Tout changea le 13 avril 2026, jour de ses onze ans, quand il reçut sa lettre d’admission à Poudlard. C’était assurément un jour dont il se rappellerait toute sa vie. Il venait à peine de se lever que déjà il tannait sa mère pour la faire participer à une croisade contre la vieille folle-dingue qui habitait en face. « Tu vas nous rendre fous, ton père et moi ! » fut la seule réponse qu’il obtint à ses supplications. C’est d’ailleurs à ce moment précis que ze letter arriva sur le paillasson familial. Sur l’enveloppe était écrit à l’encre verte « M. Nathanael Saunterton, en train de rendre fou ses parents », suivi de l’adresse de la maison. Pas d’erreur, c’était bien à lui que la missive était destinée. Il décacheta l’enveloppe et parcourut le parchemin avec avidité. Ainsi donc il était un sorcier ! Ayant aussitôt accepté cette révélation grandiose comme allant totalement de soi, il fit ce que n’importe quel gamin dans sa situation aurait fait, à savoir tenter sur-le-champ de transformer père et mère en mobilier de jardin. Malheureusement le résultat ne fut guère probant. Zut ! Bien que logiquement déçu, il fallait bien avouer que jusqu’ici il n’avait jamais produit le moindre phénomène magique notable (à part dans son monde à lui, mais il devait apprendre par la suite que ça ne comptait pas). Il y avait bien ces rêves prémonitoires qu’il faisait parfois, et cette impression de déjà-vu qu’il ressentait de temps en temps, mais il avait toujours mis ça sur le compte d’une heureuse coïncidence.
Si Nathan avait été tout disposé à accepter immédiatement sa nouvelle condition de sorcier, ses parents se montrèrent beaucoup plus dubitatifs, malgré le caractère manifestement officiel de la lettre. Finalement il fut convenu après de longs pourparlers que toute la famille se rendrait fin août à Londres afin que le petit se rende compte de ses propres yeux que « pour la cinquantième fois, il n’y a PAS de bar appelé le Chaudron Baveur » dans la capitale britannique. Et puis comme ça on pourra visiter Tower Bridge et le musée de Mme Tussaud. « Et puis, ça fera plaisir au petit. »

C’est donc ainsi que toute la famille se retrouva par une belle journée d’été à contempler (ébahi pour l’un, interloqués pour les deux autres) la devanture d’un bar aussi minuscule que miteux, coincé entre une grande librairie et un disquaire. Après avoir montré sa lettre d’admission au barman, tous les trois furent conduits dans l’arrière-cour et, quelques coups de baguette sur les briques plus tard, ils découvraient le Chemin de Traverse. « Reste ici ! Tu vas nous faire repérer ! » furent les premiers mots prononcés par sa mère, juste avant qu’elle ne réalise qu’ils étaient les trois seuls à ne pas porter cette espèce de longue robe bizarre. Niveau camouflage, on avait connu mieux… Elle décida donc de lâcher l’affaire et de laisser son fils coller sa tête et ses pognes à toutes les vitrines qu’il voyait en poussant de grands cris émerveillés. M. et Mme Saunterton étant désormais trop abasourdis pour s’opposer au projet de leur fils d’intégrer Poudlard, les emplettes se firent sans encombre, hormis un léger malentendu quand Nathan voulu payer ses manuels scolaires avec des livres sterling sonnantes et trébuchantes. Un détour par Gringotts plus tard, le problème fut réglé. Comble du bonheur, ils consentirent à lui offrir un animal de compagnie pour l’accompagner dans sa nouvelle école. Après une brève inspection de la boutique, il opta pour un hibou petit duc à face blanche qu’il baptisa Hans Cristensen. Une fois les robes achetées (« Je vais vraiment être obligé de porter ce truc ? »), il ne restait plus que la baguette magique à aller chercher.

