Un silence de mort régnait dans la pièce depuis le début de l’heure. Seul le bruit des plumes grattant les parchemins résonnait, parfois entrecoupé d’un élève qui bougeait sur sa chaise ou soupirait de désespoir. Leur supplice ne cessa que lorsque retentit le son des cloches de l’école, sonnant la fin du cours et du devoir sur table. Chacun se mit à s’agiter, terminant une phrase ou sa relecture, rangeant ses affaires avant de déposer la copie sur le bureau de l’enseignant. Celui-ci était pris dans la correction du travail des élèves de quatrième année : dans l’ensemble, il n’était pas mauvais – il y avait de bons éléments dans leur classe – mais comme toujours Wenceslas se montrait critique avec les plus doués. Paradoxalement, ceux qui rencontraient plus de difficulté se voyaient affublés d’une note moins catastrophique qu’ils auraient pu l’imaginer.

- Ne traînez pas, jeunes gens, je n’escompte pas vous servir d’excuses pour arriver en retard au cours de runes, en sermonna-t-il quelques-uns qui traînaient un peu.

Sans doute peu désireux de s’attirer les foudres du professeur, les garnements filèrent sans demander leur reste. Il n’en restait plus beaucoup dans la pièce, principalement ceux qui n’avaient pas d’enseignements après celui-ci et qui profitaient de leurs premières minutes de liberté pour comparer les réponses qu’ils avaient données.

- Ma salle de classe n’étant pas un salon de thé, votre présence ici n’est plus requise.

Il prit la copie que lui tendait un adolescent avant d’aviser l’un des serpentards qui n’avait pas encore quitté la salle.

- Monsieur Seo, veillez rester quelques minutes, je vous prie.

L’ultime coup d’œil qu’il adressa aux autres suffit à les faire déguerpir en quelques secondes, ne laissant plus que le Coréen et lui dans la pièce.

Ils n’avaient pas eu l’occasion de discuter en tête à tête depuis le voyage scolaire : Jin Kyung l’évitait comme la peste et Wenceslas, conscient de ses propres limitation sociales, n’avait pas cherché à trop lui imposer sa présence. La conversation avec Fergal l’avait malgré tout convaincu de deux choses : d’une part qu’il fallait laisser du temps à l’adolescent mais, d’autre part, qu’un jour où l’autre, une discussion finirait par s’imposer. Ce jour était venu plus vite qu’il ne l’avait escompté ; aussi distant soit-il, le professeur de sortilèges n’en avait pas pour autant baissé son attention. En directeur de maison mais aussi en adulte personnellement préoccupé par le garçon : il n’était pas son père, sinon biologiquement, mais il avait malgré tout un devoir vis-à-vis de lui.

- Je n’ai pas eu l’occasion de vous féliciter pour votre dernier match. Vous avez monté une bonne équipe, commença-t-il d’un ton détaché qui ne laissait pas présager de ce qu’il prévoyait de dire.

Il allait sans dire qu’il n’escomptait pas discuter météo ou entraînement de quidditch avec lui, mais il n’était pas malvenu pour le directeur de serpentard que d’encourager son capitaine, particulièrement alors que l’équipe était en tête du classement. Leur dernier match avait d’ailleurs été compliqué : gryffondor était un opposant de taille, le principal concurrent pour la coupe, et ils n’avaient pas démérités lors de la confrontation.

Wenceslas donna un coup de baguette sur la pile de copies, la faisant disparaître. Il s’en occuper plus tard, à la lumière d’une bougie pendant la soirée.

- J’ai appris que vous vous étiez senti mal, durant le bal de Noël. L’école doit-elle s’en inquiéter ?

S’il ne s’agissait que du malaise... l’infirmière s’était sûrement occupée de lui comme il le fallait, mais depuis son retour de vacances, il ne semblait pas avoir récupéré. Son teint pâle faisait presque concurrence à celui cadavérique du né-moldu et ses capacités magiques avaient été quelques peu amoindries ces derniers temps. L’enseignant était aux premières loges pour constater ce changement.

