La douleur de son épaule ne semblait se tarir et peut-être que tergiverser pour savoir s’il s’enfuyait ou non avec l’elfe de maison de Dmitri à Sainte-Mangouste n’avait rien arrangé. Rappeler tout de même à la raison par il ne savait quel miracle, il avait pourtant consenti à attendre sagement le retour de Jack. Il n’aimait décidément pas cette situation, d’être pris pour un agonisant qui n’allait pas survivre à un simple coup à l’épaule. Bon, certes, il avait du mal à bouger le bras et à chaque fois qu’il s’y essayait, il avait l’impression que une décharge électrique lui irradiait tout le corps. Mais un peu de glace dessus pendant cinq minutes et ça irait mieux, non ? Quand la directrice de Poufsouffle revint et lui indiqua qu’il devait se rendre à l’infirmerie, il acquiesça et jeta un dernier regard à Dmitri avant de prendre congés. Il refuserait toute potentielle aide pour marcher. Ce n’était pas ses rotules qui avaient été touchées, ou sa tête, mais son épaule. Et jusqu’à preuve du contraire, il n’en avait pas besoin pour se déplacer. Têtu et se sentant quelque peu humilié, il fit trajet vers l’infirmerie sans rien dire à sa collègue de botanique. Malgré ce qu’il prétendait, il n’était pas non plus en grande forme.

Le trajet de l’infirmerie lui parut interminablement long, sans compter ses maudits escaliers qui n’en faisaient qu’à leur tête. Tout était prétexte à râler, à rouspéter mais cette mauvaise humeur, il la garda pour lui pour le moment. Il n’avait guère envie de se rendre dans cette foutue infirmerie qu’li n’avait jamais aimé et croiser Poppy ne le mettait pas plus en joie. Pourtant, la nouvelle arrivante du personnel de Poudlard était douce et amicale, bien que pas spécialement souriante, mais il y avait quelque chose en elle que Caerwyn ne parvenait pas à expliquer et qui le mettait mal à l’aise. La dernière fois, il avait eu l’impression d’être au bord de l’apoplexie et ce, sans raison apparente. Rien que l’idée d’y être confronté à nouveau, que la situation se réitère le mettait dans une angoisse qui s’entendait malheureusement très bien avec la douleur irradiante de son épaule. Aucune des deux sensations ne prenait le pas sur l’autre, s’accordant à merveille, lui donnant juste envie d’être sédaté au plus vite. Arrivé devant la porte de l’infirmerie, il jeta un regard à Jack et eut un sourire qui ressemblait plus à rictus difforme entre la douleur et le stress avant de dire sur un trait d’humour :

— « Direction l’hospice », hein ?

Quelle ironie de devoir citer son propre chant provocateur à son sujet. Se disant que le karma ne respectait pas son investissement envers Serdaigle, il remercia sa collègue qui allait certainement fêter sa victoire sur la maison rivale et entra dans l’antre de Poppy. Jack l’avait certainement prévenue, aussi ne fut-il pas surpris de la trouver au milieu des lits. Au vu de la brutalité du match, Caerwyn s’était attendu à y trouver Aisling ou Kathleen, toutes deux victimes des cognards de Dmitri mais fut cependant soulagé (ou pas finalement) de constater qu’ils étaient seuls. Avec un sourire désolé, il regarda l’infirmière et dit :

— Bonjour Poppy, j’imagine que Jack vous a avertie de ma carrière abrégée de batteur.

Autant tenter la carte de l’humour directement. Même pour lui, cela serait plus facile à supporter. Se cacher derrière la badinerie était une technique qui avait déjà porté ses fruits. Cela permettait également d’éviter de s’enliser dans des conversations insipides. D’un ton un peu plus pressé cependant, il dit :

— En vrai, je suis sûr que ce n’est rien.

Il évita de la regarder dans les yeux, préférant plutôt désigner son épaule et son angle qui n’avait absolument rien de naturel. Il espérait juste que les soins soient brefs. Que la magie ait une utilité après tout, non ?

