Ces derniers jours à Poudlard avaient été quelque peu mouvementés pour le nerveux professeur Bevans qui n’aspirait qu’à un calme sans heurt. Depuis un moment, il avait l’impression d’être sur un radeau de mauvaise facture à la dérive et s’engager dans l’école de sorcellerie britannique l’avait précipité en eaux inconnues. La mer y était parfois houleuse, parfois calme mais l’arrivée de ce nouvel élève avait fait lever un vent obscur et qui ne présageait rien de bon si ce n’était une tempête. Conscient que les vagues allaient bientôt se dresser au-dessus de sa coque de noix et le menacer, il s’était un peu plus terré dans son cachot, réfléchissant déjà à mettre au point un stratagème pour éviter que sa fragile embarcation ne prenne l’eau. Pourtant, Fergal avait été clair : le nouveau venu chez Serpentard était inoffensif, végétarien. Une partie de Caerwyn voulait le croire aveuglément, l’autre, certainement la paranoïaque, estimait qu’on ne pouvait jamais empêcher un prédateur de manger ses proies. Personne n’avait réussi à soumettre un lion à manger cinq fruits et légumes par jour, c’était ridicule. S’il s’était tu concernant ses inquiétudes, il n’en demeurait pas moins extrêmement préoccupé. Peut-être était-ce seulement sa nature anxieuse qui lui jouait des tours et il avait préféré garder le silence pour éviter de passer pour ridicule. Du moins, plus qu’il ne le faisait déjà.

Il avait tellement l’esprit ailleurs qu’il s’était rappelé en catastrophe les antidotes à confectionner pour l’infirmerie. Cela faisait partie de ses responsabilités en tant que potionniste et il semblait pourtant les avoir négligé. Toutes les potions ne se gardaient pas. Et un anti-poison daté pouvait devenir tout aussi dangereux que le mal qu’il était censé combattre. Alors il s’était affairé à rattraper son retard ces derniers soirs, ce qui ne changeait pas vraiment de ses habitudes. Et même s’il s’y était pris un peu tard pour renouveler le stock de certains antidotes, il aurait eu encore quelques jours pour se rendre compte de son erreur. Néanmoins, dans son état nerveux latent et pernicieux, se concentrant exclusivement sur ses obligations, il avait oublié le dîner qui allait officialiser l’arrivée de la nouvelle infirmière. En bon ermite misanthrope, il n’avait pas daigné honorer ce repas de sa présence. Il allait certainement se faire tirer les oreilles ou se faire conspuer par sa nouvelle collègue. Il commençait à avoir l’habitude de toute façon, il avait presque l’impression que cela allait devenir un rite de passage. Il suffisait que Miss Wood, de son nom, ait un caractère aussi fort que Myrthilde ou Jack et il allait encore avoir droit à son quart d’heure de honte.

Déjà résigné au sort qu’il l’attendait, il avait placé soigneusement les petits flacons dans une caisse en bois qu’il souleva avant de prendre la direction de l’infirmerie. La matinée était quelque peu avancée mais il espérait que sa nouvelle collègue ne soit pas sujette aux grasses-matinées. Sinon, cela lui donnerait un autre argument pour le traiter d’indélicat. Néanmoins, si elle devait s’occuper des élèves souffrants, il valait mieux pour elle qu’elle soit disponible à toute heure de la journée. Instinctivement, Caerwyn ne pouvait s’empêcher d’imaginer une sorte de fac-similé de Mme Pomfresh. C’était après tout la seule infirmière de Poudlard qu’il eut connu et sa seule expérience face à une médicomage. Un caractère autoritaire mais pas pour autant brusque, ne se laissant nullement influencé par les absentéistes aguerris dont la moindre épine dans le pied pouvait être un prétexte à rater une heure de cours avec Wenceslas. Devant la porte de l’infirmerie, cette fois-ci, Caerwyn était déterminé : inutile de s’embêter avec des présentations qui allaient tourner au drame comme à chaque fois. Il se contenterait de dire « bonjour, voici les antidotes, bonne journée, au revoir » et c’était tout. Il entra donc dans l’infirmerie qui semblait déserte.

— Bonjour ?

Il déposa délicatement sa caisse sur un lit, vérifiant que l’équilibre était suffisamment stable.

— C’est Caerwyn, le prof de potions. Je viens vous apporter les antidotes. La date de certains n'allait pas tarder à passer.

C’était simple, concis, et au moins, il s’était plus au moins présenté. Peut-être qu’elle faisait finalement sa grasse-matinée, finalement. À moins qu’elle ne soit cachée par un de ces vieux rideaux turquoise des années 40 qui ne procuraient qu’une intimité sommaire aux élèves.

Caerwyn n’avait jamais vraiment aimé l’infirmerie. Son petit séjour de quelques jours il y a des années lui avait suffi. Il trouvait que la salle, bien que d’une beauté architecturale comme le reste du château, lui rappelait un peu trop les photographies des hôpitaux de fortune de la Grande Guerre. Peut-être était-ce simplement le mobilier qui lui donnait cette impression. Les sorciers étaient plus archaïques dans leurs goûts d’aménagement intérieur. Il était certain que dans quelques siècles, ils découvriraient enfin l’art déco et se mettraient à mettre partout. Malheureusement, il ne serait plus là pour voir cela mais il ne pouvait que s’imaginer cet étrange mélange. S’amusant tout seul de ses pensées qui divaguaient, il eut un sourire amusé aux lèvres avant que la porte du bureau de l’infirmière ne s’ouvre alors. La nouvelle arrivée dans l’équipe de Poudlard se montra alors et Caerwyn ne put s’empêcher de la regarder de haut en bas. Voilà que, comme Jack, il se mettait à inspecter sans vergogne les gens. Mais la femme devant lui devait être à peine plus âgée que lui mais il se dégageait quelque chose de presque surnaturelle d’elle sans qu’il ne sache vraiment quoi. Cela lui suffit pourtant à se perdre dans son regard quelques instants.

Il fut accueilli par un bonjour ni froid ni chaleureux, son visage aux traits fins étant d’une neutralité sans égale. Gêné, Caerwyn baissa déjà les yeux et regarda sa caisse d’antidotes. Peut-être qu’elle lui en voulait de ne pas s’être présenté au dîner la veille. Si elle avait un caractère aussi fort que ses deux homologues féminines, il n’était pas certain d’y survivre à nouveau. Toujours avec ce ton inexpressif, elle s’excusa de n’avoir pu l’accueillir dans l’instant, se justifiant par le fait qu’il n’avait pas eu l’air souffrant. Il regarda la main tendue à lui et la serra amicalement, un sourire chaleureux sur les lèvres. Il y avait un monde où elle ne le détestait pas mais où elle avait peut-être juste du mal à rencontrer de nouvelles personnes. C’était son cas à lui après tout. Elle se présenta alors, lui indiquant qu’elle pouvait l’appeler par son prénom s’il le souhaitait. Tant mieux, Caerwyn était plutôt familier et peu du genre à s’embêter avec les grades, patronymes, et autres fioritures snobinardes. Ils étaient tous dans le même panier et estimait qu’un individu ne valait pas mieux qu’un autre. Toujours souriant jovialement, il répondit sur un ton un peu enjoué, visant à dérider l’infirmière :

— Enchanté. Je vous appellerai donc Poppy. Médicomage Wood, c’est un peu long.

