Rage of the Myrmidons • Nikita & Kenneth

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

"Vous êtes sérieux ?" lancé-je en réaction à l’annonce fatale du verdict, mon père m’annonçant la terrible nouvelle : en réponse à mes sorties clandestines à Pré-au-Lard, je suis privé de sortie jusqu’à nouvel ordre. Et bien évidemment, dispensé de réveillon, comme un gamin. J’ai beau protester, chercher à les convaincre, promettre qu'en Janvier je serai premier de la classe, hurler que je les déteste et que j’aurais préféré naître orphelin plutôt que d’avoir affaire à de tels bourreaux… rien n’y fait : ils sont là, à ânonner que c’est pour mon bien, à me répéter, comme une insupportable rengaine, que je ferais mieux de prendre exemple sur ma soeur qui, à mon âge, se montrait déjà bien plus raisonnable. Je me retiens de répondre que si Alienor consacrait sa scolarité à apprendre les échecs et le clavecin, c’est parce qu’elle n’avait pas d’amis avec qui sortir et qu’à part son idiot de fiancé personne ne supportait son ton moralisateur. Mais puisque visiblement en Angleterre nous vivons encore en dictature, me voilà encore victime des coups bas de mes géniteurs, dont le seul but semble consister à faire de ma vie un enfer sans nom… C’est donc la raison qui m’a poussé à monter précipitamment les escaliers pour rapidement composer un sac remplis d’affaires d’urgence : des restes de sandwich, un sweat de rechange, quelques bombes de peinture, ma réserve personnelle d’Herbedargen finement coupée, et un paquet d’argent volé à mon père, qui n’avait qu’à pas le laisser autant en évidence sur son bureau. Ceci fait, je me saisis d’une feuille de parchemin que je déchire en deux : le premier morceau est adressé à Nikita, et l’autre aux imposteurs qui se prétendent être mes parents. Je suis sûr et certain que ma mère va chialer, elle a bien fondu en larmes quand l’abruti de fiancé d’Alienor a déposé un genou à terre… alors si son seul et unique fils prend le large, elle a au moins intérêt à sangloter comme un crocodile en découvrant ma chambre vide ! Le mot d’adieu que j’ai laissé sur mon lit est particulièrement assassin à son égard, je sais qu’elle y sera sensible. C’est donc sans remords que j’ouvre la fenêtre, déglutissant en observant la distance qui me sépare du sol… nous ne sommes qu’au premier étage, et j’ai déjà emprunté ce passage des dizaines de fois. Il n’empêche qu’avec la fine pluie qui s’abat sur le rebord, j’aurais tôt fait de mal me réceptionner… Et si j’ai le malheur de recourir à l’usage proscrit de ma baguette, je sais qu’il ne faudra que quelques minutes avant de voir débarquer deux ou trois subalternes de mon père. Hésitant, je me hisse sur le rebord avec un regard livide vers la cour intérieure, en contrebas… J’inspire profondément, compte jusqu’à trois, et saute sans réfléchir davantage.

Comme on pouvait s’y attendre, la chute est douloureuse : mon coude et mon genou droits accusant une violente rencontre avec le bitume. Je grimace, jure dans ma barbe, et finis par me relever, réajustant sur mon dos les bretelles de mon sac à dos. Rien de cassé, alors il n’est plus temps de faire marche arrière… Il n’y a plus que le portail principal à franchir. Si Nikita honore notre rendez-vous, alors il sera bien à l’heure convenue à l’angle de Carnaby Street… Je me demande si j’ai bien fait de me tourner vers lui. D’ordinaire, c’est August qui se rend complice de mes frasques, mais au vu de l’état de sa jambe, je me vois mal l’intégrer à mon plan de fugue. Et puis, le fiston de l’ambassadeur de Russie m’a déjà prouvé qu’il était plein de ressources… Si j’avais de sévères aprioris à son sujet au début, il me faut bien reconnaître que malgré les apparences et ce ton cérémonial qu’il emploie, c’est un sacré gaillard. Et pour mon projet de la soirée, j’ai bien besoin de quelqu’un de sa trempe… Alors je me hâte de placer un pied dans la fente entre les briques du murets, veillant à ne pas glisser pendant mon escalade vers la liberté. Une fois l’enceinte de la résidence ministérielle franchie, j’adresse en direction de la façade de notre maison un splendide doigt d’honneur, comme si ma famille pouvait le distinguer à cette distance, à travers la nuit et la pluie. Et me voilà, cavalant à travers rues, la capuche de mon sweatshirt rabattue sur mon crâne… Le portoloin n’est plus bien loin. Je l’empruntais souvent avant, jusqu’à ce que le chantier commence : sous sa forme de cabine téléphonique rouge, il n’attire pas la curiosité des moldus. Empreint d’une certaine nostalgie, je tire sur mes manches en pressant le pas. Et puis, une avenue et un boulevard plus loin, je devine la silhouette ombragée de mon ami. Mon sourire s’élargit à sa vue : « Hé, Nicky ! » lui adressé-je depuis le trottoir d’en face, attendant que le feu veuille bien passer au vert pour me permettre de le rejoindre. Une fois la distance entre nous réduite, je lui assène une tape sur l’épaule. « Ça tombe bien que tu sois là, mon vieux. Alors, les vacances sont bonnes ? » demandé-je, l’air de rien, comme si je le croisais simplement par hasard et que je ne venais pas de lui envoyer un appel d’urgence en pleine soirée, une veille de réveillon de nouvel an. Conscient que je n’ai que peu de temps avant que mes vieux ne s’aperçoivent de ma disparition, je passe à la vitesse supérieure. Sans tarder, je désigne la cabine, un peu plus loin : « Faut pas qu’on traîne. T’as rien de prévu ce soir ? » J’espère que non, parce que le cas échéant, il faudra tout annuler. Or, je suis trop engagé dans le processus pour laisser tomber maintenant…

@Nikita N. Yaga

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Il fallait s’entendre sur ce que « avoir prévu quelque chose » signifiait. En soi, Nikita avait prévu de glandouiller devant la cheminée, peut-être mettre la main à la pâte pour préparer de la tisane et jouer avec les chiens de l’ambassade. Lire un peu, ou travailler de ses mains, ces-derniers temps il prenait plaisir à fabriquer de petits golems en argile qu’un soupçon de magie animait, le temps de reconstituer une scénette. La première fois son père avait qualifié cela de « jeu de poupée » mais comme Nikita lui avait répondu qu’il s’agissait d’Ivan le Terrible, Feodor n’y avait plus rien trouvé à redire.

Toutefois, cela comptait bien peu en comparaison d’une invitation de Kenneth Appleton. Pas que Nikita n’ait pas grogné discrètement en enfilant son manteau, à la perspective de s’engouffrer dans la nuit et le froid hivernal, mais c’était son devoir. Il avait une mission, se rapprocher du garçon, pénétrer si possible son intimité, contribuer au rapprochement des deux nations ennemies et, peut-être, parvenir à introduire le Baioun au siège du ministre de la Magie de Grande-Bretagne. Beaucoup de choses reposaient sur ses épaules, il n’avait pas le droit de manquer une occasion pareil. Aussi, il n’était pas mécontent de voir Kenneth, le garçon, bien qu’excentrique et assez inconséquent, s’était montré distrayant et amical, jamais rabaissant. C’était une bonne chose, un bon cœur naïf.

Le domovoï guida Nikita jusqu’à la sortie du Chemin de Traverse mais pas plus loin. Les réactions que susciterait chez les moldus la vue d’un démon de la vieille Rus’ étaient… imprévisibles et peu souhaitables.
Heureusement pour eux deux, le rendez-vous que lui avait donné Kenneth se trouvait être non loin de la sortie. Une bonne chose, Nikita ne s’était jamais encore vraiment éloigné du Londres sorcier et la perspective de devoir prendre le métro tout seul l’angoissait un peu. Emmitouflé dans un large manteau de fourrure, une chapka vissé sur le crâne, il avait des allures de boyards, ce qui lui plaisait pas mal. D’ici un an ou deux il aurait assez grandit pour prétendre faire homme, tout le monde lui avait assuré qu’avec sa carrure actuelle, il dépasserait sans aucun doute le mètre quatre-vingt-dix. Il avait hâte.

La silhouette aiguisée de Kenneth se dessinait à peine dans la rue que celui-ci le héla. « Salut ! » répondit Nikita, se retenant de lui adresser un formel « bonjour » ou « bonsoir » qu’il avait appris à éviter. Il ne franchit toutefois pas le pas d’appeler Kenneth « Kenny » comme ce-dernier s’y autorisait le concernant.

- Très bonne. Tu es en danger ?

C’était la première chose à demander au vue des circonstances… étranges et précipitées du rendez-vous. Ayant lui-même été mis en danger par le passé, Nikita savait qu’être le fils d’un ministre pouvait attirer sur vous des intentions malveillantes et – à son insu assez ironiquement – il s’était préparé à venir en aide à son ami. Kenneth n’avait pas l’air paniqué pour deux sous, mais cela ne voulait rien dire : le jeune homme faisait preuve d’une espèce de sang-froid goguenard en toutes circonstances, Nikita l’avait déjà vu à l’œuvre par le passé.

- Rien de rien. Mes parents sont en déplacement.

C’était vrai, le rôle d’ambassadeur imposait certaines contraintes, a fortiori pendant les fêtes. « C’est une cabine de téléphone moldu ? Il avait révisé. Où va-t-on ? Tu fuis quelque chose ? »

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Retour à Cricklewood Square

Et me voilà hors du domicile familial : cavalant à travers rues, galvanisé de rage enfantine, fier comme un brigand après un mauvais coup, façon Peaky Blinders. Si j’avais des cigarettes sur moi, j’en porterais une à ma bouche pour rendre ce moment plus théâtral. La capuche rabattue sur mon visage, j’évolue à travers les gouttes de pluie dans les rues à peine éclairées ; je ne croise pas grand monde, si ce n’est un couple sous un parapluie et un chat sur une poubelle dont la simple présence suffit à me faire sursauter. Suivant mon ombre gigantesque sur le goudron inondé, je rejoins finalement Carnaby Street, encore illuminée dans la nuit noire. Entre deux enseignes encore ouvertes, devant le passage piéton, un certain Nikita Yaga s’est posté là, ponctuel. En quelques pas, je le rejoins, heureux qu’il se soit décidé à répondre présent. Si je suis en danger ? Je sourcille, regardant autour de moi. « Hm, pas vraiment, pourquoi ? » demandé-je, légèrement déconcerté par sa demande. Oh, c’est peut-être le ton empressé de mon hibou qui l’a laissé entendre… Quoi qu’il en soit, il est venu et semble disposé à me suivre, c’est un bon début. À ce qu’il raconte, ses parents ont pris le large… « Oh la chatt… » commencé-je avant de me corriger prestement : « … la chance. » Je donnerais n’importe quoi pour échanger nos places ou envoyer mes vieux à l’autre bout du monde voir si je n’y suis pas. Par curiosité, je vérifie quelque chose : « Ils rentrent bientôt ? » Je suis à deux doigts de lui demander le lit et le couvert. Ce serait toujours mieux que chez moi, où je suis consigné jusqu’à nouvel ordre, privé de sortie et de réseaux sociaux… ! Les parents d’August me balanceraient illico s’ils me voyaient débarquer, mais puisque monsieur l’ambassadeur russe et son épouse ont déserté, je peux considérer que c’est une carte à jouer. Mais après tout, on ne se connait pas encore assez bien, avec ce genre Nicky : nous verrons à la fin de la nuit ce qu’il en est.

Quand il me demande si je fuis quelqu’un, je soupire longuement : « Oui, eux, ces connards sont constamment sur mon dos, c’est du harcèlement sérieux. » me plaignis-je en levant les mains, comme si j’en venais à implorer une divinité supérieure. J’espère, à ce stade, que ma mère a fini par remarqué mon absence, et qu’elle en meurt d’inquiétude, tournée vers toutes les autorités compétentes de la ville, pendant que je m’enfuis sans regret. Conscient cependant qu’ils peuvent nous rattraper à tout instant, je décide de ne pas traîner, et désigne le portoloin à mon ami. C’est une aventure un peu hasardeuse, mais l’expérience lui plaira certainement. « Tu vas voir, y a un endroit qu’il faut que je te montre. » J’ouvre la porte de la cabine, l’invitant à me suivre à l’intérieur, avant de la refermer prudemment. Je réalise tout à coup que nous sommes bien serrés, dans cet espace clôt… Nos torses se touchent presque, et j’ai du mal à me saisir du combiné sans l’effleurer : heureusement, je doute qu’il se formalise de si peu. « T’as pas le vertige, au moins, hmm ? » demandé-je, l’air de rien, en composant le fameux numéro menant à la cabine jouxtant mon ancien quartier. Ceci fait, j’attrape le bras de Nikita, et approche le téléphone de mon oreille avant d’entendre les trois sonneries caractéristiques, suivies d’un long silence… Et tout à coup, nous sommes propulsés à travers l’espace-temps. Mon estomac menace de régurgiter mon dîner… Je ferme les yeux pour rendre cette expérience plus supportable, m’agrippant au combiné et au Gryffondor.

