Le dernier petit mot envoyé par Kenneth traînait en boule sur le lit, gentiment maltraité par Jessicat qui jouait avec du bout de la patte. L'idée de cette sortie n'était pas brillante, comme souvent lorsqu'elles venaient de Dashiell mais tout de même... s'il avait pris la peine de réfléchir rien qu'un quart de seconde, il aurait réalisé à quel point celle-ci était particulièrement mauvaise. Il y avait des gens avec qui on pouvait partager des secrets : Silas, sans l'ombre d'un doute, les garderait comme s'il s'agissait des siens ; Daisy ne réaliserait peut-être même pas qu'il venait de lui faire une confidence tant elle était perpétuellement dans la Lune ; Teodora, même, serait sûrement une tombe malgré l'agonie du lien particulier qu'ils avaient un jour partagé... Mais Kenneth Appleton n'avait jamais rien fait pour mériter son nom sur la liste. Il était ami avec tout ce que Poudlard comptait de gens dont il fallait se méfier et semblait plus enclin à vouloir se faire mousser qu'à veiller sur les copains. Est-ce qu'ils étaient seulement copains, même ? Rien d'autre qu'un crétin dans son genre qui acceptait de tuer avec lui des heures trop longues au fond des salles de classe... Mais ça, le Gryffondor était bien incapable de le voir. Kenneth, c'était ce qui se rapprochait le plus d'un meilleur ami maintenant que le sien ne l'était plus vraiment ; et qui d'autre qu'un meilleur ami pour profiter des trucs cools de son existence ?Son sourire stupide et enjoué vacilla un instant alors qu'il fourrait sa cape d'invisibilité dans la doublure de son sac. « Le sien ne l'était plus vraiment »... C'était à la fois très faux et très vrai. Rien n'avait vraiment changé et en même temps rien n'était plus vraiment pareil. Comme s'il avait suffi de plaquer d'autres termes sur leur amitié pour qu'elle ne brille plus exactement de la même manière. Il n'était pas vraiment son petit-copain, c'était trop bizarre de le penser et puis, sérieux, il n'était même pas attiré par les garçons ; il n'était plus vraiment son meilleur ami pour autant, on ne profitait pas de chaque seconde d'intimité pour peloter quelqu'un qui pouvait se targuer de ce rôle-là. Il ferma distraitement son sac et récupéra son blouson en jean abandonné sur le dossier de sa chaise de bureau. Ça allait être une bonne journée ! Peut-être pas la meilleure d'entre toutes mais une bonne journée quand même ! Et, loin des préoccupations triviales qui auraient pu ressembler à « mon père m'a fait jurer de garder cette histoire de cape secrète et depuis que je l'ai doit y avoir la moitié du bahut qui est au courant », Dash était content de pouvoir l'aider à mettre le nez dehors. Qu'est-ce que ça devait être la mort de rester coincé entre les murs de l'école 24/24 ! Il n'osait même pas imaginer ! Fallait vraiment avoir des  parents tyranniques pour en être réduit à ça ! Et dire qu'il avait toujours cru que le Poufsouffle en rajoutait un peu quand il se plaignait de ses vieux... à deux doigts de lui demander pardon de pas avoir réalisé la véritable portée de ce qu'il racontait !

— J'sais pas à quelle heure j'rentre, lâcha-t-il à l'adresse du chat qui ne prit même pas la peine de lever les yeux vers lui. S't'as faim, va aux cuisines. Et si t'as b'soin d'câlins, va casser les couilles à Dai' j'pense elle dira oui.