Cependant, son trait d’humour ne sembla pas spécialement mouche et il botta en touche. Décidément, il avait vraiment l’impression que le courant avait du mal à passer entre lui et les sorcières. C’était à se demander s’il n’était pas un peu Cracmol. Ce qui était parfaitement ridicule, cela dit, jamais ce genre de personnes n’avait de problèmes à sociabiliser avec les sorciers. Non, il était sûrement d’une incompétence affligeante en terme de relations sociales. De ce même ton protocolaire, elle l’invita à le suivre à l’intérieur de son bureau. Il entreprit alors de prendre la caisse et de la suivre docilement. Il entra en premier dans la petite pièce comme elle lui avait implicitement demandé de faire et Caerwyn resta docilement à côté de la porte. Elle le remercia alors pour les antidotes et il recouvra un léger sourire.

— C’est normal voyons, ça fait partie de mes responsabilités. Où est-ce que je vous pose ceci ?

Après avoir posé la caisse là où elle l’avait demandé, il lui sourit à nouveau. Pourquoi diable était-il si souriant par ailleurs ? Il s’était promis de passer en coup de vent, de s’en tenir à juste remettre sa boîte, pourquoi ses pieds semblaient vissés dans le sol ? Cela dit, l’autre jour dans les serres, il avait bien été incapable de s’en tenir strictement à la simple tâche de récupérer les plantes qui lui manquaient pour la potion Tue-Loup. Il se fatiguait lui-même, hors de question de traîner des heures avec cette nouvelle collègue qui semblait être aussi joviale que Wenceslas. Pourtant, il s’entendit dire :

— Vous avez besoin d’un coup de main pour vous installer ou vous avez eu le temps de tout faire déjà ?

Il n’était pas là pour faire connaissance. Les dernières fois qu’il s’était prêté à l’exercice avec ses collègues, cela ne lui avait vraiment pas réussi. Autant fuir, mais le prétexte d’avoir soudainement mal au ventre n’allait certainement pas fonctionner avec l’infirmière. Il soupira intérieurement, sachant déjà qu’il allait finir par dire une maladresse et qu’il allait s’attirer les foudres de sa nouvelle collègue s’il s’attardait trop longtemps. Il espérait qu’elle ne soit pas bavarde du tout, ainsi il ne sentirait pas obligé de rester papoter. Il pensa aussi à sortir l’excuse de copies à corriger mais étrangement, il resta muet à ce sujet. Mentir n’était peut-être pas la meilleure stratégie à adopter dès le début.

Le climat était étrange. Si Poppy semblait avoir été réceptive à son petit trait d’humour, elle ne paraissait pas pour autant très expressive. Peut-être était-elle de nature très réservée et introvertie. Après tout, il n’était pas un modèle de sociabilisation non plus. Il parcourut rapidement du regard le bureau, plus par réflexe que par curiosité mal placée, avant que ses yeux ne se posent sur un oiseau au plumage bleuté. Par ailleurs, quand Poppy lui indiqua où poser la caisse d’antidotes, c’est vers le faucon qu’il se dirigea machinalement. Le nom du volatile lui rappela alors le nom de scène de Teodora von Meissen et même s’il s’agissait d’une coïncidence, il ne pouvait pas s’empêcher de trouver cela un tantinet amusant. Mais finalement, il fut interrompu par les excuses de Poppy qui lui indiqua qu’Ivy faisait en réalité référence à une mandragore, non loin. Décidément, il percevait une sorte de redondance dans les goûts des femmes de ce château. Il était sûr que Jack devait avoir nommé ses plantes personnelles également. Docile, il posa donc la fameuse caisse à côté de la mandragore en pot, délicatement. Il n’avait jamais été féru de botanique et ces plantes pouvant percer des tympans en une fraction de seconde ne l’avaient jamais mis à l’aise.

Caerwyn ne pouvait s’empêcher de trouver l’attitude de sa nouvelle collègue quelque peu étrange. Il voulait bien croire qu’elle puisse être maladivement timide, mais elle paraissait également dans une retenue excessive. Comme si elle réfléchissait à chacun de ses faits et gestes. Le professeur de potions finit par se demander si ce n’était pas lui, par sa simple présence, qui participait à cette sensation d’inconfort qui commençait à le gagner également. Il tenta pourtant un sourire poli lorsqu’elle signifia qu’ils auraient l’occasion de se croiser souvent. Il ne remit pas en cause cette information. En tant que potionniste, il était dans son devoir d’assurer le renouvellement des antidotes dont l’infirmière aurait besoin. Poppy allait certainement être très vite débordée, s’il pouvait au moins lui soulager la partie préparation, c’était toujours cela de pris. Ils étaient dans le même bateau après tout, autant se serrer les coudes. Il aurait été bien malvenu de sa part de refuser d’aider le pôle médical de Poudlard. Il se demanda même si cela pouvait lui apporter préjudices et être considéré comme faute grave. Et puis, ce n’était tout simplement pas dans sa nature de laisser les autres se débrouiller dans leurs galères. S’il pouvait apporter un coup de main, il le faisait volontiers.

Tout comme lui à son arrivée, elle comptait prendre son temps pour s’approprier les lieux. Cela le conforta sur l’idée qu’elle avait certainement un tempérament réservé : elle ne semblait pas du genre à s’imposer, ni à écraser toute trace de présence extérieure dans son antre. Caerwyn eut alors un vague espoir que la relation avec Poppy ne serait pas en permanente tension, à prendre des pincettes à chaque interaction. Au contraire, c’était elle qui semblait marcher sur des œufs. Il ne savait pas bien ce qu’il pouvait avoir d’intimidant. Rien dans son apparence ne laissait penser qu’il était un de ses individus autoritaires et hautains. Ou alors, son côté qui pouvait le faire passer pour négligé renvoyait au contraire tous les signaux inverses ? Qu’il était tellement sûr de lui et pédant qu’il n’avait même pas besoin de faire attention à son accoutrement et à sa coiffure ? Non, impossible, il ne pouvait croire à une telle chose. Il hocha pourtant de la tête lorsqu’elle lui demanda poliment de s’occuper des potions et des antidotes périmés. Il n’était pas certain pourtant qu’il y en ait, son registre étant tenu à jour, à moins que la précédente infirmière ait eu des oublis. Il eut alors un petit rire humble lorsqu’elle le qualifia de son autre grade.

— Maître des potions, c’est beaucoup dire. Je ne sais pas si j’ai quoique ce soit d’un « maître ».

Il se débrouillait bien, certes, mais il était bien loin des éminents potionnistes que Poudlard ait pu connaître, à ses yeux. Peut-être se sous-estimait-il, ce ne serait pas nouveau, mais il ne pouvait prétendre toucher du doigt le niveau des professeurs Rogue et Slughorn.

— Détruire une potion n’est pas si difficile : un Récurvite et votre chaudron est à nouveau prêt à l’emploi.

Il eut alors un sourire avant de reprendre sur un ton amical :

— Voulez-vous que je m’occupe de regarder les dates de votre pharmacie maintenant ?

Elle semblait en effet plus ouverte à la conversation, lui faisant penser que ce n’était peut-être sa présence qui était la cause de ce comportement très fermé. Tant mieux quelque part. Ressentir le besoin de se cacher de tout le monde commençait à devenir un peu éreintant.