Caerwyn n’était clairement pas à l’aise à l’idée de se retrouver dans l’infirmerie, en tête à tête avec Poppy qui plus est. Il se trouvait particulièrement ridicule d’être si réfractaire par rapport à cela. L’infirmière n’avait été que douceur et patience avec et lui, s’était comporté comme un rustre pathologiquement anxieux. Il n’avait pas dû lui laisser une bonne impression et pourtant, elle l’acceptait dans son lieu avec un sourire poli et même désolée. Il était évident qu’elle avait décelé son mal et qu’il ne la duperait pas en disant que ce n’était rien. Agréable, Poppy se laissa même à la badinerie amorcée par Caerwyn concernant la carrière de Quidditch improbable du potionniste. Ce dernier trouvait cette plaisanterie d’autant plus drôle qu’il ne montait plus sur un balai depuis la fin de la première année, soit du cours obligatoire.

— Oh vous savez, il doit exister des clubs pour les quadragénaires.

Enchaîner sur une conversation bateau lui permettait de passer outre sa gêne. Il évitait également et soigneusement son regard, craignant d’être attrapé, hameçonné comme la dernière fois. Il ne souhait pas avoir de relation tendue avec ses collègues et savait que son tempérament à se laisser rapidement déborder par ses émotions n’était pas vraiment le plus adapté pour donner son meilleur visage aux autres. Cela créait plus de quiproquos qu’il ne le souhaitait et le poussait généralement dans un embarras certain et généralement durable. La seule parade qu’il avait trouvé à ce jour était de se cacher, ce qui n’était pas forcément la chose la plus brave ni la plus mature à faire. Pourtant, quand elle lui demanda de s’asseoir, il le fit docilement. Il était là pour se faire soigner et ne pouvait désormais plus reculer. Il demeurait pourtant nerveux, regardant partout sauf en direction de Poppy et l’idée de se faire tripoter par elle ne l’enchantait guère. Il misait presque sur la douleur pour le protéger de son étrange charme de la dernière fois. Cela dit, avec un peu de chance, elle ne réitérerait pas le maléfice, quoi qu’il fût. Elle posa alors son diagnostic et il y répondit d’un ton insistant :

— Vraiment ? Je n’ai pas l’impression que quelque chose ait bougé pourtant. C’est juste une contusion.

Pourtant, il savait que c’était faux. Il ne remettait pas non plus la parole de Poppy en question, loin de là. Il se rendit compte que son déni risquait de froisser l’infirmière, comme s’il doutait de ses compétences. Pourtant, Caerwyn reconnaissait volontiers qu’il était un ignare dès qu’on se mettait à le fâcher comme un enfant. Il était loin d’être le plus vindicatif des hommes. Avec une moue embêtée, il essaya d’anticiper la suite de l’examen médical et espérait que ce soit aussi simple qu’un coup de baguette magique. C’était fait pour ça la magie, après tout, non ? De faire en une fraction de seconde ce que les Moldus ne pouvaient pas faire en plusieurs jours, si ce n’était semaines. Cependant, si Poppy devait voir l’épaule, il n’y avait pas quarante-six solutions. Il avait certainement devoir enlever des couches de vêtements. Il balbutia alors :

— Il… il faut que j’enlève le haut…?

Il espérait au moins garder quelque chose sur le torse. Il n’avait pas spécialement envie de se dévêtir devant une inconnue, étant plutôt pudique de nature. Cependant, il pourrait toujours prétendre qu’il fasse trop froid dans l’infirmerie pour se retrouver sans rien. Il laissa s’échapper un profond soupir, sentant que l’examen serait aussi long et pénible qu’escompté.

