C’était une soirée tout à fait banale pour Caerwyn, qui était de ronde ce soir-là. En réalité, il aimait bien déambuler la nuit dans les couloirs de Poudlard. Jeune, il était terrifié à cette idée suite à cette soirée de juin 1997. Il avait été vacciné sur le fait de faire le mur durant toute son adolescence. Mais trente ans après, les choses étaient différentes, en mieux et heureusement. L’insouciance adolescente avait repris ses droits dans l’école, laissant la morosité traumatisée que Caerwyn avait connue au passé. Un Lumos au bout de sa baguette, avancer presque à l’aveugle dans les couloirs sombres avait un petit quelque chose d’excitant. Parfois, il s’octroyait même le droit de réveiller un ou deux tableaux, prétextant penser avoir vu un élève désobéissant. C’était son petit plaisir coupable, ces peintures vivantes l’avaient toujours un peu mis mal à l’aise. Dans sa ronde, il y avait bien des endroits plus sensibles que d’autres. Les cuisines, certaines salles de cours (évidemment, pas celles d’Arithmancie ni d’Étude de Runes, étrangement celles-ci n’étaient jamais victimes de tentatives de cambriolage), le placard des objets confisqués également, les entrées des salles communes également. Ce n’était pas les raisons qui manquaient aux élèves pour faire le mur.

Seulement, ce n’était pas une ombre au coin d’un couloir qui attira l’attention de Caerwyn ce soir-là. Mais bien la voix qui raisonna dans toute l’école comme s’il s’agissait d’une alerte. Cependant, la voix juvénile n’annonça rien de dramatique, bien au contraire. Interloqué, le professeur de potions s’était arrêté dans sa déambulation nocturne, écoutant sagement la suite de la tirade. Il comprit un peu tardivement ce qui allait se passer et d’où cela se passait. Les premières notes raisonnèrent alors dans tout le château. Pour réveiller l’école, il n’y avait effectivement pas mieux, la fauteuse de troubles avait eu raison sur ce point. Rapidement, Caerwyn se souvint de cette histoire de podcast diffusée depuis la Tour d’Astronomie. Sa grande amie, celle-ci. Cela ne l’enchantait vraiment pas d’y aller y faire un tour, surtout en pleine nuit, quelques mauvais et vieux démons dont il n’avait jamais pris la peine de se débarrasser après toutes ces années s’amusant à le tourmenter. Pourtant, quelque peu encouragé par cette reprise plus que convaincante de Powerwolf, il prit la direction de ladite tour sans plus attendre. Partant du quatrième étage, l’ascension serait plutôt longue mais il était hors de question d’accorder plus de temps d’antenne à la rockeuse improvisée.

Il entreprit de grimper les marches deux à deux au départ (seulement pour les trois premiers étages qu’il gravit) avant que son corps de quarantenaire lui fasse comprendre qu’il aurait peut-être dû l’entretenir ces dernières années. Le dernier étage fut une torture à terminer mais il parvint finalement à destination, le cœur voulant s’arracher de sa poitrine, la gorge en feu et le souffle digne d’un asthmatique en pleine crise aiguë d’allergie au pollen. Il ouvrit brutalement la porte de la salle de diffusion et tomba nez-à-nez avec Teodora Von Meissen. Trop essoufflé pour dire quoique ce soit pour l’instant, il passa un doigt dans son col pour le détendre, dans le but vain d’aider l’oxygène à mieux s’approvisionner dans son organisme. Mais voir son professeur de potions faire irruption dans son studio de radio improvisé ne sembla pas la perturber pour autant tandis qu’elle continuait son morceau sans broncher, presque avec défi. Cependant, grimaçant, il ne broncha pas pour l’instant, toujours péniblement essoufflé et lamentablement appuyé sur le cadre de la porte. Pendant que son corps lui faisait clairement regretté d’avoir été trop paresseux ces dernières années, Teodora continuait son petit concert au nez de son désormais public. Une fois qu’il se sentit enfin capable de parler, que sa gorge ne se déchirait pas à chaque déglutition, il leva une main pour inciter l’élève à s’arrêter. Ce qu’elle ne semblait être disposée à faire. Finalement, il hurla :

— OH.

