Parlons bien, parlons moldus (terminé)

Parlons bien, parlons moldus

feat @Zeynep J. Özdemir

L’emploi du temps des élèves de première année avait un avantage non négligeable : le nombre d’heures de libre dans la semaine. En réalité, Dmitri s’était attendu à avoir plus de cours, mais lorsque l’on lui avait distribué le programme, il avait eu l’agréable surprise de voir qu’ils avaient rarement une journée sans heures libres. De fait, il avait l’occasion d’explorer le château à sa guise, travailler les cours importants, dessiner et même dormir plus longtemps le matin. Un programme qui le ravissait au plus haut point.

Aujourd’hui, il avait donc un temps de libre en début d’après-midi. Sortant de la grande-salle, après avoir pris son déjeuner, il s’était donc mis à errer dans les couloirs, en quête d’une occupation. Il n’avait aucune envie d’aller dans la salle commune qui, à cette heure-ci, devait être bondée. Sans doute pourrait-il prendre de l’avance sur ses devoirs, mais après s’être rempli la panse, il subissait désormais cette habituelle légère apathie qui suivait un bon repas, il n’était donc guère motivé par l’idée de se poser dans la bibliothèque pour travailler.

Se balader dans le château sans objectif particulier avec un avantage : il apprenait peu à peu à le connaître, se repérant désormais bien mieux que lors de ses premiers jours. Il commençait même à se familiariser avec certains tableaux, discutant avec certains d’entre eux lorsqu’il était seul ; c’était une habitude qu’il avait prise au manoir. Lorsque l’on était entouré de centaines d’ancêtres qui n’avaient pas vu d’enfants depuis plusieurs décennies, à savoir au temps de la jeunesse de van Aken sénior, il fallait s’attendre à être quémandé de toute part. Il était donc devenu tout naturel pour lui d’échanger quelques politesses avec les peintures.

C’est alors qu’il écoutait distraitement une femme peinte il y a plusieurs siècles sans doute, qui avait la particularité d’être originaire de République Tchèque et qui se plaignait du vacarme que pouvaient provoquer certains élèves aux heures les plus impromptues, que le garçon aperçut une autre humaine dans le couloir. Jusque-là, rien d’anormal. Mais la demoiselle lui était familière : une élève de poufsouffle en deuxième année avec qui il partageait quelques cours et qu’il avait également croisé la veille, à l’occasion d’une réunion de révolutionnaires miniatures. Il n’avait prêté attention à elle que durant son premier cours de botanique : un enseignement qui, sans surprise, ne lui plaisait guère. À vrai dire, il n’y avait pas beaucoup de matières qui méritaient son aversion ; il était un garçon plutôt polyvalent, assez doué et surtout intéressé par un peu tout ce qu’on pouvait lui proposer. Mais la botanique était une de ces exceptions, avec les cours de vol. Trop salissant, trop inconfortable pour un jeune assez douillet, comme lui ; il était un citadin en puissance, fils de bonne famille à l’allure assez guindé qui aimait avoir son petit confort et détestait par-dessus tout avoir l’air échevelé. Autant de choses qui étaient incompatibles avec la botanique.

Il avait donc détesté ce premier cours, râlant dans sa barbe inexistante pendant une bonne partie de l’enseignement, écoutant d’une oreille distraite les interventions de ses camarades. L’une d’elles avait été faite par cette élève, Zeynep, répondant à la question de leur professeur en évoquant des objets dont il n’avait jamais entendu parler. Sa réponse l’avait interpellé, évoquant les sorciers comme d’un monde qui ne lui était pas totalement familier ; nul doute, elle avait été élevée par des moldus.

« Promiňte, madam, musím vás opustit. » (Excusez-moi, madame, je dois vous quitter) dit-il au tableau tchèque, avant de se diriger vers la jeune poufsouffle sans même attendre la réponse de la peinture. « Hey attends ! » Dmitri arriva au niveau de la demoiselle, lui adressant l’un de ses plus beaux sourires, ce sourire d’enfant bien éduqué voulant plaire à son auditoire. « Tu te souviens de moi ? On s’est vu à la réunion des... nains de Poudlard. » Clairement, il n’aimait pas ce terme, mais puisque les organisateurs avaient décidé de se surnommer ainsi, autant l’utiliser. « Et on était ensemble au cours de botanique. » ajouta-t-il, espérant qu’elle se souviendrait assez dudit cours pour qu’il puisse embrayer plus facilement dessus et aborder le sujet qui l’intéressait vraiment.

Le jeune tchèque regarda sa montre avant d’ajouter : « Tu as quelques instants ? Je souhaitais te présenter mes excuses pour hier soir. J’ai peut-être été un peu... disons brute. Ce n’était pas mon intention, mais bon... dans le feu de l’action, les mots dépassent souvent la pensée. » Lui souriant à nouveau, il tendit la main droite et ajouta : « Ah pardon, je ne me suis pas présenté correctement : Dmitri van Aken ! » Il s’était introduit de manière tellement machinale, reprenant les vieilles habitudes inculquées par son éducation stricte et cérémonieuse, qu’il fut surpris de s’entendre parler en anglais ; il n’était pas au Royaume-Uni depuis très longtemps, son accent en témoignait, et il avait parfois tendance à parler en tchèque sans même y prêter attention.

Suite à cette réunion qui s’était révélée aussi foireuse que je m’y attendais – avec un ennemi aussi peu défini et des invitations larges, on ne pouvait pas s’attendre à quelque chose de constructif de toutes façons – la vie à Poudlard avait repris son cours normal. Les cours s’enchaînaient et j’y trouvais un intérêt diversement prononcé. Autant, j’étais toujours enthousiasmée par les cours de métamorphose qui me donnait de plus en plus envie de consacrer mes efforts à cette discipline, autant la botanique me laissait de marbre. J’étais en mesure de répondre à certaines questions posées, avec une certaine exactitude mais c’était loin d’être une passion. Quelque soit la matière, il fallait pourtant que je redouble d’effort pour rendre les devoirs demandés, le tout sans me laisser submerger par les révisions. Après, un rapide passage aux toilettes, j’étais donc décidé à aller me poser dans ma salle commune pour réviser. Aujourd’hui, c’était un exercice de potions qui me causait des difficultés et je n’étais au fond que peu motivée pour m’en débarrasser. J’avais certes l’envie de prouver au professeur que je pouvais m’en sortir aussi bien que les autres dans sa matière, malgré un sang qu’il jugeait impur, mais je n’avais sans cela qu’un intérêt bien limité pour l’exercice demandé. Le pas traînant, j’avançais donc sans entrain vers l’escalier sans faire attention aux rares élèves qui arpentaient eux aussi le couloir avant d’être interpellé par l’un deux. Avec un grand sourire, cet élève avec qui j’avais dû partager quelques cours vu que sa tête me semblait connu – sans doute un premier année – et dont l’habit indiquait sans conteste qu’il était de Serdaigle, m’indiqua qu’on s’était aussi vu à la réunion qu’il appelait « des nains » ce qui me fit légèrement lever les yeux au ciel avant que je visualise à qui j’avais à faire : c’était sans doute celui qui m’avait reproché ma tirade contre les sangs-purs – même si je maintenais que mon avis était bien plus nuancé que cela. Après tout, ils étaient sans doute légion à être comme lui et même si cela me poussait à la méfiance, je ne pouvais pas tout simplement ne pas lui adresser la parole, il n’avait rien fait qui ne mérite cela et se montrait même plutôt courtois. D’ailleurs, il commença par s’excuser de sa brusquerie, ce qui me fit rétorquer aussitôt :
« Oh non, ne t’en fais pas, je préfère quand on parle clairement, même si l’on n’est pas d’accord. Mais je tiens à préciser que mes propos ne visaient pas tous les sangs-purs. »
C’était la pure vérité, tant dans la première phrase que dans la seconde. Je préférais savoir à qui j’avais affaire et détestais l’hypocrisie mielleuse de certains qui, parce qu’ils refusaient de se fâcher avec d’autres, taisaient leurs idées. Mon père m’avait appris à avoir un avis sur beaucoup de choses et à le donner si l’occasion se présentait. Quant à la deuxième partie, je n’avais fait que critiquer ceux des sangs-purs qui se croyaient supérieurs et se permettaient de mépriser les autres. Il me tendit alors une main que je serrais par réflexe, tout en se présentant. Je n’étendis qu’après notre poignée de main son nom et aussitôt, j’eus un mouvement de recul. Mon interlocuteur n’était pas simplement un jeune sang-pur, c’était un van Aken, de la famille d’un professeur de potions que, pour le coup, je visais dans mes déclarations. J’avais d’un coup très envie d’aller me laver la main mais je me retins encore quelques instants, curieuse de voir ce qu’il me voulait. Froidement je répondis donc :
« Moi c’est Zeynep, tu voulais me demander quelque chose ? »

Un premier bon point pour Dmitri fut que la jeune fille accepta de lui adresser la parole, et ne se contenta pas de l’ignorer en continuant son chemin. Au contraire même si elle semblait avoir un but plus précis que le tchèque, qui flânait simplement dans les couloirs, elle se retourna vers lui et l’écouta poliment. Acceptant ses excuses, elle renchérit en lui indiquant que ses bravades de la veille n’avaient pas pour but d’accuser tous les sang-purs sans distinction aucune. Le serdaigle hocha la tête sans toutefois lui répondre à ce sujet immédiatement, préférant se présenter en bonne et due forme. La jeune fille accepta sa poignée de main mais eut un recul quelques millièmes de secondes après, comme si elle avait été parcourue d’une décharge électrique en touchant la peau du garçon. À en croire l’expression d’effarement son visage, il ne s’agissait pas, en tout état de cause, d’un coup de foudre. Soudainement beaucoup plus froide, elle annonça se prénommer Zeynep et lui demanda ce qu’il lui voulait.