Nous émergeons un peu sonnés près de la station Westcroft Way. Je m’enquis de l’état de Nikita, dont le teint semble un peu plus pâle que d’ordinaire… Dès lors que nous avons retrouvé l’équilibre, je m’extrais avec peine de la cabine, qui s’ouvre dans un sinistre grincement. J’ai la boule au ventre à l’idée de revenir dans le coin, après tout ce temps… Le chantier était déjà bien avancé au début de l’été, et maintenant les constructions du nouveau stade imaginé par les cerveaux corrompus du premier ministre moldu et de mon géniteur s’élèvent par delà la cime des arbres, on les devine d’ici. Il y a comme un vent froid qui balaie le trottoir, tandis que je guide Nikita près de l’ancien terrain. J’ai fait ce chemin des centaines de fois, gamin, et aujourd’hui, tout est méconnaissable… Même la statue de la fontaine, à laquelle nous avions peint des parties génitales d’un jaune criard a été retirée, ne laissant qu’une trace pâle sur la terre battue. « Bienvenue » lancé-je, tentant de camoufler mon amertume par un enthousiasme feint. Il n’y a plus de haies, maintenant : seulement un grand panneau annonçant le projet de construction de ce stade futuriste aux ambitions démesurées et une multitude d’échafaudages entourant ce Goliath de béton. « Ça s’appelait Cricklewood Square, ici, avant. » expliqué-je à Nikita, en désignant les infrastructures naissantes, laides à faire pleurer un épouvantard. Un gouffre d’argent public sans fond, ouais… Je déteste déjà ce futur complexe sportif dont se vante sans arrêt mon père… ça et ses foutues Olympiades ! C’est pourquoi, faute de pouvoir extérioriser ma colère sur lui ce soir, j’ai l’intention de m’en prendre directement à son précieux projet. Mains dans les poches de ma veste, je traverse les vestiges de l’ancien terrain les yeux rivés sur cette énorme grue qui nous fait face. Quelques mètres devant nous, des grilles nous barrent le passage, mais il est aisé de les grimper. Je me retourne en direction de mon ami, lui faisant signe de s’approcher : « Vas-y en premier, je te fais la courte-échelle. » lancé-je en croisant mes mains pour lui servir d’appui, bien déterminé à m’introduire dans ce périmètre dont l’accès nous est interdit. Si mon père croit qu’avoir investi de l’oseille le rend propriétaire de ce domaine, il se fourre le doigt dans l’oeil : cette nuit, c’est nous qui prenons les commandes.

@Nikita N. Yaga

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« la chatt » ? c’était quoi encore que ce mot-là ? Nikita haussa un sourcil avant d’abandonner l’espoir d’un jour tout comprendre à cette langue. Il avait déjà encore quelques maladresses avec l’anglais classique, alors l’argo, ça restait hors de sa portée. Au moins, Kenneth n’était-il pas en danger. C’était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, si Nikita avait pu lui sauver la mise, le jeune homme aurait eu une dette de vie envers lui, ce qui aurait sans aucun doute pas mal facilité son projet d’infiltration.

- Cette nuit j’imagine, tard. Ils seront là demain.

Passer des soirées seul était devenu quelque chose de banal et il s’en accommodait assez bien, ses parents avaient leur vie propre et lui la sienne, on l’avait assez tôt habitué à ne pas traîner exagérément dans les jupons familiaux. L’adolescence lui avait par ailleurs fait découvrir plein de moyen de passer le temps sans se préoccuper d’eux.
La relation qu’entretenait Kenneth avec ses propres géniteurs semblait en revanche d’avantage houleuse et Nikita nota silencieusement dans un coin de sa tête cette information cruciale. Il avait déjà senti l’animosité du jeune homme vis-à-vis de son père, dans sa manière de gérer l’argent par exemple, mais Kenneth venait de formuler plus explicitement les choses. Il y aurait là une piste à creuser, mais plus tard. Pour le moment, les deux garçons étaient pressés. Restait à savoir à quoi.

Nikita se laissa tirer vers la cabine de téléphone moldu – so british – où son camarade l’engouffra sans ménagement avant de s’y glisser à son tour. Il était assez évident que « l’endroit qu’il faut que je te montre » n’était pas l’intérieur de la cabine, ou alors les choses prenaient une tournure vraiment bizarre, aussi Nikita se prépara à un portoloin. Il en avait déjà pris un certain nombre depuis son arrivée à Londres, les Britanniques adoraient, avec le feu de cheminette, ce genre de moyens de circulation.

- Le verti… non. Je n’ai pas peur, réaffirmera-t-il. Il n’avait envie sous aucun prétexte que Kenneth puisse penser qu’il n’était pas à la hauteur, quel que soit le projet.

Serré comme dans un ascenseur décidément trop petit, le jeune homme laissa promener son regard laissant le temps à son ami de de décrocher le combiner et soudain, lui saisissant le bras, il se sentit partir, embarqué comme dans un tourbillon qui lui coupa le souffle et, deux secondes plus tard, manquer de s’écrouler à moitié sur lui, pris de vertige.

- Ça va ça va, assura-t-il autant pour Kenneth que lui-même, se détachant du Poufsouffle pour reprendre sa respiration. Il se sentait nauséeux et un peu fébrile. Ce n’était pas le moment que ses jambes le lâche…

Il se redressa avec l’air le plus impassible possible, pour faire bonne figure et regarder autour d’eux. Cela ressemble à un chantier, les outils et les constructions squelettiques, un peu sinistre dans la nuit, évoquent vaguement un complexe commercial ou sportif.
Manquant l’inflexion amère de Kenneth, Nikita fit quelques pas, curieux. Outre les échafaudages et les bâches qui battaient doucement sous le vent, une grue immense s’érigeait à quelques dizaines de mètres d’eux, silencieux pilonne où seules clignotaient quelques lumières destinées à prévenir les avions et les balais de ne pas voler trop bas.

- C’était un jardin ? demanda-t-il pour rebondir sur la mention du square. Il se tourna vers son ami, ne saisissant toujours pas exactement les raisons de leur présence ici. « On dirait un champ de bataille. »

Il s’engouffra dans les pas de Kenneth, replaçant sa chapka sur sa tête où le portoloin l’avait fait vaciller. Ils s’arrêtèrent devant des grilles où Nikita pensa un instant naïvement qu’ils se contenteraient de regarder de loin. C’était sous-estimer Kenneth évidement, le garçon avait déjà prouvé par le passé qu’il n’était pas du genre à se contenter d’une simple visite de courtoisie. Quelques souvenirs de leur première – et douloureuse – mésaventure remontèrent à la surface.

- Bon. se résigna Nikita. Il n’était pas contre l’aventure mais avait quelques réticences à braver la loi sans raison. Or une raison, il en avait une : plaire à Kenneth. Son père ne pourrait pas lui reprocher d’avoir fait le nécessaire pour entrer dans les bonnes grâces du fils du ministre. Silencieusement, le jeune homme avisa le sommet de la grille et après quelques secondes de réflexion, retira son manteau et, tâchant de faire abstraction du froid, le jeta au-dessus de l’obstacle. L’épais vêtement s’y déposa comme une couverture, épargnant de se blesser les mains sur un bout pointu. II faudrait juste probablement penser à le donner à recoudre au domovoï, une fois de retour chez lui.

- Je monte.

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1 ; 2 = hop facile
➤ 3 ; 4 = hop, facile, mais une petite écorchure au passage
5 = il file un coup de pied dans le nez de Kenneth au passage
6 = ils se pètent la gueule en essayant de grimper
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Nikita avait pour lui de ne pas peser lourd, et s’étant saisi du sommet de la grille, se hissa sans trop de difficultés par-dessus où il l’enjamba pour s’y positionner à califourchon. Une morceau de ferraille invisible lui égratigna toutefois le bras au niveau de la paume et il observa un instant l'estafilade sombre dans la nuit. Il faudrait peut-être penser à mettre de l'antiseptique là dessus. De là haut, il tendit la main à Kenneth resté en bas.

- Je te hisse.

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➤ 1 ; 2 = Nikita réussit à hisser Kenneth pour lui permettre de passer par-dessus
3 ; 4 = tout se passe bien, mais non sans quelques écorchures au passage
5 ; 6 = Nikita réussit à hisser Kenneth mais au moment où se dernier atteint le sommet de la grille, ils se déstabilisent mutuellement et chute de l’autre côté
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Une fois Kenneth hissé, il se laissa chuter de l'autre côté et entreprit de récupérer son manteau quand son camarade eut fait de même.

- C'est une intrusion. Qu'est-ce qu'on fait là ?

Le membre 'Nikita N. Yaga' a effectué l'action suivante : Le Hasard

#1 'Le Hasard' : 4

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#2 'Le Hasard' : 2

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Étant donné mon départ plutôt précipité, il y a bien quelques petites choses élémentaires auxquelles je n’ai pas songé, par exemple à l’endroit où j’irais dormir ce soir, ou à celui où j’irais me restaurer demain. C’est qu’il fait plutôt froid… ! Dans le pire des cas, j’ai toujours un paquet de fric à ma disposition pour me sortir d’affaire… Cependant, je trouve que le moment est plutôt bien choisi pour savoir si le champ est libre chez Nikita : hélas, ses parents ne semblent pas avoir pour projet de déserter bien longtemps… « Ah, dommage. » réponds-je simplement, en haussant les épaules. Disons que mon plan de fugue n’est pas encore tout à fait au point, et que ça aurait été cool de trouver un endroit de repli… D’autant plus que j’aurais eu un malin plaisir à aller m’incruster chez l’ambassadeur de Russie pendant que mes vieux retournent tout Londres à ma recherche ! J’espère qu’ils sont bien en panique et qu’ils ont largement eu le temps de méditer sur ma privation de sortie. Enfin, pas le temps de penser à eux : si j’ai pris le large ce soir, c’est pour m’offrir une pause bien méritée bien loin de leurs sempiternelles remontrances. Invitant mon camarade à se glisser dans la cabine à ma suite, je prends les commandes, préparant notre arrivée imminente à l’autre bout de Londres en tapant sur le clavier le numéro qui nous y mènera… À l’écouter, il n’a pas le vertige, ce qui est plutôt de bonne augure pour la suite. « Ok ok, c’est bon à savoir ! Je savais que t’en avais dans le ventre. » C’est qu’on croirait pas au vu de son gabarit et de ses manières en société, mais ce gars m’a bien impressionné quand on jouait aux cartes. Loin de se laisser démonter face à nos adversaires belliqueux, il a montré qu’il avait du cran ! C’est quand même lui qui a flanqué un pain à Jørgensen au beau milieu de la Grande Salle, cet abruti n’a rien du comprendre. Et même s’il me fait bien marrer, avec cette peau de marmotte sur le crâne, je suis certain qu’il est capable de me suivre ce soir.

Une fois arrivés à destination, une fois le mal des transports passé, on passe près du panneau annonçant le projet de construction, où les figures sympathiques de mon paternel et de son confrère moldu nous toisent avec suffisance quand nous passons près d’eux. Sans un regard pour eux, je poursuis mon avancée, tentant d’ignorer les dégâts de leur politique nauséabonde sur mon ancien quartier… Mon ami s’interroge sur la nature de l’endroit, ce qui est bien naturel : lui qui est un sorcier issu des hautes sphères ne doit pas être bien familier de ce genre de lieux. Tiens, je me demande à quoi à bien pu ressembler son enfance à lui, si on lui a collé un précepteur d’office en le préparant à apprendre des dizaines de langues étrangères et trois instruments de musique… Après tout, les mondes dont nous venons lui et moi sont loin d’être similaires. « Un genre de parc public moldu, ouais, avec un terrain de basket et tout. » Il y en a des centaines de similaires, dans tout Londres. En vérité, ça n’a jamais été un bel endroit, mais au moins c’était le notre. Chaque parcelle qu’ils ont recouverte est empreinte de souvenirs bien ancrés… ma première bagarre avec Marcus, mon premier panier, mon premier cours séché, mon premier joint, mes premières disputes, et aussi ma première pelle roulée à Jane, la soeur de Lee, derrière les arbres. Quand j’y pense, ça fait des mois qu’on s’est pas adressés la parole, avec les gars de la bande… Aujourd’hui, même les grands cèdres ont disparu, remplacés par les fondations de complexe sportif tentaculaire. « J’habitais dans le coin, avant. » lâché-je d’un ton amer, m’efforçant de chasser toutes ces visions du passé empreintes de nostalgie. C’est dingue quand on y pense… On traînait toute la journée sur les bancs à dire qu’on rêvait de se barrer, alors qu’aujourd’hui, c’est à cette époque que je voudrais retourner. « Mais maintenant y a plus rien, ils construisent leur immense foutoir bétonné à la place. » soupiré-je avec un regard défiant pour cette immense bâtisse émergente qui se hissait devant nous. Je décide d’arrêter de m’épancher… Nikita va définitivement me croire cinglé, de l’avoir embarqué dans cette sorte de pèlerinage à travers les ruines d’un temps révolu.