Une gratouille entre les deux oreilles, un « sois sage » digne d'un véritable daron et l'adolescent abandonna son dortoir sans un regard en arrière. Les couloirs étaient baignés d'une lumière qui donnaient envie de mettre le nez dehors et qui suffit à redoubler cette impression de bonne action qui faisait naître une certaine fierté au creux de son estomac. Certains la ressentaient en ayant des notes incroyables, d'autres en se pavanant auprès de tous les élèves les plus populaires de l'école... chez lui, elle n'était jamais aussi forte qu'en ayant la sensation délicieuse de se rendre utile. RDV dans le placard à côté du grand escalier, qu'il avait dit. Ou quelque chose comme ça. Aussi descendit-il les marches jusqu'au Hall. Le peu de gens qu'il pouvait y avoir dans le coin ne semblait pas s'intéresser à sa présence dans les parages... Un regard prudent, quand même, et Dashiell disparut dans l'ombre avant de se glisser de l'autre côté de la porte. Les souvenirs d'un autre placard remontèrent sans prévenir, lui arrachant un rougissement gêné et rêveur. Ça n'avait strictement rien à voir pourtant ! Et comme pour chasser les images brûlantes qui se mêlaient aux autres pensées plus tranquilles, il alluma la petite lampe à huile qui était accrochée au mur. La lueur était faiblarde mais assez présente pour arracher au cagibi toute l'intimité crue de son frère du sixième étage. C'était bizarre, comme endroit. Tous les bruits des pas martelés sur les marches juste au-dessus de sa tête résonnait comme le grondement sourd qui précédait normalement la colère des Dieux. N'importe qui de normalement constituer aurait pris ça comme une menace et aurait abandonné la partie... mais pas lui, pas alors qu'il était incapable d'y voir une quelconque alerte, seulement d'essayer de capter l'allure de Kenny au milieu de toutes les autres... Un échec, bien sûr, puisque la porte s'ouvrit sans qu'il n'ait supposé rien qu'un instant qu'il était sur le point d'arriver, tant et si bien qu'il sursauta comme un abruti et ricana sans plus d'intelligence.

— T'm'as fait flipper, crut-il bon de préciser. Personne t'a vu rentrer ?

Si la question était innocente, simple question de logique puisqu'on n'allait pas le voir en sortir, de ce maudit placard, elle prit une lueur plus inquiète quand l'image même de Kenneth Appleton entrant dans un placard duquel on le verra peut-être sortir, lui, dans deux minutes s'imposa à lui. Il n'avait pas envie que Silas ait vent de ça, bordel... S'il y avait une justice dans ce monde, ils pourraient faire leur aprem tranquille sans que rien ne leur tombe dessus en revenant. Il fallait croiser les doigts très fort, peut-être, mais c'était possible...

La porte du placard s'ouvrit en le faisant sursauter et se referma presque aussitôt sur une intimité nouvelle.

— Si tu voulais me rouler un patin, on avait pas besoin de se planquer t’sais.
— Nan mais ta gueule, ricana-t-il non sans un fond de malaise difficile à cacher.

Il n'avait jamais partagé quoi que ce soit de ce genre-là avec Kenneth. Il n'avait jamais partagé quoi que ce soit de ce genre-là avec qui que ce soit d'autre que Silas. Avec Daisy, ça l'aurait fait marrer. Avec Teddy, il en aurait été tout perturbé et aurait probablement rêvassé pendant des jours à tout ce qui aurait pu s'y passer dans un univers parallèle... mais là... ça plaquait sur ce placard les images d'un autre et au creux de son estomac la peur que ça s'apprenne. Qu'on suppose qu'il flirtait avec un gars quand ça n'était pas le cas n'avait jamais été un problème... N'avait-il pas passé toute sa scolarité littéralement collé à Silas à chaque seconde qu'ils passaient ensemble ? Une étreinte par-ci, une tête abandonnée sur une épaule par là... mais maintenant que c'était le cas... Rien que l'idée que ça puisse fuiter le rendait malade. C'était stupide, vraiment, il n'y avait rien de mal ni de honteux à être tombé sous le charme de Silas Jørgensen, il était presque certain que toutes les filles de l'école auraient vendu leurs parents pour être à sa place ! Mais c'était sûrement le plus gros couac de cette affaire : il n'était définitivement pas une fille et refusait d'y être assimilé de près ou de loin de cette façon là. Couplé à la conscience lourde d'être en train de faire une bêtise qui pouvait lui coûter cher et coûter cher à son père, Dash ne put s'empêcher de tâtonner sur le chemin d'une prudence qu'il ignorait d'ordinaire.

— Hein ? Non, j’crois pas.
— Ouf !

Un poids quitta ses épaules. Une bêtise qui restait secrète n'en était pas vraiment une, n'est-ce pas ? C'était les conséquences qui faisaient qu'elle le devenait, pas l'acte en lui-même...? Et puis, objectivement, son père le connaissait, non ? Il devait bien se douter qu'il jouerait avec cette cape autant qu'il l'utiliserait sérieusement, non ? Si. Évidemment que si.