Dmitri fut pris de court, tant par la réaction de la poufsouffle que par son injonction le pressant à lui dire tout ce qu’il avait le cœur. « Je... » Eh bien voilà qu’il était incapable de parler ! Il fit retomber mollement la main qu’il avait tendue à Zeynep, farfouillant dans son esprit en quête d’une raison qui puisse expliquer ce brusque recul. Il ne lui fallut guère de temps pour comprendre : après tout, son grand-oncle lui-même l’avait mis en garde à ce sujet, les van Aken avaient une réputation assez controversée en Angleterre. « J’ai bien conscience que tu ne visais pas tous les sang-purs... disons que j’ai réagi au quart de tour, un peu comme toi à l’instant. » À l’instant où ses mots furent sur ses lèvres, il voulut les retenir, en vain ; s’il avait pu se donner une claque sans avoir l’air d’un parfait idiot, il l’aurait surement fait. Ce n’était pas en reportant la discussion sur la réaction de la demoiselle qu’il allait pouvoir sympathiser avec elle. « Enfin... désolé ce n’est pas tout à fait ce que je voulais dire ! » Quel idiot il faisait ! Pour une fois, il aurait presque été content d’entendre le claquement répétitif de la canne de son grand-oncle sur la pierre, signifiant qu’une distraction fort à-propos lui permettrait de s’extirper de ce bourbier. Mais rien ne vint. Pas la moindre aide, si ce n’est ses tentatives désespérées de se rattraper. « Bref... j’avais en effet quelque chose à te demander... » Cette fois-il, il prit quelques secondes de réflexions, cherchant ses mots pour ne pas commettre une autre erreur qui pourrait vexer la jeune fille. « Tu te souviens du premier cours de botanique, la semaine dernière ? Un moment, tu as parlé de quelque chose et... je me disais que tu pouvais peut-être m’éclairer un peu plus. » Pour l’instant, aucune erreur dans sa tirade, du moins il l’espérait.

Dmitri avait de plus en plus de mal à cacher son malaise : il avait peur que Zeynep lui rit au nez ou interprète mal ses intentions. Ou pire encore : les deux. Le risque qu’elle ait une mauvaise perception de ce qu’il attendait d’elle était d’ailleurs grand, il en avait conscience depuis qu’il avait vu sa réaction en l’entendant prononcer son nom de famille : parler moldu lorsqu’on était un van Aken était toujours source de questionnement. « Tu avais parlé d’objets moldus, je crois... je me demandais donc, si tu étais une née-moldue ? » Il poursuivit avec empressement, afin de ne pas lui laisser le temps de reprendre avant qu’il ait précisé sa pensée : « Pour tout te dire, je me pose pas mal de question... t’as dû t’en douter en entendant mon nom, je n’ai pas grandi entouré de moldu, du coup j’aimerais en savoir un peu plus. Avoir un autre son de cloche, tu me suis ? » Voilà, tout était dit. Ou du moins, la partie la plus risquée, celle qui pouvait être mal interprétée, surtout lorsqu’elle venait d’un sang-pur dont la famille n’était pas connu pour être d’une grande tolérance.

Je venais de serrer la main d’un van Aken. Cette information me faisait frémir et je n’avais pas pu dissimuler mon mouvement de recul à l’entente de son nom. D’ailleurs je n’avais pas cherché à le masquer, peut m’importait à ce moment la politesse. Je ne savais pas si j’avais affaire au petit-fils ou à un lointain cousin de ce professeur qui n’avait pas hésité à me frapper de sa canne cet été. Mais c’était un van Aken et pour moi, ce nom ne pouvait qu’être lié à la détestation de ce que j’étais, une née-moldue. Dans mon esprit, dont certains pouvaient déplorer le schématisme, un van Aken était automatiquement associé aux agissements de celui qui me servait de professeur de potions. Je l’écoutais donc à peine m’expliquer les raisons de son emportement face à mes déclarations contre les sangs-purs. Si j’avais pu sous entendre avant de savoir son nom qu’il n’était pas visé par mes propos, la situation venait de changer radicalement. Mon interlocuteur devenait suspect à mes yeux, sans doute coupable de haine vis-à-vis des moldus et c’était sans conteste en ce sens que j’allais interpréter chacun de ses futurs propos, sans vraiment lui laisser un bénéfice du doute ou une présomption d’innocence très importante. Je gardais donc les lèvres obstinément closes après m’être présenté et encore plus quand il s’embrouilla entre m’accuser de partir au quart de tour – c’était le cas et je ne voyais aucune raison de m’en excuser – avant de s’excuser hypocritement d’avoir parlé trop vite – d’avoir dit ce qu’il pensait sans fard, sans se préoccuper de l’apparence de civilité qu’il tentait de dégager. J’attendais impatiemment qu’il me dise ce qu’il voulait et surtout qu’il parte.
À ma grande surprise, il revint sur le cours de botanique, un cours dont je n’avais gardé aucun souvenir, si ce n’était l’impression tenace qu’il ne servait à rien. Lui par contre s’en rappelait et voulait même des éclaircissement sur ce que j’avais dit. Maintenant qu’il l’évoquait, je me rappelais en effet avoir parlé mais de quoi ? Aucune idée… J’allais lui dire que je ne voyais pas du tout ce qu’il voulait, sans m’excuser de mon amnésie, sans chercher à faire le moindre effort quand il continua. En me demandant si j’étais née-moldue. Instantanément, je me raidis. On ne posait pas cette question au hasard. Surtout pas quand on était un sang-pur, encore moins un van Aken. Il essaya de s’expliquer, de m’expliquer qu’il savait que sa démarche pouvait sembler étrange, qu’il cherchait un autre point de vue, mais je ne l’écoutais plus vraiment. D’un air tout sauf amical, je lui répondis.
« Oui je suis une née-moldue, oui j’ai grandi parmi les moldus et j’en suis fière. »
Mon ton était sans appel, si son intérêt était sincère et ses questions vraiment le fruit d’une curiosité saine et sans à-priori, il allait falloir qu’il me le prouve. Si c’était possible.

zeynep & Dmitri / sept 2026

Malgré toutes les précautions qu’il avait prises, la jeune fille se montrait résolument froide avec lui, sur la défensive. Sa réaction l’énervait ; il souhaitait juste lui parler, sans a priori, sans méchanceté et on le renvoyait bouler avec une brutalité qui ferait presque passer ses frères pour des parangons de vertus. Le problème était sans doute là d’ailleurs : ses intentions, aussi nobles soient-elles, ne rattrapaient pas toutes les mesquineries de ses pairs. Mais plutôt que de le prendre et compte et se montrer compréhensif, Dmitri sentit la colère monter en lui ; il n’avait jamais été d’une grande patience, comme il l’avait d’ailleurs montré durant la réunion des plus jeunes élèves, et la manière dont elle le regardait, avec un mélange de dégout et de colère, lui paraissait injuste. Il ne s’était jamais montré odieux avec des moldus, au contraire même sa sympathie à leur égard avait été source de nombreuses punitions et châtiments corporels. Cet état de fait l’énervait d’autant plus : on l’avait toujours gardé à l’écart des moldus, empêché de se lier avec des enfants de sorciers impurs. Pour la première fois de sa vie, il était libre de sympathiser avec des nés-moldus malgré la surveillance de son grand-oncle et, surtout, ses innombrables tableaux. Mais alors que ses parents, ou ses grands-parents, n’étaient plus là pour mettre fin à des amitiés qu’ils jugeaient indignes d’un van Aken, les nés-moldus eux-mêmes s’écartaient de lui comme de la peste.

« T’ai-je fait ou dit quelque chose de mal ? » Sa voix devenait elle aussi plus ferme, comme un calque du ton employé par Zeynep. « Parce que si c’est le cas, dis-le-moi clairement, que je comprenne où j’ai fauté. » L’aiglon ferma quelques instants les yeux, comme si le fait de ne plus voir que l’obscurité de ses paupières suffirait à effacer ce conflit naissant dont il ne voulait pas. Lorsqu’il leva à nouveau son regard vers la poufsouffle, la colère demeurait visible dans ses iris. Celle-ci n’était toutefois pas dirigée contre l’élève, mais contre ceux qui étaient responsable de la haine qu’elle lui vouait sans même le connaître.