Poppy ne semblait pas être une personne des plus rancunières. En effet, elle aurait pu en vouloir à Caerwyn de s’être montré si rustre lors de leur première rencontre. De s’être presque enfui de l’infirmerie, d’avoir été sec et clairement gênant avec son anxiété pathologique qui l’avait cloué sur place. Mais non, en bonne soignante, elle se montrait conciliante, douce et patiente, s’aventurant elle-aussi sur le chemin de la badinerie presque complice. À son commentaire sur le fait qu’il puisse être gardien, à arrêter les balles comme il le faisait, il eut un léger rire, un peu timide mais honnête, avant de regarder ses pieds. Il se sentait déjà un peu plus à l’aise. Il n’y avait bien que la légèreté des taquineries qui chassait efficacement ses appréhensions puériles d’ermite des cachots. Assis docilement sur un des lits, il eut néanmoins une grimace de gêne lorsque Poppy ferma le rideau autour d’eux et son sourire s’effaça légèrement, se crispant même. Il avait comme l’impression d’être pris au piège, une certaine peur claustrophobe se faisant doucement sentir. Pourtant, il n’avait pas une aversion particulière pour les endroits clos, mais il ne pouvait se sortir de la tête l’atmosphère étrange de leur première interaction.

Il regarda avec appréhension ce qui semblait être vraisemblablement son dossier être feuilleté par Poppy. Il ne savait ce qu’elle allait trouvé dedans. Il ne savait même pas si les quelques écarts de discipline, liés à des raisons plus ou moins médicales, étaient consignés dedans. Caerwyn n’était pas rassuré non plus par le fait de se dévêtir, même partiellement. Comment pouvait-il découvrir son bras meurtri sans tout enlever ? Il eut une moue embêtée mais se savait têtu. Il enleva comme il put sa veste aux couleurs de Serdaigle, étant un fervent supporter de sa maison bien évidemment, et regarda son bras en cherchant une solution. Obstiné dans sa pudeur, il tenta de relever la manche de son t-shirt, essayant de ne pas trop grimacer sous la douleur, comme s’il se préparait à un vulgaire vaccin. Il ne voulait surtout pas que Poppy s’imagine qu’il avait vraiment mal. Sinon, c’était un coup à ce qu’il reste dans cet insupportable endroit quelques heures supplémentaires et c’était inconcevable. Relever sa manche ne conviendrait certainement pas à l’infirmière par ailleurs : les plus du tissu cachant tout de même une partie de l’épaule et appuya sur la zone endolorie de Caerwyn qui essayait pourtant et toujours de rien montrer de sa douleur.

— C’est un élève qui a voulu détourner un cognard qui arrivait sur sa camarade, apparemment. Il n’avait pas vu qu’il nous l’envoyait dessus et il m’a percuté l’épaule.

Il eut une moue innocente, se gardant bien de dire qu’il avait projeté stupidement son bras pour pousser sa collègue qui était de toute façon, hors d’atteinte dudit cognard. Les deux professeurs n’auraient pas bougé que chacun s’en serait sorti indemne, la balle fer s’écrasant vainement à leurs pieds. Mais pour une raison que lui-même ignorait, il s’était senti pousser des ailes et avait sacrifié bêtement son épaule. Le voici maintenant coincé à l’infirmerie, les yeux à nouveau rivés sur Poppy qui n’allait très certainement pas tardé à l’ausculter avec ses drôles de lunettes colorées. Toujours très peu à l’aise, il se sentit à nouveau devenir nerveux et inspira profondément, ravivant un peu plus la douleur dans son épaule. Il hésita à vite repartir sur la conversation bateau. Il n’en était pas très friand mais coincé ainsi avec Poppy aurait au moins le mérite de le faire se concentrer sur autre chose. Parvenant à décrocher son regard d’elle, fixant avec détermination le rideau qui lui cachait la vue, il marmonna :

— C’est grave, docteur ?

Le retour de la badinerie réconfortante. Néanmoins, malgré son ton ironique, il n’avait pas l’ombre d’une malice dans le regard, seulement l’envie pressante de s’enfuir à nouveau.

