Nouvelle dispute ? (Zeynep et Dmitri)

Les vacances de Noël avaient été étrange mais pour une fois ce n’était pas l’ombre de mon abandon qui avait posé problème. Au contraire, je sentais que depuis quelques mois mes parents essayaient de rattraper le temps de perdu, comme s’ils se rappelaient qu’ils avaient déjà perdu un fils et qu’ils ne voulaient pas perdre leur fille. Alors ma mère me posait de nombreuses questions sur Poudlard, me faisait répéter les noms de mes professeurs et des sorts. Elle m’interrogeait sur mes amis aussi, heureuse de voir que j’en avait. Et tout aussi intriguée par la relation que j’avais avec Dmitri. Il fallait dire que j’en parlait souvent, et dans des termes dithyrambiques. Dmitri par ci, Dmitri par là. Ma mère me disait en blaguant que j’étais amoureuse, que je rougissais à cette évocation et que mes yeux pétillait dès que je parlais de lui. Évidemment, je niais en bloc, un peu trop sérieusement pour être crédible. Alors mes parents levaient les yeux au ciel quand je racontais les bals de l’école où l’on dansait en toute amitié.
Mais le coup de grâce fut le cadeau. Que Dmitri m’offre un portrait de mon frère le faisait passer d’amour de jeunesse un peu étrange à gendre idéal aux yeux de mes parents. Un peu plus et il me proposerait de l’inviter à la maison pour officialiser la demande en mariage. Avec loukoum, thé et brochettes d’agneau traditionnelles préparées par ma mère. Alors j’avais commencé à comprendre, en partie grâce aux désirs de mes parents, que le jeune Aiglon était peut-être plus qu’un simple ami, même si j’avais refusé de le voir. Et cela m’embêtait, déjà parce que je ne pouvais toujours pas vraiment admettre ma proximité avec un sang-pur. Mais aussi parce que j’avais un dernier mensonge à lui avouer.
Alors je m’étais décidée à lui en parler à la rentrée, profitant qu’on sorte ensemble d’un cours de botanique pour aborder le sujet.
« Dmitri… Il faudrait que je te dise un truc »

@Dmitri D. van Aken

Cela faisait un certain temps maintenant que Zeynep et Dmitri ne s’étaient plus disputés. Depuis qu’ils avaient magiquement tracé ces cicatrices sur leurs avant-bras respectifs, en fait. Dès lors, liés par ce serment, les craintes de l’aiglon s’étaient envolées et leur relation était entrée dans une stabilité un peu étrange mais pas désagréable. Même lors de la mort d’Alexander, il avait trouvé en la personne de la poufsouffle un soutien qu’il n’avait pas cru possible ; elle n’allait pas se mettre à conter combien l’ancien maître des potions était un grand homme, mais il n’attendait pas ça d’elle – ou de qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. En revanche, il avait apprécié sa façon simple de lui montrer qu’elle comprenait ce qu’il pouvait ressentir. Elle, mieux que quiconque, savait ce que cela faisait que de ressentir la perte d’un être cher. Sans doute était-ce pour ça que lui était venu l’idée de peindre son défunt petit frère en guise de cadeau, pour Noël. Il avait eu du temps pour s’y atteler, d’autant qu’à peine retourné sur l’île des Hébrides, il avait mis un point d’honneur à croiser le moins possible ses frères qui étaient venus passer les vacances là-bas.

Revenir à Poudlard et reprendre un quotidien sans sa fratrie sur le dos avaient finalement été l’ultime délivrance. Il s’y sentait mieux, ces derniers temps : ça se passait bien avec Zeynep, la cohabitation dans le dortoir avec Silas était supportable, surtout après avoir vu son frère aîné se pavaner dans le manoir, et même les cours de potions, avec le nouveau professeur, lui semblaient moins pénibles. Il était d’ailleurs d’une humeur joviale, aujourd’hui, quand bien même sortait-il d’une des serres de botanique, pire discipline que cette école ait pu inventer.

- Dmitri… Il faudrait que je te dise un truc.

L’adolescent tourna un regard surpris vers son amie, laquelle affichait une expression plus préoccupée que celle qu’il était habitué de voir sur son visage ces derniers temps. Depuis la rentrée des vacances, elle semblait avoir l’esprit ailleurs ; l’aiglon n’avait pas trop osé lui poser de questions, de peur que sa relation avec ses parents ne se soient à nouveau dégrader et, pire, que son cadeau ait été le fruit d’un conflit quelconque...

- Euh... oui ?