Wenceslas avait bien vu les quelques regards en coin de l’élève, par moments, ses iris brillants d’une lueur au moins énervée, au pire haineuse. Oh, il ne lui en voulait pas : cela était bien naturel, comme sentiment et le jeune homme restait un adolescent en proie à de fortes émotions qui n’étaient pas simples à canaliser. Il était dubitatif et froid, sur la défiance sans aucun doute, et sa posture droite trahissait peut-être une forme de tension. Il laissa sa question en suspens quelques secondes, y répondant de manière détournée en le félicitant pour son deuxième match : deux victoires sur trois, l’équipe de sa maison partait bien dans la coupe de quidditch au contraire de celle des quatre maisons. Non que le directeur de serpentard s’en inquiète particulièrement, il n’avait pas la verve combattante de Jack, mais il demeurait attentif à ces quelques réussites, quand bien même fussent-elles en demi-teinte comme la confrontation contre gryffondor, qui avait dominé jusqu’à ce que l’attrapeuse verte ne se saisisse du vif d’or. L’enseignant ne remua pas le couteau dans la plaie, se contentant d’un discret hochement du chef face à la réponse dubitative de Seo. Il n’était pas atypique pour un serpentard de rechercher une réussite toujours plus glorieuse et les valeurs de leur maison tendait à valoriser cette quête du mieux ; il serait malhonnête de sa part de vouloir le rassurer sur ce point, alors même qu’il était connu pour toujours pousser les élèves à ne jamais se satisfaire de ce qu’ils parvenaient à produire. Il préféra passer à la véritable question qui l’intéressait, bien conscient que s’il voulait discuter stratégie et avenir, Jin Kyung irait sûrement voir un autre adulte que lui.

Sa réponse se fit cassante et peu engageante pour la suite... rien de surprenant à vrai dire, le né-moldu s’était attendu à rencontrer une résistance chez le jeune homme. L’âge y jouait quelque chose bien sûr, mais il savait bien que c’était plus profond : leur lien avait créé un faussé entre eux que rien ne semblait pouvoir combler. Dans un soupir, il posa une main sur son bureau, comme pour s’y accouder, plongeant son regard dans celui du garçon.

- Je crains que je ne puisse me satisfaire de cette réponse répondit-il alors qu’il recevait mille signaux visuels de la part de l’adolescent pour partir. « C’est le professeur de sortilèges qui vous pose la question, actuellement. »

Il tapota du doigt l’endroit où se trouvaient encore les copies rendues quelques minutes plus tôt.

- J’ai bien remarqué que votre niveau a baissé ces derniers temps et il m’a semblé comprendre que ça n’était pas propre à ma discipline.

Il ne passait pas par quatre chemins ; avec pareil énergumène, mieux valait parler franchement, tant pis s’il heurtait ses sentiments. Il reprit sur le même ton monotone :

- Bien entendu, si vous tenez à saboter votre dossier scolaire, je n’y vois pas d’inconvénients, mais je tiens à m’assurer que vous comprenez que ce n’est pas en refusant toute forme de dialogue que vous allez remonter la pente.

Oh, qu’il parte de la pièce, s’il le désirait ! Wenceslas n’allait pas lui courir après ou le ficeler à une chaise pour lui tenir un discours qu’il s’était sûrement déjà fait un bon millier de fois tout seul. Ce qu’il voulait, c’était qu’il parle plutôt qu’il ne l’écoute. L’inciter à mettre des mots sur ses maux... peut-être qu’un psychologue aurait été plus fin que le professeur de sortilèges, mais au-delà de la réticence manifeste que lui avait exprimé le Coréen à l’idée d’aller voir Ezekiel, il y avait de ces choses qu’il se répugnait à déléguer.

- Alors par quoi devons-nous commencer ? Votre teint qui concurrencerait celui d’un inferius ? Vos passages récurrents à l’infirmerie ? Vos talents magiques qui décroissent depuis votre malaise ? Ou le malaise lui-même ?

Il croisa les bras, se posant contre le bord du bureau.

- À moins que vous ne souhaitiez que l’on évoque ce qu’il s’est passé pendant le voyage scolaire ?

Des maux de tête saupoudrés de cet étrange moment où le jeune homme avait compris qu’ils étaient liés par le sang... l’ancien langue-de-plomb demeurait curieux de la façon dont il s’était comporté que la découverte de leur parenté ne pouvait complètement justifier.

