Je sais très bien que, s’il me le demandait, je n’aurais pas trop de mal à me mettre à la botanique. Je ne dis pas que j’adorerais ça, honnêtement j’y crois pas trop, mais pour lui faire plaisir, je m’y plierais docilement. Il n’y a rien que j’aime plus au monde que lui faire plaisir. Même si c’est par des attentions toutes bêtes ou des compliments maladroits. Je trouve ça normal de lui rappeler autant que possible que je l’aime et qu’il est incroyablement important pour moi. « Ahahah... C'est pas grave, tant que j'arrive à te faire planter des trucs de temps en temps moi ça me va ! » Je lève les yeux au ciel comme si c’était le truc le plus ridicule de l’histoire des trucs ridicules alors qu’en soi, ça se tient. Je trouve ça normal qu’on puisse partager un peu de ce qu’il aime faire sans que j’ai à râler ou à traîner des pieds. Il est pas question de passer ma vie à jouer les jardiniers, faut pas trop m’en demander, mais « de temps en temps », j’ai rien contre l’idée. D’autant plus que je suis pas doué, que le simple rempotage d’un truc en Botanique m’échappe souvent complètement, alors il devra me montrer, faire attention à ce que je fais, me reprendre peut-être aussi. J’ai en tête l’image débile des films d’amour que se farcie Shawna à longueur d’été : les cours de golf, de tennis ou de poterie qui se finissent dans les bras du professeur, lové contre lui à feindre de l’intérêt pour la leçon. Je veux bien… Ses mains sur les miennes, son torse collé à mon dos, son souffle dans mon cou et sa voix sérieuse et envoûtante à mon oreille… Mon regard se perd un instant dans mon assiette, le temps de réprimer un sourire amusé. Je commence à trouver mon compte avec ces histoires de plantes, moi ! Si on m’avait dit un jour que j’aurais presque hâte de me mettre à l’ouvrage, je l’aurais jamais cru., et pourtant… C’est presque dommage de ne pas avoir de matériel sous la main, on s’y serait mis sur le champ, sinon ! Cependant, je ne laisse rien paraître de ce qu’il se passe dans mon esprit et affiche un ennui tellement exagéré que personne ne pourrait le croire vrai rien qu’une seconde. « Mmh… Moui… On verra si t’es sage. » J’ai du mal à garder mon sérieux. J’ai un peu perdu le fil de tout ça… Mais c’est sa faute, aussi ! C’est lui qui me laisse fantasmer à moitié, ça se fait pas ! Qu’est-ce que vous voulez que je refuse, moi, après, hein ? C’est définitivement pas du jeu !

La conversation file et s’éloigne des espoirs idiots que j’ai placé en ses envies de jardinage. Je ne sais plus comment on en vient à parler de Tybalt. En vrai, je l’aime bien, ce hibou. Bon, d’accord, certainement parce que c’est le sien plus qu’autre chose parce que je me fous pas mal des bestioles en règle générale mais qu’importe. Je l’aime bien. Ma soeur aussi, d’ailleurs. Elle réclame toujours qu’on en adopte un et fait des crises monstres quand mes parents refusent. J’espère vraiment qu’ils céderont pas. Mais d’ici qu’elle se retrouve avec un animal, qu’importe si c’est un hamster ou un poisson rouge, dont elle ne s’occupera évidemment pas, je suis sûr qu’il n’y a pas des kilomètres… Ah si ! C’est bon ! Ça me revient, c’est à cause de son patronus qu’on en parle ! Ce garçon me perturbe, faut pas s’étonner que mon cerveau suive difficilement… « Non ! Le pauvre n'a rien fait pour mériter ça ! » Regardez-moi sa bouille ! Je sais que c’est pas sérieux, qu’il sait pertinemment que je n’ai pas l’intention de faire du mal à son hibou ni de laisser les gens lui en faire mais ça me gêne quand même. Je suis trop faible, mon dieu… J’ai juste envie de le serrer contre moi et de lui promettre qu’on dira plus rien de méchant sur lui. Mais non. Quand même. Faut pas déconner. Je lève légèrement le nez et soupire comme si je trouvais ça désespérant qu’il prenne encore sa défense alors que c’est un animal indigne. Je l’observe malgré tout du coin de l’oeil, prêt à fondre sur lui pour le rassurer, le consoler, lui demander pardon un milliard de fois au premier signe d’un truc mal. J’ai pas envie qu’il soit triste pour quelque chose que je ne pense même pas. Bon, en soi, je pense vraiment que les animaux ne servent pas à grand chose, tous autant qu’ils sont, mais Tybalt n’est pas pire que les autres alors loin de moi l’envie de m’acharner sur ses pauvres petites épaules de piaf. « C’est bien ça le problème, il a rien fait. Rien du tout ! Et tu cautionnes ça… Non mais vraiment… » Je ne mets pas longtemps à perdre toute crédibilité en affichant un sourire bêtement amoureux. Sourire qu’il me rend sans se faire prier. Il est beau, quand même… Je crois que je m’en lasserai jamais. Ni de le voir ni de le penser. Finalement, notre dîner se termine là-dessus et, à sa demande, on passe à la suite de notre soirée. Je me dépêche de débarrasser la table et le rejoins au pas de course sur le canapé.