Toujours assis sur son lit, Caerwyn était bien incapable de faire quoique ce soit. Coincé dans un piège dans lequel il s’était lui-même pris, il commençait à regretter sévèrement de ne pas avoir fui Poudlard par un transplanage d’elfe de maison. Cependant, il notait bien les efforts de Poppy pour le rendre plus à l’aise. Cela ne faisait aucun doute qu’elle avait perçu son comportement erratiquement anxieux et en bonne médecin, elle essayait de ne pas provoquer à nouveau ce qui avait pu le gêner. Malheureusement, Caerwyn n’était même pas sûr de ce qu’il l’avait gêné. Il était bien incapable de mettre des mots sur ce qui avait pu à ce point le déstabiliser en présence de Poppy. Il se doutait que c’était quelque chose qui venait d’elle et non pas de lui. Enfin… Non, non et non, cela ne pouvait pas être quelque chose dans ce genre-là, c’était tout bonnement impossible. Retirant rapidement cette drôle d’idée de sa tête, il se reconcentra sur Poppy qui tentait de lui faire la conversation. Il n’était pas particulièrement amateur des discussions bateaux, pensant qu’un bon silence était plus évocateur, mais c’était là une occasion de ne pas céder à la panique à nouveau. Il dit alors :

— « Nous » ? Oh vous étiez à Serdaigle aussi ! Et bien, non, malheureusement, nous avons perdu. L’injustice du Quidditch que voulez-vous : on a mieux joué qu’eux mais ils ont quand même attrapé le vif d’Or.

Il eut un petit sourire déçu. Il avait eu espoir de motiver ses élèves. Que le fait qu’ils se sentent soutenus dans les gradins les aident à se surpasser. Quelque part, cela avait porté ses fruits : les seuls buts marqués avaient été du côté des Bleus. Malheureusement, Kenneth avait été plus téméraire et cela lui avait permis de se saisir de la petite balle dorée. Ce n’était que du sport, mais Caerwyn ne pouvait s’empêcher d’avoir cette défaite au travers de la gorge. Après tout, en tant que Directeur de maison, il se devait d’être investi. Et si cela lui donnait une occasion de tacler (amicalement) la directrice de Poufsouffle, il ne se ferait pas prier non plus. Poppy se positionna alors à côté de lui et commença à l’ausculter doucement, tâtant son épaule endolorie. Quelque part, ce contact l’apaisa mais ne faisait que réveiller les douleurs toujours plus fortes de son épaule. Grimaçant, il serra pourtant des dents, essayant bêtement de ne rien laisser paraître. Elle finit de le toucher avant de lui demander si elle pouvait lui déchirer la manche. Caerwyn tourna brusquement la tête vers elle. Il n’avait déjà pas beaucoup de vêtements, s’il devait abîmer le peu qu’il avait. Ce n’était guère qu’un t-shirt, certes mais bon. Pourtant, c’était soit cela, soit se mettre torse-nu. Il n’avait pas grand-chose à cacher, néanmoins, mais il était trop pudique pour se désaper allègrement devant une quasi-inconnue. Sauf peut-être avec du cannabis dans les poumons et de l’alcool dans les veines, mais ça c’était un autre problème.

— Allez-y, si vous le devez faire…

Un Reparo devrait bien faire l’affaire, maintenant qu’il y pensait. Il n’avait vraiment pas l’habitude d’utiliser pour ce genre de choses et c’était bien dommage dans des cas comme celui-ci. Cela lui éviterait de passer pour un miséreux ou un matérialiste pathologique. Le visage toujours déformé dans une douleur contenue, il continua de se laisser manipuler, fermant finalement les yeux. C’était plus simple. Ne rien voir, de juste ressentir, même si ce n’était qu’une souffrance aiguë. Il eut presque envie de lui répondre sèchement à sa question candide qui lui demandait s’il avait mal. Mais pourtant, docile et pas foncièrement farouche, il marmonna d’une voix qui trahissait sa douleur :

— Oui, un peu.

Il ne savait pas pourquoi il se sentait obligé d’euphémiser tout le temps. Ce n’était pas parce que cela devait être extrêmement douloureux qu’il allait rester plus longtemps à l’infirmerie. Parfois, une souffrance vive ne mettait pas des semaines à se guérir par rapport à d’autres choses.

— Vous avez une idée de ce qu’elle a ?

Un diagnostic lui permettrait certainement d’être moins nerveux. Il n’était évidemment pas un expert en anatomie, mais il connaissait deux trois mots dans le jargon des blessures.