Le tchèque enfouit ses mains dans ses poches pour en cacher le tremblement. De son père, il avait hérité deux choses : l’apparence physique et une certaine proportion à la violence, sans doute issue de son habitude de corriger les travers de ses enfants par des châtiments corporels. La violence appelait la violence. « Si c’est le cas, reprit-il avec tout le calme dont il était capable, je te prie d’accepter mes excuses. Mon intention n’était pas de te vexer ou de me montrer méchant ». S’il s’écoutait, il serait déjà parti. Il aurait peut-être dû le faire. Montrer son caractère irascible n’aiderait certainement pas à sympathiser. Mais au-delà de ses ressentiments, il était également d’une nature obstinée qui lui intimait l’ordre de rester et de convaincre Zeynep, quoi qu’il en coûte, qu’il n’était pas son ennemi. « Et encore moins de t’accuser d’être une née-moldue. Je n’ai cure de ces histoires de pureté du sang ! » Un sourire ironique naquit sur son visage, alors qu’il rajoutait à mi-voix : « Mais si tu ne veux pas m’adresser la parole à cause de mon statut de sang, pas de problème ! Au moins tu seras d’accord sur deux choses avec ma famille. » Il leva son index droit. « D’une, sang-pur et né-moldu ne peuvent pas se côtoyer. » Son majeur vint rejoindre le premier doigt. « De deux, tu rends service à mon père qui a passé les onze dernières années à m’empêcher de parler avec des nés-moldus. »

(c) mars.

Dmitri devait être aussi buté que moi pour rester alors que mon ton indiquait fortement et sans méprise possible que je ne tenais pas à lui parler. Ses excuses ne me touchait pas, je restais fermée à toute tentative de m’amadouer. J’avais décrété que je devais me méfier de lui, que rien ne pouvait m’arriver de bon en lui montrant de l’attention et de l’intérêt, que ses questions étaient certainement le fruit d’autre chose que de sa curiosité. Il pouvait s’excuser, cela ne changerait pas son nom empli de tout ce que le monde sorcier comptait de mépris. Pourtant, je ne voulais pas détourner les talons avant lui et je restais plantée devant lui autant que muette.
Mais il avait de la répartie et il semblait savoir appuyer là où cela pouvait, sinon me blesser, au moins me faire réfléchir. Il semblait sous-entendre que mon attitude n’était que le miroir de celle de sa famille, de son père qui lui avait interdit tout contact avec les moldus. Mon esprit bouillonnait, je ne pouvait admettre le parallèle. Ma méfiance n’était que la réponse à un mépris trop longtemps affiché. Dans cette histoire, les nés-moldus avaient toujours été les victimes et tout ce que dirait Dmitri ne pourrait effacer cette réalité. Mais ses remarques faisaient mouche, me faisait douter, non pas de mon opinion mais de ses intentions. J’avais effectivement compris que certains sangs-purs étaient en opposition avec leur famille et peut-être que le rejeton van Aken était le mouton noir de la famille. À ses réflexions ironiques, je répondis par le sarcasme, afin de ne pas perdre pied dans une discussion qui étaient peut-être plus complexe que ce que mon esprit relativement schématique et binaire pouvait imaginer.
« Et donc pour aller contre ton père, tu viens me parler jardinage ? Intéressant comme rébellion... »
J’étais réellement surprise et n’arrivait pas à me mettre à sa place dans un fonctionnement qui ne pouvait être le mien : je n’avais jamais vécu et ne vivrais jamais la même vie que lui, je ne partageais pas ses aspirations et sa vision du monde. Je ne cherchais même pas vraiment à le comprendre, je tenais juste à lui démontrer qu’il avait tort car par définition je ne pouvais ressembler à son père.
« Bon, vas-y pose moi tes questions, je sais même plus de quoi j’ai parlé à ce fameux cours. »
On ne pouvait certes pas dire que mon ton était devenu amical, tout au plus conciliant.

zeynep & Dmitri / sept 2026

Dmitri s’était attendu à ce qu’elle tourne les talons et l’abandonne en plein milieu du couloir, bien décidée à ignorer ce sang-pur qui n’avait sans doute rien de différent des autres. Et pourtant, non seulement elle daigna l’écouter jusqu’au bout, mais elle semblait également lui accorder une chance, non sans une pique sarcastique qui le fit s’empourprer et à laquelle il décida de répondre le plus sérieusement du monde. « Parler jardinage, non merci... je déteste la botanique version sorcière, je ne vois pas ce qui pourrait la rendre plus intéressante en version moldue. »

Si elle acceptait d’entendre ses questions, le tchèque n’en demeurait pas pour autant victorieux : il se savait sur le fil, Zeynep n’aurait sans doute pas une grande patience à son égard et il devait donc choisir ses questions avec soin s’il ne voulait pas que tout tombe à l’eau. « En soit, ce n’est pas vraiment par rapport au cours, j’ai juste compris que tu étais une née-moldue à ce moment-là, quand tu as parlé de... » Le garçon hésita, recherchant les termes employés par la poufsouffle. « De tuyau d’arrosage, je crois. » Nul besoin d’avoir grandi chez des moldus pour comprendre à quoi pouvait bien servir cet objet, le nom était bien assez explicite. Sans magie, certaines plantes devaient certainement être abondamment humidifiées ; il n’avait en réalité jamais pensé à cette question auparavant, prenant pour acquis les techniques employées par ses homologues sorciers, à l’instar des microclimats dont usaient Alexander.

« Bon, je ne vais pas passer par quatre chemins. » commença-t-il, sa voix prenant subitement un ton presque magistral, semblable à celui que prendrait un professeur... semblable à celui de son grand-oncle. Si physiquement, il avait surtout hérité du côté tchèque et n’avait donc que peu de points communs avec son aïeul anglo-saxon, on pouvait parfois retrouver chez lui quelques mimiques similaires, certainement due à une forme de mimétisme inconscient. « Il y a un certain temps, j’ai eu une discussion assez... désagréable avec quelqu’un au sujet des moldus. » Inutile de préciser que la personne en question n’était autre que le maître de potions, la demoiselle n’avait pas besoin de tous les détails, encore moins lorsque ceux-ci témoignaient d’un avis controversé qui pouvait un jour mettre à mal sa propre famille. Si Dmitri était en conflit avec ses aînés, il ne désirait toutefois pas leur attirer de tels problèmes. « Certains de mes congénères craignent que la technologie moldue puisse un jour mettre à mal notre monde, à l’instar des persécutions qu’ont connues nos... mes ancêtres sorciers. » Étant née-moldue, elle ne percevait bien entendu pas l’histoire de la magie du même point de vue que lui. Par ailleurs, toute sa vie durant on l’avait instruit sur l’histoire en insistant sur le fait qu’il était lié aux sorciers d’antan ; il était même capable de remonter de fils en père jusque très loin dans le passé, découvrant ainsi un arbre généalogique aux innombrables ramifications.

Il passa nerveusement la main dans ses cheveux, abolissant l’ordre qui y régnait auparavant. « C’est sans doute un peu cavalier de demander ça, mais comme tu as grandi chez les moldus, tu as dû étudier l’histoire selon une perspective différente de la mienne. Est-ce que tu te sens appartenir plus à un monde plus que l’autre ? » Il ne pouvait nier qu’il attendait la réponse avec anxiété, tant pour la manière dont elle pouvait recevoir ses paroles que pour ce qu’elle pourrait lui dire. Il avait besoin d’entendre quelqu’un aller à l’encontre des dires de son aïeul, lui assurer qu’il avait eu tort.

(c) mars.