Comme promis, je lui ouvre les portes de mon enfance. Enfin, d’une partie… Je pourrais lui montrer plusieurs autres films du genre, une tonne de photos (j’ai quand même fait le tri dans celles affichées dans l’appartement pour éviter que ce soit trop la honte) ou ressortir les oeuvres que j’ai bien pu faire au cours de ma scolarité et que mes parents ont soigneusement gardées… Mais bon, on va éviter. Sa réaction me touche. Je m’attendais à ce qu’il soit un peu « ému », du genre à s’extasier à moitié sur le gamin que j’étais comme on fait devant un bébé, à grand renfort de « ooooh, il est mignooooon » mais certainement pas à ce qu’il soit aussi silencieux, captivé par les scènes foireuses qui se succèdent sur l’écran. Pas un mot, rien. Juste sa main dans la mienne et un regard icroyable braqué sur la télé. J’avoue, je passe plus de temps à l’admirer, lui, qu’à regarder les mômes raconter leur truc. Le voir comme ça me fait bizarre. C’est très con, hein, mais je me sens tellement aimé que j’en ai la gorge nouée. Je ne prétends pas qu’il ne me montre pas son amour le reste du temps, loin de là, il n’y a pas une seule journée où je doute de ses sentiments à mon égard mais là, ça me frappe de plein fouet sans que j’y ai été préparé avant. « La fierté de voir leurs enfants se produire sur scène très certainement ! On sait tous que ce n'est jamais du grand art, mais ce ne sont que des enfants, qui font de leur mieux pour rendre fier leurs parents. Moi je trouve ça beau ! » J’affiche un air gentiment choqué. « Comment ça « pas du grand art » ?! » Je lâche sa main et croise les bras d’un air boudeur. « C’était digne de pro, ça, Monsieur ! Du talent à l’état pur ! » En vrai, on aurait clairement pu brûler le DVD pour éviter aux générations futures de tomber dessus mais il paraît que ça laisse des souvenirs… Encore aurait-il fallu qu’ils soient bons ! J’exagère, évidemment. D’accord, avec le recul, je trouve ça nul et j’ai l’impression d’être un épouvantail avec des cornes mais j’étais fier, ce jour-là. Fier de pas m’être trompé dans mon texte et d’avoir réussi à jouer mon rôle de Chef des Rennes correctement. Fier du regard que ma mère a posé sur moi, peut-être aussi. C’était la première fois qu’elle me voyait ailleurs qu’à la maison depuis notre déménagement, et il faut bien reconnaître qu’elle retrouvait un peu le gamin qu’elle avait eu avant. De bonne humeur, volontaire, enthousiaste… Rien à voir avec le casse-couille que j’étais avec Patrick et ses mômes ! Elle était contente alors forcément, je l’étais aussi. « Tu avais quel âge ? » Je m’étire discrètement et me rapproche de lui l’air de rien. Comme d’habitude, c’est difficile d’être plus collés, j’aime ça. « Neuf ans, c’était juste après le… » Un bruit étouffé me force brusquement à m’arrêter.