Tentative d’autorité ferme que ses poumons lui firent regretter. Son souffle n’était pas suffisamment revenu pour se permettre une telle vocifération audacieuse. Il poussa un râle, abattu par cet effort aussi intense qu’imprévu et finit par dire :

— Tu veux pas mettre le son plus fort, bon sang ? Je m’entends respirer, merde !

Toujours appuyé au mur, il eut un sourire. Il était le premier arrivé, il n’y avait pas de raison que Teodora ne profite pas de son petit instant de gloire avant que les renforts n’arrivent. Après tout, elle ne faisait de mal à personne, quelque soient les raisons d’un tel concert.

Teodora sembla se prêter au jeu inattendu de son professeur. Conciliante, elle poussa donc le bouton du volume et entreprit de réveiller les derniers narcoleptiques du château en jouant Killing in the Name. Cela aurait eu pu être un plan mesquin de Bevans pour la plonger un peu plus dans les ennuis mais il se doutait que sa propre voix avait dû raisonner également entre les pierres de l’école, le rendant complice lui-aussi. Puis la jeune Poufsouffle semblait bien trop profiter de son moment pour l’interrompre comme cela. Tandis que l’adolescente donnait une représentation de qualité impeccable, son professeur fit venir une chaise à lui et s’assit le temps du morceau, accordant du répit à ses pauvres jambes qui n’avaient pas apprécié l’ascension inattendue des étages de Poudlard. Caerwyn n’avait pas envie de sanctionner Teodora mais il n’aurait malheureusement pas le choix. Il se ferait sûrement tirer les oreilles aussi mais tant pis. Il trouvait toutes les circonstances atténuantes qu’il pourrait : c’était un samedi soir, donc pas de réveil à l’aube du lendemain pour les quidams du château, il n’était même pas si tard que cela, il peinait à croire que tous les élèves dormaient déjà à cette heure-là. Puis merde, la musique n’avait jamais faire de mal à personne.

L’élève semblait avoir une véritable rage à exprimer et son professeur lui découvrait un tout nouveau visage, bien loin de la petite Poufsouffle qui se souciait des potions comme de sa première chemise. Elle était, la passion de Teodora. Il était flagrant que l’essence même de sa raison vivre était les mains accrochées à une guitare, la voix raisonnant dans un micro. Il la laissa faire sa chanson sans s’interrompre, vivant bien trop le moment pour oser lui faire cesser maintenant. De temps en temps, il jetait un regard par-dessus son épaule, en direction de la porte laissée dans son dos. Il ne manquerait plus qu’un de ses collègues interviennent maintenant. Tous n’auraient peut-être réagi de la manière que lui, à laisser poursuivre Teodora de son petit moment de gloire. Qu’importait. En réalité, Griffith pourrait bien débarquer tel le dragon qu’elle était, il n’hésiterait pas à se tenir devant elle pour laisser son élève finir son morceau qui semblait avoir fait cela toute sa vie ou alors qui était tout simplement faite pour cela. Il comprenait mieux pourquoi il semblait que sa place ne soit pas derrière un chaudron bouillonnant à couper des racines ou verser des liquides fluorescents et malodorants.

Finalement, elle conclut son morceau et s’empressa de reprendre le micro afin de faire un nouveau petit discours, avec Every Breath You Take (dont personne semblait se rendre compte qu’il s’agissait d’une vraie chanson de stalker) dont elle jouait quelques accords pour accompagner ses paroles. Cette légère provocation lui arracha un sourire amusé avant de se lever de sa chaise tandis qu’elle le citait au micro. S’il avait eu quelques doutes sur le fait que le château ait pu entendre sa voix, maintenant, aucune supposition n’était désormais permise. Il s’approcha alors du micro, se pencha au-dessus mais ne dit rien pour l’instant. En réalité, il était à nouveau tenté de jouer le jeu de l’adolescente et ne poursuivre la bêtise jusqu’au bout. Il aurait pu faire une fausse dédicace ridicule, relancer même l’adolescente pour un nouveau morceau, annoncer la météo du lendemain ou même affirmer que Serdaigle gagnerait haut la main le prochain match de Quidditch ; les bêtises à raconter ne manquaient pas mais il opta plutôt pour un professionnalisme plus sage. Il dit finalement d’une voix suave et grave, visant à imiter celle d'un présentateur radio :

— Nous remercions Ivy in Flames pour sa fantastique performance aussi inattendue que de qualité mais nous nous devons de rendre l’antenne. Bonne nuit à tout nos très chers auditeurs.