Dmitri n’avait pas relevé – ou avait préféré ignorer – le sarcasme dans ma voix et me répondait donc très sérieusement qu’il n’était pas passionné de jardinage, ce qui me paraissait quand même assez logique, je connaissais peu de monde, encore moins parmi les sorciers et vraiment pas chez les sangs-purs, qui trouvait amusant de passer des heures les mains dans la terre à planter des plantes qui – selon mon expérience – mourrait invariablement. Au moins nous avions un point d’accord, même s’il n’avait rien à voir avec la question qui nous intéressait – qui m’intéressait en tout cas. Tout cela n’était qu’un détour à travers un tuyau d’arrosage pour en venir au fait que je l’intéressait en tant que née-moldue. Je ne pouvait me raidir plus, tant j’étais déjà sur mes gardes, quand il en vint à ce fait. Le tuyau d’arrosage n’était que l’indication de mon sang auquel il paraissait me ramener, me réduire, sans que je ne me rendes compte que je formulais intérieurement des accusations qu’on pouvait sans aucun doute me retourner avec plus de raison.
Une fois cela dit, il changea de ton, sa voix se faisait plus ample, presque professorale. Enfin, il semblait décidé à dire directement ce qu’il me voulait, du moins je le pensais avant qu’il ne commence à me raconter une conversation houleuse avec un illustre inconnu. Une histoire d’ancêtres et de persécutions appartenant à un passé révolu qui me laissait de marbre, d’autant plus que je n’avais toujours pas compris ce qu’il me voulait. J’étais un peu exaspérée, hésitante quant à la conduite à tenir, désireuse de passer mon chemin, quand il en arriva enfin au coeur du sujet et de sa préoccupation, à savoir qu’il me demandait si j’étais plus sorcière que moldue. Je ne m’étais jamais posé le problème de cette manière, et en y réfléchissant rapidement, ça me paraissait assez absurde comme manière d’envisager les choses. Je n’étais pas plus sorcière qu’avant maintenant que j’étais à Poudlard. Je n’avais jamais été moldue en fait et l’entrée à Poudlard n’avait rien modifié à celle que j’étais. Ce n’était pas deux mondes coupés l’un de l’autre. Personnellement je ne me sentais tout à fait à ma place nulle part. J’avais été rejeté de mes parents à cause de la magie et j’étais rejeté de certains sorciers à cause de mes parents. Mais j’étais convaincu qu’il ne s’agissait que d’un seul monde coupé en deux.
« C’est pas comme ça que je réfléchis, pour moi il n’y a pas deux mondes séparés. J’ai vécu comme une moldu alors que j’étais une sorcière. Maintenant je vis chez les sorciers… Je n’ai pas changé entre-temps. Les deux mondes comme tu dis ne sont pas si différent et il y a des connexions entre les deux. »
Mon ton s’était adouci, sans que je l’ai décidé consciemment alors pour faire bonne mesure, je contre-attaquait d’une voix plus ferme, une lueur de défi dans les yeux. Je ne voulais pas montrer que j’abaissais la garde, je ne voulais pas qu’il puisse penser qu’il suffisait d’un ton un peu plus magistral et d'une question étrange pour amadouer un esprit en révolte contre son aïeul.
« C’est la vision de certains sangs-purs de vouloir séparer en deux le monde entre moldus et sorciers de manière complètement étanche. »

zeynep & Dmitri / sept 2026

Dmitri se détendit en écoutant la jeune poufsouffle dont le ton, jusque-là rude et peu engageant, tendait désormais à s’adoucir. Étant alors sur ses gardes, par la force des choses, il commençait lui-même à adopter progressivement une attitude plus décontractée. Cet air guindé qui le caractérisait n’était pas moins présent, il faisait partie intégrante de lui, inculqué par une éducation rigoriste et très à cheval sur la bienséance, mais son visage aux traits rendus stricte par la pression semblait s’estomper, favorisant l’apparition d’une expression plus juvénile et naturelle.

L’espace de quelques instants, il pensa naïvement avoir dépassé les divergences que leurs sangs et leurs éducations distinctes avaient inévitablement instaurées entre eux. Zeynep lui accordait une réponse qui le confortait dans ses idées ; s’il pensait jusqu’alors ne pas avoir d’attentes particulières quant à la nature de ce qu’elle pouvait lui dire, inconsciemment il en avait pourtant, et ce qu’elle lui dit allait dans son sens, le confortant dans sa désobéissance vis-à-vis des idées familiales.

Lorsque la jeune fille reprit, ce fut avec une brusque inflexion dans la voix, comme un retour à des tonalités plus agressives. Surpris, l’aiglon ne répondit pas immédiatement. Sans doute avait-elle raison ; bien qu’intéressé par la technologie moldue, il percevait le monde moldu par opposition au sien. Deux univers séparés qui, dans sa vie, ne pouvaient se croiser. Légèrement abattu par la distance qu’elle gardait résolument entre eux, comme s’il était une menace dont elle devait se tenir le plus éloigné possible, il eut un soupir las. « Tu as sans doute raison... mais à ma décharge, le monde moldu est bel et bien séparé du monde dans lequel j’ai grandi. Ce n’est pas ma vision, mais le fait de mon éducation. Éducation que je n’ai pas choisie. » rétorqua-t-il avec cette ténacité dont il avait le secret.

Dmitri colla son dos contre le mur, entre deux grands tableaux. Il regardait désormais la née-moldue de biais ; s’il avait remporté une première victoire en obtenant d’elle son attention, il lui semblait presque impossible de faire tomber cette méfiance qu’elle nourrissait à son égard. Une méfiance sans doute couplée avec une forme d’hostilité. Il aurait certainement été plus simple d’aller discuter avec un autre né-moldu, moins revêche. Après tout, Colin ne le regardait pas avec cette même colère... mais au fond, ce n’étaient désormais pas seulement des réponses à ses questions qu’il attendait de Zeynep, mais bien plus de lui prouver qu’il n’était pas mauvais. « Quand tu as appris que tu étais une sorcière, c’est tout un pan du monde jusque-là inconnu que tu as découvert, non ? » Cette fois-ci, il avait retenu la leçon et ne parlait plus de deux mondes distincts mais bien d’un seul. « Dis-toi que c’est un peu la même chose pour moi, mais dans le sens opposé. Je cherche juste à découvrir cette autre facette du monde, qui m’était inconnue jusqu’à maintenant. »

Le garçon marqua une hésitation, regardant un tableau en face de lui dont l’occupant feignait, sans grand succès, d’être aux prises avec Morphée. Ce n’est qu’après avoir pris une profonde inspiration, comme s’il allait pouvoir inhaler du courage, qu’il se décida à rajouter : « Dis... pourquoi es-tu si vindicative vis-à-vis des sang-purs ? J’imagine que certains de mes compatriotes n’ont pas toujours été tendres... mais j’ai presque l’impression que tu m’en veux personnellement, alors qu’on se connait à peine. Pourquoi cette méfiance généralisée ? » S’il pouvait se montrer capable d’être mielleux et policé afin de charmer autrui, il commençait par penser que ce n’était pas l’option la plus appropriée avec Zeynep. En optant pour une franchise plus brutale, il prenait certes le risque de la braquer et de réduire à néant ses efforts, mais une approche différente lui apparaissait comme être une solution bien plus efficace que se complaire dans une attitude laissant trop transparaître son éducation aux antipodes de celle de la poufsouffle.

(c) mars.

Je n’avais pas l’habitude de ce genre de discussion. Dmitri était d’un monde opposé au mien, opposé à ce que j’avais vécu les onze premières années de ma vie. Il avait baigné dans le monde magique depuis sa naissance, j’y avais été propulsé comme par erreur à mon entrée au collège. J’avais appris que « sorcière » était une insulte, on lui avait sans doute expliqué que les moldus étaient des êtres inférieurs. Il n’y avait pas que notre rapport à la magie qui différenciait nos vies. Ses manières policées, ses circonvolutions avant d’en venir au sujet qui le préoccupait, sa manière même de serrer la main, tout transpirait un milieu social qui n’était pas le mien. J’avais grandi dans une famille où l’on se disait les choses, où les problèmes n’étaient pas masqués derrière la politesse et les bonnes manières. Nous savions dire ce qui nous tenait à coeur parce que la pauvreté n’admet pas les pertes de temps. Les relations étaient peut-être plus dures mais elles étaient surtout plus franches, plus vraies.
Il semblait pourtant faire un pas dans ma direction, reconnaissant sa difficulté à comprendre ce que j’avais vécu. Il avait raison : il n’avait pas choisi son éducation. Et s’il cherchait sincèrement à comprendre cette partie du monde qu’il n’avait pas connu, je pouvais même peut-être envisager de l’aider. Il était tenace et je ne pouvais qu’apprécier cette mentalité. J’avais tout fait pour qu’il parte et il était resté, s’accrochant à ce qu’il voulait comprendre me montrant par la même que ce qui m’avait toujours semblé une évidence ne l’était pas pour lui. Et mieux valait qu’il comprenne les moldus à travers des nés-moldus plutôt qu’avec ce que pouvait lui en dire son aïeul.
Il devenait de plus en plus franc dans ces propos, abandonnant peu à peu des manières qui m’avaient toujours semblé incompréhensible pour me demander les raisons de ma colère et de ma méfiance.
« Tu t’appelles van Aken. »
C’était un constat sans appel qui voulait tout dire pour moi. Il était du sang de celui qui méprisait les moldus. Il ne l’avait pas choisi mais devait subir son influence, son éducation. Son aïeul représentait le mépris des moldus pour moi. Mais cela, il ne le savais pas forcément. S’il avait vécu dans une tour d’ivoire sang-pure, il n’avait peut-être jamais pu voir ce que signifiait être une née-moldue, concrètement, avec la haine et le mépris de ceux de son sang.
« Tu ne rêves pas la nuit que des sangs-purs veulent te tuer. Tu ne subis pas leur mépris depuis ta première arrivée au Chaudron baveur. Tu ne te prends ni insulte ni coup. »
J’alignais les faits d’une voix blanche, ne laissant transparaître aucune émotion. Je m’ouvrais en réponse à ses interrogations, mais ne voulait pas me rendre vulnérable. J’espérais juste que les accents de sincérité dans sa voix n’était pas feints.

zeynep & Dmitri / sept 2026

Tandis que les secondes s’égrenaient, il crut un moment avoir été trop cavalier, braquant son aînée d’un an et le condamnant à ne recevoir d’elle qu’une ignorance méprisante. Depuis le début, il semblait que leur discussion n’était qu’une succession de joute. Tels des bretteurs, ils apportaient à l’autre des arguments pour continuer la lutte, gagnant quelques centimètres sur le terrain avant de les perdre à nouveau lorsque l’adversaire contrattaquait. Il pensait l’avoir involontairement poussé à déclarer forfait. Pourtant, une fois de plus, elle lui accorda une réponse. Réponse qui le laissa un instant sans voix. « Euh... oui ? » Effectivement, il était un van Aken. Zeynep estimait que cette réponse était à elle seule révélatrice, mais lui ne trouvait pas cette réponse satisfaisante, bien au contraire. Dmitri n’insista pas, la laissant poursuivre.