— Mais après je soupçonne mon père d’avoir planqué des espions, alors si ça se trouve…

Un instant de flottement s'installa dans le placard. Sérieusement ? Il avait le droit de faire ça ? Même s'il était Ministre ? Il croyait que le Ministère devait pas se mêler des affaires de l'école ou il savait pas trop quoi ? 'Fin des fois ça avait merdé mais dans l'ensemble... planquer des espions, quand même...! Heureusement pour tout le monde, le Poufsouffle eut le bon sens de mettre un terme à la plaisanterie qui, de toute évidence, était prise un peu trop au sérieux. Ses doigts tapotèrent son épaule comme on flatterait un gentil chien, suffisamment amical et rassurant pour que l'adolescent relève la tête d'un air soulagé.

— Détends-toi, y a pas d’embrouille.

Pas d'espion, donc. Et personne qui les aurait aperçus entrant l'un derrière l'autre dans un placard, bien loin des regards indiscrets. Un hochement de tête puis un sourire qui imitait volontiers celui de Kenneth servirent de réponse. Ok. Pas d'embrouille, donc.

— Alors, ce fameux truc que t’as à me montrer ?

Le sourire de Dashiell se fit plus grand encore, plus énigmatique aussi... Enfin, autant que le lui permettait sa bouille de bon benêt.

— On est dans un Portoloin ?

On pouvait vraiment rentrer dans un portoloin ? Et personne ne lui avait jamais dit ?! Est-ce que ça faisait comme un manège à sensations ou quelque chose comme ça ? Il avait trop envie d'essayer maintenant ! Il fallait croiser les doigts pour que les affaires paternelles nécessitent d'en emprunter un durant l'été, il le supplierait de voir avec le ministère pour que ce soit quelque chose à l'intérieur duquel il fallait rentrer !

— Ou alors tu vas envoyer Jessicat faire diversion auprès de Veturia… ?
— N'import' quoi, e' l'est trop con !

Ou trop feignasse, il ne savait pas trop... En tout cas, c'était certain qu'elle ferait diversion auprès de personne, sinon une gamelle de croquettes ! N'était pas Bane qui voulait, malheureusement ! Et lui, à la loterie des chats, il n'avait pas tiré le plus gros lot. Il ne l'aurait échangé pour rien au monde, son chat, c'était évident... Mais il restait réaliste quant à la bête.

— C'est grave mieux qu'ça ! J'te jure t'es pas prêt !

Son excitation très enfantine lui arracha un couinement fier avant qu'il n'ouvre précipitamment son sac, manquant de mettre un coup à son pauvre camarade au passage. Quiconque passait à côté du placard devait avoir l'impression qu'un rat était en train de se battre tout seul. Il tira sa cape de la doublure trouée et lâcha le contenant dans un bruit étouffé par le matériel en bazar avant de l'agiter , dépliée, sous le nez de Kenneth.

— Ta-daaaaaah !

Il la passa sur ses épaules et ne laissa que sa tête dépasser avant de s'agiter dans une danse ridicule et gênée par l'étroitesse du placard qu'heureusement personne n'eut la capacité de voir. Sur quoi il retint un rire euphorique qui les aurait grillés sans l'ombre d'un doute.

— Eh, c'pas l'meilleur plan possib' genre ? l'interrogea-t-il d'un ton qui n'admettait finalement aucune contradiction. J'te jure, personne i' va cramer t'es dehors !

Et ça, pour s'être éclipsé bien souvent ces dernières années, il pouvait le lui assurer !

Dash se sentait presque comme un môme en train de montrer son dernier tour de magie pourri à ses parents... à la différence près qu'il n'y avait rien de pourri là-dedans. Vraiment, c'était une porte toute trouvée vers la liberté ! Et s'il n'avait normalement pas trop le droit d'en parler ni d'en faire profiter toute l'école pour éviter que ça remonte à des oreilles ayant un tant soit peu d'autorité et que pourrait la lui confisquer, il était tout de même bien trop content de pouvoir sortir Kenneth de sa galère. Mais celui-ci ne parut pas aussi enthousiaste que ça...

— Ok, donc t’as ramené… un rideau.