Le jour où Caerwyn serait à l’aise à l’idée de se faire tripoter et ausculter relevait de l’utopie. D’un naturel plus que discret, voire fantomatique, être ainsi au centre de l’attention lui donnait presque envie de fuir. Pourtant, être professeur était théoriquement un exercice bien plus difficile qu’être en tête-à-tête avec l’infirmière pour une épaule démise. Mais il y avait quelque chose en plus qui l’empêchait d’être mort d’anxiété devant les élèves comme il l’était à présent. Néanmoins, il ne s’agissait pas là de sa profession de prédilection. Peu savaient sa principale motivation d’avoir rejoint les bancs de Poudlard. Une seule personne en réalité, avec qui il avait été totalement transparent et qui n’était d’autre que le Directeur de l’école. Les autres devaient en revanche bien se demander comment ce barbu qui s’entêtait à rester cloîtrer dans ses cachots ou à raser les murs pouvait tolérer la pression d’avoir des dizaines de regard braqués sur lui. Il arrivait à passer outre. Et puis, la plupart se moquait bien de sa matière et n’écoutait qu’à moitié. Cela lui donnait moins l’impression d’être épié sans cesse. Mais là, entre les rideaux entourant son lit d’hôpital, la situation était bien différente. Trop même.

Il n’était pas très à l’aise avec l’idée de se faire détruire le pauvre morceau de tissu qui le couvrait pudiquement. Cependant, c’était toujours mieux que de l’enlever complètement. De plus, il aurait dû bouger son bras et la douleur était suffisamment insoutenable pour ne pas se ménager. Très nerveux, il regarda fixement devant lui, sentant le bois froid de la baguette de Poppy contre sa peau. Le tissu fut découpé proprement et magiquement et l’infirmière lui assura de le remettre comme neuf juste après. Il n’en doutait pas. Mais il était néanmoins toujours dubitatif quant aux miracles de la magie, scepticisme permanent qui ne l’avait pas vraiment quitté depuis son enfance. Elle commença à poser un diagnostic, à décrire précisément ce qu’il était arrivé à son épaule. Grimaçant toujours de douleur, il la laissa faire, comprenant bien que son articulation était pour le moment inutilisable. Si seulement ses muscles tenaient encore tous les os de son bras, il comprenait mieux l’origine de cette souffrance aiguë. Elle lui laissa alors le choix et à peine eut-elle fini d’énoncer les quatre options qu’il avait déjà pris sa décision. Hors de question qu’il reste ici plus longtemps, il voulait retourner dans sa cave humide.

— La première, la plus rapide.

Non seulement parce qu’il ne faisait pas confiance en la version magique et qu’il pouvait bien supporter la douleur un peu plus longtemps. Naïvement, il se disait que cela ne pouvait pas être pire. Qu’une fois l’épaule remise en place, cela ferait encore mal deux trois minutes avant de s’estomper rapidement. Pourtant, au fond de lui, il savait que ce ne serait pas si simple. Alors d’une petite voix peu assurée, il dit :

— Il y a une période de convalescence ensuite ou je pourrais l’utiliser comme si rien ne s’était passé ?

Il espérait fortement qu’il s’agisse de la deuxième option mais avait un sérieux doute. Rien n’était jamais si simple après tout. Il lui lança un regard peu assuré mais détourna rapidement les yeux à nouveau, les lunettes extravagantes de l’infirmière le mettant peu à l’aise. Il eut une moue et siffla :

— Allez-y, qu’on en finisse.

Pourquoi était-il si dramatique ? Il l’ignorait. C’était ridicule, elle n’allait pas lui amputer le bras. Tendu, il redressa le menton, abandonnant son bras mutilé au bon vouloir de l’infirmière à côté de lui, serrant nerveusement les draps du lit de son poing valide.