Cette fois-ci, il eut un rire franc ; bien que la situation ne prêtât en rien à la plaisanterie, il n’avait pu s’empêcher de trouver une certaine ironie dans son propos. « Désolé, je ne me moque pas de toi. Disons juste que... tu peux enlever la remarque sur les coups. » Il marqua une hésitation, un sourire caustique sur les lèvres. « D’ailleurs... je pense bien avoir déjà dû rêver qu’un de mes frères veuille me tuer. Tu vois, en fin de compte, on n’est pas si différent ! »

Finalement, l’aiglon reprit son sérieux quelque peu refroidi par le ton qu’avait employé la poufsouffle, alors qu’il commençait à mettre en corrélation les deux remarques de la demoiselle. S’il n’avait pas immédiatement tiqué sur l’évocation des coups, si ce n’est pour son expérience personnelle, son père et son grand-père étant particulièrement friands de la discipline basée sur les châtiments corporels, il commençait peu à peu à faire le lien entre ce qu’elle disait et son nom de famille. « Attends une minute... en quoi ma famille est-elle liée à tout ça ? » Il se redressa machinalement en mentionnant les siens, le dos droit et les épaules relevées, comme si le simple fait de les évoquer rappelait en lui les habitudes de son éducation. Il lui semblait presque entendre les admonestations de sa mère, insistant sur l’importance de garder une posture distinguée.

Pas un instant, il ne pensa à son grand-oncle. En réalité, il peinait à imaginer le maître des potions s’intéresser assez à l’une de ses élèves née-moldues pour lui témoigner d’autre chose qu’une ignorance méprisante.

(c) mars.

Le simple fait de prononcer ce nom aurait dû lui suffire à comprendre de quoi il en retournait mais cette évocation le laissait de marbre, comme s’il ne voyait pas le rapport. Était-il si sincère, comme j’avais voulu le supposer ? Je commençai à en douter à nouveau et à regretter de m’être un peu livrée. La suite ne faisait que confirmer ce désagréable sentiment. J’essayais de lui faire comprendre ce qu’était la vie d’un né-moldu dans son cher monde magique et il tirait la couverture vers lui en essayant d’expliquer que tout ce que je lui racontais lui était déjà arrivé, comme s’il tentait de justifier que tout cela était habituel. De deux choses l’une : où bien il ne se rendait pas compte de ce que je racontais, du caractère systématique de ce dont chaque né-moldu était victime ; ou bien le monde sorcier était bien plus pourri que ce que j’avais pu imaginer pour traiter de la sorte les fils de sa propre élite. J’avais exclu des possibilités le fait qu’il me mente complètement parce que ça ne me semblait pas correspondre à mon interlocuteur et au début de notre discussion, d’autant plus que j’étais partie du principe qu’il était sincère au moins en partie et que je voulais tirer tous les fils de ce raisonnement. Incapable d’en conclure quoi que ce soit, je le laissais continué, essayant de paraître le moins blasée possible. Je ne voulais pas trop le faire fuir s’il était de bonne foi. Mais quand il me demanda le lien avec sa famille, je ne pus que hausser les yeux au ciel, tant il me semblait à côté de la plaque. Tout le château était au courant qu’un van Aken y enseignait les potions et il fallait être aveugle ou de mauvaise foi pour se rendre compte qu’il n’était pas des plus affable avec les nés-moldus et que ses accointances allaient vers les soirées réservées aux sangs-purs qu’il organisait et dans lesquelles on louait la pureté du sang.
« Ton grand-père, ou autre, n’est pas tellement connu pour apprécier les nés-moldus… C’est plutôt les sangs-purs qu’il invite dans ses cachots. »
J’en avais appris un peu plus en espionnant l’une de ses soirées, je connaissais les discours qu’il tenait loin des oreilles de la direction. Mais cela, je le gardais pour moi en temps normal et encore plus devant un sang-pur de cette famille, à l’allégeance encore louche car même s’il disait s’intéresser aux moldus contre l’avis de sa famille, rien dans ses déclarations ne me permettait de lui faire confiance pour lui dire quelque chose que je cachais même à Liam. D'un ton moins allusif, je continuais, sans chercher à le ménager.
« Comment veux-tu comprendre quelque chose aux moldus si tu n'es pas capable de remarquer que ton nom est associé à un professeur qui les méprise et n'hésite pas à les frapper ? »

zeynep & Dmitri / sept 2026

Il aurait tellement aimé être un legilimen, comme son père, pour savoir ce que pensait la poufsouffle en cet instant. Son visage était presque impassible, seules certaines expressions laissant parfois transparaître quelques émotions. Alors qu’il lui demandait, le plus honnêtement du monde, le lien de tout ses dires avec les van Aken, il l’a vit lever les yeux au plafond en un geste qui ressemblait presque à de l’exaspération. Ses questionnements avaient exclu son grand-oncle, tant il peinait à l’associer à de brimades puériles. Pour lui, il ne pouvait que s’agir du reste de sa famille : ses frères, en particulier, étaient susceptibles d’eux de ceux qui rendraient la vie de Zeynep impossible. Mais ils étaient à Prague, ou plutôt à l’heure actuelle quelque part dans le grand-nord, à Durmstrang. « Ton grand-père, ou autre, n’est pas tellement connu pour apprécier les nés-moldus… C’est plutôt les sangs-purs qu’il invite dans ses cachots. » Dmitri haussa un sourcil. S’il commençait à comprendre ce qu’elle essayait de lui dire, il demeurait dubitatif. « Grand-oncle » corrigea-t-il machinalement. L’évocation des cachots ne laissait aucun doute quant au fait qu’elle visait Alexander.

Alors qu’elle poursuivait, son deuxième sourcil vint rejoindre le premier. L’espace d’un instant, il dut avoir l’air bien sot avec le regard ainsi écarquillé. « Ne t’inquiète pas pour moi, ça fait quelques temps déjà que j’ai remarqué la concordance entre mon nom et celui du maître des potions » Son ton était désormais sec. Il aurait aimé avoir l’air plus détaché, moins froid, mais il commençait à se lasser de ces remarques, sourires amusés ou regards intrigués lorsque les gens entendaient son patronyme. L’article du crôasseur n’était d’ailleurs pas inconnu à cette lassitude. Il aurait sans doute pu lui dire qu’il était bien au fait des idées de son aïeul, seul un aveugle ne le serait pas, mais il lui était impossible de le faire. Tout traître à son sang qu’il était, il n’était pas prêt à nuire ainsi à sa famille. Il détestait son père et n’avait que peu d’égard pour son grand-père, même sa mère peinait à trouver grâce à ses yeux ; mais Alexander avait le mérite de lui offrir une vie différente de celle qu’il avait jusque-là. « Mon grand-oncle frappe ses élèves ? » Il savait le maître des potions capable de se montrer très persuasif en matière de punition, lui-même en ayant fait les frais, quoiqu’il ne s’agît pas de coup de cannes, mais il l’imaginait mal frapper un élève à Poudlard, la présence de la directrice lui imposant une grande prudence. « Autant dans ma famille, on est plutôt friand des châtiments corporels, autant j’imagine mal mon grand-oncle en user dans l’école... » Alors qu’il parlait, l’aiglon réalisa que s’il voulait se faire détester de Zeynep, il ne devait sans doute pas changer de ton ; rien de mieux que de la dénigrer ou de contester ce qu’elle disait pour en faire une ennemie. Il n’était pas le plus grand des diplomates ; ses ardeurs et son impatience étant souvent cause de bien des soucis. Mais si avec son géniteur, il restait résolument borné quitte à recevoir des coups, il ne souhaitait pas se mettre à dos la née-moldue. Il détourna les yeux, parcourant les divers tableaux sans vraiment les voir, alors qu’il calmait son tempérament de feu.

(c) mars.