Il débrancha alors le micro et se tourna vers Teodora, les mains dans les poches, voulant avoir l’air un minimum sévère mais ne pouvant s’empêcher d’avoir un léger sourire.

— C’était… vraiment bien, en vrai. Bravo à toi.

Il marqua une pause et parvint à arborer un visage un peu plus sérieux.

— Cependant, tu te doutes que ce genre de geste audacieux a des conséquences. De plus, je pense que tu n’as pas fait sans raison, je me trompe ?

Il pensait plus à un acte rebelle qu’autre chose. Qu’elle souhaitait se venger d’un professeur couche-tôt qui lui aurait attribué une mauvaise note ou quelque chose dans ce genre-là. Il croisa alors les bras.

— En réalité, je suis assez impressionné par ta performance. J’imagine que cela fait longtemps que tu joues de la guitare, non ?

Rien ne les empêchait de discuter un peu après tout. L’accabler en lui ressassant qu’elle aurait certainement plus qu’une petite retenue était parfaitement inutile, elle en était certainement consciente. L’air désormais impassible et à nouveau capable de respirer convenablement, il haussa les sourcils d’un air presque inquisiteur, l’invitant fortement à répondre à toutes ses questions.

Le professeur Bevans n’eut qu’un simple haussement d’épaules indifférent face aux remerciements sincères de Teodora pour l’avoir laissé finir. Indifférent car il avait trouvé cela de la laisser terminer. Il avait sous les yeux une élève bien différente de celle en potions et il n’y avait pas de mal de la laisser s’épanouir et profiter de son moment pendant cinq minutes de plus. Toute l’école était déjà réveillée depuis longtemps de toute façon. Une passion comme la musique méritée d’être encouragée et pas restreinte. Caerwyn avait toujours mis un point d’honneur sur l’art et la culture, prêt à minimiser la retenue qui menaçait l’adolescente pour cela. Il lui avait semblé tout naturel de laisser Teodora finir sa prestation. C’était à la fois normal et une preuve naturelle de respect. Personne n’interrompait les comédiens lors d’une pièce de théâtre non ? Pourquoi stopper une artiste musicale en plein solo, cela n’avait pas de sens. De plus, le répertoire musical de la jeune Poufsouffle semblait plutôt proche du sien, ce qui facilitait grandement l’écoute. Une bonne petite guitare saturée avait toujours son petit effet sur ses oreilles. Non pas qu’il n’aimait pas les autres styles de musique, mais il avait clairement ses préférences bien à lui.

Mais se montrer conciliant et à l’écoute sembla mettre l’élève en confiance qui ne parut pas si réfractaire à l’idée de lui raconter les raisons de cet écart de conduite. Au contraire même, elle déblatéra une bien innocente et franche plaidoirie, invoquant l’ennui et la redondance des activités. Caerwyn l’écouta sans broncher mais finit par acquiescer de la tête. Elle abordait des points qui n’étaient pas faux et il se retrouva même d’accord sur plusieurs sujets. Pensif, il passa une main dans sa barbe, réfléchissant à rendre les fins de journée ou les évènements sociaux de l’école moins pompeuses et redondantes. Cependant, cela faisait trente ans qu’il s’était tenu loin de Poudlard et n’avait aucune idée si les choses avaient changé depuis. Cela l’étonnait de la part de Fergal d’utiliser de la musique « pour vieux » comme le qualifier Teodora. Voilà un point qu’il lui faudrait éclaircir avec l’adolescente s’il voulait soumettre une idée de playlist pour le prochain bal, tout en essayant de rester le plus neutre possible. La musique, aussi fédératrice pouvait-elle être, se montrait parfois extrêmement prompt à diviser les différents aficionados de certains genres et même au sein d’une même communauté. Il soupira et dit alors :

— Je peux comprendre que l’ennui s’installe vite ici mais il y a la salle de musique pour expier toute ton énergie. Même si j’imagine qu’il y ait une certaine adrénaline à bafouer le règlement n’est-ce pas ?