Il était inutile de préciser que Caerwyn appréhendait le moment où Poppy lui remettrait l’épaule en place. Si la douleur était déjà suffisamment difficile à supporter et qu’il serrait déjà les dents plus que de raison pour y résister, les avertissements de l’infirmière ne le rassurèrent pas. Il était cependant prêt à endurer, assumant le choix d’aller au plus vite. Entre son épaule et ses nerfs, il avait fait son choix. Cependant, il ne regrettait pas d’avoir écarté Jack du chemin du cognard. S’il était convaincu que la professeure de botanique était certainement bien plus coriace que lui, se sacrifier ne lui avait pas posé de problème. Elle avait déjà été d’une humeur massacrante envers Dmitri, il n’osait imaginer ce que pouvait donner un dragon blessé en colère. Se perdre dans ses pensées lui permit un instant d’oublier la douleur qui continuait de lui irradier l’épaule et qui se propageait allègrement dans tout le reste de son corps. Sans dire un mot, le regard fixé devant lui, il laissa Poppy le manipuler, docile. Son visage était fermé, se mordillant nerveusement l’intérieur de ses lèvres tandis qu’elle lui plaçait son bras meurtri dans l’angle adéquat pour un retour à la normale.

La main douce de l’infirmière vint alors se refermer sur la sienne, le tirant de sa rêverie. Il ne sut trop ce qu’il ressentit à cet instant. Au début, ce fut un apaisement certain. Si les doigts de Poppy étaient frais, une douce chaleur détendit certains de ses muscles. Mais cela fut de courte durée. Ne comprenant pas vraiment pourquoi il se sentait comme anesthésié, il recommença à devenir nerveux. Il se souvenait parfaitement de l’état anxieux dans lequel il s’était retrouvé dès que Poppy avait osé lui toucher l’épaule la dernière fois qu’ils s’étaient croisés. Il ne put y songer plus longtemps, l’infirmière commençant à faire pression sur sa peau et ses muscles sous tension. La douleur aurait pu le faire tourner de l’œil. Ne laissant passer qu’un grognement trahissant la souffrance qu’il le traversait de partout, ses doigts tinrent fermement les draps du lit d’un côté, la main fine de Poppy de l’autre. Peut-être était-il en train de lui broyer la paume mais il était bien incapable d’y songer pour l’instant. Dans un craquement sinistre, il sentit désagréablement ses os bouger dans son épaule mais ces derniers semblèrent retrouver leur place initiale. La douleur était toujours vive mais les choses venaient indéniablement de revenir en ordre.

Finalement, l’infirmière délaissa sa main pour venir vérifier son bon travail tandis que Caerwyn se remettait de ses émotions. S’il avait toujours atrocement mal pour l’instant, il était bien content d’avoir choisi la rapidité. Au moins ne resterait-il pas plus longtemps ici. Quelque peu assommé par la douleur qui s’atténuait doucement, il ne fit pas vraiment attention à ce que faisait Poppy autour de lui. Il sentait juste toujours ses doigts autour de son épaule, la massant agréablement. Puis une sensation de froid puis de chaleur, caractéristique typique du sortilège d’Episkey, inonda son membre blessé et la douleur finit par disparaître presque complètement. En tout cas, elle était devenu tout à fait supportable.

— Oui, merci beaucoup.

Il la regarda un instant, ses yeux se plongeant dans les siens avec un sourire reconnaissant. Ressentant à nouveau cette attraction étrange qui le déplaisant tant, il s’efforça de détourner ses iris vers les rideaux autour d’eux et dit d’une voix gênée :

— Je… Je peux y aller ?

Il recouvra son sourire.

— J’imagine que je dois faire attention aux gestes brusques pendant quelques temps ? Et qu’aujourd’hui, j’évite de solliciter mon bras, n’est-ce pas ?

Il se leva du lit, mettant un peu de distance entre lui et l’infirmière. Il n’allait pas faire la même erreur que la dernière fois et s’attarder ici plus longtemps.