Ni une ni deux, je mets en veilleuse mes démons intérieures pour aider mon acolyte à franchir le grillage qui entoure le chantier. Il monte avec une certaine aisance, mais s’interrompt dans sa lancée une fois parvenu en haut. En contrebas, je m’interroge, cherchant à comprendre ce qui se passe à la seule lumière faiblarde réverbérée par les lampadaires. « Ça va ? » m’enquis-je néanmoins, croyant apercevoir un peu de sang sur sa paume. Finalement, il tend son bras que je m’empresse de saisir pour m’y appuyer, glissant ma chaussure entre les fils métalliques pour faciliter mon ascension. Dès lors que je l’ai rejoint, nous glissons de l’autre côté, pour faire enfin faire face à la construction naissante. J’ai déjà une aversion profonde pour cet endroit, alors qu’il n’est pourtant que l’embryon de ce projet futuriste que porte mon père avec le ministre moldu… « Ouais, mais on s’en fout. On vient pour des travaux d’intérêt public, je me disais que leur nouveau bâtiment aurait bien besoin d’un ravalement de façade. » J'hésite encore sur la nature de nos oeuvres à venir... je suis un artiste pionnier en ce qui concerne la représentation de l'anatomie masculine simplifiée, et j'espère que Nikita connaît des insultes en russe. De toute façon, qu’est-ce que va faire le Grand Manitou si quelqu’un nous arrête, hmm ? Nous envoyer à Azkaban ? Bien sûr que non : mon père peut bien essayer de me faire croire ce qu’il veut, je sais que je gagnerais toujours à ce bras de fer. Du bout de l’index, je désigne le sommet de la grande grue rouge au pied de laquelle nous nous tenons, en réponse à sa question… Un sourire naît au creux de mes lèvres, tandis que mes yeux rencontrent les siens. « On va commencer par escalader là-haut. » annoncé-je, le visage rayonnant d’enthousiasme à la seule perspective de dominer le quartier en altitude. Cet engin en ferraille est plutôt colossal, et a de quoi intimider… Bien que les échafaudages permettant de faciliter la montée soient nombreux, l’ascension ne sera pas de tout repos, d’autant plus sans magie. Mais il vient de Russie, après tout, il a bien du en voir d’autres ! Et puis, j’ai ma baguette sur moi en dernier recours : idéalement, il nous faudrait éviter de nous en servir pour ne pas attirer sur nous la police alors mon plan de fugue se déroule sans accroc pour le moment… mais je parle bien sûr d’un cas d’urgence. Je lui détaillerais mon projet créatif pour ce fichu stade une fois qu’on sera bien en hauteur, ce sera trop tard pour se défiler ! Mon groupe de potes de l’époque n’a pas survécu à la destruction de Cricklewood Square, mais je suis pourtant certain qu’ils auraient adoré voir ce qu’on s’apprête à faire ce soir.

@Nikita N. Yaga

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Cette fois, Nikita avait clairement perçu l’intonation d’amertume dans la voix de Kenneth. On pouvait ne pas toujours bien maîtriser le vocabulaire, mais les inflexions de ton, elles, ne mentaient pas. Il dévisagea son camarade avec curiosité alors que celui-ci ressassait ses souvenirs. L’usage du passé couplée au mot foutoir laissait comprendre que la situation ne lui plaisait guère, était-ce pour cela qu’il avait tenu à venir un 30 décembre ? Un chantier de nuit en plein hiver n’était pas exactement la première destination où aller pour passer une bonne soirée, du moins du point de vue de Nikita, Kenneth avait forcément quelque chose derrière la tête.
Il n’en fit d’ailleurs pas mystère longtemps. Dès lors que la grille fut passée, non sans que cela ne coûte une estafilade au bras du Russe, le jeune homme exposa plus clairement ses intentions.

- Tu veux… saboter le chantier ? Parce qu’il est construit sur ton parc ?

Nikita ne saisissait pas très bien d’où venait ces velléités belliqueuses à son ami. Certes lui-même n’aurait pas été joyeux si quelque promoteur immobilier s’était mis en tête de construire un parking sur les terres de son enfance mais… non en fait il comprenait assez bien, finalement. Il hocha la tête.

- Tes sentiments sont la preuve d’une certaine noblesse d’âme, la nature doit être défendue contre la modernisation. Et nous devons toujours défendre ce qui nous est cher.

L’Angleterre avait été le berceau de la révolution industrielle et depuis tout allait de mal en pis, pour les moldus mais surtout pour les sorciers. Leurs traditions, la pureté du sang, les anciennes magies telluriques, tout cela se perdait dans le flot incontrôlé de la modernité occidentale, emportant tout sur son passage et les déracinant, littéralement.
Il enfourna ses mains dans ses poches, regrettant de ne pas avoir pris de gants. Le vent soufflait froid et dur sur le terrain, en l’absence de murs pour le stopper. Incertain, il laissa traîner son regard sur les ombres noirs des structures à moitié érigées. Quel était le projet exactement ? Casser quelques vitres ? Déplacer des outils de chantier ? Nikita n’avait rien contre un peu de vandalisme mais il n’était pas très à l’aise à l’idée de le faire ici, en Angleterre et qui plus est dans la partie moldu de Londres. Et si quelqu’un les découvrait ? Cela ne risquait-il pas de lui retomber dessus ? On dirait qu’il avait une mauvaise influence, qu’il était violent, on leur interdirait de se revoir.

- Là-haut ?

Sa voix dérailla légèrement. Oui il avait dit qu’il n’avait pas le vertige, mais pas le vertige pour sauter au-dessus d’une grille, pas pour grimper sur une grue. Soudain confus il chercha le regard de Kenneth. « C’est haut là-haut… »

La tête enthousiaste que tirait Kenneth contrastait avec son amertume de tout à l’heure, ceci dit Nikita n’était pas certain d’y avoir gagné au change. C’était un coup à se rompre le cou. Il alterna de la face inquiétante du garçon au sommet de la grue, qui continuait de clignoter dans la nuit, et croisa les bras.

- C’est complétement imprudent je te signale, et cette fois-ci ça ne servira à rien d’appeler le concierge.

Le souvenir du sortilège reçu dans le dos lors de leur première aventure le démangeait encore un peu, parfois. Il tapa fermement du poing dans sa paume.

- Explosé en bas, tu ne sentiras rien du tout, ce sera instantanément la mort ton corps va s’éparpiller en mille morceau et tu seras vraiment un pote à la compote.

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Retour à Cricklewood Square

Même si revenir ici après tout ce temps me fera toujours quelque chose, je m’efforce de rester concentré : il ne s’agit pas de se remémorer le bon vieux temps dans mon quartier un soir d’hiver, mais bien de me venger de mon père qui croit toujours avoir raison sur tout. Certes, j’ai un peu entraîné Nikita dans cette affaire sans préavis, mais je suis certain qu’il y a moyen de bien se marrer, même si l’entreprise paraît plutôt risquée… Malheureusement, même si l’idée m’a déjà traversé l’esprit des centaines de fois, je sais bien que ce serait peine perdue de saboter ce chantier : il y a trop de fric en jeu, je n’arriverais même pas à les ralentir un peu. Ce foutu stade verra le jour, que je le veuille ou non. « Ben non enfin, y a des tas de sorciers qui bossent dessus depuis des mois. Même si on pouvait utiliser nos baguettes pour faire exploser des pans de murs, ils auraient tout reconstruit dès demain matin en seulement deux ou trois sortilèges. » déclaré-je avec une certaine aigreur. Je le sais parce que j’ai déjà essayé, y a quelques mois j’étais venu casser quelques trucs quand seuls quelques blocs avaient été posés… Et à peine quelques heures plus tard, tout était déjà réparé : on ne le dit pas assez souvent, mais la magie a aussi ses mauvais côtés quand elle remédie si facilement à ce qu’on se donne tant de mal à démolir. « Par contre, on peut laisser une trace de notre passage. » laissé-je entendre avec un petit sourire en coin. J’ôte la bretelle de mon sac que j’entrouvre pour lui montrer les bombes de peinture que j’ai emmenées avec moi… ça risque de lui donner une petite idée de mon plan pour cette ébauche de bâtiment laid à vomir.

Je l’écoute parler sans bien comprendre où il veut en venir… en quoi vouloir démolir cette construction de malheur, c’est faire preuve de noblesse d’âme ? C’est juste que j’ai du mal à voir ces blocs de béton prendre la place de notre terrain. C’était chez nous, là où on se retrouvait… Et depuis que Cricklewood Square a perdu son identité, c’est bien la raison pour laquelle on ne se voit plus, avec la bande. Je suis devenu un sorcier, ils ont évolué de leur côté, s’éparpillant dans les autres quartiers de Londres… Je n’ai pas franchement pensé à la place de la nature dans tout ça, on s’en fichait bien quand on gravait nos noms avec la pointe d’un caillou dans le tronc des arbres ou qu’on crachait dans la fontaine. Mais quelque part, Nikita a l’air de comprendre mon sentiment, même si son raisonnement paraît un peu alambiqué. « Euuuh, peut-être, ouais… ? » Je suis bien conscient d’une chose : mes motivations sont purement égoïstes, et je crois que je suis à l’aise avec ça. Cet endroit est devenu le lieu symbolique d’une bataille contre mon père, qui s’est senti libre de piétiner mes repères pour y élever ses ambitions démesurées. « T’avais aussi ton Cricklewood Square à toi, là-bas ? » finis-je par lui demander, un peu pensif, le regard fixé vers la grande structure métallique censée accueillir les gradins, d’ici quelques mois. Je me doute bien que ce doit être différent : mes connaissances sur la Russie sont limitées, restreintes à l’image de grands buveurs de vodka dans un climat polaire. Si Nikita avait passé son enfance à traîner sur un terrain public en s’allongeant sur un banc, les yeux rivés vers le ciel jusqu’aux premières heures de la nuit, je pense qu’il aurait connu une hypothermie telle que l’on n’aurait peut-être pas retrouvé son corps enseveli sous la neige, aujourd’hui.

Après avoir passé la grille, je lui indique notre prochain objectif : le haut de cette grue, là où nous pourrons nous atteindre les endroits les plus visibles du stade pour y placer notre message. Tout à coup, à en déduire par le tremblement de sa voix, Nikita semble bien moins emballé… je me retiens de lui rappeler qu’il avait prétendu ne pas avoir le vertige, avant de venir. « Ouais mais la vue doit être carrément démentielle ! » lancé-je sur un ton enthousiaste, essayant de le motiver à poursuivre. D’accord, c’est un sacré morceau qu’il nous faudra escalader, mais les structures semblent assez stables pour que nous pussions prendre appui dessus, je ne vois pas ce qui pourrait nous gêner. Allez quoi, on fait du Quidditch tous les deux, on a de l’endurance… je suis sûr que c’est à portée de main, et qu’on pourrait se retrouver au sommet en un temps record, si on est bien coordonnés ! Je souffle un nuage de fumée chaude pour réchauffer mes doigts gelés, dissimulés dans mes manches, tandis que mon camarade expose ses appréhensions. Je peux comprendre ses réticences – et même son jugement -, mais en ce qui me concerne, c’est trop tard pour reculer. « T’en fais tout un foin. Normalement devrait pas y avoir de connard pour nous tirer dans le dos, cette fois, y a pas de raison qu’on s’explose au sol si on fait bien gaffe. » lui réponds-je en haussant les épaules, toisant le haut de la grue avec un air de défi. A vrai dire, j’ai jamais fait ça… mais la simple idée de savoir que ce plan rendrait mon père fou de colère suffit à consolider ma détermination. Il n’y a plus qu’à mettre Nikita de mon côté, malgré son scepticisme… Sans succès, puisqu’il détaille avec une effrayante précision ce qui m’arriverait si je venais à chuter. Sympa, ça donne envie. Faisant mine de renoncer, je souffle alors : « Bon, tant pis. C’est juste que... je pensais que t’en serais capable. J’imagine que ça sera pour une autre fois. » Mes pieds raclent la surface goudronnée, recouvrant mes chaussures d’un voile de poussière grise… et j’enfonce mes mains dans mes poches, prenant un air exagérément consterné. En vérité, j’espère le voir céder rapidement : j’ai le sentiment que je peux encore le convaincre, il suffit de le travailler un peu au corps ! Ce serait trop dommage d’abandonner maintenant alors que nous sommes tout proches.

@Nikita N. Yaga

rainmaker

Kenneth n’avait pas tort quant à la capacité de leurs pairs à réparer tout ce qu’ils pourraient bien détruire. Cette lucidité rassura Nikita, au moins son ami gardait-il la tête sur les épaules, malgré sa compréhensible aversion pour le chantier. Mais de fait, Nikita ne comprenait pas très bien où voulait en venir Kenneth lorsque ce-dernier parlait de « laisser une trace ». Ceci dit, le Poufsouffle avait toujours su faire preuve d’un franc esprit d’initiative qui fascinait autant qu’il inquiétait un peu Nikita, ce soir. C’était une chose d’enfreindre le règlement à Poudlard ou à Pré-au-lard à la rigueur, mais une autre de se glisser dans un endroit interdit en plein territoire moldu, où ils n’étaient pas censés faire de magie.