Caerwyn ne parvenait toujours pas à cerner cette nouvelle tête dans le paysage de Poudlard mais il commençait à savoir qu’il était impossible de se faire un avis sur une personne dès la première rencontre dans cet endroit. Il allait laisser couler, retenant les leçons de ses précédentes entrevues avec le personnel du château. Il n’allait certainement pas commencer à tailler le bout de gras avec elle, se doutant qu’il allait forcément finir par dire ou faire quelque chose qu’il ne fallait pas. Autant répondre sagement à ce qu’elle lui racontait, mais elle ne semblait pas plus bavarde que lui. C’était peut-être mieux ainsi. Cela éviterait tout malentendu ridicule. Elle releva pourtant que le terme de maître était censé être la désignation officielle du professeur de potions au sein de Poudlard. Il eut un sourire même s’il se sentit déjà légèrement exaspéré. Ce qu’elle disait était vrai, mais ce n’était pas ce qu’il avait voulu signifier. Comme quoi, les incompréhensions commençaient déjà à arriver. Pour l’instant, c’était bénin et inoffensif, mais pour une raison qu’il ignorait, il avait vraiment extrêmement de mal à se faire comprendre. Pourtant, il eut un léger rire amusé avant de lui répondre sur un ton nullement moqueur :

— Je sais que c’est ainsi que le professeur de potions est appelé, mais ce que je voulais dire, c’est que je pense que le terme « Maître » est un peu excessif me concernant.

Était-ce vraiment la peine d’essayer de se justifier ? Ou allait-il encore s’ensevelir dans des explications dont il ne s’en sortirait jamais ? Il craignait que se lancer dans ce genre de clarifications allait le pousser inexorablement vers une mésentente plus tendue. Cette impression que Poppy se retenait, il la ressentait toujours, même s’il en ignorait totalement la nature de cette retenue. Une chose était sûre, il n’essayerait pas de creuser. Il serait bien parti rapidement mais tandis qu’elle lui parlait des chaudrons et de leur nettoyage – là il eut comme l’impression de ne pas avoir été totalement compris – elle se plaça entre lui et la porte de sortie. Se sentir à l’aise en dehors de son cachot était un exercice dans lequel Caerwyn avait déjà du mal. Mais le sentiment indescriptible d’inconfort qui le gagna lentement ne lui permit pas de dire si la chaleur qu’il ressentait dans son dos était dû à une nervosité latente ou au rayon de soleil printanier qui le frappait à travers les carreaux de l’infirmerie. Pourtant, il ne parvenait pas à retirer son regard de Poppy, comme happé par la silhouette de la soignante. Sur un ton détaché, pourtant, il dit légèrement :

— Oh, vous travailliez à St Mangouste avant ?

Question bateau et inutile. Typiquement le genre d’interrogation triviale qu’il avait voulu éviter. Parfois, même s’il voulait passer pour poli, il valait mieux qu’il se taise. Il retint un soupir, conservant son sourire qui commençait à se crisper. Il la regarda analyser une des fioles choisies au hasard dans la caisse avant d’en commenter la qualité. Caerwyn eut alors deux sentiments contradictoires : il était légèrement vexé qu’elle puisse si rapidement remettre ses compétences en doute, évidemment. Le professeur de potions n’avait pas un ego démesuré et était le premier à se montrer sévère envers lui-même mais ce bref commentaire de la part de Poppy avait quelque chose presque hautain à ses yeux. Néanmoins, l’autre sentiment qu’il eut fut au contraire une certaine fierté soulagée. Il savait qu’il faisait du bon travail. Ce n’était clairement pas le meilleur sorcier du château, sûrement à cause de son usage encore trop limité de la magie, mais ses potions été généralement irréprochables. Évidemment, une erreur pouvait arriver, il n’était pas infaillible non plus, mais il portait une attention particulière aux antidotes.

Elle aborda le sujet de la pharmacie et encore, cette sempiternelle impression qu’il ne parlait définitivement pas la même langue qu’elle. Ne lui avait-elle pas demandé de vérifier les dates à l’instant ? Était-ce lui qui comprenait tout de travers à présent ? Il fronça très légèrement les sourcils, son regard toujours inexplicablement planté sur elle. Que voulait-elle qu’il vérifie alors ? Décontenancé, il ne répondit rien, attendant patiemment les explications. Cela ne servait à rien de tergiverser plus. Tenter de comprendre allait l’entraîner sans nul doute possible vers de nouvelles diatribes sans fin dans lesquelles il ne voulait pas se lancer et dont il finirait forcément perdant. Il se contenta de sourire poliment, essayant tant bien que mal de ne pas montrer son incompréhension la plus totale et la laissa poursuivre. Elle lui indiqua alors un tiroir où se trouvait un cataplasme apaisant les brûlures. Elle lui offrit alors un sourire et il ne put s’empêcher de lui rendre spontanément. Pourquoi venait-il de faire ça ? Il parvint cependant à décoller son regard de Poppy pour suivre ce que son doigt désignait.

— Oh ne vous en faites pas, je vous ai proposé mon aide après tout, non ?

De toute façon, Caerwyn savait qu’il était incapable de dire non. Sa bonté avait été abusée pendant plus d’une décennie, ce n’était pas vérifier l’état d’un onguent qui allait le déranger. Il se dirigea donc vers le tiroir qu’elle lui avait montré et en sortit le fameux baume qu’elle avait mentionné. Il regarda la petite étiquette indiquant la date de fabrication, ouvrit le pot et huma l’odeur qui en sortait. Il ne constata strictement rien d’anormal mais il réalisa enfin qu’il n’était pas médicomage et que ce qui sortait des potions ne faisait plus trop partie de son domaine de compétences. Pourquoi s’était-il exécuté avec tellement de docilité ? Il allait encore passer pour un idiot. Il savait qu’il aurait dû ressortir de l’infirmerie aussi sec. Il s’était éternisé deux minutes et voilà que sa crédibilité allait à nouveau s’effondrer comme un château de cartes. Il soupira et répondit sur un ton qui trahissait clairement son dépit :

— En vrai, rien ne m’a l’air anormal avec ce baume. Aucune odeur particulière, pas de séparation de texture ni de différence de couleur, l’onguent est bien homogène… Mais c’est vous la médicomage. Je suis après tout et seulement « maître » des potions.

Il tenta un sourire sarcastique et chargé d'auto-dérision qui ne parvenait pas à cacher sa lassitude. Seulement, il ne pouvait pas se diriger subtilement vers la porte de sortie pour amorcer un début de fuite, Poppy y bloquant l’accès. Il s’était piégé là tout seul comme un idiot et allait sûrement faire les frais de son incapacité à tenir ses résolutions.