Et ça se passait chez Ollivander. L’endroit sentait le vieux et la naphtaline. Enfin, ça sentait le vieux quoi. Et pour couronner le tout, la boutique était bondée de gens qui comme lui venaient acheter leur première baguette. Très vite il n’arriva plus à tenir en place, tapant du pied dans un premier temps, avant de bouger dans la minuscule boutique, se rapprochant des rayonnages sous les regards agacés de M. Ollivander et des différents clients. Puis ce fut enfin son tour. Le vieil homme prit quelques mesures tout en lui parlant des spécificités des différentes baguettes. « Le sorcier ne choisit pas sa baguette. C’est la baguette qui choisit son maître, M. Saunterton . » C’est bien simple, on se serait cru dans un bouquin. Puis il disparut avant de revenir avec plusieurs exemplaires qu’il lui fit essayer, tantôt la lui arrachant des mains sitôt après la lui avoir donné, tantôt hésitant plus longuement. Mais aucune ne semblait faire l’affaire et Nathan commençait à s’impatienter sévère. Et ça se voyait. Finalement le vieil homme s’éloigna en maugréant dans sa barbe inexistante, avant de revenir quelques instants plus tard avec une baguette toute bizarre, épaisse et courbée. Nathan sentit venir l’arnaque et ne se priva pas pour faire remarquer au vieil homme qu’il était inutile d’essayer de l’arnaquer en essayant de lui refourguer ses invendus. Le fabricant le rassura en lui expliquant que c’était une baguette très rare et très puissante (ce qu’elle n’était pas, mais le capitalisme a désormais atteint toutes les strates de notre société), et qu’elle convenait à des individus d’une grande énergie, ce dont il ne manquait visiblement pas, et animés de fortes convictions. Griffe de Mapinguari et bois de Cornouiller, en provenance directe des Amériques (obscur cadeau qu’un ancien ami lui avait ramené d’un lointain voyage et qu’il n’avait pas revu… depuis qu’il était revenu de ce fameux lointain voyage). Quoi qu’il en soit, quand Nathan la prit en main, une étrange sensation de calme (phénomène ô combien nouveau pour lui) s’empara de lui tandis que des picotements lui remontaient le long du bras. Et quand il l’agita, elle produisit une petite gerbe d’étincelles argentées et dorées, ce qui sembla ravir le vieil homme. Il venait d’être choisi. Il était maintenant fin prêt.

Cette histoire commença le 13 avril 2015 dans la banlieue de Birmingham, Angleterre. Le premier exploit de la jusqu’ici très courte existence de Nathan Saunterton fut sans conteste d’avoir mis un terme très tôt aux velléités de famille nombreuse de ses géniteurs, la simple phrase « imagine si les autres sont comme lui » suffisant à données des sueurs froides à Wendy et Winston Saunterton. Non pas que leur enfant soit un mauvais bougre, loin de là, mais il fut dès le jour de sa naissance une véritable tornade. Du moment où il ouvrait les yeux chaque matin à celui où il les fermait le soir, il était en perpétuel mouvement, donnant le tournis aux adultes qui gravitaient autour de lui. Et dès qu’il fut en mesure de parler les choses empirèrent encore, comme si son seul objectif était maintenant de rattraper tout ce temps perdu en silences contraints et forcés. L’hyperactivité de leur fils générait d’ailleurs de fréquentes tensions au sein du couple, les « c’est encore les gênes de ta mère » et autres joyeusetés du même goût fusant régulièrement dans la maison familiale. Quoi qu’il en soit, toutes les précautions nécessaires furent prises et Nathanael « Nathan » Grayson Saunterton demeura le seul héritier en lice.

Dans les premières années, ses parents tentèrent à peu près tout pour canaliser le trop plein d’énergie de leur progéniture. Nathan fut inscrit à tout un tas d’activités sportives, on l’envoya consulter un psy et même un marabout ; mais rien n’y fit, il finissait invariablement par épuiser ses parents qui se demandaient ce qu’ils allaient bien pouvoir faire de lui. Il faut dire que rien ne semblait le prédisposer à être si différent. Pôpa était expert-comptable et môman secrétaire et tous deux adoraient leurs vies réglées comme du papier à musique. Mais leur engeance ne voyait pas du tout les choses de la même façon. A ses yeux il n’y avait rien de plus triste que de passer sa vie à aligner des chiffres sur du papier ou à prendre des rendez-vous au téléphone. En tout cas lui ne s’abaisserait sûrement pas à de telles extrémités. Les seuls moments de répit dont pouvaient profiter ses parents, c’était quand il se plongeait dans la lecture des contes qu’il affectionnait par-dessus tout. Malheureusement, ça ne durait jamais bien longtemps, car lire des histoires c’était bien joli, les vivre c’était quand même autre chose. Et c’était justement à ça qu’il consacrait le plus clair de son temps, s’inventant des scénarios mettant en scène famille et amis qu’il pouvait jouer inlassablement, au grand dam des différents protagonistes.

Quand il dut aller à l’école ce fut le même combat. La plupart des cours l’ennuyaient terriblement. Il apprit rapidement à lire largement assez bien pour pouvoir déchiffrer n’importe quel livre et à compter, il s’estimait suffisamment armé pour affronter ce que la vie lui réserverait. A quoi bon s’entêter ? Seules l’histoire et la géographie trouvaient grâce à ses yeux. Si seulement il n’y avait pas toutes ces dates et ces lieux à retenir… Franchement, quel est l’intérêt de savoir placer sur une carte un pays où on n’ira probablement jamais ? Ou de connaître les dates de règne d’Henri VIII tant que la machine à voyager dans le temps n’avait pas été inventée ? Du coup il occupait les cours à divertir ses petits camarades ou à répondre aux questions de l’institutrice par la première chose qui traversait son esprit fertile. « Minute papillon » et « tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler » (curieusement toujours en vigueur à Birmingham) furent pratiquement les surnoms qui accompagnèrent quasi quotidiennement ses années d’école. Ou encore « réfléchis avant de parler ». C’était bien un truc d’adulte, ça. Sa philosophie a lui était davantage proche de « fonce, il sera toujours temps de réfléchir si les choses tournent mal… » Et jusqu’ici il n’avait pas eu à en changer.