Raison de plus de s’inquiéter, il ne parvenait pas à saisir dans quel état d’esprit se trouvait Kenneth. Le garçon, d’ordinaire implacablement volontaire, semblait traversé par des élans fugaces de mélancolie. Etait-ce lié à la destruction de la nature par ces engins mécaniques ? Tout homme digne de ce nom se trouverait ému devant le spectacle de nature malmenée. Peut-être n’y avait-il pas d’équivalent à « Cricklewood Square » chez lui, mais la Russie tout entière était son Cricklewood Square. D’un air compréhensif il tapota l’épaule de son ami.

- Il n’y a pas de honte à pleurer devant la souche d’un arbre, expliqua-t-il. « Non, quiconque s’en serait pris à notre jardin aurait été attaqué par... il avait failli dire le Baioun, c’était lui le véritable gardien de la maison, mais Kenneth ne devait pas avoir vent de son existence : il serait les yeux et les oreilles des Yaga lorsque Nikita serait parvenu à pénétrer le manoir Appleton. ... attaqué par le domovoï, acheva-t-il. Ton square manque d’un gardien. »

Nikita aurait presque été prêt à lui proposer d’en trouver un, si cela pouvait leur éviter d’avoir à grimper là-haut. Déjà dans la grande roue de Moscou, le garçon n’était pas très à l’aise mais on parlait ici d’un échafaudage, probablement branlant et battu par les vents, une échelle gelée où pouvaient à tout instant fondre sur eux des harpies…

- Je n’en fais pas tout un foie ! s’insurgea-t-il, ce n’était tout de même pas de la couardise que de faire preuve d’un minimum de prudence quand même ?

L’espace d’un instant, les arguments de Nikita semblèrent toutefois trouver leur chemin. Non sans une pointe de soulagement, il observa Kenneth se détourner, déçu, des échafaudages.

- Bon, tant pis. C’est juste que... je pensais que t’en serais capable. J’imagine que ça sera pour une autre fois.

Les mains du Russe se crispèrent, comme sa mâchoire.

- Bien sûr que j’en suis capable, j’ai déjà grimpé en haut d’un arbre.

Et soudain, il se sentit piégé. Merde, une fois de plus il avait manqué une subtilité et été passé à côté du cœur du texte. Il soupira, son regard dérivant comme hypnotisé vers les hauteurs. C’était quand même sacrément haut… mais il ne voulait pas décevoir Kenneth. Un instant il fut tenté de marchander, lui proposer une autre activité à la place, mais rien de ce qu’il avait sous la main n’était à la hauteur de ça. Littéralement.

- Bon… grommela-t-il, pas sûr de lui. « Si je monte là-haut, tu me devras une faveur ! » lâcha-t-il finalement d’un coup. Quitte à risquer sa vie, autant que cela fasse avancer sa mission.

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

A mesure que nous approchons du stade, les passants se raréfient, jusqu’à ce que nous nous retrouvions totalement seuls. C’est un drôle de pèlerinage que je propose à ce cher Nikita, qui aurait bien pu refuser mon invitation pour préférer la chaleur des appartements de l’ambassade russe… Ça me confirme que c’est vraiment un chic type. Je l’ai vraiment mal jugé, lors de nos premières rencontres… C’est une bonne chose qu’il soit venu ce soir. Je ferme les yeux quelques instants, laissant le vent porter à mes narines quelques effluves du bon vieux temps, sur laquelle prend le pas l’odeur tenace du ciment frais. Nos échanges étaient plus joyeux avant lors de notre partie de cartes, quand j’y pense… Mais quand il parle de pleurer sous la souche d’un arbre, je me dis que ma compagnie doit être déprimante à crever. « Qu’est-c’tu racontes ? Je suis pas en train de chialer non plus, ça va. » J’en ai eu envie, parfois. Quand je suis venu les premiers jours d’été, regarder les pelleteuses remuer le sol pour effacer à tout jamais les traces de nos frasques. J’ai enfoncé mes ongles dans ma peau jusqu’à en laisser des traces en observant le naufrage de notre navire, la disparition de notre territoire, dont les gisements serviraient de fondations à cet horrible complexe sportif. Et puis, je me suis mis à détester mon père, et ça m’a fait plus de bien que de me répandre en larmes incontrôlées. Il parle d’un jardin, je suppose que c’est un endroit qui lui était cher aussi. J’imagine seulement qu’il ne s’agissait pas d’un parc public dont la municipalité pouvait s’emparer à tout instant… « C’est quoi "domovoï", déjà ? » demandé-je. Parfois, je me perds un peu entre les termes russes alambiqués qu’il emploie couramment, aussi je préfère être sûr du sens de ses mots plutôt que de commettre une maladresse – ce ne serait pas la première fois que ça m’arrive. « C’est peut-être qu’on l’a pas assez protégé. » soupiré-je. Je me dis souvent que j’aurais dû m’opposer à lui avec davantage de véhémence, tenter de convaincre ma mère de le raisonner, trouver une faille dans ce projet calamiteux pour l’empêcher d’être mené à bien.

Une fois les barrières de ferraille franchies, nous voici face au mastodonte : les ruines bétonnées d’un gigantesque bâtiment en construction, dont la taille équivaut bien à plusieurs terrains de foot moldus. Je songe aux immeubles qui se tenaient là avant, aux grands cèdres au feuillage épais, aux rues dans lesquelles on traînait : tout ça a disparu, avalé par cette entité à la gueule béante. La nuit froide tente de nous dissuader de nous en approcher, mais je ne parviens à décrocher mon regard du sommet de cette grue. Nikita verbalise ses appréhensions, tentant de m’avertir du risque qui nous menace… Mais cela ne parvient pas à freiner mes envies de désobéissance. Je tente de rationaliser, de le convaincre que ce n’est pas la mer à boire… Quand finalement, je me décide à faire appel à un stratagème plus pernicieux : douter de ses capacités. Au vu de sa réaction – et de sa maladresse de langage -, j’ai bien l’impression que cela fonctionne. J’étais certain de pouvoir compter sur lui, on dirait que je ne me suis pas trompé… ! Je savais qu’on avait le sang chaud, dans le pays de l’Est. « Woah, sérieux ? J’peux pas le croire. » demandé-je d’un air exagérément impressionné, feignant la surprise, avant de prendre un ton plus mesuré, sourire en coin. « Un arbre pas très haut, j’imagine. » Évidemment, je cède aisément à la tentation de le provoquer un peu pour le pousser à s’exécuter. Je fais craquer les os de mon cou et resserre les bretelles de mon sac à dos, avant de m’attaquer à mes lacets. Il énonce ces dernières conditions avant d’accepter et je m’empresse de tendre une main dans sa direction, le sourire aux lèvres, pour sceller notre accord. « Vendu, si y a que ça pour te faire plaisir je peux même me foutre à poil et danser la polka. » Je réfléchis cependant quelques secondes, avant de rectifier : « Non en vrai, je sais pas vraiment danser la polka. » J’ai l’air de plaisanter, mais je suis très sérieux : s’il n’y a qu’une faveur pour le convaincre, je m’y livre avec grand plaisir. Enfin, je me tourne vers l’engin, prêt à livrer cette première bataille avec mon coéquipier. « Tu me suis ? » Je pose un pied sur la première fondation métallique, me hissant quelques dizaines de centimètres plus haut en m’appuyant sur mes bras. Le contact avec mes doigts est si froid qu'il m'arrache un léger frisson... Et me voilà lancé, attaquant l’ascension des premiers barreaux. Le secret, c’est de regarder bien droit devant soi, et de ne pas détacher ses yeux des lumières lointaines de la ville.

@Nikita N. Yaga

rainmaker

- Domovoï, corrigea Nikita sur la prononciation de Kenneth, content pour une fois d’inverser les rôles. « Comme un elfe de maison mais plus sauvage. Tu verras un jour. »

Contrairement au Kot Baioun qui devait rester secret – et inquiétant – Nikita était assez enclin à présenter le domovoï à ses camarades. La créature avait été, pendant plusieurs années, ce qui s’apparentait le plus à ses yeux à un compagnon de jeu et malgré ses airs ébouriffés et ses manières rustres, le jeune homme n’en avait pas honte.

D’avantage que par les sentiments, Nikita s’était laissé avoir par sa fierté. Hors de question de laisser penser qu’il pouvait se montrer plus mauviette qu’une de ces mauviettes d’Anglais. C’était l’honneur de son pays qui était en jeu, et aussi l’avenir de sa relation avec le jeune homme. Kenneth s’était révélé un camarade stoïque et plein de sang-froid, bien qu’un peu trop impulsif parfois au goût de Nikita, aussi fallait-il s’adapter à son rythme et ne pas se laisser distancé. On ne gagnait la confiance des entreprenants qu’en se hissant à leur hauteur. Il avait suivi Kenneth dans quelques escapades, déjà par le passé, et envisageait chacune comme la mission d’un soldat sur le front : avec détermination et courage.

- Moins haut que la grue, concéda-t-il, mais plus que vos petits arbres riquiqui du parc !

Balle perdue pour Poudlard, les forêts de Grande Bretagne ne faisaient décidément pas le poids face aux sapins de la toundra. Il s’empressa de saisir la main de Kenneth avant de l’imiter et de retrousser les manches de son manteau. Il venait d’arracher en une poignée de main plus que ce qu’il n’avait réussi à obtenir en trois mois de classe et une partie de poker avec Kenneth : une faveur. Restait à savoir quelle forme elle prendrait, la clef de tout étant de réussir à introduire son chat chez les Appleton. Une fois le Baioun sur place, la Russie disposerait d’un espion au cœur du pouvoir de l’ennemi. Plus efficace qu’un satellite, ou que n’importe quel agent dormant envoyé par le MI6. Nikita se fit toutefois la réflexion que s’il se rapprochait de son but, il lui faudrait à un moment ou un autre neutraliser la menace que représentait Selene. La jeune fille était trop proche de Kenneth, ça ne pouvait pas être une coïncidence.

- Je ne te demande pas de danser nu, bredouilla-t-il avant de chiffonner sa chapka pour la ranger dans l’une de ses poches. Là-haut, c’était un coup à ce qu’elle s’envole au premier coup de vent, et il ne voulait pas avoir à lâcher l’échafaudage pour la rattraper. « Je te suis. »

Il observa Kenneth ouvrir la marche et se fit la réflexion que former une cordée n’aurait pas été une totale mauvaise idée. Mais faute de magie, impossible de tirer une corde entre eux et il ne disposait pas du matériel adapté. Si Kenneth l’avait prévenu à l’avance de ses projets, il serait sans doute venu mieux équipé, à commencer par ne pas s’encombrer de son manteau de fourrure qui tenait chaud mais gênait ses mouvements.
Grimaçant, il attrapa à son tour le bas de l’échelle et entama l’ascension dans les pas du Poufsouffle.

Jouons à un jeu

3 étapes dans l'ascencion : l'échafaudage, la loooongue échelle (pas question d'utiliser la cabine électrique) en deux parties. Le bras de la grue on verra après.
3 dés.

Échafaudage :
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1 ; 2 = tout se passe étrangement bien ; Nikita et Kenneth se sentent grisés par ascension et atteignent rapidement le sommet de l'échafaudage
3 = Nikita déchire son manteau en accrochant l'un des clous de la structure
➤ 4 = Kenneth fait tomber un outil sur la tête de Nikita
5 = dans échafaudage il y a échafaud ; Nikita manque un barreau d'échelle et se casse la gueule : grosse frayeur
6 = dans échafaudage il y a échafaud ; Kenneth manque un barreau d'échelle et se casse la gueule : grosse frayeur
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Échelle partie 1 :
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➤ 1 ; 2 = Nikita et Kenneth progressent l'un derrière l'autre sans heurts
3 = Nikita laisse s'envoler sa chapka (qui tombe de sa poche)
4 = Kenneth se prend le pied dans les barreaux de l'échelle et perd une chaussure
5 = le froid des barreaux leur engourdit les mains ce qui force à faire une pause précaire
6 = le léger balancement de la grue leur donne la nausée
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Échelle partie 2 :
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➤ 1 = malgré le vent et le froid, Nikita et Kenneth atteignent le bras de la grue sans dommages
2 = une petite poche de neige se déloge et vient s'écraser sur la tête de Kenneth
3 = Nikita se fait percuter par une mouette
4 = une bourrasque de vent humide les percute tous les deux de plein fouets, les laissant grelottants
5 = la hauteur commence à se faire sentir et Nikita se trouve paralysé de vertige
6 = la hauteur commence à se faire sentir et Kenneth se trouve paralysé de vertige
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#1 'Le Hasard' : 4