Le ton froid et presque sec de Poppy concernant St Mangouste fit serrer la mâchoire cachée de barbe de Caerwyn. Lui qui s’était copieusement réprimandé intérieurement pour avoir commencer une conversation triviale, le voilà qui venait innocemment de toucher un point visiblement sensible. Quel abruti il était. Il avait beau se faire un plan mental de tout ce qu’il faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire et encore une fois, il parvenait à faire l’inverse. Le pire dans cette situation était peut-être le fait qu’il ignorait pourquoi il était incapable de s’en tenir à ce qu’il avait décidé. Incapable de juste s’en tenir seulement aux politesses basiques et de repartir sans demander son reste. Non, il fallait qu’il continue de bavasser, de tenter d’amorcer des conversations inutiles qui allaient inexorablement tomber sur des sujets sensibles dont personne n’avait envie de parler. Il ne manquait plus que dans les dossiers qu’elle tenait se trouvassent ceux de ses enfants et fassent le parallèle avec lui. Car s’il était annoncé seulement par son prénom, elle devait bien connaître son nom, n’est-ce pas ? Elle avait bien dû faire le tour de tous les antécédents médicaux de l’école, à moins qu’elle n’ait manqué de temps.

Pour toute réponse, il acquiesça seulement d’un sourire courtois qui peinait à cacher sa gêne. Et les actions de Poppy ne le mirent pas plus à l’aise. Du coin de l’œil, il la voyait bien continuer d’inspecter sa livraison avec minutie, plongeant Caerwyn dans un étrange mélange informe de différents sentiments qu’il ne parvenait pas tout à faire à discerner. Il aurait beaucoup donné pour pouvoir fuir instantanément et s’épargner cette suée qu’il sentait perler discrètement sur sa nuque. Tandis qu’il replaçait le pot d’onguent là où il l’avait trouvé, il l’écouta parler sur sa méthode de travail à St Mangouste. S’il ne pouvait décrocher son regard de sa collègue, il réalisa qu’il était en train de s’enliser doucement mais sûrement dans ce qu’il craignait le plus : des conversations d’apparence inoffensives et triviales. Des papotages visant à faire connaissance mais qui allaient forcément mal tourner à un moment. Des logorrhées inutiles dont Caerwyn n’était vraiment pas certains de la fin. Il était piégé. L’envie de mentir et prétendre avoir une potion sur le feu était forte et il n’aurait su expliquer ni justifier cette irrépressible envie de fuir. Le fait qu’elle rassura ensuite sa mandragore sur le fait qu’il était inoffensif aggrava cette anxiété qui ne cesser de serrer progressivement ses entrailles.

Puis vint certainement ce qu’il craignait le plus, les ragots : cela ne faisait pas longtemps que le professeur de potions avait pris ses fonctions mais il avait déjà pléthore d’anecdotes à raconter à son sujet, surtout parmi ses collègues. Poppy allait certainement finir par voir qu’il était nerveux. Quel collègue avait bien pu cafter sur les hauts-faits de l’insolite professeur de potions ? Évidemment, il espérait que ce ne soit pas Jack. Il la pensait capable de raconter pas mal de choses à son sujet, plus ou moins volontairement déformées, pouvant lui tailler une réputation de personnage exécrable en un claquement de doigt. Poppy laissa planer un petit suspense sur la nature de la rumeur, de pourquoi elle avait remarqué son absence au dîner de la veille. Ses lèvres se pincèrent discrètement. Quoi de pire que d’avoir à se justifier d’être simplement un asocial mal à l’aise dans les conversations qui s’éternisaient ? Cependant, elle avoua qu’elle non plus n’aimait pas être au centre de l’attention. Cela leur faisait peut-être un point commun finalement. Caerwyn eut un rire de soulagement lorsque ce fut les petits pois qui furent évoquer. Le fautif était donc Jaimie et c’était peut-être la meilleure des issues au problème.

— Oh et bien c’était une histoire d’expérimentation qui n’a pas abouti comme je l’aurai espéré… Le professeur Alexander a vraiment été très patient et de bon cœur, c’est… amusant qu’il vous ait parlé de cela.

Il eut un sourire gêné. Rien n’était vraiment très intéressant à son sujet, de cela il en était convaincu. Il s’étonnait même que la conversation ait déjà porté sur ce sujet le concernant. Il préférait qu’on l’oublie dans son cachot. Pourtant, Poppy semblait réellement curieuse à son sujet, indiquant qu’elle serait quand même allé voir dans ses quartiers dans la journée. Surpris, il haussa les sourcils et reprit :

— C’est vrai ? Il est vrai que nous allons devoir collaborer ensemble souvent, il aurait peut-être été plus poli de ma part de venir hier soir. Vous saurez bien assez vite que la sociabilisation n’est pas mon fort.

Sauf s’il s’agissait d’empirer une conversation déjà bancale. À cela, il était un champion. Timidement, il regarda la porte du bureau derrière Poppy avant que ses yeux ne soient à nouveau inexplicablement aimantés vers sa collègue.

— Vous… Vous avez encore besoin de moi ? Ou d’autres questions ?

Qu’il cesse donc d’être mièvrement poli. Plus ses pieds restaient greffés dans le carrelage de l’infirmerie, plus cette angoisse latente due à cette insupportable gêne ne cesserait de croître. Les mains nonchalamment dans les poches de son pantalon, il eut cependant un léger sourire sans chaleur.

La conversation pourtant brève mais déjà bien trop longue aux yeux de Caerwyn glissa sur le benjamin de l’équipe pédagogique de Poudlard. Poppy lui raconta alors comme le jeune Jaimie s’était emballé dans le récit de cette soirée où il avait bien gentiment accepté de faire le cobaye. Le professeur de potions ignorait bien ce que son collègue avait dit précisément à l’infirmière mais cette dernière indiqua qu’il souhaitait sûrement se donner une bonne image. Cela étonna Caerwyn, même s’il ne connaissait pas si Jaimie. Se souciait-il vraiment de faire bonne impression face aux derniers venus ? Cela dit, sa propre arrivée avait été plus qu’insolite, cela n’avait pas tellement permis au directeur de Serdaigle de se faire une vraie idée du caractère de ses nouveaux collègues. Sauf peut-être Jack. Il soupira alors mentalement. Pourquoi diable tout semblait revenir à elle ? Il se reconcentra sur Poppy qui semblait étrangement gênée également, son demi-sourire trahissant son sarcasme. Il eut soudainement envie de lui demander ce qui semblait la tourmenter à ce point. Mais l’envie d’essayer de l’aider à se confesser disparut aussi rapidement que le fugace sourire de Poppy. Décidément, cette première rencontre était tout aussi étrange que toutes les précédentes qu’il avait eu dans ce château.

À ses piètres excuses sur son absence au dîner de la veille, elle répondit quelque chose qui le plongea un peu plus dans un mal être indescriptible. Elle aurait préféré échapper au banquet du soir pour venir se terrer dans les cachots humides avec un illustre inconnu ? Soit elle venait de le trouver extrêmement sympathique (ce dont il doutait), soit elle le connaissait d’avant (ce qui était improbable), soit elle détestait réellement être au centre de l’attention (éventualité beaucoup plus pertinente). Elle se corrigea alors, prétextant ne pas vouloir s’imposer auprès de lui. Caerwyn ne comprenait plus trop ce qu’il se passait dans cet échange. Il avait l’impression que Poppy essayait de lui signifier quelque chose mais elle semblait préférer garder cette information pour elle pour l’instant. Il fallait dire que le professeur de potions ne faisait pas beaucoup d’efforts pour tenter de la faire parler, ou de simplement faire connaissance. Il n’avait qu’une envie, c’était de se terrer dans son cachot mais ses pieds paraissaient étrangement englués dans le sol de l’infirmerie, tandis que ses yeux ne lâchaient pas la médicomage. Il avait l’impression de lutter inconsciemment contre une force dont il ne parvenait à ne serait-ce que deviner la nature.