Une fois toutes les fournitures en leur possession, la famille Saunterton profita des quelques jours qui séparaient Nathan de sa rentrée à Poudlard pour visiter Londres. La ville avait beau être magnifique, l’esprit du jeune garçon était déjà tourné vers sa nouvelle école. Sans que ça ne le rende moins agité pour autant, bien au contraire. Il avait commencé à feuilleter ses manuels et n’avait qu’une hâte : que ça commence ! Après une insoutenable attente, le jour tant espéré arriva enfin. King’s Cross et sa voie 9 ¾. Le Poudlard Express et ses volutes de fumée blanche qui attendait patiemment sa cargaison annuelle. A peine arrivé sur le quai, Nathan insista pour que ses bagages soient aussitôt chargés à bord du train. Il ne garda avec lui qu’Hans Christensen et sa baguette magique. Les élèves arrivaient en flux continu et il les dévisageait avec une curiosité non dissimulée. Puis arriva l’heure du départ. Si M. et Mme Saunterton avaient espéré des adieux déchirants et larmoyants, ils durent se contenter de grands signes enthousiastes de la main par la fenêtre du compartiment, avant que sa petite bouille ne disparaisse aussi soudainement.

Apparemment le trajet devait durer plusieurs heures. Voilà qui laissait amplement le temps de se balader un peu et, qui sait, de faire connaissance avec quelques-uns de ses futurs condisciples. Nathan se mit alors à arpenter les couloirs, toujours accompagné d’Hans Christensen, ouvrant méthodiquement chaque compartiment pour observer les gens qui s’y trouvaient. Dans le premier il y avait cinq personnes, toutes de vert et d’argent vêtues. Quand il les salua avec entrain, elles ne daignèrent pas lui répondre et se contentèrent de se raidir encore plus en grimaçant. Après avoir reniflé en vain l’endroit à la recherche d’une odeur désagréable qui pouvait expliquer une telle posture, il haussa finalement les épaules et décida de poursuivre son inspection. Il eut davantage de chance dans ses tentatives suivantes et put échanger quelques banalités avec un certain nombre d’élèves. Finalement, il s’arrêta dans un compartiment qui était occupé uniquement par une jeune fille qui semblait avoir à peu près son âge et il s’y installa. Rapidement, ils en vinrent à sympathiser. Elle lui expliqua qu’elle était de sang-mêlé (elle en profita d’ailleurs pour lui expliquer la notion-même de sang-mêlé) et que par conséquent, elle en connaissait bien plus que lui sur Poudlard et le monde des Sorciers. Ils passèrent le reste du voyage à parler de tout et de rien, de la cérémonie de Répartition (« Quoi ? Un vieux chapeau pourri va décider où j’vais aller ??? Trop cool ! »), des différents cours dispensés (« Etudes des moldus, ça existe ? Faut être pas bien quand même… »), du Quidditch (« On peut viser la tête, t’es sûre ? »), du conflit entre moldus et sorciers (« … ») et de tout un tas d’autres choses encore.

Quand on annonça enfin le terminus prochain du train, Nathan fila se changer aussitôt. Il voulait essayer d’être présentable pour ses premiers pas au château. Les premières années furent ensuite séparées du reste du troupeau et conduits à des barques qui allaient les mener jusqu’au château. Nathan était ravi, il ne perdait pas une miette du spectacle qui se déroulait sous ses yeux (ce qui manqua de provoquer le chavirement de sa barque). Puis ce fut la montée des marches et l’entrée dans la grande salle où ils durent se mettre en rang et attendre en silence l’appel de leur nom avant d’avancer… (« Quelle torture ! J’pouvais pas m’appeler Aberton ?!? ») Il demeura cependant tranquille le temps de la cérémonie, jusqu’à ce son nom soit enfin appelé : « Saunterton, Nathanael ! » C’est bon, il pouvait enfin bouger, c’était pas trop tôt ! Il se rua presque sur le tabouret et enfonça immédiatement le Choixpeau sur sa tête qui disparut presque entièrement. Le souffle court, il attendit. « Dites, y a personne pour vous aérer des fois ? Ça schmoute là-dedans ! » S’ensuivit une discussion assez surréaliste où le rôle de conseiller d’orientation aura rarement été aussi terre-à-terre, « pour les couleurs, c’est négociable ou pas du tout ? », « entre nous, tu – je peux vous dire tu ? - tu me conseilles quoi ? », « il y a la même quantité de devoirs partout ? », et autres excentricités encore. Bref, le temps que le Choixpeau mit à se prononcer, ils avaient fait le tour de la question. Et ça tombe bien, car c’est maintenant.
This is the moment, this is it! Chapia jacta est.