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#2 'Le Hasard' : 1

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#3 'Le Hasard' : 1

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Retour à Cricklewood Square

J’en apprends toujours plus à propos de Nikita, et des traditions slaves ou des petites différences culturelles qui existent entre nous. Si je n’ai pas grand mal à comprendre son accent et que certaines de ses tournures de phrases me font gentiment sourire, il y a encore quelques termes russes dont je ne saisis pas la signification. Bah, je ne les retiendrais pas tous, de toute manière, alors je n’hésite pas à lui demander un petit rafraîchissement de mémoire de temps à autre ! Apparemment, ils possèdent là-bas un tout autre type d’elfes de maison, des créatures plus sauvages mais toujours au service du sorcier, du moins je le suppose. « Ok ok, tu me prêteras le tien à l’occasion, je suis presque sûre que les nôtres caftent tout à ma mère. » lancé-je en frottant mes paumes de mains l’une contre l’autre pour les réchauffer, après avoir parcouru les ruines de l’ancien square. La grille, qui se présente comme le seul obstacle pour nous empêcher d’accéder au chantier, ne suffit pas à nous arrêter : si j’avais été libéré de la Trace, je n’aurais pas hésité avant de la pulvériser… mais encore deux ans me séparent de cette douce délivrance, qui marquera enfin l’arrêt total du contrôle que peuvent exercer mes géniteurs sur moi. Malgré ses appréhensions, mon camarade ne lâche pas l’affaire ; et même si je dois ruser un peu pour le motiver à grimper, j’ai bien l’impression que nous sommes arrivés à un compromis tous les deux. Quand il affirme avoir monté jusqu’à la cime de plus hauts arbres, je le toise avec défiance : « J’aimerais bien voir ça ! ». En vérité, je n’ai aucun mal à le croire, mais j’ai l’impression que cette grue va nous donner plus de fil à retordre que tous les arbres européens réunis. Moi-même, je n’ai pas une grande expérience… C’était une chose de franchir le portail de chez moi, mais à part escalader des murets ou la statue de Cricklewood Square quand elle était encore en place, je ne suis jamais monté aussi haut. Peu importe, il y a une première fois à tout, n’est-ce pas ? Quant à la fameuse faveur qu’il exige de moi en échange de sa participation à l’aventure, je n’aurais aucun problème à m’exécuter : « J’plaisante Nicky, déride-toi un peu. J’suis à ton service. ». Mes commissures de lèvres s’étirent en réalisant qu’il est quelque peu embarrassé à l’idée que j’aie pu être sérieux, avec cette histoire de polka… En vérité, j’ai bien fait un tour du terrain de Quidditch en caleçon sur mon balai suite à mon pari perdu contre August en troisième année, je ne suis plus à une connerie près. Alors il peut bien me demander ce qu’il veut, je ne suis pas près de m’esquiver !

D’un accord commun, nous entamons notre ascension vers le sommet : le haut de la grue, qui vu d’ici, nous apparaît bien vertigineux. Malgré mes fanfaronnades, je monte prudemment, veillant à vérifier avec mes pieds la stabilité de chaque barreau. Le contact froid avec l’acier n’est pas très agréable, mais ne nous freine pas… Je m’assure que mes prises tiennent bon avant de bien m’appuyer dessus, et de me hisser plus haut à la force de mes bras. Après quelques mètres, je prends un instant pour souffler, les yeux toujours rivés sur l’horizon lumineux qui s’étend devant nous : on devine au loin les petites lueurs jaunes des grands immeubles de la City, tandis que la nuit a recouvert le ciel de son voile sombre. « J’sens à peine mes doigts, on se les gèle ici ! » fis-je remarquer en soufflant un léger nuage de fumée sur mes phalanges blanchies. Je reprends ma conquête de ce stade en construction, dont nous commençons à dépasser les premières structures : d’ici quelques mètres, nous arriverons même peut-être à en deviner l’intérieur. Je suis tenté à plusieurs reprises de laisser mes yeux glisser vers le sol, pour voir la distance parcourue… Mais je m’en empêche, conscient qu’une vision vertigineuse risque de rompre la cadence de montée que nous avons instaurée. Le vent décoiffe mes boucles, sans pour autant me gêner. Sous moi, je devine seulement le crâne de Nikita, qui gravit les échelons avec discipline... Puis, alors que j’avance à tâtons, j’entends un bruit métallique et devine la forme indistincte d’un objet qui chute entre les barreaux… J’ai à peine le temps de réaliser qu’il s’agit d’un objet que j’entends un nouveau son, mais qui vient du dessous cette fois. « Ça va… ?! Désolé, je sais pas ce que c’était que ce truc. » m’enquis-je, avec un regard en direction de mon camarade. Nous sommes bientôt en haut de l’échelle, il ne restera plus que la partie horizontale à traverser. Je lève les yeux en direction du sommet de la grue, qui paraît cette fois un peu plus proche, même si nous avons encore du chemin : j’espère qu’il ne va pas faillir maintenant… !

Bras de la grue :

3 - La traversée se fait sans dommage, avec quelques pauses dans leur avancée, Nikita et Kenneth parviennent finalement au bout de la grue.
5 - Le vent s’intensifie, et rend la traversée plus pénibles pour les deux acolytes. C’est un coup à perdre l’équilibre, il va falloir s’arrêter à mi-chemin, le temps que les courants d’air se calment. Il s’agirait, en attendant, de ne pas regarder en bas…
2 - Il y a une partie de la grue qui semble un peu plus instable… en avançant sur l’un des barreaux, Kenneth se rend compte qu’il bouge beaucoup : que faire, prendre le risque d’avancer néanmoins, ou faire marche arrière ?
1 - D’aussi haut, difficile d’échapper à la vue vertigineuse du sol, qui paralyse Nikita.
6 - D’aussi haut, difficile d’échapper à la vue vertigineuse du sol, qui paralyse Kenneth.
4 - D’aussi haut, difficile de louper le faisceau lumineux qui vient du bas et qui vient balayer les structures métalliques de la grue. On dirait qu’il y a quelque chose, ou plutôt quelqu’un…

@Nikita N. Yaga

rainmaker

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'Le Hasard' : 2

Il n’en fallait pas beaucoup à Nikita pour se laisser prendre au piège des défis à relever. Déjà chez lui, du fait de la haute estime de sa lignée et d’un tempérament volontaire, il n’en refusait pas beaucoup, mais ici en Angleterre il était tout simplement inimaginable de passer pour une mauviette devant un Anglais, a fortiori devant Kenneth.

- Tu verras, lui répondit-il. N’avait-il pas déjà prouvé qu’il était à la hauteur, lors de cette partie de poker ? Ce que Kenneth ferait, il le ferait aussi, et peut-être mieux, d’ailleurs, si cela lui permettait de gagner la confiance du garçon… ou une faveur, ça revenait au même.

Il hocha la tête, satisfait des termes du contrat arraché en échange de l’ascension, et se tourna vers la grue. Il venait de faire un grand pas dans sa mission, mais le plus dur restait encore à faire.

Puisque Kenneth semblait le plus volontaire des deux, Nikita le laissa passer en premier, rangeant pour sa part tout ce qui était susceptible de s’envoler dans ses poches. Une fois là-haut, il ne serait plus question de lâcher la structure pour rattraper un objet perdu.

Très vite, il s’avéra que l’exercice se révélait tout aussi éprouvant qu’il était impressionnant. On pouvait apprivoiser le vertige en se contentant de ne pas regarder en bas, garder le nez fixé face à la paroi et grimper, un barreau après l’autre, les étages de la structure, mais le froid mordant et le vent, eux, ne tardèrent pas à poser problème. Et pas question d’utiliser des gants…

- Mieux vaut une engelure qu’une chute, grommela-t-il à l’adresse de son camarade qui venait de faire une pause. Et puis, plus par besoin de s’occuper l’esprit en bavardant que par véritable pertinence, il hasarda : « Si tu urines d’assez haut en hiver, elle gèle avant de toucher le sol. »

Pourquoi dire ça ? Il ne savait pas, mais ça avait le mérite de lui occuper l’esprit et il ne voulait vraiment pas ni s’arrêter, ni prendre le risque de regarder en bas. Il était si concentré qu’il entendit à peine le bruit métallique d’un objet en pleine chute et le reçu en plein sur le crâne, ce qui lui arracha un cri de douleur.

- путана де бордель де мерде ! jura-t-il en relevant la tête pour se rendre compte que Kenneth ne l’avait pas fait exprès. « Tu essayes de me faire tomber ? Tu t’es cru dans donkey kong ? » pesta-t-il, trahissant par la même occasion son intérêt pour les jeux rétro américains. Il ne le réalisa même pas et se colla aux barreaux pour glisser son bras derrière et se libérer une main de sorte à venir se frotter le crâne. « Heureusement que ce n’est pas une stalactite. Des gens meurent de ça quand elles tombent de très haut. »

En parlant de hauteur, il valait mieux ne pas trop y penser. Il reprit son ascension, non sans jeter de rapides coup d’œil à Kenneth au-dessus de lui pour vérifier que rien d’autre ne tombait. Finalement, ce-dernier eut le bon sens de ne rien lui jeter dessus et, de barreau en barreau, ils grimpèrent et se rapprochèrent du sommet. Cela leur avait pris quoi ? Une vingtaine de minutes ? Presque moins que ce à quoi Nikita s’était attendu et il se hissa avec soulagement et un peu flageolant sur une petite plate-forme qui permettait d’accéder au bras de la structure.

- C’est haut, hein ? demanda-t-il tout en s’agrippant à deux bras à une barre verticale. De là, on sentait plus cruellement chaque coup de vent qui faisait légèrement osciller l’appareil.

Même sans regarder en bas, difficile d’ici de ne pas se rendre compte de la hauteur. Ils voyaient une bonne partie de Londres illuminée par dessous eux et le terrain vague en contre-bas donnait l’impression d’être beaucoup moins grand que tout à l’heure. Nikita prit une profonde inspiration et chercha le regard de Kenneth. Ils n’étaient sans doute pas monts là-haut pour redescendre aussitôt et déjà son camarade, visiblement moins affecté par le vertige que lui, reprenait l’ascension pour atteindre le bras. Nikita s’arracha à sa barre avec regrets et s’engagea à nouveau derrière lui. Au moins y aurait-il bientôt un sol, entre eux et le vide, même si celui-ci n’était fait que d’un entrelacs de poutres en fer et de câbles, c’était mieux que de se hisser avec juste des barreaux sous les pieds.

Il en était presque à s’impatienter d’atteindre le bras quand Kenneth s’immobilisa sur l’échelle. Quelque chose n’allait pas ?

- Ce n’est pas le moment de faire demi-tour, cria-t-il en claquant des dents sous la brise. A ce stade, il était prêt à abandonner la faveur que lui devait Kenneth pourvu que ce-dernier ne s’éternise pas dans cette position précaire. « Imagine qu’il y a le feu en dessous, ajouta-t-il pour l’encourager. Je suis le feu ! »

L’ascension allait le rendre fou si ça continuait. Il connaissait le mal des profondeurs, y avait-il un équivalent chez les grutiers ?

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➤ 1 ; 2 ; 3 = Kenneth attrape le barreau... qui s'avère assez solide, ils atteignent le sommet
4 = toute la structure est soudain secouée d'un coup de vent bien flippant
5 = Kenneth se sent pris d'angoisse face à l'obstacle et reste paralysé
6 = Kenneth attrape le barreau... qui se déboulonne dans ses mains
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'Le Hasard' : 1

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

En contrebas, le sommet de la grue nous semblait bien lointain… mais maintenant que nous avons entamé son ascension, en s’accrochant fermement à ses structures métalliques, ce géant industriel parait bien moins intimidant. Je veille cependant à ne pas laisser mes yeux se laisser tenter par la hauteur vertigineuse qui nous sépare désormais du sol : me rendre compte à quel point nous nous sommes élevés pourrait me paralyser sur place. Je déglutis légèrement, tout en me concentrant sur l’enchevêtrement de poutres d’acier qu’il me faut encore gravir. Son histoire de pisse glacée m’arrache un léger ricanement… « Perso j’essaierais pas, j’aurais trop peur que ma queue se congèle aussi. ». Et puis, je n’aurais probablement pas le cran d’ôter mes mains de ces barres de métal pour me risquer à ouvrir ma braguette, c’est un coup à finir écrasé au sol façon pancake. Hésitant, je tâtonne, veillant à choisir des points d’appuis solides avant d’y balancer mon poids, de manière à ne pas me laisser surprendre par des barreaux moins stables. Avec une concentration intense, je m’efforce d’éviter les parties oxydées et usées… avec l’obscurité, il devient de moins en moins aisé d’y distinguer quoi que ce soit. Je me dis, en me tirant sur mes bras, que l’usage de ma baguette n’aurait pas été de trop avant de me lancer dans cette aventure hasardeuse… Mais soit, nous sommes presque à mi-chemin, c’est trop tard pour reculer.