Sérieusement...? Un rideau ? Le regard qu'il lui lança par-dessus l'étoffe devait sûrement ressembler à tous ceux qu'il avait reçus, lui, à chaque connerie qu'il avait bien pu prononcer un jour dans sa vie. Mais loin de se laisser démonter, il s'enveloppa du tissu et laissa son corps disparaître sous les yeux ébahis de son camarade. Et enfin, la lumière se fit. C'était pas trop tôt ! Je t'en foutrais du rideau, moi !

— Mais quoi… ? Oh le délire. Putain, t’as disparu mec, c’est trop drôle !

Son incompréhension était grisante. Est-ce que c'était ça qu'avait ressenti Gil quand il leur avait montré la cape, à sa sœur et lui ? Sûrement ouais. La main du Poufsouffle s'avança dans le vide et effleura son torse devenu invisible.

— Eh, en profite pas pour m'peloter, gloussa-t-il avant de lui mettre une petite tape aussi invisible que le reste sur la main l'air de dire « bouge de là ». Alors ? T'en penses quoi ?

Le sourire du jeune homme était immense et ne pouvait qu'en dessiner un similaire sur les lèvres de Dashiell. Franchement, juste pour ça, ça valait grave le coup de lui avoir montré ! S'ils ne passaient pas tout leur temps ensemble, tous les deux, il était à peu près sûr de l'avoir jamais vu dans un tel état auparavant. Sûrement avec d'autres, hein, mais certainement pas avec lui. Alors, bêtement, il avait l'impression d'avoir fait quelque chose de bien. De très bien même.

— Mais c’est extra ! T’imagines, avec ça tu pourrais te balader devant Aylmer avec juste la tête qui dépasse… ou lui faire un croche-pattes sans qu’il te capte jamais. C’est un putain de putain de délire.
— Grave, j'm'ferais pas du tout grillé avec just' la tête qui dépasse d'vant Aylmer, t'as raison !

La surprise lui avait visiblement fait griller les neurones ! Et puis, qui avait la possibilité de faire n'importe quoi et se contentait de vouloir casser les couilles d'un prof ? Lui en avait profité pour visiter Pré-au-Lard la nuit, entrer dans la salle commune de Serdaigle comme si c'était la sienne, se servir dans les réserves des pubs des environs, récupérer des conneries qu'on lui avait confisquées... Peut-être avait-il tiré un bonbon ou deux mais il n'en était pas très fier... Mais clairement, jamais l'idée de faire chier les profs ne s'était imposée. Parce que ça méritait mieux que ça ! Pas besoin d'être invisible pour casser les couilles ! Le Poufsouffle attrapa un pan de la cape, un peu à tâtons, et le souleva pour dévoiler la jambe qu'il y avait en dessous.

— Attends, c’est assez grand pour deux, au moins… ?
— Faudra s'serrer mais ça passe ouais. Avec Teddy c'est passé en tout cas.

Et dire que ça remontait presque à une autre vie... C'était quoi ? Septembre ? Octobre ? Il ne se souvenait même pas. Seulement de la dispute, de sa PLS et du soutien de la jeune femme... avant qu'ils ne s'éloignent tellement que juste deux mots échangés dans un cours étaient devenus trop pour eux. Ça n'avait aucun putain de sens. Et dire que l'année dernière, ils avaient été quasi inséparables, à tous les cours, toutes les conneries, tout. Il aurait donné n'importe quoi pour que ça continue. Pour que Silas pécho n'importe quelle autre fille du bahut mais pas celle-là. Il lui aurait laissé Selene, Aisling, Daisy même s'il avait voulu ! Mais pas Teddy...

— Et qu’est-ce que tu fous avec un truc pareil, d'abord ?

Eh merde, on y venait...! L'adolescent se contenta de hausser les épaules, un peu plus crispé qu'il ne l'aurait dû. Il n'était pas très doué pour mentir, ça allait être grillé à des kilomètres... Mais en même temps, difficile de dire la vérité. Il fallait espérer que Kenny ait les deux mêmes neurones à l'agonie  que lui et que ça passe tout seul...

— J'l'ai trouvée dans une boutique chelou à côté de l'herb'rist'rie d'mon daron.

En soi, ça n'était pas vraiment un mensonge, c'était bien de là qu'elle venait... de ce qu'on lui en avait dit, en tout cas. Sans lui laisser l'occasion de répliquer quoi que ce soit, il retira le tissu de ses épaules et l'agita pour inciter son ami à venir en-dessous avec lui.

— Bon, on s'casse ou quoi ?