Elle eut l’air alors déçu lorsqu’il avoua à demi-mots souhaiter prendre congés, continuant de dérouter complètement l’anxieux professeur de potions. Elle lâcha une petite phrase qui semblait timorée, s’excusant d’avoir pris son temps qu’elle estimait précieux. Caerwyn se sentit alors très mal. Il n’avait pas un emploi du temps de ministre loin de là. Il n’avait rien de mieux à faire dans la matinée que de dessiner. Les lèvres légèrement entrouvertes, il resta là, immobile, continuant de regarder les déplacements de Poppy qui était partie chercher la caisse en bois. Elle se laissa alors d’elle-même à une confession maussade, mélancolique, avouant que les regards braqués sur elle semblaient être une récurrence pénible. Les sourcils de Caerwyn se froncèrent légèrement. Il n’était nullement agacé, juste préoccupé par la tournure de la conversation. Il se sentit alors misérable d’avoir expédié cette entrevue sans plus de ménagement. Néanmoins, cela ne faisait que confirmer sa théorie sur les adultes qui peuplaient Poudlard : tous venaient ici en exil volontaire et tous avaient un fardeau à porter. Muet, ne la quittant pas des yeux, il eut néanmoins un soupir attristé. Il avait toujours envie de fuir, c’était peut-être son côté égoïste qu’il n’aimait pas forcément montrer. Mais il ne pouvait se résoudre à la laisser morne ainsi alors qu’elle venait d’arriver.

Restant silencieux pour le moment, il la regarda soulever la caisse et essayer de la prendre sans se blesser. Malheureusement, il semblait bien que les coins en bois de la boîte abîmaient les paumes de la médicomage. Dans un élan de galanterie altruiste, il amorça un pas mais ne fut cependant pas assez rapide : Poppy reposa prestement la caisse sur le bureau avant d’inspecter la peau à l’intérieur de ses mains. Caerwyn n’était pas inquiet pour elle si des échardes étaient venues à se planter dans son épiderme. Avant qu’il n’eut le temps de dire quoique ce soit également, elle se rapprocha de lui et posa une main entre ses épaules pour l’inviter gentiment à se diriger vers la sortie. Le mettait-elle dehors ? Pourtant, le contact de la paume de Poppy dans son dos créa un frisson tout le long de son échine et le figea sur place. Il entendit à peine ce qu’elle lui racontait. Il comprit juste qu’elle avait été à Serdaigle également et que la potion Tue-Loup serait une bonne excuse pour se revoir. Déstabilisé, dérouté, il peina à faire un pas en avant, telle une mule qui refuserait d’avancer.

— Mais… ma caisse…

Il avait bafouillé comme un enfant dont le cerveau sur-stimulé l’empêchait de mettre ses idées au clair. Finalement, il planta ses pieds dans le sol, tourna la tête vers Poppy, ne cherchant pas à décoller son dos de la main de l’infirmière.

— Je suis navré si je vous ai paru expéditif ou inconvenant. Je n’ai rien d’autre à faire en réalité, c’est juste que… enfin…

Il soupira profondément et eut un sourire amusé.

— C’est juste que contrairement à vous, je préfère me fondre dans la masse et disparaître dans la foule plutôt que de me retrouver en tête à tête avec quelqu’un. Par expérience, cela finit toujours par tourner au vinaigre alors je voulais vous épargner cela.

Pourquoi lui racontait-il tout ça ? Pourquoi cherchait-il tellement le fouet pour se faire battre ? Il se sentait déjà suffisamment à l’écart dans cet endroit qu’il n’appréciait toujours pas, il commençait à peine à avoir des relations plutôt saines et cordiales avec ses collègues en les esquivant le plus possible, pourquoi donc s’embarquer des aveux compromettants dans le vague espoir que cela pourrait remonter le moral d’une illustre inconnue ? Quel abruti fini il était.

Caerwyn savait qu’il commettait une erreur et pourtant, il était figé sur place. Il savait par son expérience que partir rapidement aurait été la décision la plus sage à faire, son seul et unique plan et pourtant, le voici encore tailler la bavette avec Poppy, à s’inquiéter d’une misérable caisse en bois dont il avait encore toutes les jumelles dans sa réserve. La médicomage lui informa qu’elle la lui ferait descendre par un elfe de maison ou bien qu’elle lui apporterait elle-même. D’un côté, il était flatté d’avoir l’impression de susciter l’attention de sa nouvelle collègue, d’un autre, ce n’était pas tout à fait ce qui rentrait dans sa définition de « disparaître ». Lui qui était si prompt à se montrer altruiste en temps normal, ressentait étrangement le besoin de se tenir à l’écart de Poppy et pourtant : son regard ne pouvait la quitter, comme attiré magnétiquement par l’azur de ses yeux. Il ignorait pourquoi avoir l’attention de Poppy semblait flatter son ego qui n’était pourtant pas si prononcé chez lui. Il sentait déjà que ces deux émotions dichotomiques commençaient à l’épuiser et qu’il allait devenir quelque peu sec s’il ne trouvait rapidement pas une solution pour sortir de ce guet-apens.

Silencieux, il parvint brièvement à décrocher son regard du visage de Poppy, lui demandant un effort considérable, le tournant, une lueur paniquée à l’intérieur, vers la porte de sortie que son corps refusait d’atteindre. Puis, elle reprit la parole, lui disant toujours sans l’ombre d’un sourire qu’il était aimable à lui de se soucier d’elle. Ses yeux revinrent docilement vers elle et il sentit les commissures de ses lèvres se redresser machinalement. Que Diable lui arrivait-il ? La main qui glissa le long de son épaule pour atteindre brièvement le bras renforça le frisson qui lui avait parcouru le dos plus tôt. Il savait qu’il était célibataire depuis un moment mais il ne pouvait pas être si sensible au moindre geste doux à son égard. Pour quel genre d’homme allait-il passer s’il était réceptif au moins sourire qu’on lui faisait. Il se demanda alors si Jack n’avait pas tout à fait tort sur la première opinion qu’elle avait eu de lui et malgré lui et… bon sang, mais ce n’était pas le moment à cela. Il s’agaça intérieurement, prit d’une panique qu’il ne parvenait à refouler, ne comprenant pas vraiment pourquoi il se sentait comme bloqué. Il eut un rire qui trahissait sa nervosité lorsqu’elle indiqua qu’elle ne le pensait pas si catastrophique dans ses relations.

— Oh, ça l’est, croyez-moi. C’est même pire que ce que vous pensez.

Sa voix commençait à devenir tremblante, son anxiété commençant à devenir un peu trop omniprésente. Il sentait la chaleur froide de l’angoisse se mêler désagréable à celle plus plaisante qu’il avait ressenti lorsque la main de Poppy s’était posée sur lui. Son esprit s’embrouillait de plus en plus, incapable de penser lucidement. Le piège s’était refermé sur lui et voilà qu’il était parti à nouveau pour une interaction dont la fin déboucherait certainement par un drame. Il l’entendit alors poser une question sur les responsabilités qu’il avait et eut clairement l’impression qu’elle se demandait s’il avait les épaules pour ces deux rôles. C’était bon, il était fichu. Elle avait perçu son stress devenu prédominant et il passait désormais pour l’incapable qu’il était sûrement.