Les bras toujours croisés sur sa poitrine, il la laissa poursuivre. Parler de sa guitare semblait vraiment avoir réveillé quelque chose qui faisait plaisir à voir. Au fur et à mesure qu’il percevait l’enthousiasme dans sa voix, il comprenait de plus en plus pourquoi ce n’était pas la plus assidue des élèves. Son chemin semblait déjà être tracé dans la tête et ce n’était certainement pas derrière un vieux bureau mais sur une scène. Il eut un sourire doux devant cette vive passion mais ne se laissa pas non plus amadouer par cette question à priori innocente. Il eut un sourire en même temps qu’un soupir amusé et finit par répondre :

— J’aime vraiment, dès qu’arrive l’été, je me précipite dans les festivals. Le Download notamment, j’ai même fait deux trois fois le Hellfest en France. J’en ai un peu moins fait ces derniers temps ceci dit. Et mon groupe préféré est Bring Me The Horizon. Je trouve qu’ils ont une capacité à évoluer, se renouveler, toucher à tout qui me plaît beaucoup.

Il eut alors un bref mouvement de la main comme pour effacer la conversation.

— Ne pense pas que j’ai oublié ta sanction, cependant. C’est clairement moins intéressant que de parler musique je te l’accorde mais comme ta prestation a été très convaincante, je vais me montrer magnanime. Tu vas choisir le plus objectivement possible le type de retenue que tes agissements mériteraient et les points que tu t’enlèverais.

En réalité, cela l’ennuyait bien trop de choisir une punition pour une simple élève qui voulait vivre sa passion pour un soir. Autant prétendre rendre cela pédagogique.

Si Caerwyn avait encore des doutes sur la passion de Teodora (ce qui n’était pas le cas), le discours de cette dernière aurait fini de convaincre les plus indécis à son sujet. Elle lui parla du groupe qu’elle avait avec ses amies, de toutes les salles qu’elle avait arpenté pour pouvoir simplement jouer de sa musique mais que le manque de public se faisait ressentir. Se savoir écouter par toute l’école avait eu quelque chose d’indéniablement grisant. Quelque part, il était content d’être arrivé en premier en haut de la tour plutôt qu’un de ses collègues ayant un peu plus de bon sens que lui. Mais qu’importait, elle avait pu profiter de son moment, cela lui faisait également une très bonne expérience. Après tout, il n’avait pas entendu d’erreurs quelconque dans sa prestation. Ou peut-être que le bruit de sa respiration erratique avait couvert les fausses notes… Il préféra plutôt s’en tenir à sa première impression, valorisant plus l’élève que mettant en avant ses piètres performances physiques. Toujours voir le verre à moitié plein, comme lui disait son père. Dicton que Caerwyn n’était pas toujours parvenu à appliquer jusque-là mais tout ceci était une autre histoire. Il avait réussi à grimper la Tour d’Astronomie en deux deux, c’était une victoire aussi.

Ce fut quand elle parla de scène que Caerwyn se demanda si Teodora et son groupe ne pouvait s’occuper de la partie musicale du prochain bal. Les élèves étaient toujours plus réceptifs que certains de leurs camarades soient sur scène puis cela ferait une bonne expérience pour la petite bande de la Poufsouffle. Peut-être que l’idée avait déjà été évoquée. Peut-être que cela avait déjà été fait, que pouvait-il en savoir ? Il demanderait à Fergal à l’occasion, au détour d’un couloir. Il eut un rire amusé cependant lorsque Teodora sembla toute excitée à propos des festivals, lui disant même qu’il avait de la chance de pouvoir y participer. Elle était encore jeune, le temps viendrait rapidement. De plus, si elle travaillait suffisamment, il y avait de grandes chances qu’elle soit plus sur la scène que dans la fosse. Cela dit, Caerwyn n’était pas dénicheur de talents, ni producteur dans une maison de disque. Le fait qu’il ait été impressionné par la performance de la jeune fille pouvait s’apparenter à un parent fier de son enfant, certainement. Manquant quelque peu d’objectivité sur les réelles capacités de l’adolescente mais il s’en moquait. Autant la pousser vers le haut.