Il me faut quelques secondes pour réaliser que c’est les bruits du feu d’artifice. La lumière du salon, grande allumée, a dû nous empêcher d’apercevoir les lueurs colorées. « Naaaaan, on va tout louper ! » Jamais dans l’exagération, évidemment… D’après ma montre, ça a dû commencer il y a deux ou trois minutes, pas de quoi fouetter un chat ! J’attrape la main de Milo dans la mienne et l’embarque à ma suite dans ma chambre. Sur le coup, ça me fait un peu bizarre, j’avoue. Mon coeur loupe même un battement au moment de passer la porte. Je vire rapidement ce qui traîne sur le grand lit de Mal et Gally, juste en face de la fenêtre et me laisse tomber dessus. Je me cale correctement contre l’un des oreillers. D’ici, on a la meilleure vue de tout l’appartement, même s’il est un peu loin, le feu d’artifice est juste en face, on ne peut pas le louper. Il n’y a pas d’immeubles plus hauts avant un bail alors bon, ça aide pour pas être gênés… Normalement, on est tous tassés, sur ce même lit, pour regarder le spectacle mais il faut bien reconnaître que j’apprécie l’idée qu’on ne soit que deux, ce soir. Qu’on profite du calme tant qu’il y en a encore. Je tends presque timidement le bras pour qu’il vienne tout contre moi. J’ai envie qu’il soit là, réaliser un peu plus que tout ça est bien réel. On a le droit d’en profiter, je crois, après tout ce qu’on a eu à traverser… J’ai du mal à le lâcher, j’avoue, et peut-être qu’il en a marre en vrai, j’en sais rien… Je repousse cette idée le plus loin possible. S’il en a marre, il me le dira, en attendant je le câlinerai jusqu’à ce que mort s’en suive, au moins ! « C’est définitivement la meilleure fin d’année que j’ai passée dans toute ma vie… » Et comme pour appuyer mon aveu évident, de nouvelles explosions de couleurs transpercent le ciel sombre. Ça risque vraiment d’être difficile de faire mieux, à l’avenir…

Je ne pense pas être le garçon le plus fermé lorsqu’il s’agit de tenter de nouvelles activités. En général, je me plie de bonne grâce à tout ce qu’on peut me proposer, au mieux avec intérêt au pire en me disant que ça ne me tuera pas. Alors vous vous doutez bien que lorsqu’il est question de Milo, il est encore plus facile de me convaincre. Je le vois d’ici me faire les yeux doux pour qu’on aille foutre les mains dans la terre et au bout d’une journée entière, on y sera encore… Je suis faible et je ne fais définitivement rien pour que ça change. Néanmoins, je feins de ne pas être franchement motivé, histoire que Monsieur n’imagine pas que c’est déjà dans la poche. Même si, en réalité, je ne me fais pas d’illusion, ça ne trompe personne. Certainement pas le garçon qui partage littéralement ma vie depuis deux ans. Il sait probablement mieux que n’importe qui qu’il aura aucun mal à m’embarquer dans ses affaires. « Je suis toujours sage mon Amour ! » Je lève les yeux au ciel en le poussant tendrement pour bien appuyer sur le fait que je ne le crois pas le moins du monde. « Qu’est-ce qu’il faut pas entendre, j’te jure… » Bien sûr, c’est faux. Il n’y a rien à lui reprocher. Je crois que je ne l’ai jamais vraiment vu faire de la merde. Bon, d’accord, une fois ou deux l’an dernier mais j’imagine que les circonstances étaient tellement différentes que ce serait un peu dégueulasse de lui en tenir rigueur. Lentement, la conversation suit son cours, passant d’un sujet à l’autre sans qu’il n’y ait forcément de liens. J’aime bien. Je pense qu’il y a rien que six mois, c’était difficilement possible, pour nous, de se laisser aller assez pour raconter tout et n’importe quoi sans vraiment de filtres. On se fiche pas mal de quoi on parle, c’est juste naturel. On retrouve des habitudes un peu perdues. On se retrouve nous, en réalité. C’est infiniment rassurant. Je ne pensais pas que ces vacances auraient un effet aussi bénéfiques ! Finalement, c’est son pauvre hibou qui nous sert de sujet à une vague et fausse dispute. On est assez à l’aise pour faire semblant et j’ai l’impression que ça fait un bail que ça ne nous était pas arrivé. Je crois qu’on avait trop peur qu’elle finisse vraie pour se risquer à commencer quoi que ce soit. Si on le fait, ce soir, c’est sûrement un vrai bon signe. « Il va se mettre grève si tu continues comme ça et arrêtera de vouloir t'envoyer mes lettres et tu auras tout gagné ! » J’affiche un air choqué teinté d’inquiétude avant de poser sur lui des yeux presque larmoyants. « Qu… Quoi ?! Il oserait pas faire un truc aussi méchant ! Il ferait pas ça. Hein…? » Bon, c’est pas comme si ça risquait d’être vraiment problématique s’il s’y mettait, bien sûr, après tout on se voit tous les matins, tous les midis, tous les soirs… On devrait réussir à survivre sans s’écrire mais tout de même ! « Tu peux pas le laisser faire çaaaa ! » J’ai bien du mal à garder mon sérieux et le rire étouffé qui m’échappe achève de me faire perdre toute crédibilité.