Je prends une courte pause pour masser mes épaules endolories, et je repars au charbon, avec un regard en arrière en direction de Nikita : il n’avait pas menti, c’est qu’il se débrouille ! Ce garçon m’épate décidément de plus en plus. Quand je repense à nos présentations officielles cet été, au milieu d’une énième réception ridicule, je n’aurais jamais cru qu’il accepterait d’être complice de ma fugue, et de me suivre à l’abordage de cet engin de métal, à une bonne cinquantaine de mètres de l’ancien Cricklewood Square… Ni même qu’il consentirait à fumer le cigare, ou à disputer une partie de poker avec la bande de Selwyn. Je me surprends à éprouver une vague de sympathie pour ce ruskov… Pourtant, suite à un faux mouvement, je manque de l’assommer avec un objet qui dégringole jusqu’à lui. Il jure, et je plaque ma main libre sur mes lèvres, mi-inquiet pour lui, mi-amusé par la situation, rassuré qu’il trouve encore la force de m’injurier. « Désolé mec, j’sais pas d’où sortait ce truc ! » À vrai dire, avec la pénombre, je n’ai pas pu distinguer clairement de quoi il s’agissait… « Attends, dans quoi… ? » lui demandé-je de répéter, peu certain d’avoir bien compris : Donkey Kong, quelque chose dans le genre… ? Tout en continuant d’escalader, je regarde droit devant : la vision panoramique qui s’étend devant nous est déjà plutôt impressionnante… Il me tarde de voir ce qu’il en sera une fois arrivés, espérant que nous serons récompensés de nos efforts. Nikita, plus pessimiste, suggère que des stalactites pourrait nous tuer… « Eh bah super, ça met en confiance pour la montée. » Ça, et le bruit inquiétant du vent qui siffle entre les poutres, qui donne des impressions de catastrophe imminente.

Nous atteignons une petite plateforme entourée de barrières de sécurité, idéales pour reposer nos doigts fatigués et reprendre notre souffle, mais trop étroite pour nous y attarder longuement. Il reste encore du chemin avant d’atteindre le plus haut de l’édifice, et enfin traverser le long bras métallique qui permet de rejoindre les plus hautes structures du stade… Curieusement, ce complexe sportif balbutiant m’intimide bien moins vu de haut, j’éprouve même un certain plaisir à le dominer depuis ma position. Je souffle sur mes doigts engourdis par le froid et me décide à poursuivre… Nikita fait remarquer à raison que nous sommes bien haut, constatation qui m’arrache un sifflement admiratif. « Ouais, regarde un peu ça, on domine carrément tout Londres ! ». Le vent s’engouffre dans mes boucles brunes et je peine à garder les yeux ouverts, face à la force de l’air. Dès lors que nous attaquons la partie horizontale de la grue, mes mains se crispent sur le métal froid tandis que je peine à trouver l’équilibre… Je me tourne en arrière, vers mon compagnon d’armes : « Accroche-toi bien, ça souffle fort par ici. ». Désireux de saluer son courage pour m’avoir accompagné tout en haut, je lui adresse un sourire sincère d’encouragement, tendant mon poing dans sa direction. Prudemment, j’avance, tentant de faire abstraction de l’horizon lumineux qui s’étale devant nous… Je ressens un plaisir malsain en songeant au frisson de terreur qui parcourait ma mère en nous voyant perchés tout là-haut, à mi-chemin entre terre et ciel. Mais un barreau branlant m’interrompt dans ma rêvasserie… Circonspect, je m’y appuie plusieurs fois, de manière à tester sa solidité et à vérifier qu'il ne soit pas dévissé. Nikita m’interroge, et je me mords la lèvre inférieure en cherchant un moyen de le contourner. « C’est rien, c’est juste que… j’ai l’impression que le barreau bouge un peu. » lâché-je en grimaçant. Pourtant, après plusieurs essais, j’ai l’impression que ça tient bon : je me résous donc à passer cette étape. « Ça a l’air d’aller, fais bien gaffe à toi ! » lui lancé-je en m’avançant, peu confiant. En vérité, je n’en mène pas large… Nous approchons certes du bout, mais il reste encore bien quelques mètres au cours desquels nous allons devoir nous montrer extrêmement attentifs. Par dessus mon épaule, j’adresse à mon camarade : « On va voir à quel point tu brûles, Nicky. ». Puisqu’il est le feu, j’attends avec une certaine impatience qu’il le démontre. Subitement, les battements de mon coeur s’accélèrent, et je ressens en moi une flamboyante poussée d’adrénaline… Certes un peu paralysé par la hauteur, je me dis en fixant l’horizon que je me sens paradoxalement capable de tout, comme si la ville toute entière nous appartenait. Quelle douce satisfaction.

@Nikita N. Yaga

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Nikitait pouvait sentir les émotions lui couler dessus comme de la pluie. Là-bas, en dessous, la montée lui avait provoqué de l’angoisse, puis de la peur à mi-chemin mais maintenant qu’ils atteignaient le sommet de l’engin, toute crainte semblait l’avoir abandonné. Une espèce de rush d’adrénaline l’avait saisi et il ne sentait presque plus ni le froid, ni la fatigue de l’ascension. Juste un sentiment littéralement vertigineux qui lui retournait l’estomac et lui donnait en même temps envie de rire et aussi de crier dans le vent. C’était une sensation fabuleuse, une sensation de grand soir, comme si tout était soudain devenu possible et qu’il ne craignait rien du tout. Ils étaient littéralement coupés du monde, et le surplombaient.

Il avala les dix derniers mètres sans les voir et se trouva tout groggy au bras de la grue qui s’avançait comme un pont sans fin dans la nuit. Il lui fallut alors quelques secondes pour reprendre son souffle. Le chantier s’étalait en dessous d’eux, petit et insignifiant au milieu de la ville de Londres illuminée. Même au sommet de la grande roue ils n’étaient pas si haut et tout en s’agrippant à la structure de fer dans laquelle ils venaient d’atterrir, Nikita fit un pas vers le vide pour mesurer la hauteur. C’était désarmant, il se sentit pris d’angoisse mais aussi d’un nouveau regain d’excitation et avança dans les pas de Kenneth qui progressait maintenant vers le bout du bras… et manqua de lui rentrer dedans lorsque ce-dernier s’arrêta soudain. Cette brusque décélération lui fit ressentir comme une sorte de frustration, frustration d’être interrompu dans sa lancée qui fit redescendre un peu l’adrénaline.
Comme s’il réalisait soudain mieux la précarité de leur situation, il encouragea simplement Kenneth à continuer d’avancer. A ce stade, mieux valait ne plus trop réfléchir où il risquait d’être paralysé par la panique. Son camarade sembla finalement trouver le courage de poursuivre et Nikita s’engagea à sa suite, à moitié accroupi pour garder des prises avec ses mains. L’une des poutrelles d’acier semblait effectivement branlante, mais à bien y observer il s’agissait d’une partie mobile de la structure du bout du bras. Le contraire aurait été inquiétant et peut-être aurait-il fallu en alerter les ouvriers pour qu’aucun d’entre eux ne se prenne un jour un morceau de grue sur la tête.

Plus rien ne les séparaient désormais du vide et Nikita jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, constatant que même le tronc de la grue paraissait d’ici avoir rétréci.

- C’est comme être au milieu du vide, commenta-t-il soudain pris de tremblement. « Mais ce n’est pas pareil que d’être sur un balais… »

De mémoire, il était monté plus haut en cours de vol et pendant ses matchs, mais le vertige pour une raison étrange ne se manifestait que tant que vous aviez encore les pieds sur terre. Se tenir ainsi debout au bout de la grue était paradoxalement une expérience plus intimidante que d’évoluer librement dans les airs, en plein contrôle de soi et de son appareil.

- On va voir à quel point tu brûles, Nicky.

Il adressa un sourire entendu à Kenneth. Cela faisait du bien, une amitié fraternelle, et l’espace d’un moment il en oublia sa mission et qu’il était en terre étrangère. Tout cela était resté en bas. Il vint joindre ses mains autour de sa bouche et se mit à crier.
Un long hululement de chouette, matinée de loup et d’un peu tout ce qu’il avait en réserve, pourvu que sa vienne des tripes. L’angoisse diminua pour laisser de la place à une joie profonde. Il y avait du vent, il faisait froid, des lumières en contre-bas et la nuit tout autour, c’était un bon endroit.

- Nous nous tenons dressé au-dessus de la civilisation, adressa-t-il à Kenneth quand il eut manqué d’air. Prudemment, il s’installa sur le rebord de du bras, les pieds dans le vide. La hauteur lui souleva le cœur, mais ce n’était pas désagréable. « Tout ce qui est en bas est insignifiant désormais. »

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

Il n'y a plus que quelques mètres, pour nous séparer de l'extrémité du bras de la grue : après cela, il ne restera plus rien à grimper. Concentré sur mes doigts engourdis par le froid, sur mes muscles raidis par l'effort, sur la solidité des barreaux métalliques qui soutiennent notre poids, je fais fi de cette appréhension qui me paralyse, par moment, lorsque je prends conscience de notre position, à mi-chemin entre ciel et terre. « Non c’est clair… bordel, ça fout les poils. » Et lorsque nous venons à bout de l'édifice, nous sécurisons en priorité notre position. Je m'assois à une distance raisonnable du bord pour garder l'équilibre, mais ne résiste pas à la tentation d'avancer mes pieds en direction du vide... Et je relève les yeux vers Nikita, qui, sans crier gare libère une exclamation presque bestiale. Aussi surpris qu'impressionné, je suis immédiatement tenté de l'imiter... « Hahaha, vas-y, je le fais aussi… ! » m'exclamé-je, avant de mettre mes mains en porte-voix et d'inspirer longuement : puis, je libère tout l'air contenu dans mes poumons, et hurle à mon tour ! Avec une joie ivre, mélange d'excitation et d'euphorie, et... une colère sourde, un peu enfouie. Quelques secondes s'égrènent, pas de réponse de la part de la ville, muette face à nos cris : les mêmes petites lumières clignotent, le bourdonnement urbain ne s'atténue pas. Peu importe, il en faut plus pour nous faire redescendre... Nikita dresse un constat, et même si je ne suis pas franchement certain de dominer une civilisation toute entière, j'ai farouchement envie de croire que notre position nous élève plus haut que personne ne l'a jamais été. Avec une lueur de satisfaction brûlant dans les yeux, je dépose une main sur l'épaule du Gryffondor : « On est les rois du monde, mon pote. » Ce n'est pas comme si à cette altitude, quelqu'un pouvait remettre en question notre règne ou nous disputer le trône... Mon père a beau s'être enorgueilli de sa fonction ministérielle, même lui ne dépasse pas un lutin de Cornouailles, d'aussi haut. « Même le stade a l’air minuscule, vu d’ici. » ne pus-je m'empêcher de me réjouir, avec un regard empreint de défiance dirigé vers cette infrastructure balbutiante. C'est comme une victoire prise sur mon géniteur et son projet ambitieux... Quand bien même il a dénaturé tout notre quartier, cette monstruosité architecturale paraît presque ridicule du haut de cette grue.

Le vent souffle, plus puissant, s'engouffrant dans mes boucles brunes pour les rabattre sur mon crâne, dans les mèches châtains de Nikita, qui malgré la hauteur démesurée à laquelle nous nous trouvons, demeure impérial. « Tu me pousses pas, hein… ? » lâché-je avec un petit rire, un peu jaune. Ce n’est qu’à moitié une blague… pas que je puisse craindre quelque mauvaise intention de sa part, mais c’est que derrière mes grands airs, je me retiens de trop me pencher : le vide au dessous-nous semble tellement vorace qu’il menace de nous avaler tous les deux, au moindre déséquilibre de l’édifice… La vue, toute constituée de petits points lumineux, a de quoi impressionner à cette hauteur ; je me retiens de chercher l’endroit par où nous sommes montés, pour ne pas être pris de vertiges. J'ajoute, à son adresse, sourire en coin : « Sinon, je reviendrais te hanter, pour l’éternité. ». Comme si ces paroles avaient de quoi le dissuader... S'il était réellement tenté de me balancer par dessus bord, il n'aurait probablement à souffrir d'aucune conséquence. Je m'écraserais probablement sur le chantier désert, il se passerait bien des heures avant que l'on ne trouve mon corps, et personne ne saurait que je me trouvais en sa compagnie, je n'ai pas pris soin de le notifier à mes parents avant de fuguer de la maison. Autant dire que me retrouver assis à côté de lui, les pieds dans le vide, surplombant la capitale, revient à lui accorder une entière confiance... Ça y est, je crois que toute peur m'a quitté, que mon sentiment d'appréhension a muté en un état d'exaltation pure. Aussi, pour immortaliser le moment, j'ôte prudemment la bretelle de mon sac à dos pour l'ouvrir et en sortir deux canettes de bière - volées à mon père. Je lui en tends une, avant d'ouvrir la mienne et de la lever dans sa direction. « Allez, nazdrovia ! » Sait-on jamais, si on ne devait pas survivre à la descente, au moins j'emmènerais dans la tombe le souvenir d'avoir descendu une demi-pinte à des dizaines de mètres au dessus du vide.

@Nikita N. Yaga

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Foutre les poils ? Oh et puis merde, Nikita s’en fichait bien, au fond, de comprendre ou non ces stupides expressions idiomatiques britanniques. Tout ce qui comptait maintenant c’était le vide sous ses pieds, dont ne le séparait que quelques entrelacs de poutrelles métalliques, et tout autour d’eux l’obscurité profonde de la nuit et en contre-bas le rougeoiement des lumières de Londres. Il regarda Kenneth crier dans le noir comme lui, avec un sourire impressionné. Il y avait là quelque chose d’animal.