— T’es encore jeune, tu auras tout le temps d’aller voir tous les festivals que tu veux plus tard. Tu sais, quand j’étais à Poudlard, j’ai pas pu assister à beaucoup de concerts non plus.

Il eut un sourire encourageant. Évidemment qu’il avait fallu revenir vers le Sud de la Grande-Bretagne, parmi la civilisation, pour pouvoir voir le monde ou faire ses meilleurs headbangs par 35°C en plein mois de juin. Il lui avait dû également trouver rapidement quelques petits boulots d’étudiant, afin de se payer les places de concert, l’essence, le logement, etc. C’était tout une organisation que Teodora n’allait certainement pas à découvrir dans les prochaines années. Sauf si, contrairement à lui, sa famille partageait cette passion avec elle.

Elle commença alors son auto-évaluation, ou du moins, essayait de déterminer quelle sanction était le plus approprié. Elle cita alors le règlement intérieur, comme si elle le connaissait sur le bout des doigts. Caerwyn n’était pas là depuis suffisamment longtemps pour savoir quels élèves étaient des habitués au retenue. Mais au vue de ce que lui racontait Teodora, comme un apprenti juriste trop zélé pouvant citer le code pénal, elle semblait avoir dû plonger plusieurs fois son nez dans le règlement intérieur. Cinq points en moins semblaient juste. Et même s’il avait utilisé une ambiguïté pour éviter de trop se pénaliser, il ne pouvait pas la blâmer. S’il n’était pas d’écrit noir sur blanc que la musique dans le haut-parleur de l’école était interdit, alors techniquement, cela ne l’était pas. Elle se proposa alors de récurer les chaudrons ce que Caerwyn refusa de la tête. Mais avant qu’il n’ait pu lui répondre, elle enchaîna à nouveau sur la musique, curieuse de découvrir ce groupe qu’il ne connaissait pas. Il eut à nouveau un sourire amusé, attendit qu’elle eut terminé et dit finalement :

— Tu ne récureras pas les chaudrons. C’est chiant, inutile, pas drôle, ça vous apprend rien et y a des sortilèges pour ça.

Il passa à nouveau une main dans sa barbe, songeur.

— Non, tu viendras aux cachots, je te ferai écouter un morceau d’eux et tu devras effectivement essayer de retrouver les partitions à l’oreille. Ça me paraît être une punition plus adaptée, qu’en penses-tu ?

Il eut un sourire. Il était inutile de la punir plus sévèrement. En effet, elle savait déjà qu’elle n’avait pas le droit d’être là et que réveiller toute l’école avait été une bêtise. Encore une fois, il préférait que la perte de leur temps soit un minimum rentable. Si cela pouvait entraîner Teodora, ce serait bien plus productif que de recopier des lignes.

— Et cinq points en moins pour Poufsouffle me paraît juste.

Cela aurait sûrement mérité plus, mais il était bien incapable de châtier sévèrement des élèves qui n’avaient fait de mal à personne.

La jeune fille eut l’ombre d’un regard triste sans que son professeur n’en sache la cause. Était-elle déçue d’apprendre que Poudlard ne possédait pas du meilleur emploi du temps pour aller à des concerts ? Ou le problème était-il différent. Lorsqu’elle parla enfin, Bevans comprit un peu mieux l’origine de son étrange réticence. Une logistique compliquée pour quelqu’un qui ne semblait pas s’y connaître vraiment ainsi qu’un manque d’argent, assez endémique de cette tranche d’âge. Puis il y avait certainement l’autorisation parentale également. Si Teodora semblait suffisamment débrouillarde et volontaire pour son âge, elle ne pourrait déroger aux règles de son foyer pour l’instant. En revanche, s’il s’agissait uniquement d’un problème dû à une innocente ignorance du monde moldu, c’était quelque chose dans les cordes du professeur de potions. Il ne pouvait certainement pas résoudre le problème de l’argent et encore moins prendre cette décision à la place de ses parents, mais au moins pouvait-il lui donner toutes les cartes en main pour le moment où elle pourrait s’échapper le temps d’un weekend. Il était pour cela, après tout, non ? Instruire, enseigner, partager. Si elle avait la moindre question, l’adolescente n’aurait pas à s’en faire sur comment fonctionne un concert ou un festival moldu.

