionnait pas face à la magie. Alors, comment percevoir chez eux un danger ?

« Peut-être que tu as raison... » fit-il dans un soupir presque lassé. Il était trop tôt pour asséner ces arguments et questions à sa camarade. « Certains de tes propos font sens, mais j’ai parfois l’impression que tu cherches juste un coupable et que les sang-purs en font un très bon. » Zeynep était bien moins vindicative que lors de leur première discussion à ce sujet. Elle avait mis de l’eau dans son vin, s’agissant de lui tout du moins. En réalité, ils marchaient tous deux sur des œufs. « Je pense qu’il vaut mieux s’arrêter là... » La discussion ne mènerait nulle part. Pas si tôt. Il avait besoin de réfléchir, d’avoir un autre son de cloches peut-être... Elle défendait sa cause, tempêtait contre les sang-purs et l’enfant contestataire qu’il était voyait en elle un parfait moyen de reprocher des choses à sa famille. Mais il n’en oubliait pourtant pas qui il était, et cette même véhémence qu’il trouvait en la poufsouffle le laissait dubitatif ; ils avaient ce même côté impulsif et parfois irraisonné, mais le voir chez quelqu’un d’autre avait pour étrange effet de l’inciter à plus de mesure. Le temps devait faire son œuvre.

Il eut un sourire contrit. « Merci de ne pas m’avoir rembarré. » Il avait eu un début de réponse. Il n’en était pas pour autant, mais il savait qu’il n’aurait pas plus ce soir.

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