— Quoi ?

L’interjection avait été lâchée d’un ton un peu sec et expéditif avant qu’elle n’en fasse la précision. Finalement, peut-être ne le jugeait-elle pas si durement. Avant qu’il n’eut le temps de répondre cependant, elle reprit, lâchant qu’il devait avoir des difficultés assurer ses deux rôles compte tenu de son tempérament. L’absence de sourire sur son visage perturbait grandement Caerwyn concernant ses intentions. Venait-elle à nouveau de lui juger ? Il fronça les sourcils, son cœur commençant réellement à s’emballer. Il allait faire une crise d’angoisse si elle continuait sur ce rythme. Et comme elle semblait avoir décidé d’absolument pas le ménager, elle reprit avec un commentaire doux et encourageant, brouillant complètement les dernières bribes de lucidité dans l’esprit de Caerwyn. Il avait l’impression d’être dans un match de football, d’être un pauvre défenseur face au meilleur joueur du monde qui lui faisait ses plus beaux passements de jambes sans l’ombre de pitié dans ses gestes. Il allait se retrouver au sol, c’était peut-être la meilleure solution. La honte ultime mais au moins libérer du devoir de réfléchir. Ses lèvres s’entrouvraient et se fermaient inlassablement, rendues muettes par les dires de Poppy qu’il ne parvenait à interpréter.

— Je… euh…

C’était humiliant. Les yeux toujours rivés sur elle comme si elle avait été la chose la plus précieuse au monde, il sentait ses jambes faiblir sans pour autant lui obéir tandis que l’angoisse continuait de se glisser pernicieusement dans ses veines. Il n’aurait pas été figé sur place et parvenait tant bien que mal à garder une once de dignité, il aurait pu fondre en larmes tel un gosse effrayé. Il fit un effort considérable pour essayer de reprendre contenance et toujours sans la quitter des yeux, il poussa un profond soupir, tentant tant bien que mal de ravaler son anxiété. Il parvint alors à dire d’une traite et un peu trop rapidement :

— Je vous remercie de votre inquiétude, c’est gentil à vous de vous préoccuper pour moi, mais je pense que j’arrive à gérer les élèves. Personne n’est mort pour l’instant en tout cas.

Il eut un rire aussi stupide que nerveux. Son humour d’une qualité parfois douteuse ne plaisait pas toujours à tout le monde. Il était déjà en panique, sentant la sueur perler sur son front et dans son dos. Il se demandant s’il avait encore des philtres Calmant dans sa réserve. Poppy devait certainement en avoir mais il s’était déjà suffisamment ridiculisé comme cela pour s’humilier un peu plus en lui demandant de quoi calmer son anxiété. Il n’y avait rien qui justifiait une telle panique par ailleurs. Il n’allait certainement pas lui avouer que la cause de son stress était cette indescriptible sensation d’être pris au piège tel un moucheron dans une toile d’araignée. Qu’il ne parvenait à comprendre pourquoi il ne pouvait pas bouger, pourquoi il ne pouvait cesser de la regarder, pourquoi il ne pouvait cesser de lui sourire comme un idiot dès qu’elle se montrait juste amicale avec lui. Il dit alors, la voix toujours tremblante :

— Je suis désolé.

Son regard était presque implorant, lui demandant implicitement de bien cesser ce qu’elle lui faisait. Au moins avait-elle un aperçu de pourquoi il souhaitait tant disparaître.

La petite blague de Caerwyn ne sembla pas faire mouche. Le rire nerveux et le ton sec de Poppy accrurent le profond sentiment de malaise qui avait complètement envahi le pauvre professeur de potions qui regrettait amèrement d’avoir quitté la quiétude de son cachot. Il la regarda passer une main dans ses cheveux sans rien dire. Il détestait cette sensation d’être paralysé, d’avoir l’impression qu’on lui ait lancé un quelconque maléfice. Car plus le temps passait, plus il savait qu’il n’y avait quelque chose qui n’allait pas. Peut-être était-ce son esprit trop nerveux, presque paranoïaque qui se convainquait qu’on lui avait forcément fait quelque chose. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait et il détestait ne pas comprendre. Comme si son malaise n’était pas suffisant, l’infirmière ne tarda pas à le souligner d’une petite phrase innocente. Bien évidemment que ça n’allait pas. Et la main de Poppy de retour sur son épaule n’aida en rien. Il était incapable de bouger, tel une mule refusant d’avancer, se fustigeant intérieurement de ne pas s’en être tenu à ses premières intentions de conclure cette livraison rapidement et efficacement. Il était ridicule à être planté là, à deux doigts de la crise de nerfs devant sa nouvelle collègue et tout ça sans raison. Il se considérait vraiment comme un cas désespéré.

Mais le pire restait encore à venir quand il vit Poppy sortir un mouchoir en tissu pour venir tamponner délicatement son front brûlant et légèrement humide. Elle s’imaginait sûrement qu’il devait avoir une quelconque fièvre, qu’il devait être souffrant et ses réflexes de médicomage avaient pris le dessus. Il se souvenait d’avoir été perturbé lorsque Jack avait entreprit de soigner ses mains endolories par le suc de sa lettre. Il avait certainement oublié ce que cela faisait d’être simplement doux envers lui. Mais à cet instant, il y avait quelque chose d’autres de différent. Quelque chose qui n’était pas une simple politesse qui l’empêchait de prendre brusquement congés. Alors il se laissa faire, presque apaisé de l’extérieur mais bouillant d’une angoisse brûlant tel un brasier et qui se transformait lentement en peur viscérale. Un effroi indicible de l’inconnu, d’avoir l’impression d’être une proie à la merci d’un prédateur dont il ignorait tout. Se rendait compte qu’elle avait peut-être un geste déplacé, Poppy abaissa son bras et s’excusa. Figé, glacé par cette force dont il ne parvenait à mettre une description dessus, il fut incapable de répondre quoique ce soit. Pourtant, ses lèvres s’entrouvrirent légèrement mais sa gorge demeura inutilement muette.

Il se demanda alors si la question de Poppy était rhétorique ou non. Par son actuel comportement ridicule, n’était-il pas en train d’y répondre ? N’était-il pas en train de prouver que les têtes-à-têtes finissaient toujours en catastrophe ? S’il n’y avait aucune mésentente (pour l’instant) entre les deux adultes, il n’était pas certain qu’être ainsi figé, raidi par l’angoisse et maintenant le peur, gardant son regard englué sur la médicomage comme un moucheron attiré par la lumière était un comportement décent à avoir pour une première rencontre. Pourquoi tout devait être si compliqué ? Il en avait d’ailleurs complètement oublié de se saisir du mouchoir que lui tendait l’infirmière. Il parvint enfin à bouger un muscle et s’empara du tissu, ne parvenant même pas à murmurer un merci poli. En plus de la peur, la colère, qui était là depuis un moment, recommença à faire surface. Une colère envers lui, incapable de se comporter décemment sans paraître pour un vieux type flippant et dégoûtant. Poppy n’avait pas l’air mal à l’aise à l’idée d’avoir été dévisagée inlassablement pendant plusieurs minutes, mais Caerwyn ne pouvait s’empêcher de s’insulter pour cela. Visiblement la décence et le contrôle l’avaient déserté. Elle lui proposa de s’asseoir et il secoua négativement et précipitamment la tête.