Avant qu’il n’ait pu la rassurer sur ses problèmes de planifications de séjour dans le monde des non-magiques, Teodora poursuivit sa pensée en indiquant qu’elle pouvait toujours refaire une première partie à The Other’s Whelan. Ainsi, elle était déjà allée sur scène ? Une assez conséquente qui plus est. Il connaissait le nom moldu de cette scène en Irlande, bien évidemment, et il avait également entendu parler de sa version sorcière. Il était une nouvelle fois impressionné par le fait d’apprendre qu’elle ait pu se produire sur une telle scène. Il trouvait cela vachement encourageant et se rendait compte qu’il ne s’était donc pas trompé sur la qualité de sa prestation du soir. Il eut un sourire fier, réellement ravi de voir une adolescente si passionnée par quelque chose d’aussi noble que la musique.

— Tu as réussi à faire une première partie là-bas ? Tu ne cesses de m’épater, je regrette presque d’avoir arrêté le micro.

Il eut un rire franc.

— Si ça ne tenait qu’à moi, tu aurais pu continuer encore quelques minutes. Personne ne dort à cette heure-là de toute façon, pour être tout à fait honnête.

Il marqua une pause avec un sourire puis reprit :

— Si le fait de te déplacer dans le monde moldu, ou d’y acheter un billet, t’inquiète, tu peux passer me voir. À moins que tu ne préfères voir avec le Professeur Alexander, je ne voudrais pas lui voler sa matière.

D’un air amusé, il la laissa accepter sa retenue et son retrait de point. Même pour lui, cela allait s’annoncer plus intéressant. Surveiller un élève frotter inutilement un chaudron était le comble de l’ennui. Il aurait pu s’amuser à mettre du Slipknot à fond pour motiver le pénitent mais il n’y avait aucune portée pédagogique à la punition. Et puis, Teodora méritait-elle vraiment d’être punie pour son talent qu’elle avait légitimement envie de montrer à tout le monde ?

— Je n’ai pas touché au solfège depuis un long moment. Mais je vais m’y remettre, tu m’as motivé. Tu vois, tu vas me faire bosser aussi !

Il eut un léger rire. Curieux, il reprit :

— Comment tu as appris tout ça d’ailleurs ? Tu es allée dans une école de musique ou tu as tout fait depuis chez toi ?

Il était curieux d’apprendre le parcours de cette adolescente qui semblait bien déjà bien meilleure que lui à l’apogée de sa brève carrière musicale. Il avait été un batteur avec un niveau décent, plutôt bon, sans pour autant être un musicien au potentiel démesuré, contrairement à la Poufsouffle qui semblait être née pour cela. En savoir plus sur les enseignements qu’elle avait reçues pouvait toujours se montrer bénéfique.

Si Bevans avait l’air sincèrement impressionné par les dires de Teodora, c’était parce qu’il l’était. Elle venait après tout de lui dire qu’elle avait gagné le premier à un concours. Cela semblait être dans la catégorie junior, certes, mais rares étaient les enfants avec une telle maturité dans le jeu et la prestation scénique. Il fallait que l’adolescente continue à tout prix dans cette branche qui la faisait vraisemblablement vibrer. La fierté visible dans ses yeux quand elle racontait ce haut-fait faisait plaisir à voir. Il avait encore du mal à croire que la Poufsouffle à la tignasse rousse était la même que celle qui s’ennuyait clairement derrière son chaudron. Malgré toute la bonne volonté du monde, il ne parviendrait certainement pas à la motiver pour le cours de potions jusqu’à la fin de sa scolarité. Mais s’il pouvait la pousser pour qu’elle vive de son rêve, rien ne lui ferait plus plaisir. Elle avait le talent pour arriver très loin. Sur son commentaire sur les différents styles musicaux, il esquissa à nouveau un sourire et hocha la tête. Bien évidemment que le risque payait. Parfois, il fallait aussi savoir sortir des cases pour savoir se faire remarquer. Visiblement, elle l’avait compris.