- Des fois je cris dans la forêt, confia-t-il en s’asseyant sur le rebord de la grue. « La Russie est tellement grande que personne n’entend jamais. Il jeta un œil en contre-bas. Cents, deux cents mètres les séparaient du sol. Crois-tu que quelqu’un aura entendu ? »

Il s’en fichait bien, à vrai dire, presque il aurait été heureux que ce soit le cas. Sans doute qu’un promeneur solitaire, levant le nez vers le ciel, les aurait envié là-haut perché. C’était une place incroyable où se tenir, les jambes dans le vide, la trouille au creux du bide et l’ivresse de l’altitude. Plus fort qu’un shot de vodka ou un passage au sauna, il fallait le reconnaître, et la tension qu’avait causé l’ascension dans les muscles de ses bras et de ses jambes n’avait rien de désagréable, maintenant qu’il était au repos.

- Les rois du monde et la grue est une sorte de château.

Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. « Crois tu que nous sommes plus haut que la tour d’astronomie de Poudlard ? Peut-être, il n’y a que sept étage là-bas après tout. »

Inutile de comparer à Koldovstoretz, l’école russe était aux trois quarts immergée sous un lac, son sommet ne devait pas dépasser la cime des pins qui l’entouraient. « Non je ne te pousserai pas. »
Une impression étrange lui vint. Dans d’autres circonstances, il le savait, il l’aurait envisagé. Non pas pour passer à l’acte vraiment, bien sûr, mais il avait pris l’habitude de soupeser secrètement les options à sa disposition et de se demander laquelle pouvait au mieux servir sa mission. Certes il était assez peu probable que provoquer la mort de Kenneth lui soit utile en quoi que ce soit, mais par principe, il se serait posé la question. Or depuis qu’ils avaient atteint le sommet de la structure, aucune ces pensées ne lui avait traversé l’esprit. Il aurait pu mettre cela simplement sur le compte de la concentration, mais ce n’était pas que ça. En fait, il se sentait heureux, et la présence de Kenneth y contribuait. Même si le pousser dans le vide avait été LA bonne chose à faire tout d’un coup, il n’était pas certain qu’il l’aurait fait.

- Si tu décédais, tu reviendrais en fantôme ? demanda-t-il en s’emparant de la bière que lui tendait son ami. « Il paraît que nous avons le choix, à ce moment-là. Presque tout le monde passe de l’autre côté mais… »

Il leva la bière, amusé, sans relever la mauvaise prononciation de Kenneth.

- Nazdrovia, l’imita-t-il avant d’avaler une gorgée. « Tu parles russe désormais ? »

Cela aura dû être inquiétant, si c’était vrai, mais là non plus il n’y pensa pas.

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

On crie comme si nous étions possédés, libérant une rage animale en nous, le désir puissant de nous faire entendre. Et ça fait un bien fou... ! J'ai envie de recommencer, les joues rougies après une montée de chaleur soudaine. Je ne m'étais pas trompé sur Nikita, je savais que c'était le gars de la situation. Il semble plutôt familier avec cet exercice, lui qui prétend parfois s'y livrer dans les grandes forêts russes... Avec une lueur d'admiration dans le regard, je m'exclame : « Le délire que ça doit être. » Pour autant, je recule un peu du bord, estimant que le sol semble de plus en plus vertigineux. Certes, nous sommes venus à bout de l'ascension, mais il n'y a plus vraiment de sécurité pour nous retenir, à cette hauteur... Quant à savoir si on nous a entendus, je laisse échapper un petit rire. « On s’en fout, non ? Ça me ferait bien marrer que ça arrive aux oreilles de mon vieux. » Et ça leur ferait les pieds, après la discussion animée que nous avons eue ce soir ! J'imagine en revanche que mon camarade, lui, aimerait se préserver des ennuis... Je ne connais pas vraiment ses rapports avec l'ambassadeur, mais il semble plus discret que moi lorsqu'il commet ses méfaits, je suppose que ce n'est pas anodin.

Les lumières de la ville ont quelque chose d'hypnotisant, si bien que je n'arrive pas à détacher mon regard des petites étincelles qui bordent la Tamise, du London Eye visible au loin, des phares de voiture et des écrans de Trafalgar Square... « J’sais pas trop, j’me suis déjà penché au dessus des murailles de la tour et franchement ça fout un peu les jetons tellement c’est haut. » avoué-je. On saute souvent le dîner pour s'y installer, avec August... et on refait le monde au crépuscule, jusqu'à ce que le voile de la nuit vienne recouvrir le ciel tout entier. L'expérience de ce soir n'est pas tout à fait la même, il faut dire qu'on se sent plus à l'abri derrière les créneaux de la tour plutôt que sur cet engin métallique. Pour autant, je me sens galvanisé d'une douce euphorie, c'est comme si un courant d'électricité parcourait tout mon corps, jusqu'à le faire vibrer. C'est d'autant plus appréciable de vivre ça à deux, sur le toit du monde, surplombant l'architecture balbutiante de ce complexe sportif laid à en mourir. C'est si haut qu'une chute nous serait fatale, pensé-je en balançant mon pied dans le vide... J'ai bien ma baguette en poche, mais pas sûr d'avoir le temps de formuler un Ascensio avant de ne faire qu'un avec le bitume. Le temps d'un instant, je réfléchis, me demandant à quoi ressemble la vie outre-tombe, avant de finalement secouer la tête. Même pour traverser tous les murs de l'école sans n'avoir à craindre de conséquence, pas sûr que le jeu en vaille la chandelle... « Bof, pas trop. Ça doit être déprimant à force t’sais, tu peux plus rien manger, ni toucher, ni te paluch… c’est juste pratique pour mater à travers les douches, mais c’est tout. Quitte à choisir, je préfèrerais être un esprit frappeur ! » conclus-je-je avec un fier sourire. Je n'ai pas eu de grands échanges avec les spectres qui hantent les couloirs, mais en revanche, je m'entends plutôt bien avec Peeves. À une époque, je l'aidais même à boucher tous les lavabos du deuxième étage avec de la glue, c'était tordant... « Et toi ? » finis-je par l'interroger, me demandant ce qu'il en était le concernant.

Je lui tends une canette, et déclipse la mienne dans un petit bruit métallique. Ce n'est pas de la très bonne bière... C'est une de celles que mon père m'a confisqué après ma petite soirée clandestine à la maison, l'été dernier, je ne fais que récupérer mes possessions. « Non, j’connais que ce mot-là, mais c’est le plus important je crois. » répliqué-je avec un petit rictus, avant de porter la canette ouverte à mes lèvres. Pourtant, l’amertume de la bière me fait toujours grimacer… mon palais ne s’est pas encore habitué à son goût âpre, mais j’aime à croire qu’à force, cette gêne disparaîtra. Pour l’instant, j’en bois seulement parce que ça me donne l’air cool, contrairement à mon compère qui donne l’impression d’avoir été biberonné à l’alcool. J’apprécie encore l’horizon qui nous fait face, chercher à imprimer dans ma mémoire cette image, celle du ciel découpant le reste de la ville, là où émergent quelques gratte-ciels… Puis, je me tourne vers lui et lui demande, avec un étonnant sérieux : « Tu t’es déjà battu avec un ours à mains nues ? ». Je ne plaisante pas ; je ne connais pas grand chose à la Russie, si ce n’est une flopée de vidéos visionnées sur le net avec Lee et Nico quand nous habitions encore à Cricklewood, comme ce type qui coupait des bûches en les frappant avec le sommet de son crâne. Je veux bien croire que mon imaginaire est teinté de clichés sordides, mais parfois, à entendre Nikita, j’ai comme le sentiment qu’il y a aussi une part de vrai…

@Nikita N. Yaga

rainmaker

Un sacré délire, oui ; rien que de l’évoquer, son esprit vagabonde au loin, au-delà de la Manche et des Carpathes, vers l’Oural et la Sibérie profonde. Mais il n’est pas l’heure de se morfondre ou d’être mélancolique, au contraire c’est le moment d’être heureux.

- Ton vi… à ton père. Il faudrait crier très fort alors.

Même en y allant à fond, difficile d’imaginer que ce soit réaliste. « Nos voix se perdent dans le vent à cette hauteur. » Hauteur qu’il peine à estimer d’ailleurs, interrogeant son camarade ami sur le sujet.

- J’sais pas trop, j’me suis déjà penché au-dessus des murailles de la tour et franchement ça fout un peu les jetons tellement c’est haut.

Nikita hocha la tête. Les sorciers avaient intérêts à ne pas trop souffrir du vertige, entre les cours de vool sur balais et les tours biscornues du château, il y avait de quoi arracher quelques frissons, mais cela n’était pas sans charme. Après tout à ne faire que des choses sans danger, on s’ennuyait vite. La preuve en était ce soir : il ne regrettait pas d’être monté.
L’isolement de la grue et le vent qui battait et emportait les paroles donnait à ce lieu exposé une paradoxale atmosphère de confessionnal. Rejetant l’idée de jeter Kenneth par-dessus bord, Nikita se demanda malgré tout ce que cela ferait d’être un fantôme et lui posa la question, curieux.

La réponse du garçon était à la hauteur de son tempérament.

- C’est la première chose à laquelle tu penses si tu mourrais ? te promener dans les douches ?

Remarque, mieux valait cela que l’espionnage industriel. Il était quasiment impossible de neutraliser un fantôme, si bien que pour échapper à leur présence, les vivants n’avaient d’autres choix que de se dissimuler. Cacher les laboratoires secrets et rendre incartables les bases militaires. Et encore, c’était tout juste si cela suffisait. Heureusement la plupart des macchabés tendaient à se désintéresser des affaires des hommes une fois passés de l’autre côté. Rares étaient ceux à s’investir en politique.

La question de Kenneth lui posait tout de même un cas de conscience et comme si elle l’avait ramenée sur terre, Nikita se fit la réflexion que s’il devait mourir maintenant, il n’était pas sûr de franchir le pas. Il avait des responsabilités dans ce monde, et encore beaucoup à faire, mais de là à se condamner à une existence entière sans tangibilité ? Cela posait question, et en même temps il se sentait pris en défaut de loyauté.

- Ce qui est sûr c’est que je ne hanterai pas un chantier ! déclara-t-il d’un ton ferme. « Un esprit frappeur serait le mieux tu as raison, mais on doit aussi se sentir seul à la longue. L’être humain n’est pas fait pour vivre isolé sur de longues périodes, cela va encore pour écrire de la poésie ou faire de la philosophie, ou peindre, mais la vie se vit à plusieurs. Socrate disait « nous sommes des animaux sociaux » or il avait raison. »

Ils trinquèrent sur ces paroles et Nikita suivit le regard de Kenneth qui se perdait à l’horizon. Et failli recracher le contenu de sa bouche à la question que lui posa ce-dernier.

- Non ? il éclata de rire. « C’est ce que tu crois que font les Russes ? A main nues un ours me tuerait tout de suite. Même avec une baguette d’ailleurs je crois. »

Vu son niveau en sortilèges, c’était bien possible.

- Et toi ? tu t’es déjà battu avec une vache ?

Il en avait vu de sacrément laineuses, dans les Highlands.

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

Ma fugue a pris une tournure inattendue... et je crois que je commence à prendre goût à cet interlude sur le toit de Londres : assis sur la branche métallique de la grue, nous refaisons joyeusement le monde, le regard tourné vers l'horizon, théorisant sur la vie et la mort. N'étant pas un grand adepte des longues et profondes réflexions, je donne avec légèreté mon opinion sur le sujet... Évidemment que j'en profiterais pour mater éhontément, sans prendre le risque d'être pris sur le fait. « Quoi, c’est un crime ? J’suis juste curieux ! Et puis avoue, si tu pouvais, tu dirais pas non. » répliqué-je avec un clin d'oeil lourd de sous-entendus. Bon, ce n'est pas comme si je me privais dans les vestiaires de Quidditch... Même si les considérations de Nikita semblent ailleurs, je suis certain qu'il cache son jeu : personne ne dirait jamais non à une vue panoramique sur un paysage vallonné, au relief bien sculpté. Pourtant, lorsqu'il évoque Je peins comme un pied, je ne connais rien à la philosophie… et quant à ce que je pourrais cracher dans un registre poétique, je préfère sincèrement épargner ça au monde. « Eh bah Nicky, t’es un artiste, au fond. » fis-je remarquer avec une légère admiration. C'est plutôt cool, en vérité... Quand bien même je me verrais mal m'investir dans une de ces disciplines, je dois reconnaître que ça octroie un certain panache. Après tout, notre ruskov national est aussi danseur, je ne serais pas étonné de le voir se livrer à toutes sortes de chorégraphies spectaculaires. « C’est quel genre d’énergumène, ton Socrate ? » demandé-je en fronçant les sourcils, certain de ne jamais avoir entendu un nom pareil. Probablement parce que je n'écoute pas en histoire de la magie, je suis incapable de retenir le nom d'un mage noir ou d'un enchanteur, même célèbre. Autant dire que je ne pige pas grand chose à cet histoire d'animaux sociaux...