Bon, première information capitale : le professeur de potions n’était pas le grand-père mais seulement le grand-oncle de mon interlocuteur. Et seconde information : Dmitri n’avait pas l’air de se rendre compte de ce que je disais et m’affirmait presque que je mentais, du moins c’était comme cela que je prenais ses dénégations. Il ne semblait pas pouvoir croire que son cher grand-oncle était prêt à frapper ses élèves. À vrai dire, il ne l’avais pas fait dans l’école mais ce n’était guère différent. Et surtout, son mépris transparaissait même au sein de l’établissement et cela pouvait être plus blessant que les coups de canne. Et comment Dmitri pouvait-il être sincère en disant presqu’il ignorait cela ? Je ne savais décrire le sentiment que je ressentais à cette instant. Ce n’était pas un sentiment de trahison, je ne lui avais jamais fait confiance. Ce n’était pas du dégoût, je ne l’estimais pas assez pour cela. Ce n’était pas de la pitié, il ne faisait pas figure de victime dans l’affaire. C’était un mélange de tout cela, atténué, et d’autre chose encore, comme un dépit et une colère envers moi-même, la déception d’avoir pu envisager après un premier instant de froid, qu’il pourrait être sincèrement intéressé par les moldus.
« Je ne sais pas ce que tu as appris dans ta famille mais si les châtiments corporels y sont légion, sache que ton grand-oncle ne fait exception. Tu peux me dire que ton éducation t’a rendu aveugle à une certaine partie de la réalité de ce monde mais il ne tient qu’à toi d’ouvrir les yeux. Je ne sais pas ce qu’on t’a dit des nés-moldus mais si tu te sens le devoir de mentir et de feindre d’ignorer l’idéologie de ce fameux grand-oncle pour me parler, ne t’attends pas à ce que je m’appesantisse sur tes questions. »
Mon ton n’était plus froid, j’étais passé au stade où l’énervement prenait le pas sur mes réflexions. Je ne prenais plus le temps de peser mes mots pour éviter la dispute, je n’en avais rien à faire qu’il s’en offusque. Je disais ce que j’avais depuis trop longtemps sur le coeur alignant le caractère formel du choix des expressions sur son air guindé. Pourtant, je ne partis pas de suite comme il aurait pu sembler logique, je voulais lui laisser une dernière chance de s’expliquer enfin. À lui de voir ce qu’il en ferait mais je me tenais prête à tourner les talons aussi vite que ce que j’aurais sans doute dû faire plus tôt.

Zeynep & Dmitri / sept 2026

« Je ne feins rien du tout. Je connais parfaitement l’idéologie de ma famille. » Il eut un sourire désolé alors qu’il ajoutait : « De fait, tu as dû l’apprendre à tes dépends ; les coups de bâtons, ça fait rentrer les informations de manière très efficace. » Voir monter en Zeynep des signes évidents de colère avait été bien plus efficace que tous ses efforts pour calmer ses ardeurs. Il pesait à nouveau ses mots, non par soucis d’amadouer mais par désir de ne pas brusquer à nouveau inutilement la poufsouffle. Elle semblait nourrir une haine à l’encontre de son aïeul et il savait par expérience combien il pouvait être difficile de raisonner quelqu’un en proie à de tels sentiments. « Si tu as eu l’impression que mes propos visaient à déprécier les tiens, ce n’était pas mon intention... et je te prie de bien vouloir m’excuser. » Ses excuses étaient honnêtes. Peut-être étaient-elles trop empreintes de ce formalisme dont il usait instinctivement de ces situations, peut-être semblaient-elles trop dénuées de chaleur... mais ils ne pouvaient faire autrement. « Je ne doutais pas de ce que tu m’as dit... j’étais simplement surpris qu’il se soit permis de le faire ici. Ça n’a pas l’air d’être la pédagogie... traditionnelle de l’école. » Un regard sur les innombrables tableaux qui décoraient les murs du couloir rappela à lui une dure réalité. Les van Aken avaient une réputation suffisamment sombre dans la société anglo-saxonne sorcière pour qu’il n’ait pas à en rajouter avec ses propres ressentiments. Au fond, il s’était habitué à l’idée de savoir que plusieurs de ses ancêtres n’avaient pas été des enfants de chœurs, qu’y pouvait-il de toute manière ? Il était préférable pour lui de ne pas trop insister sur sa famille. Outre son désir de ne pas s’épancher sur les idéaux de sa famille, et sur les antécédents de ses aïeux, il savait aussi qu’en ces lieux, si les murs n’avaient pas d’oreilles, les peintures, elles, en avaient.

Ses yeux brillèrent un instant d’une lueur inquiète. Cette crainte était la même que celle qui l’avait motivé à mentir à cette arithmancienne dans la librairie. Il maudissait parfois son habitude, issue des règles les plus élémentaires inculquées par sa mère, de toujours donner son patronyme. Il se souvenait encore de ce qu’elle lui disait ; une personne se doit d’indiquer son nom de famille car il était la marque d’un héritage, d’un patrimoine non seulement génétique, mais surtout culturel. L’on ne se définissait pas d’abord par soi-même, mais par ceux qui nous avaient précédés. Cette leçon était bien ancrée en lui. Il ne pouvait d’ailleurs nier être fier d’être un van Aken pour certaines choses ; nombreux étaient ses ancêtres à avoir brillé par leurs travaux, en particulier celui de la peinture magique. Mais il aurait aimé pouvoir effacer l’autre part de son héritage. Celle moins reluisante de son arrière-grand-père ou même du frère de celui-ci, Tobias.

L’aiglon plongea ses yeux céruléens dans ceux, plus sombres, de Zeynep. « En revanche, je ne m’excuserai pas d’être un van Aken. Je n’ai pas plus choisi ma famille que toi d’être née-moldue. Je n’ai ni l’envie, ni la force, de prendre sur moi tous mes antécédents familiaux. » Lorsqu’il reprit, sa voix avait perdu de sa superbe. « Je n’aurai pas dû parler de ma famille. » Plus qu’un constat, c’était avant tout une fuite en avant.

(c) mars.

La tension dans cette discussion qui ressemblait plus à une joute qu’à une conversation amicale semblait redescendre d’un cran avec les excuses de Dmitri et l’affirmation qu’il était conscient de l’idéologie de sa famille. Il avait raison quand il disait que les coups de bâton faisait rentrer les informations même dans les cerveau les plus récalcitrants. Il avait sans doute été élevé comme beaucoup de sangs-purs, dans le mépris des nés-moldus. Il avait été éloigné de la majorité du monde jusqu’à aujourd’hui et il en gardait des traces. Par certains aspects, j’étais injuste d’exiger comme préalable à la discussion qu’il abandonne d’un coup tout ce qu’il avait appris des années durant. J’étais peut-être injuste mais j’étais surtout trop butée pour l’assumer et le reconnaître devant lui. Je le voyais encore malgré tout comme un potentiel ennemi et je savais bien qu’il ne fallait jamais dévoiler ses faiblesses à l’adversaire.
Ses explications marquaient pourtant une volonté qui semblait réelle de se démarquer de l’idéologie de son grand-oncle et de ses pratiques, il voulait dire que sa remise en question ne portait pas sur les coups de canne mais sur l’endroit et il avait raison : en l’état actuel, le professeur van Aken ne se sentait pas la possibilité d’afficher ouvertement tout ce qu’il pensait des nés-moldus et les chatiments corporels devaient lui être proscrits. Je décidai donc d’aller dans son sens.
« Les coups, ce n’était pas dans l’école. Mais il le pourrait, je suis sûre qu’il ne s’en priverait pas. »
Je le vis ensuite observer les tableaux, l’air songeur, sans parler. Cela me ramenait à une dure réalité puisque j’avais pu comprendre que les portraits étaient loin d’être seulement décoratifs et que pour une raison que j’ignorais ils semblaient obéir au professeur de potions. C’était un tableau qui se chargeait de me rappeler à l’ordre lors de mes retenues dans la réserve et j’avais bien été informé qu’il irait rapporter toute incartade durant ses heures, ne serait-ce que le plus petit arrêt, la moindre casse de flacons à van Aken.
Après ce bref instant de silence, il reprit d’un ton relativement assuré, parlant de sa famille et des excuses qu’il ne donnerait pas d’en être. Il ne pourrait pas changer son nom, son héritage et son éducation. Il avait raison sur ce point, il était sang-pur comme j’étais née-moldue : sans l’avoir choisi. Mais s’il considérait qu’il n’avait pas son mot à dire, que cette ascendance excusait son comportement, il se trompait lourdement à mes yeux. Il avait un choix à faire, bien plus difficile que de modifier un nom sur un bout de parchemin. Il devait l’entendre, même si je savais, pour l’avoir vécu dans d’autres circonstances, sans l’avoir du tout décidé, combien cela pouvait se révéler complexe.
« Tu peux quand même choisir de rompre avec eux. »
Ma voix se perdit peut-être dans sa dernière phrase où il exprimait des regrets d’avoir évoqué ce sujet mais je savais qu’il avait entendu, sans savoir s’il se saisirait de cette idée et comment.