Dire que Caerwyn était impatient de quitter l’infirmerie était un doux euphémisme. Outre l’ambiance d’hôpital qu’il n’appréciait pas (après tout, moins on voyait les médecins, mieux on se portait), il avait toujours cette nervosité latente qu’il lui pourrissait l’esprit lorsqu’il était en présence de Poppy. Mais cette anxiété se mêlait désormais avec de la culpabilité. Après tout, l’infirmière n’avait été rien d’autre que prévenante et douce avec lui et le têtu directeur de Serdaigle ne trouvait rien de mieux à faire que de la fuir. Il s’en voulait d’être mufle ainsi mais il craignait tout de même de s’attarder auprès d’elle et de se jeter encore une fois la honte dessus. Alors, il se laissa faire quelques instants, laissant Poppy masser son épaule, ignorant si cela était fortement agréable ou si cela le tendait plus qu’autre chose. Naviguer constamment entre ces deux émotions contradictoires l’épuisait plus que de raison. Contrecoup d’une journée riche en émotions ou saturation d’un rythme professionnel dans lequel il était rentré avec beaucoup trop d’entrain (voire les deux additionnés), il n’aspirait plus qu’à la quiétude de son cachot. Peut-être qu’il s’assoupirait quelques dizaines de minutes également, restait encore à savoir ce qu’il mettrait comme musique pour se bercer.

Il finit par se lever vivement. Il n’allait pas somnoler ici, tout de même. Il voyait déjà Poppy s’inquiéter, prendre sa température ou qu’en savait-il. Non, il se sentait bien, mieux même, la douleur commençant déjà à diminuer. Il était donc inutile qu’il fasse sa sieste ici. Et encore moins qu’elle remarque qu’il avait très certainement besoin de repos. À sa question sur s’il devait faire attention à son épaule dans les jours, elle indiqua que non mais qu’elle lui ferait parvenir une pommade si jamais une quelconque douleur apparaîtrait. Il devait se rendre à l’évidence, pour ce genre de problème, la magie avait quand même de bons et rapides avantages. Nul doute que la convalescence moldue aurait pris beaucoup plus de temps, rendant certainement son bras indisponible pendant des jours si ce n’était des semaines de par ses muscles et ses tendons soumis à rude épreuve. Pour une fois, il n’allait pas râler à propos de la sorcellerie. Poppy avait néanmoins toujours ce ton posé et calme, très professionnel, alors qu’il avait brusquement mis court à ce contact physique entre eux. Il devait clairement être l’un des patients les plus têtus qu’elle devait avoir. C’était notamment pour cela qu’il s’efforçait de ne pas mettre un pied dans l’infirmerie.

— Je vous remercie. Passez une bonne journée.

Il n’avait pas grand-chose à ajouter après tout. Rien qu’une politesse simple mais nécessaire. Mais alors qu’il allait sortir passer de l’autre côté des rideaux, la voix de Poppy lui intima d’attendre. Docile, il arrêta donc sa progression et se retourna vers elle. Peut-être aurait-il mieux fait de l’ignorer et de continuer sa route vers les profondeurs de Poudlard… Elle s’approcha de lui et l’envie de fuir se fit ressentir d’autant plus mais pourtant, il resta parfaitement immobile. Elle pointa à nouveau sa baguette sur son épaule et, tel un animal effrayé et prostré, fut incapable de bouger le moindre muscle. Il la regarda tenter de réparer sa manche… mais cela se solda par un échec. Reparo n’était pourtant pas un sortilège difficile, par quoi venait-elle d’être perturbée ? Il eut un instant blanc, le silence devant assourdissant de malaise, avant que Poppy n’essaye de briser cette chape au-dessus d’eux avec des lèvres étirées et un petit commentaire. Caerwyn lui rendit instantanément son sourire

— Ah oui, merci !

Le tissu semblait avoir une grosse cicatrice sommaire tout le long de l’épaule et il n’avait rien trouvé de mieux à faire que d’être encore une fois bêtement poli. C’était le signe qu’il fallait qu’il disparaisse au plus vite. Il eut un rire gêné et ajouta :

— Je vais y aller maintenant, bonne journée. Encore merci pour l’épaule.

Mais pas pour le t-shirt. Il eut un sourire poli et s’efforça de retirer son regard du sien avant de faire quelques pas vers la sortie.