— Non, non, ça va, ça va. C’est très gentil à vous mais je devrais vraiment y aller.

Maintenant qu’elle ne le touchait plus, il avait l’impression de retrouver petit à petit le contrôle de son corps. Il tenta alors un pas et constata que ses jambes daignèrent enfin de bouger. Mettre de la distance, c’était son objectif premier à cet instant. Il inspira profondément avant de dire :

— Je suis vraiment désolé d’être un peu hâtif de prendre congés. Vous pouvez le constater, je suis pas le plus à l’aise quand il s’agit de papoter.

Il eut un sourire nerveux et tenta de rapidement mettre ses mains tremblotantes dans les poches de son pantalon. Il ne comprenait toujours pas ce qu’il venait de se passer mais se sentit soudainement plus léger à l’idée d’avoir quelques mètres de distance entre elle et lui. Et pourtant, il avait l’impression qu’il luttait contre une force extérieure, proche du magnétisme, pour s’éloigner de l’infirmière. Il y avait quelque chose de vraiment étrange avec cette femme mais malheureusement, c’était elle qui avait les dossiers médicaux de chaque âme vivant dans son château. Demander directement serait impoli. Et dérober le dossier n’était même pas envisageable.

— Non, je devrais vraiment y aller.

Il se répétait, certes, ne faisant qu’un pauvre pas vers la porte peu convaincu. Mais peut-être qu’elle comprendrait et cesserait ce maléfice qu’elle lui avait lancé, espérant qu’elle fasse preuve d’un peu de pitié à son égard.

C’était que l’infirmière insistait. Pourquoi Diable ne voulait-elle pas le laisser simplement partir. Il lui avait dit que les têtes-à-têtes n’étaient pas sa tasse de thé, que le calme était tout ce qu’il demandait mais elle ne voulait clairement pas lâcher l’emprise qu’elle avait sur lui. Car oui, plus les secondes s’égrenaient, plus il était convaincu qu’elle était responsable de tout cela. Peut-être n’était-il plus capable de penser très correctement, confus entre l’angoisse, la peur et maintenant cette colère déplacée de ne pas comprendre ce qui était en train de se passer. Il détestait ne pas pouvoir mettre des mots sur ce qu’il était en train de lui arriver. Pourquoi il était figé de la sorte, pourquoi ses pieds peinaient tant à s’éloigner de la médicomage. Il ne fut pas spécialement plus à l’aise lorsqu’elle le prit par le bras pour l’aider à marcher mais encore une fois, il fut bien incapable de le retirer et de s’indigner de cette proximité dont il ne voulait pas. Il avait mis de la distance, voilà qu’elle revenait à la charge pour le toucher à nouveau. Encore en mesure d’analyser ce qu’il se passait, il commençait à se demander si le contact tactile n’avait pas une influence sur son état actuel.

Cependant, elle semblait bien moins sèche que quelques minutes auparavant. Il semblerait que la patience avait changé de côté. Poppy semblait avoir retrouvé sa prévenance d’infirmière, se montrant même souriante, tandis que Caerwyn commençait petit à petit à s’énerver de cette situation qu’il ne parvenait à justifier. Être bousculé, pris à dépourvu passait encore quand il y avait un contexte. Et encore heureux, par ailleurs, pour une personne aussi nerveuse que lui. Là, il ne parvenait à décrire pourquoi il était dans un tel état déplorable. À part avoir ce sentiment de plus en plus fort d’être un moucheron dans une toile d’araignée, il n’y avait rien de concret qui expliquait une telle perte de ses nerfs. La caresse réconfortante qu’elle eut sur son bras aggrava plus son état mental qu’autre chose, continuant de renforcer ce sentiment qu’il était prisonnier. Puis son corps se décida enfin à lui obéir lorsque ils passèrent le cadre la porte et s’arrêta brusquement d’avancer. Les élèves. Il savait qu’il passait déjà suffisamment pour un clown en temps normal (du moins c’était l’impression qu’il avait dans ses mauvais jours) mais si l’un des mioches le voyait comme ça. L’instinct de survie avait été plus fort que le maléfice dont il avait été victime. Profitant de ce moment de contrôle, il parvint à retirer son bras, peut-être plus hâtivement qu’il ne l’aurait voulu.

— Écoutez, je vais bien… Je…. Ne me touchez plus d’accord ?

Se rendant compte qu’il avait été peut-être un peu rustre, il eut une moue embêtée.

— Je veux dire, je pense que j’ai juste besoin de calme, là, maintenant. Ce n’est pas contre vous, c’est juste que…

Il n’aimait pas mentir mais il devait trouver une excuse rapidement. Et il n’allait certainement pas l’accuser de l’avoir ensorcelé alors que ce n’était que des suppositions d’un idiot frustré. L’alibi de la potion sur le feu n’était pas crédible, il avait perdu trop de temps pour annoncer qu’il avait une décoction en préparation. Cela sous-entendrait qu’il avait peut-être mis le feu au château. Il chercha désespérément une horloge des yeux (ce qui échoua) mais tenta tout de même de bluffer.

— J’ai oublié que je n’avais pas préparé ma salle de classe pour le cours à venir et je constate qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour le faire.

Il eut un rire nerveux, espérant que cela tienne la route.

— Je vous remercie pour… euh… Je vous remercie de m’avoir accueilli.

Il eut un sourire crispé et tenta de s’échapper à nouveau.

Caerwyn voyait bien que son comportement erratique déstabilisait Poppy. Néanmoins, elle n’était pas la seule à être décontenancé par tout ceci, le professeur de potions était en train de fustiger intérieurement par rapport au fait que son corps avait décidé d’en faire qu’à sa tête. Elle consentit à ne plus le toucher cependant, sûrement conciliante suite à la brusque demande déboussolée du directeur de Serdaigle. Il vit cependant dans le regard de Poppy un tas de questions qui demeurèrent muettes tandis qu’elle le scrutait, comme s’il allait mourir d’une seconde à l’autre. Il se rendit alors compte que son comportement pouvait être mal interprété. Qu’en tant qu’homme, repousser ainsi une femme pouvait être vu comme une fierté très mal placée. Heureusement que Jack n’était pas là, elle y serait sûrement allée de son petit commentaire sur sa prétendue misogynie. Il soupira intérieurement, plus désireux que jamais de prendre ses jambes à son cou et de se faire oublier pour tout le reste de la sainte journée. La tranquillité, le calme, peut-être même le silence, c’était tout ce à quoi il aspirait à ce moment-là. Sentant pourtant son rythme cardiaque s’atténuer maintenant que Poppy ne le toucher plus, il eut l’impression de pouvoir respirer à nouveau.