Notre repas se termine à peu près sur ça. Sur des histoires idiotes de hiboux boudeurs. Et puis on abandonne le dîner pour aller rejoindre le canapé et les promesses faites des mois plus tôt. Je ne sais même pas si à ce moment-là je croyais vraiment que ça se ferait un jour. J’en doute un peu. C’était sûrement plus pour nous rassurer qu’autre chose. Mais rien ne peut me faire plus plaisir que de voir que finalement on y est pour de vrai. Sa main dans la mienne, ses yeux rivés à l’écran, les miens à lui… C’est un gros retour en arrière, une dizaine d’années, et pas des plus flatteurs, il faut bien l’avouer. Que ce soit par ma prestation, mon costume ou même ma tronche à cet âge… J’aurais largement pu m’en abstenir ! Mais ça a l’air de lui faire plaisir et, il faut bien avouer, que j’aime ce que ça peut représenter. On peut dire ce qu’on veut, je ne m’ouvre pas souvent. Pas vraiment. Qu’il soit là, aussi bien chez moi que devant ce film ridicule, c’est presque une déclaration. Je finis toutefois par bouder comme le môme que j’étais à l’époque et que je n’ai jamais vraiment cesser d’être. C’est qu’il critique en plus ! Comment peut-il oser ?! Quand il se met à rire, j’ai un peu plus de mal à tenir mon rôle. Il n’y a pas de son au monde que je préfère. Je pourrais l’écouter rire pendant des heures tant c’est agréable. Et puis il lui suffirait sûrement de ça pour avoir raison de ma mauvaise humeur, de mes boudages pour je ne sais quoi d’autre. « Ce n'était pas ta prestation qui n'était pas du grand art mon amour, cela va s'en dire, tu étais parfait. C'était celle de tes camarades qui faisaient pâle figure face à une étoile comme toi, si brillante… » C’est bien tenté ! J’apprécie de le voir essayer de se raccrocher aux branches. Je minaude à moitié comme une gamine à qui on ferait des compliments pour la première fois. C’est mieux comme ça ! Un peu plus et j’aurais vraiment fini par penser que j’étais nul ! « Je ne connais pas de producteur mais j'ai une metteuse en scène sous le coude si tu veux fouler les planches de théâtre. » Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire en l’entendant. C’est loin d’être moqueur, j’imagine juste la scène et c’est pas brillant. Déjà parce que, même si j’arrive à la perfection à jouer les hypocrites et la comédie quand j’ai un intérêt dans le tas, je ne suis pas un super acteur et que ça se voit très clairement, et puis parce que c’est sa mère ! J’imagine qu’elle doit avoir envie d’apprendre que j’ai fini sous un bus pour que je foute enfin la paix à son fils et que j’arrête de le détourner du droit chemin alors de là à faire ami-ami… « Oh bah oui, propose-lui ! Je suis sûr qu’elle serait ravie ! Et puis pouvoir tisser des liens avec Belle-Maman, ça se refuse pas ! » Depuis qu’on en a parlé la première fois, j’ai laissé tomber l’idée de me faire bien voir par ses parents ou de bien m’entendre avec eux. J’imagine que si c’est cordial, c’est déjà très bien… Difficile d’en obtenir davantage s’ils acceptent même pas notre relation. J’essaye de me rassurer bêtement en me disant que ça vient pas vraiment de moi, c’est le fait que je sois un garçon qui pose problème. Et contre ça, je ne peux rien faire…

Un bruit finit par ne tirer de mon retour en enfance. Je mets quelques secondes à comprendre ce que c’est. Le but de notre soirée ! J’attrape sa main et l’embarque avec moi dans la chambre. Dans ma chambre. C’est un moment étrange. Je me rends compte à quel point il n’y a plus vraiment de frontières entre ma vie à Poudlard et celle en dehors. Alors que j’ai passé toute ma scolarité à y faire attention. En dehors des Sullivan et Soren qui m’ont suivi à Poudlard et d’Arabella qui a fini par me convaincre de baisser un peu ma garde, personne n’a réussi à gagner assez ma confiance pour en arriver là. Et puis… C’est ma chambre quoi. J’imagine que même si on dort ensemble toutes les nuits depuis un an et demi, il y a un goût d’interdit qui n’est pas pour me déplaire. Je m’installe correctement face à la fenêtre avant de l’inciter à me rejoindre. Il ne se fait pas prier et se blottit contre moi. C’est la meilleure fin d’année de ma vie, le meilleur Réveillon que j’ai jamais passé. Je me sens chez moi. Totalement. Il y a toute ma vie réunie dans ce soir. Je me sens bien. J’ai du mal à me concentrer sur le feu d’artifices mais je m’en fiche totalement, j’aurais l’occasion d’en voir des tas alors qu’une première fois comme celle-là, il n’y en aura pas des tas ! « Je t’aime. » Mon coeur s’emballe. Je sens le rouge qui me monte un peu aux joues. C’est bête parce que c’est loin d’être la première fois qu’il me le dit et c’est, je l’espère, pas la dernière mais c’est tout l’amour qu’on éprouve l’un pour l’autre qui me tombe dessus d’un coup, comme ça, sans prévenir. Un raz-de-marée de bonheur que j’avais pas franchement prévu. Je bouge légèrement, glissant un doigt sous son menton pour le forcer à tourner la tête vers moi et pose tendrement, amoureusement mes lèvres sur les siennes. Je t’aime aussi, Milo, plus que tu pourrais jamais l’imaginer… Et j’espère que cet échange suffit à le lui faire comprendre…