Les traits du Coréen étaient tirés par la frustration, par cette colère sourde qu’il tachait de garder en lui : Wenceslas savait qu’il rêvait sûrement de s’énerver contre lui, mais le pouvait-il seulement ? Il n’était pas que son géniteur mais également un professeur et l’éducation de l’adolescent lui laissait peu de libertés. Demeurer sur la réserve discrète, en dire peu, cacher tous ses ressentiments... l’enseignant n’était pas idiot, il voyait bien ce qui le rongeait de l’intérieur depuis de nombreux mois et qui affectait jusqu’à sa magie elle-même. Calmement, il laissa l’élève bouillonner, crachant quelques mots destinés à amoindrir la baisse de ses notes ; au fond, il se moquait bien de savoir s’il obtenir un optimal ou un médiocre à ses BUSE. Ce qui le préoccupait était tout autre, plus personnel sans aucun doute. Il savait être en partie la cause de ces maux et ne pouvait dès lors les ignorer comme il aurait pu plus facilement le faire avec un autre adolescent. Oh, il s’inquiétait souvent de l’état des jeunes gens qui passaient dans sa classe mais il préférait la plupart du temps déléguer la question à d’autres : le psychologue scolaire, l’infirmière, un directeur de maison plus à l’écoute – autrement dit Caerwyn lorsqu’il s’agissait d’un serdaigle, il n’imaginait pas une seule seconde envoyer Jack s’occuper des petits troubles. Mais lui n’était pas taillé pour ça : trop froid, trop distant, rares étaient les élèves qui apprécieraient sa présence ou se confieraient à lui. Et ce n’était pas plus mal. L’aîné Seo, en revanche, était son problème : il en avait bien parlé à Fergal, mais c’était en fin de compte à lui de gérer la question, pas au directeur ou à quiconque d’autre. L’ancien langue-de-plomb avisa un instant les poings tremblants du garçon qui évitait son regard, clamant qu’il allait parfaitement bien.

- Je vois ça, rétorqua-t-il posément en levant un sourcil.

Ce qui devait arriver arriva : Jin Kyung, qui allait très bien, laissa finalement éclater sa colère, incapable de contenir plus longtemps cette tempête en lui. Au sens littéral. L’adulte resta silencieux tout du long, ne cherchant pas à le couper ou à le calmer afin de le laisser cracher son fiel ; comme s’il avait emmagasiné durant plusieurs années toute sa colère pour la lâcher ce jour, sa magie explosa, frappant une étagère pleines de livres et objets en verre. C’était un retour à l’enfance, à cette époque où les jeunes sorciers ne maîtrisaient pas encore leurs pouvoirs et provoquaient des décharges qui cassaient tout sur leur passage. En cet instant, il était certain que s’il demandait au serpentard de réparer ses dégâts, il en serait bien incapable.

Wenceslas tourna brièvement la tête pour constater les dégâts : quelques livres étaient éparpillés au sol, la cloche protectrice d’un objet ensorcelé s’était écrasée au sol avant d’éclater en mille morceaux et la plateforme horizontale de l’étagère était tombé de ses accroches, juchant sur les cadavres de quelques manuels de cours.

- Vous allez bien donc, reprit-il en portant à nouveau son regard sur le jeune Seo comme s’il ne s’était rien passé. « Cela saute aux yeux. »

Il se retint d’ajouter un sarcasme pour souligner les dégâts occasionnés : le garçon était suffisamment en colère comme ça et il doutait qu’il apprécie son humour pince sans rire. Le moment n’était pas venu de mettre du sel sur plaie.

- Que voulez-vous entendre, monsieur Seo ?

Il parlait d’un voix calme, nullement énervée par le bazar qu’il avait mis dans sa salle de classe ou par les éclats de l’adolescent. Ça n’était pourtant pas son genre de laisser un élève lever ainsi le ton sur lui, mais une fois n’était pas coutume, il subissait le courroux du jeune homme sans broncher.

- Je m’inquiète autant parce que je suis votre professeur que parce que je sais être en partie responsable de ce qui vous préoccupe. Il soupira. « Ne vous en déplaise, il existe bel et bien des personnes dans cette école qui se préoccupent des élèves dont ils ont la charge. »

Les autres professeurs ne s’en moquaient pas plus que lui : tous, à leur façon, s’inquiétaient de ce qui occupait l’esprit des adolescents présents dans l’école. Caerwyn passait son temps à se demander comment apprivoiser ses serdaigles les plus récalcitrants et même Jack derrière son allure sauvage protégeait ses poufsouffles mieux que quiconque. Wenceslas était sûrement celui qui se montrait le plus distant : il se reposait généralement plus sur certains de ses collègues, à l’instar de Myrthilde qui avait un meilleur contact humain.

- Cassez d’autres étagères si vous avez besoin de vous défouler, mais un moment où l’autre, il faudra bien que nous ayons une discussion, vous et moi.