Zeynep & Dmitri / sept 2026

Zeynep sembla accepter ses excuses, expliquant par ailleurs que son aïeul ne s’offrait pas le luxe des coups de cannes au sein de ses cours. « Mais il le pourrait, je suis sûre qu’il ne s’en priverait pas. » L’aiglon se contenta d’un bref haussement d’épaules. Il en avait déjà trop dit et jugea préférable de ne pas enfoncer le clou.

Il laissa planer le silence quelques instants après la dernière remarque de la poufsouffle. Rompre avec sa famille ? Cette idée l’avait effleuré une fois, alors qu’il discutait avec une autre sorcière anglaise ; le sujet n’était pas tout à fait le même, quoique les nés-moldus en demeuraient le principal élément. À l’époque, qui n’était d’ailleurs pas si ancienne, il avait été horrifié par cette pensée. Et aujourd’hui, rien n’avait changé. Ou plutôt si ; sa certitude était plus forte.

« Non » fit-il sobrement. Le ton était ferme et implacable ; la décision semblait sans appel. Elle pouvait en déduire ce qu’elle voulait ; qu’il ne puisse pas couper les ponts avec les siens, ou qu’il ne veuille tout simplement pas le faire. En réalité, les deux hypothèses étaient tout aussi vraies l’une que l’autre. Le dire pourtant, exprimer à l’oral une forme de fidélité vis-à-vis de sa famille, semblait changer quelque chose en lui. Jusqu’alors, il avait été plus prompt à la critiquer, comme s’il n’en faisait pas réellement partie. Mais ce seul mot, cette seule négation qu’il venait d’apporter, sonnait comme un aveu ; il était un van Aken et quoiqu’il puisse faire, quoiqu’il puisse dire, il en sera toujours un. Et un jour viendra, il devra en accepter certaines conséquences. À la réflexion, son grand-oncle avait déjà essayé de l’amener sur ce terrain, ne recevant alors que sarcasme ou provocation, il était donc assez comique que ce soit finalement une née-moldue qui y parvienne.

La remarque de Zeynep avait eu pour autre effet d’attirer son attention, attisant en lui une curiosité accusatrice. « Tu le ferais, toi, rompre avec ta famille au prétexte de ne pas partager ses idées ? » La question était intrusive, mais ce n’était qu’un juste retour des choses ; en évoquant cette possibilité, elle emmenait la discussion sur un sujet autrement plus complexe qu’une opposition familiale frôlant parfois la simple crise d’adolescence.

Dmitri était également curieux de savoir ce qui se tramait dans l’esprit de la poufsouffle. Avait-elle simplement lancé une idée en l’air, sans réellement y réfléchir, ou nourrissait-elle des pensées plus abouties ? La crainte de voir les propos d’Alexander trouver une forme de véracité en la personne de Zeynep resurgit. Il se fit force pour chasser cette perspective de son esprit, sans qu’il ne parvienne totalement à s’en débarrasser.

(c) mars.

La réponse était tombée, claire, nette, tranchante presque. Il refusait de rompre avec sa famille. Il était sûr de lui, n’envisageait même pas cette possibilité. Il ne faisait pas mine d’hésiter et je regrettais presque de lui avoir proposé cela avec l’espoir, pas tellement qu’il le fasse, mais qu’il accepte de se poser la question sous cet angle, qu’il se demande de quoi je voulais parler. Il ne s’agissait pas forcément de couper tous les liens mais simplement d’être prêt à accepter de renoncer à se considérer soi-même comme faisant partie d’une famille dont on contestait les valeurs. Il n’était même pas horrifié par l’idée, il ne se osait même pas de question. Il assumait, malgré ce qu’était sa famille, qu’elle était la sienne. Il pouvait ensuite dire ce qu’il voulait sur sa volonté de comprendre les moldus, il n’en resterais pas moins à mes yeux et peut-être même aux siens plus proche de son grand-oncle et de ses pratiques douteuses que de ces moldus que sa famille méprisait.
Tout cela aurait dû être suffisant pour me donner toutes les raisons de partir, de ne pas perdre mon temps avec un interlocuteur qui n’était rebelle que si l’on ne prenait pas le soin de gratter, ne serait-ce que d’un demi-millimètre, ce pauvre vernis de tolérance qu’il abandonnerait sans doute le jour où sa famille, arguant ses intérêts les plus ultimes, le lui demanderait sérieusement. Pourtant je restais là, comme attirée par ce garçon que je jugeais sévèrement mais dont une part de la mentalité m’échappait inexorablement. Je ne pris même pas mal son intrusion, puisqu’il ne faisait que me retourner mon interrogation. Mais si on lui avait sans doute appris que la famille passait avant tout, ce n’avait pas été mon cas. J’avais grandi dans une famille où les liens d’idée était bien plus important que les liens du sang. Cela donnait des relations parfois dures mais c’était la vie qui le voulait ainsi. Et j’avais parfois surpris des discussions entre mes parents sur certaines des connaissances de mon père qui avait dû rompre avec leurs parents, que ce soit pour les protéger des représailles de la dictature s’il venait à se faire prendre ou parce qu’il venait d’une famille d’officiers ou autre, favorable au régime militaire mis en place par le coup d’État qui avait fait fuir mon père. D’ailleurs lui même avait presque rompu avec ses proches en quittant précipitamment la Turquie. Et cela expliquait en grande partie son comportement vis-à-vis de mes pouvoirs : une fois qu’il avait estimé que je trahissais les idéaux auxquels il avait dédié sa vie, il n’avait plus de raison de m’accepter sous son toit. La sentence était rude mais assez logique de son point de vue. Et moi, je ne remettais pas en cause le raisonnement, je voulais simplement lui prouver qu’il se trompait en me prenant pour une traître.
« Ils s’en sont chargés à ma place. »
Ma voix était neutre, détachée, j’énonçais un fait sans y laisser paraître les émotions qui pouvaient m’envahir. On pouvait faire des grands raisonnements à partir de ses idées mais on devait admettre que perdre ses parents et tous ses repères étaient chose difficile à vivre. Mais je ne voulais rien laisser paraître face à un van Aken. Je lui avais dit la vérité sans réfléchir, sous le coup du trouble qui m’envahissait. J’étais plus préoccupée par le fait de ne rien laisser paraître que par la réflexion à sa question. Je venais de lâcher une information que je refusais de dire trop fort, de peur qu’elle puisse être utilisé contre moi, les moldus ou autres. Alors, espérant qu’il ne se rende pas compte de ce que je venais de dévoiler, je contre-attaquais avec tout le sarcasme dont j’étais capable.
« Mais depuis quand un van Aken se préoccupe des familles moldus ? Ce n’est pas dans ton éducation ça… Sache au moins que la question de rompre avec une famille intolérante vis-à-vis de la grande majorité du reste du monde ne se pose pas à nous. »
A nouveau, il y avait un « nous » en opposition à lui, à nouveau la conversation se tendait, les positions se radicalisaient des deux côtés. Il voulait se montrer loyal avec sa famille, il refusait depuis le début toute critique ? Très bien. Il comprendrait peut-être qu’il n’y a pas d’entre-deux et qu’il venait de faire un pas du côté de cette éducation qu’il croyait rejeter.

Zeynep & Dmitri / sept 2026

Le garçon fut pris de court par la réponse de Zeynep, une révélation qui lui paraissait presque surréaliste. Il était pourtant prêt à croire beaucoup de choses ; il ne serait guère surpris si on lui révélait des méfaits impliquant magie noire ou exactions à l’encontre de moldus de la part de ses aïeux parce qu’il en avait toujours envisagé la probabilité et que ces idées berçaient son imaginaire depuis sa naissance. Mais paradoxalement, évoquer l’abandon d’une famille, d’un côté comme de l’autre, lui paraissait totalement absurde. Son éducation était pétrie de solidarité familiale ; les liens du sang et des alliances faites entre les différents lignages bénéficiaient d’une force dont aucune autre accointance ne pouvait jouir. Il n’avait pas toujours été le plus fervent défenseur de cette solidarité familiale, faisant à l’inverse souvent montre d’un détachement voire d’un dédain pour ce principe, mais il demeurait inscrit dans son esprit comme une réalité qu’il ne pouvait pas totalement ignorer. Ainsi, il n’avait pas eu longtemps à se questionner pour savoir qu’il ne pouvait pas rompre avec les siens ; il était un van Aken. Il n’était pour lui pas question d’un simple sentiment d’appartenance, il s’agissait d’un fait indéniable. Qu’il en apprécie ou non les conséquences n’y changeait rien ; ni lui, ni même ses parents, ne pouvaient y changer quelque chose.