L'air est froid, même le métal de la grue est devenu glacial au contact de mes doigts engourdis, si bien que j'ignore où est-ce que nous trouverons la force de redescendre tout cet édifice. En attendant, je préfère bavarder de tout et de rien au sommet... « On sait jamais, vous avez une sacrée réput’. » lancé-je en songeant aux drôles de vidéos qui circulaient sur le net. Surtout d'alcooliques, à vrai dire... Et au vu de l'endurance de Nikita, je veux croire que ce dernier a un certain potentiel pour rivaliser avec ses congénères. « En tout cas, s’ils vous forcent à vous bastonner pour la deuxième épreuve des olympiades, j’suis sûr que tu peux mettre tout le monde K.O. » affirmé-je, sans l'ombre d'un doute. Dommage, je sais qu'avec mon père aux manettes, nous n'auront probablement pas droit à un tel divertissement... Tel que je le connais, il a du préférer des affrontements moins audacieux, afin de séduire un public plus large. Évidemment, il ne faut pas se leurrer : tout cela est politique, comme la construction de ce stade en contrebas. Mais je préfère détacher mon esprit de ses petites manoeuvres, pour me concentrer sur le paysage. Le Gryffondor me retourne la question, et je pouffe comme un idiot en imaginant la scène surréaliste. « Hein ? Non, t’es ouf ! » Je n'aurais aucune chance, même un veau me piétinerait avec aisance... Finalement, j’esquisse un sourire goguenard avant d’ajouter : « Quoique, plusieurs fois avec ma soeur. » Quand je songe à sa moue boudeuse et à ses beuglements quand elle m’accuse de tous les maux du monde, je n’ai aucun scrupule à la classer parmi les ruminantes. En plus, c’est souvent elle qui gagnait… ma constitution chétive ne me permettant que peu de prendre l’avantage. Et maintenant, c’est trop tard pour prendre ma revanche, depuis qu’elle est fiancée, c’est devenu une vraie mégère… ! Ça fait des années que nos rapports se sont détériorés, au point qu'on s'adresse à peine la parole, aujourd'hui. Je ne sais même pas ce que je vais ficher à son mariage...

Enfin, ce soir, me voilà bien au-delà de toute considération familiale. Surplombant l'entreprise titanesque de mon père, contemplant ce monstre industriel qui menace le quartier vu d'ici, je n'ai pas envie de penser à eux ; les jambes dans le vide, les mains cramponnées à la structure d'acier au point d'en avoir mal aux jointures, je ferme les yeux lorsque le vent s'engouffre dans mes cheveux. J'ignore si c'est le vertige, la hauteur qui me grise, l'excitation procurée par l'adrénaline, ou bien les trois à la fois. Il n'empêche que ce mélange hasardeux crée en moi un drôle de cocktail molotov, qui menace d'exploser à tout moment, peut-être à cause de ma proximité actuelle avec un camarade russe. L'air espiègle, je me tourne vers lui : « T'sais quoi ? Vas-y, à trois, on dit un truc secret défense, qu’on a jamais dit à personne. Ok ? Un, deux… » commencé-je à compter, tout en cherchant quelque chose qui pourrait être assez croustillant pour être révélé à des centaines de mètres au dessus de la terre ferme, sans autre témoin que mon interlocuteur.

@Nikita N. Yaga

rainmaker

Kenneth était courageux, débrouillard, et souvent impressionnant, mais Nikita se demandait aussi parfois s’il n’était pas un peu simplet. A moins qu’il ne fasse exprès, une sorte de désinvolture naturelle qui le faisait prendre tout à la légère, comme si les choses lui passaient dessus sans l’atteindre, quand son cadet ne savait rien faire d’autre que se montrer désespérément sérieux.

- Je ne connais pas bien les lois de ton pays mais je suis presque sûr que c’est un crime.

Il détourna le regard malgré tout au clin d’œil de son camarade. Assurément, il savait reconnaître une marque de camaraderie, voire d’amitié dans ce genre de conversation. N’en avait-il pas eu lui-même à Koldovstoretz ? Mais c’était bien cela qui le gênait soudain et le plaçait face à ses contradictions. S’il s’était jusque-là rapproché de Kenneth pour des raisons stratégiques, force était de constater que leur lien évoluait. Ce genre de moment en était la preuve, et si dans doute Kenneth y voyait un signe sincère d’amitié, si Nikita lui vouait la réciproque, cela signifiait dès lors être en train de le trahir un peu. Les choses auraient sans doute été plus simples s’il était parvenu à garder la tête froide et rechignait à la plonger sous l’eau.

- Sans doute, botta-t-il en touche, préférant laisser vagabonder son esprit dans des régions moins risquées. La vie, la mort, la première plus inquiétante que la seconde, d’une certaine manière. Nikita ne se vivait pas mortelle, et craignait d’avantage de rater son existence et de faillir à ses devoirs que de décéder. La chose avait un caractère abstrait, et assez définitif. Sauf bien sûr si ses responsabilités lui imposaient de revenir sous une forme ou une autre.

Il se tourna vers Kenneth, surpris. « Socrate, l’inventeur de la philosophie ? » Comment pouvait-on ignorer qui était Socrate, mais ces britanniques ignoraient beaucoup de choses. En Russie aussi, il avait connu des idiots, mais on était en droit d’attendre mieux d’un fils de ministre de la Magie tout de même. Il ne se formalisa pas longtemps toutefois et répondit d’un ton amusé.

- Nous ne faisons pas que nous battre tu sais, nous lisons aussi des livres.

Il ne pouvait pas en vouloir à Kenneth cependant de penser cela, étant donné le nombre de ses camarades qui avaient tâtés de ses poings depuis la rentrée. Mais cela l’embêtait que le jeune homme le réduise à une personne violente. « Je pourrai t'en recommander si tu veux ? des essais ou des romans. Cela passe le temps… ou tu peux t’en servir comme projectile contre ta sœur. »

Il n’ignorait pas que Kenneth n’était pas fils unique, ayant eu l’occasion d’être briefé sur l’histoire de la famille Appleton, mais ’avait jamais rencontré Alienor en personne.

Ses jambes balançaient toujours dans le vide et il ressentit un frisson dû au froid. La vue était toujours à couper le souffle mais passé l’effet de sidération, il ne pouvait plus ignorer le vent qui s’insinuait dans les ouvertures de son manteau et en rabattit un pan sur lui. Chaque bouffée vous soulevait le cœur et irisait les sens, à cette hauteur la moindre brise avait un parfum d’aventure.
D’ailleurs il lui fallut s’accrocher aux poutrelles métalliques pour ne pas perdre l’équilibre quand Kenneth lui proposa tout de go d’échanger là, comme ça, comme si de rien n’était, un secret diplomatique.

Nikita ne pu que le regarder quelques secondes avec de grands yeux ébahis. C’était comme recevoir la récompense finale d’une quête sans avoir tué le dragon ni même trouvé le château ! Et c’est que le Poufsouffle semblait sérieux en plus !

- Ba c’est que ba…

Kenneth en était déjà à compter deux et le cerveau du Russe restait désespérément vide. L’occasion était belle, trop belle, suspecte même, mais il n’avait juste pas le temps de réfléchir, d’être prudent, le temps de rien en fait, et Kenneth déjà de dire trois.

- Меня попросили шпионить за вами.

C’était sorti, franc, honnête et sincère, mais en russe. Parce qu’il avait paniqué et que c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour s’offrir un sas de décompression sans manquer l’opportunité. Il se sentit rougir, conscient qu’il venait malgré tout de trahir l’esprit du jeu. Miraculeusement, les rouages de son cerveau venaient de se remettre en branle, comme réactivés par le fait d’avoir dit quelque chose, fut-ce incompréhensible et il s’éclaircit la gorge. Il n’allait évidement pas traduire ce qu’il venait de révéler à voix haute, mais il avait un secret beaucoup plus innocent en tête et en mesure de satisfaire la curiosité de Kenneth.

- Il y a une pièce secrète à l’ambassade. Je ne suis pas autorisé d’y aller mais je sais comment on y entre.

Une fois, quand il avait demandé au gardien ce qui s’y trouvait, l’autre avait rigolé en répondant « des ennemis politiques » mais ce n’était pas vrai. Son père n’aurait jamais pris un tel risque ici en Grande-Bretagne, les ennemis politiques se trouvaient tous en Sibérie.

Rage of the Myrmidons

Retour à Cricklewood Square

Malgré le froid mordantt qui nous assaille à cette altitude et la désagréable sensation de fourmis dans les jambes, j'ai de moins en moins envie de redescendre. Alors, je masse vigoureusement mes tibias, les entourant de mes bras pour faire circuler le sang... À côté de moi, Nikita semble imperturbable, comme si la hauteur ne l'impressionnait même plus. Il est vrai qu'on finirait par s'habituer à surplomber la ville... et la perspective de refaire le monde jusqu'à l'aube est loin de me déplaire. Quant à mes parents, j'espère sincèrement qu'ils se rongent les sangs et que la police magique est alertée de ma disparition... Ça leur apprendra un peu. Construisant des scénarios improbable selon lesquels nous serions des fantômes, je me mets à songer à ce que serait mon quotidien si je rôdais dans les couloirs sous forme désincarnée... Instinctivement, je pense aux vestiaires de Quidditch, hélas si peu accessibles pour nous autres, pauvres mortels ! Mon acolyte n'approuve pas, considérant que c'est un crime, ce qui me tire un léger rictus. « Quoi ? Mais non, pas du tout, qu’est-ce tu racontes ? ». Je ne devrais pas me ficher de lui, il ne parle pas bien notre langue, après tout… sinon, il saurait comme tout le monde qu’un crime, c’est quand on tue quelqu’un. Et de ce que je sache, personne n’a jamais été assassiné parce qu’on l’espionnait sous la douche… ! Enfin, sauf dans un film d’horreur, je crois, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec notre affaire. Tout ce qu’on risque, c’est une paire de gifles et de se faire copieusement insulter par Samantha de septième année, c’est tout !

Je me retiens de lui répliquer que je ne connais rien à la philosophie, un peu mal à l'aise. Toutes ces grandes notions savantes ont l'air de lui faire grand effet, alors que je n'en comprends pas une miette. Ce n'est pas étonnant, tous les gamins de mon âge rencontrés dans les hautes sphères semblent avoir été baignés dans les lettres dès la naissance : ils s'en gargarisent aujourd'hui, un verre à la main, citant un poète ou un autre, dégobillant des citations sans queue ni tête pendant que je me sens de plus en plus en décalage avec leur univers. J'imagine que c'est la même chose avec Nikita, qui a du jouir d'un précepteur dès son plus jeune âge... Étrange, non ? D'habitude, je me fiche bien d'avoir l'air ridicule, je suis fier de savoir d'où je viens. Et puis, soyons honnêtes, dire que je ne suis pas un grand passionné de littérature est un doux euphémisme. Je m’ennuie profondément après tout juste quelques pages, et les pavés hauts comme un meuble me donnent le vertige. Cependant, quand il finit par proposer de me prêter un de ces livres, j'hésite quelques instants. « Hum, d’accord. Mais un pas trop compliqué pour commencer, d’acc ? » demandé-je, quelque peu sceptique. Je ne m’attends à rien, je ne perds donc pas grand-chose à essayer… Je trouve cependant judicieux de lui préciser : « Et écrit en anglais, hein. » On ne sait jamais. Avec cet énergumène-là, je pourrais me retrouver flanqué de la biographie soporifique d'un dirigeant russe.

Est-ce que c'est le fait d'être retourné, le temps d'une soirée, sur les ruines de ce qu'était autrefois Cricklewood Square, qui me rend mélancolique ? Le regard fixé en contrebas, je ne perçois pas la gêne de mon camarade, concentré sur les vestiges d'une autres époque, aujourd'hui disparus sous le bitume et les gravats. Nous sommes seuls, sur le toit du monde... C'est pourquoi je propose ce drôle de jeu. Je devrais probablement raconter une idiotie, me marrer un bon coup, mais à la place, je choisis de me délester d'un poids. Je resserre mes doigts autour de mes genoux, jusqu'à m'en faire blanchir les jointures. « Des fois, j’ai envie de remonter de temps, et revenir à l’époque où on était personne. » finis-je par avouer, dévisageant mon interlocuteur, avant de m'interrompre, tout à coup, la bouche entrouverte. Et soudain, quand je découvre la supercherie, je proteste : « Eeeh, c’est pas du jeu, j’comprends que dalle ! ». Je suis sûr qu'il l'a fait exprès, il sait que je ne pompe pas un mot de russe... Ça doit être un truc bien épicé, dont il doit mourir de honte aujourd'hui, pour qu'il soit aussi réticent à l'avouer. Pff, comme si j'allais le juger... ! C'est bon, on est entre nous. J'avale une autre gorgée de bière, réalisant que j'ai déjà fini la canette... avant de réagir à ses propos. « Quoi, t’es sérieux… ? Démentiel. Qu’est-ce qu’elle renferme ? Un dragon ou un truc du genre ? » Allez, c'est peut-être une occasion en or pour découvrir un secret bien gardé d'ambassadeur... !

@Nikita N. Yaga

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