Il resta immobile, toujours posé contre le bord de son bureau, les mains croisées comme pour lui laisser la liberté de tout casser dans la pièce tandis que lui patienterait dans un silence quasi religieux.

- Pensez à ne pas casser toutes les chaises, cela dit, je pense qu’une fois défoulé, vous en aurez besoin.

Des confrontations, Wenceslas en avait connu de tous les genres. La politique, la guerre, les débats endiablés autour de théories magiques ou sur l’admission d’un cas un peu particulier dans le département des mystères, mais celui-ci avait une source bien différente, si atypique et peu familière pour le professeur qu’il n’était pas tout à fait certain de savoir par quel bout le prendre. Sans jamais se départir de son flegme naturel, il scrutait le regard de l’adolescent d’un air attentif, lisant dans les iris sombres de Jin Kyung une profonde colère ; elle ne semblait pourtant pas dirigée contre lui. Pas seulement, à tout le moins. Il était fatigué, manifestement énervé contre l’ancien langue-de-plomb, mais également contre d’autres choses et peut-être même contre lui-même. C’était la pire des rancœurs que celle qui prenait source en soi.

La réplique acerbe du Coréen ne se fit pas attendre, réduisant la responsabilité du né-moldu à quelques broutilles anecdotiques. Au fond, ça lui allait plutôt bien : il aurait préféré ne jamais être mêlé à ces histoires de paternité, rester dans l’ignorance et la tranquillité paisible de celui qui n’avait à se soucier de rien ni personne. Malheureusement, tel n’était pas le cas et il ne pouvait guère se permettre d’ignorer l’existence du garçon. Dès lors qu’il savait, il se voyait obliger de le prendre en compte dans l’équation de son quotidien et ce d’autant plus qu’il le voyait chaque jour en cours. Laissant la remarque briser le silence sans riposter – il était trop vieux pour se mêler à une guerre d’égo qu’il ne désirait de toute façon pas remporter – il observa l’élève se défouler bien malgré lui sur une étagère avant de l’inviter à continuer si cela pouvait lui procurer un peu de réconfort. Il parvint malgré tout à le prendre par surprise en ne laissant pas sa colère éclater, continuant de bouillonner de l’intérieur puis crachant son venin sur le professeur impassible.

- Il ne s’agit nullement de ça.

Il se moquait d’avoir bonne conscience et le « temps perdu » l’était par définition toujours autant. Rien ne pouvait permettre de le rattraper, d’effacer autant d’années d’un coup comme si elles n’avaient jamais existé.

- Asseyez-vous, je vous prie. Vous pâlissez à vue d’œil et je pense que vous n’avez pas plus envie que moi de faire un malaise dans cette salle de classe.

Il soupira.

- Sauf si vous voulez que l’infirmière vienne à se mêler de vos histoires ? Auquel cas, vous n’avez qu’un mot à dire et je la fais venir sur le champ.

Peut-être était-ce une bonne idée, après tout... mais s’il devait choisir quelqu’un pour s’entretenir avec l’adolescent, ce serait sûrement le psychologue scolaire et non elle. Le jeune Seo avait très certainement plus besoin d’être écouté que d’être ausculté.  

Las de ce petit jeu qui ne consistait finalement à rien de plus qu’échanger des répliques acerbes et des incitations à l’écoute, Wenceslas se passa une main sur le visage en soupirant discrètement. Discuter avec un garçon doté d’un caractère aussi buté n’était pas chose aisée pour quelqu’un ayant les capacités relationnelles d’un détraqueur. Parfois, il enviait Fergal pour qui ces choses semblaient venir si naturellement ; lui était manifestement fait pour être dans une école à prendre soin des élèves ou pour être père de famille. Et pourtant, le seul des deux qui avait eu un enfant était celui qui aurait dû ne jamais en avoir, pour le bien de tous.

- Je comprends que vous n’estimiez pas la parole d’un sang-de-bourbe qui a passé quelques jours en Corée et je sais que vous préféreriez ne pas avoir affaire à moi... toutefois le destin, ou vos parents choisissez, nous a réuni ici. Je pourrais faire comme si vous n’existiez pas, mais quelque me dit que cela ne vous aiderait en rien.

Il marqua une pause, plongeant son regard d’un bleu glacial dans celui de son fils biologique.

- Alors laissez moi une chance... non, laissez-vous une possibilité de régler au moins certains des troubles qui sont les vôtres.

Une nouvelle fois, il désigna une chaise pour l’inviter à s’asseoir.