Il ralentit le pas, laissant d’autres élèves passer devant eux. Pour un mois de janvier, il ne faisait pas très froid, aujourd’hui ; le soleil était assez dégagé et il n’y avait pas une once de brise venteuse, chose assez rare en Écosse. La journée en devenait plutôt agréable et l’idée de traîner un peu dans le parc plus sympathique que s’ils s’étaient vus assailli par la neige ou la pluie.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Dmitri laissa les autres élèves nous dépasser, comme au temps où nous élaborions des manœuvres pour retrouver mon frère, comme au temps où l’ombre de Finnbjorn ou celle de son grand-oncle nous empêchait de nous côtoyer. Désormais, les deux étaient morts et je pouvais avoir tous les doutes du monde sur Fergal, celui-ci n’avait pas encore pris de mesure victimisant les nés-moldus. La situation auraient pu être idéal, j’aurais presque pu déclarer ma flamme à cette instant, dire que ma mère m’avait ouvert les yeux et que je le voyais effectivement comme plus qu’un simple ami. Tout aurait pu être simple mais avec moi, avec lui, c’était toujours compliqué. Et aujourd’hui, ce qui me pourrissait la vie était un remord que j’avais enfoui sous les non-dits. J’avais espéré pouvoir passer outre. Je m’étais dit que le serment inviolable effacerait ce mensonge, cette transgression, qu’on pourrait repartir sur de nouvelles bases. Faire table rase du passé, comme disait mon père…
Mais non, il fallait que j’avoue, que je parle du serpent que j’avais vu dans sa tête. J’avais pratiqué la légilimancie sur lui. Certes, c’était à une période où nous étions à nouveau ennemis mais cela n’excusait pas tout. Aujourd’hui, je trouvais même que ça n’excusait pas du tout mon comportement et que la seule solution pour me racheter était de lui en parler, qu’importe les conséquences.
« Tu sais, quand on s’était disputé… Au moment des grades acier... »
Je laissais passer un silence, sentant que c’était ma dernière possibilité de reculer.
« J’ai jamais osé te le dire mais j’ai utilisé la légilimancie. »
Si j’avais cru en dieu, ç’aurait été le bon moment de lui adresser une prière. Mais mon père avait toujours détesté les imams et les muezzins et je ne pouvais même pas faire sembl ant de savoir ce qu’il fallait dire.
« Je veux dire, j’ai lu dans tes pensées. »
Au cas où ce n'était pas assez clair...

Zeynep affichait cet air préoccupé qu’il lui avait souvent vu lorsque Sørensen était à la direction de l’école ou quand il était question de son grand-oncle ; c’était là l’expression qui annonçait des conflits entre eux, celle qui inexorablement les menait à déterrer la hache de guerre. Rien ne présageait pourtant qu’ils en viennent à ça : tous les Norvégiens étaient partis et Alexander reposait dans le caveau sur l’île des Hébrides, attendant que l’aiglon ne parvienne à terminer son portrait. Ces temps-ci, il évitait d’y penser ; chaque fois qu’il regardait le tableau entamé, il était pris d’une angoisse qui l’empêchait de peindre. Faire le portrait du frère de la poufsouffle avait pourtant été si simple... mais celui de son aïeul, il s’en sentait incapable, comme si passer derrière lui et ajouter des coups de pinceaux sur une œuvre qu’il avait commencé revêtait un caractère interdit.

Inconsciente de ce qui se tramait dans l’esprit du garçon – à dessein, d’ailleurs, il évitait de parler de ces choses en sa présence – elle reprit la parole d’un ton presque timide qui ne lui ressemblait guère. Le silence plana un instant, juste assez pour qu’une infinité de souvenirs n’assaillent son esprit et lui rappelle le grand conflit qui avait mis à mal leur relation.

- J’ai jamais osé te le dire mais j’ai utilisé la légilimancie.

Dmitri resta interdit, laissant l’information intégrer son esprit sans dire un mot tandis qu’elle précisait ses propos, comme si la révélation n’avait pas été suffisamment limpide.

- J’avais compris, merci répondit-il sèchement.

Il lui était assez difficile de savoir ce que cette vérité éveillait en lui. Une première angoisse absurde était montée en lui, le poussant à se toucher le bras où la peau légèrement blanchie témoignait encore de leur serment. Inquiétude futile, car à l’époque, ils n’étaient pas encore liés par une telle magie... sinon, elle ne serait pas ici pour lui en faire part.

Après quelques secondes de silence, il le rompit à nouveau, posant une question sans même regarder l’adolescente ; son regard était plongé dans la contemplation du château. Il préférait ça aux iris marrons de son amie.

- Tu l’as fait souvent ?

Il n’osait pas encore lui demander ce qu’elle y avait lu. Les secrets de peinture, les projets de son défunt tuteur, les sentiments complexes qu’il avait à son égard ? Pour des raisons ou d’autres, toutes ces choses n’appartenaient qu’à lui. Zeynep n’avait pas à les connaître.

Sans s’en rendre compte, il avait serré le poing sous la frustration, les jointures des doigts blanchies par la pression et par les deux bagues qu’il portait.

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