Non, il ne désirait rien. À part partir. Il voyait bien le professionnalisme maternant de l’infirmière. Son inquiétude concernant son état et il n’aurait su dire si cela faisait partie d’un plan bien huilé ou si la médicomage était vraiment innocente dans ce qu’il lui arrivait. Car le début de sa crise anxieuse n’était qu’une conséquence. Une conséquence de ne pas comprendre pourquoi il semblait si résolument figé à côté d’elle. Le stress et la peur avaient ensuite pris le dessus. Il n’avait jamais été vraiment capable de gérer ses émotions et Poudlard n’avait pas vraiment arrangé ce trait de sa personnalité. L’arrivée du nouveau vampire non plus d’ailleurs. Pour se calmer cependant, il s’imagina alors ce qu’il ferait dès qu’il retournerait dans son bureau. S’affaler dans son fauteuil, certainement. Prendre un philtre de Paix ? Pourquoi pas, mais c’était la solution de facilité et il craignait que cela ne devienne une mauvaise habitude. La brève idée d’aller quémander un joint à Jack germa dans sa tête mais il n’était pas certain que la directrice de Poufsouffle se montre si généreuse, surtout en début d’une journée de cours. Peut-être devrait-il vraiment se remettre au sport. Frapper un sac de toile, à l’instar de Fergal. Cela aurait le don de le défouler, en plus d’être une activité bien plus saine que d’inhaler du cannabis.

Suite aux quelques mots de Poppy, Caerwyn eut l’envie mauvaise de répondre qu’il n’était pas navré du tout de la laisser. Il avait perdu trop de temps ici, trop de santé mentale et désirait plus que tout ne pas s’y attarder. Il n’avait jamais aimé l’infirmerie de toute façon. Il y avait passé quelques jours durant sa première année et l’expérience lui avait suffi. Néanmoins, il se sentait un peu coupable de fuir Poppy à ce point. La pauvre femme ne semblait pas bien méchante, bien au contraire. Consciencieuse, elle semblait vraiment préoccupée par l’état de son collègue. Cependant, Caerwyn avait toujours cette petite idée en tête que peut-être, elle était responsable de quelque chose. Il avait la certitude que dès qu’elle aurait quitté son champ de vision, tout rentrerait dans l’ordre. Pour l’instant, il devait juste trouver la force de s’échapper de la toile d’araignée. Il parvint encore à faire quelques pas. Il ne titubait et n’était pas spécialement chancelant. L’équilibre était bon, normal même, il avançait juste comme s’il prenait son temps dans un musée, à lire tous les petits écriteaux explicatifs. Cependant, se sentir scruter, analyser par Poppy continua de renforcer son malaise, surtout que ses propres yeux en faisaient de même.

— Vraiment, ça va aller, merci beaucoup. Je… À plus tard. Bonne journée.

Un ton un peu trop sec encore une fois mais tant pis. Au moins n'avait-il pas lâché un "laissez-moi tranquille" désagréable, bien qu'il le pensait. Tandis qu’il parvenait à s’éloigner de Poppy, ses jambes commencèrent à être plus dociles. Moins d’écriteaux de musée à lire, visiblement. Une fois qu’il passa les doubles battants en bois de l’infirmerie, la force invisible qui semblait le retenir relâcha son emprise. C’était comme se mettre à l’abri de la tempête, les bourrasques cessant de pousser dans son dos. Dès qu’il put, il dévala alors les escaliers hâtivement et disparut dans les escaliers.

Il n’aurait su dire pourquoi mais tandis qu’il se précipitait à rejoindre ses cachots, Caerwyn avait senti la présence de Poppy dans son dos. Désagréable sensation d’être suivi ou simple fruit de son imagination de son esprit malmené, il avait fermé la porte de son bureau et avait soufflé cinq minutes dans son fauteuil, essayant de mettre des mots sur ce qu’il venait de se passer. Le souffle court d’avoir dévalé la moitié de Poudlard avec un pas pressé, il se dit que ce genre d’incident avait au moins le mérite de lui faire faire du sport, sans compter les litres d’eau qu’il avait perdu à cause du stress dans l’infirmerie. Bon, peut-être exagérait-il un peu. La quiétude retrouvée, se sentant délestée de cette étreinte qui l’avait effrayé plus tôt, il tenta d’oublier rapidement l’incident et se reconcentra sur sa journée à venir. Ses cours se passèrent normalement et l’état mental de Caerwyn était revenu rapidement à la normale. Néanmoins, l’idée que Poppy était responsable de cette panique brusque continuait de lui trotter dans la tête. Quel genre de secrets gardait-elle ? Un vampire venait d’arriver, se pourrait-elle qu’elle soit elle-aussi une créature magique ? Poudlard n’avait visiblement pas changé. Dangereuse, telle qu’il l’avait connue trente ans auparavant.

En début de soirée, comme à son habitude, il n’avait pas honoré le dîner de sa présence. Surtout pas après ce qu’il s’était passé à l’infirmerie. Il n’était pas certain de vouloir croiser Poppy à nouveau. Elle aurait certainement tout un tas de questions à lui poser et Caerwyn n’était pas sûr de vouloir passer pour un gamin qui se sentait pas bien aux yeux de ses collègues. Certains auraient les yeux moqueurs, peut-être le verbe taquin, et cela aurait été tout à fait normal. Il souhaitait donc s’épargner ceci. Cependant, cela faisait plus de deux mois qu’il était là, il était peut-être temps de passer au-dessus de ces idioties puériles et d’agir comme un professeur parfaitement intégré à la vie communautaire de Poudlard. Mais non, il préférait trop pour l’instant le calme solitaire de son cachot qu’il commençait finalement à apprécier malgré le manque clairement de soleil. À force de rester cloître à l’intérieur, il allait finir aussi pâle que ce Lucius. Chantonnant à mi-voix la musique qui passait dans son cachot, continuant sempiternellement de dessiner, il crut alors entendre frapper à sa porte. Il baissa le son du phonographe et attendit des précisions de la part de l’intrus.

Qui pouvait oser le déranger à cette heure-là ? Un élève dans le besoin ? Un collègue qui n’avait trouvé personne d’autre pour bavarder ce soir-à ? Il eut vite la réponse à ses interrogations : c’était Poppy. Un frisson d’effroi se saisit à nouveau de sa nuque et il resta figer quelques instants sur son fauteuil. L’idée de faire le mort lui traversa vaguement la tête mais elle avait certainement entendu la musique émaner de derrière la porte close. Il se leva finalement avec un soupir. Si elle ne faisait que passer, il ne risquait rien, n’est-ce pas ? Quelque peu ronchon et bien déterminé à ne pas s’éterniser cette fois-ci, il s’approcha de la porte. Il n’allait pas la faire entrer, de cela, il était sûr. Il était chez lui et si cela avait quelque chose de réconfortant quand il était seul, il ne pouvait également plus fuir ailleurs. Ni se trouver des excuses. Il ignorait si Poppy faisait cela sciemment ou si elle était juste d’aussi bonne volonté qu’elle le laissait le croire. La main sur la poignée, il hésita à nouveau quelques secondes et s’efforça d’avoir un sourire aimable avant d’ouvrir d’entrebâiller la porte telle une personne âgée craignant les démarcheurs publicitaires qui viendraient les importuner sur leur perron.

— Poppy ! C’est très gentil d’avoir rapporter ma caisse, vous n’y étiez pas obligée.

Son ton un peu sec trahissait le caractère aimable qu’il voulait lui donner. Il coinça la porte du pied et entreprit de prendre la caisse. Faisant désormais opposition au battant en bois avec son épaule, il continua à lui sourire, sentant à nouveau son regard incapable de quitter les yeux de l’infirmière.

— C’est tout ?

Sa voix s’était faite plus pressante, ne désirant que retourner au calme de sa solitude d’ermite asocial.