Et pourtant, la poufsouffle venait de démontrer le contraire. Par sa révélation, elle ébranlait une conviction si profondément ancrée qu’elle en était presque devenue une part de son ADN. Sa famille avait pu rompre avec elle ; le fait qu’elle ait pu décider d’exclure Zeynep des leurs semblait marquer une différence entre sorciers et moldus. Dmitri avait un jour envisagé l’idée que des moldus puissent rejeter leurs enfants sorciers par crainte de ce qu’ils étaient, mais ils n’y croyaient alors pas vraiment ; il s’agissait plus d’un exercice de pensée que d’un fait avéré. Jusqu’à maintenant.

L’aiglon voulait dire quelque chose, compatir peut-être, ou demander des explications. Mais il n’en eut pas le temps, la née-moldue reprenait déjà la parole, avec une certaine véhémence. Pouvaient-ils seulement avoir une discussion normale et posée sans qu’au bout de quelques minutes ne revienne le conflit ? À chaque fois, l’un d’eux venait jeter de l’huile sur le feu de la discorde, comme une danse incessante.

Il se passa inutilement la main dans les cheveux, comme pour remettre en place des mèches qui étaient déjà bien peignées. Tic nerveux qui avait pour but de masquer son ressentiment ; il trouvait l’attaque de la fille injuste et sentait l’énervement pointer à nouveau. C’est alors qu’il commença à comprendre ce qui se tramait dans l’esprit de sa camarade. Ce n’était pas seulement un sentiment d’injustice, comme lui pouvait ressentir lorsqu’elle l’accusait de partager les idées conservatrices des van Aken, mais bien plus. « À t’écouter, tout n’est que conflit. Il y a d’un côté les pro sang-purs, et de l’autre les anti-sang-purs, c’est ça ? » Sa voix était étonnement calme alors que quelques instants plus tôt, il luttait contre la colère. Il ne menaçait plus de s’énerver ou d’abandonner toute tentative d’avoir une discussion paisible avec elle.

À nouveau, ses yeux se posèrent sur les tableaux du couloir ; ils représentaient une menace constante pour l’intimité de ses entretiens. Tout comme son père avait maintenu une forme de contrôle de ses relations en l’empêchant de côtoyer certaines personnes et en s’insinuant dans son esprit à coup de légilimancie, son grand-oncle pouvait à tout instant garder un œil sur ses actions. Paranoïa ou simple prudence élémentaire, toujours était-il qu’il ne voulait pas aborder certains sujets en présence de peintures magiques ; une question lui brûlait les lèvres, mais il n’osait pas la poser. Au fond, il lui semblait toutefois déjà en connaître la réponse, mais il avait besoin d’une confirmation qu’il ne pouvait, en pareilles circonstances, obtenir. Zeynep n’était-elle pas en train de partir en guerre, de mener une croisade contre les sang-purs ? Ainsi, s’il refusait de rompre avec le reste des van Aken, ça faisait de lui un ennemi.

« En fait, le problème que tu as avec moi, ce n’est pas à cause de mon grand-oncle ou de ma prétendue éducation. C’est juste que je sois un sang pur. » Le garçon eut un rire sans joie. « Tout est donc question de sang, même pour toi. »

(c) mars.

Cette discussion commençait véritablement à m’agacer mais je ne savais dire si la source de mon énervement était dans l’attitude de mon interlocuteur ou dans la révélation que je venais de faire. J’avais lâché sans réfléchir une information que je cachais à certaines des personnes dont j’étais le plus proche. J’avais dévoilé un lourd secret à un inconnu, un van Aken de surcroît. Et j’avais de quoi m’en vouloir. En disant que mes parents m’avaient abandonnée, je lui donnais des billes pour penser que les moldus étaient des brutes, qu’ils ne voulaient que persécuter les sorciers. Pourtant, même au jour où mon père m’avait laissé derrière la porte close, je n’avais pu arriver à cette pensée. Au contraire, tout mon être voulait accuser, encore une fois, ces sorciers qui creusaient un fossé entre les moldus et eux-mêmes. Ce n’était sans doute pas très rationnel, peut-être pas tout à fait juste, mais c’était la magie que je voulais voir sur le banc des accusés. Mes parents ne pêchaient que par ignorance. Forte de cette conviction, j’avais fait le choix de contre-attaquer pour masquer le trouble qui m’habitait, soufflant sur des braises qui n’avait jamais eu le temps de s’éteindre. Et Dmitri avait embrayé, comme si lui non plus ne voulait d’une discussion apaisée. Il rétorqua à son tour, disant globalement que ma vision était schématique, manichéenne. Elle l’était sans doute un peu mais je préférais cela à l’hypocrisie de relations faussement lisses. Il connaissait mon point de vue et je ne tenais pas à répondre à nouveau, ou plutôt, je ne supportais plus assez ces accusations pour vouloir répondre posément. Je le regardais observer les tableaux, me rappelant celui sui trônait dans la réserve. Il m’accusa bien vite encore une fois, me disant, en somme, que j’étais comme ceux que je combattais, que pour moi comme pour eux, tout n’était qu’une question de sang.
Avant même que j’eus le temps de réfléchir, tel un réflexe, ma réponse fusa, presque comme un cri, qui fit se retourner quelques portraits sans même que j’y prête attention.
« Non »
Je ne pouvais le laisser proférer ce genre d’accusations, je ne pouvais le laisser me comparer à ceux que je haïssais. Je n’avais rien en commun avec eux, je voulais la paix, la justice et non la haine et la division. Mais désormais, toute explication me paraissait vaine, j’avais fait de mon mieux pour me faire comprendre, il ne voulait pas admettre mon point de vue et j’étais dans un état d’agitation tel que je n’étais plus tellement en mesure d’argumenter. Il me restait deux options : partir ou m’énerver franchement. Dans d’autres circonstances, la seconde aurait eu ma préférence, je n’étais pas du genre à fuir. Mais j’étais lasse et je ne voulais pas couper tout à fait la possibilité de le convaincre, un autre jour, dans d’autres lieux. Contrairement à ce qu’il pouvait penser, je ne l’avais pas mis dans une case, pas encore tout à fait. Alors, sans plus lui adresser un regard, je tournais les talons, murmurant simplement dans un souffle :
« On en rediscutera »

Zeynep & Dmitri / sept 2026

Le ton montait entre eux ; Dmitri était indiscutablement irrité. Non pas tant par ce qu’elle avait dit, quoiqu’il fût passablement vexé de l’entendre dénigrer ses intentions, que par ce qu’il avait lui-même laissé échapper. Certaines choses ne méritaient pas d’être partagés ainsi. Le secret était en fin de compte bien plus prudent que l’honnêteté discrète qu’il avait essayé d’entretenir. Il y avait des sujets dont il ne pouvait pas parler, pas si facilement, pas si rapidement. Peu à peu, il commençait à le comprendre. Avec Zeynep, il avait dangereusement avancé, oscillant entre vérité et fidélité, ne sachant pas ce qu’il pouvait reconnaître sans causer de tort aux siens et sans compromettre sa propre vie ; il commençait progressivement à réaliser que le monde, dans lequel il avançait, n’était pas aussi limpide que ce dont il avait voulu se préfigurer. S’il ne partageait pas l’avis de ses congénères s’agissant de la supériorité du sang, il devait reconnaître qu’il ne voyait pas comment sa vie pouvait se construire sans son héritage. Ces tableaux, dont il craignait les commérages, faisaient intégralement parties de lui.

Là était leur plus grande différence ; ce n’était pas leur sang, ni même leur éducation. Tout était une question de passé ; la poufsouffle découvrait une société dans laquelle sa famille n’avait pas eu l’occasion de bâtir un patrimoine et qui l’avait chassé de leur propre monde, là où lui était le fruit de plusieurs générations se transmettant un savoir et des idées. Devait-il craindre que ceux qui ne partageaient pas cet héritage le mettent à mal ou croire en une possible communion des deux ? Plutôt que de l’éclairer, ou de le conforter dans ses idées, leur difficile discussion n’avait fait qu’insinuer en lui des doutes, de toute part.

La réponse de la jeune fille le fit presque sursauter, tant elle fut énergique. Il ne s’agissait pas d’une négation comme celle qu’il avait employé plus tôt, froide et implacable, mais d’une réaction bien plus viscérale. Dmitri déglutit, un peu honteux d’avoir suscité chez elle un sentiment si vif. Elle ne lui laissa pas le temps de faire plus, se détournant du serdaigle, ne lui accordant que trois mots qui sonnaient comme une promesse. Il lui restait un espoir de la comprendre et de lui prouver qu’il n’était pas ce qu’elle semblait croire.

Le tchèque regarda la née-moldue s’éloigner, sans dire un mot, le visage déconfit. Il ne savait pas quoi penser de leur entrevue, mais il savait qu’il n’abandonnerait pas sur un final si mitigé. Toute sa vie durant, si courte fût-elle, avait semblé n’être que lutte contre ses proches ; ce n’était pas maintenant qu’il allait consentir à enterrer la hache de guerre.

(c) mars.

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