— Mélanger les genres n’est pas une mauvaise chose, parfois. C’est une prise de risque, mais tu vois, ça paye ! Tu me diras la prochaine fois que tu feras une première partie, je veux voir ça !

Il eut un léger rire, bien que parfaitement sincère. Il était réellement curieux de la voir sur scène, de voir ce qu’elle pouvait envoyer en étant dans les meilleures conditions possibles. Ici, ce n’était pas forcément optimal. Non seulement parce qu’elle n’avait pas le droit de jouer à une heure aussi tardive, malheureusement. Mais également parce qu’il n’y avait pour public que les murs et son professeur de potions qui était venu gâcher la fête malgré lui. Mais le jour viendrait où elle n’aurait plus besoin de transgresser les lois pour pouvoir partager à tous sa musique. Son commentaire sur Violet et la retenue le fit rire à nouveau, ne remarquant pas l’air contrit de Teodora tout de suite :

— Rien à faire de la retenue, ça valait le coup ! Tant qu’on m’assigne pas avec la professeure Griffith, je peux bien laisser brancher le micro jusqu’à l’aube !

Il eut un rire franc. Cela ne le dérangeait nullement de plaisanter avec un élève, de taquiner ou de se faire taquiner en retour. Les petites joutes verbales inoffensives offraient de la complicité et n’étaient pas non plus incompatibles avec l’ordre hiérarchique établi. Cependant, cela ne semblait pas être l’avis de Teodora qui sembla plus timorée tout à coup. À la surprise de son professeur, elle s’excusa même et le remercia.

— Pourquoi tu t’excuses ? Tu n’as rien dit de mal.

Il eut un sourire qu’il voulut rassurant. Il ne fallait pas qu’elle se prenne la tête avec lui pour si peu. Il y avait bien d’autres problèmes ici-bas pour s’en vouloir d’avoir taquiner gentiment son professeur. Elle n’avait d’ailleurs rien dit de désobligeant ou de mesquin. Il hocha cependant la tête plus sérieusement lorsqu’elle aborda le sujet de l’argent. Oui, à cet âge, ce n’était pas forcément facile de s’en procurer. Cependant, une idée, peut-être même une élucubration, lui vint en tête. Pourquoi ne pas en faire une sortie scolaire après tout ? Poudlard devait brasser suffisamment d’argent, étant la seule du monde magique britannique, pour pouvoir payer à quelques élèves un billet pour un festival. Pas besoin d’aller en France ou en Allemagne, il devait y avoir des concerts très bien à Écosse. Il fallait qu’il creuse le sujet. Qu’il en parle à Jaimie, car cela correspondrait plus à sa matière qu’aux potions, indubitablement. Et voir si Fergal accepterait. Pas besoin de ramener toute l’école non plus, mais il y avait suffisamment d’élèves musiciens dans cette école pour organiser une petite sortie scolaire inoffensive. Cela résoudrait à la fois les problèmes de déplacement et d’argent pour Teodora. Il se garda bien pourtant de lui faire part du fil de sa pensée, ne voulant pas lui donner de faux espoirs. Si jamais ce projet improvisé tombait à l’eau, il voulait au moins avoir un plan B. Il sourit cependant devant l’enthousiasme recouvré de Teodora.

— Je jouais de la batterie, cela fait un moment que j’ai arrêté. J’étais… décent, dirons-nous.

Il eut un rire.

— Mais tout ça m’a donné envie de m’y remettre également vois-tu ! Je t’en dois une !

Le solfège, la batterie, voilà qu’une talentueuse ado de quatorze arrivait à le remotiver pour quelque chose qui datait d’une autre vie. Il n’y avait que les passions qui étaient un moteur suffisant pour avancer et à se dépasser. Il ne l’avait compris que trop tard mais n’était-il pas là pour enseigner après tout ? Les potions ou des leçons de vie, quelle différence ? Son récit sur son éducation musicale le troubla un peu plus en revanche. Elle vivait dans un coven ? Elle n’était pas dans sa famille ? Cette information titilla sa curiosité même si cela semblait expliquer le manque d’argent. Elle lui expliqua alors qu’elle s’occupait de petites tâches, à rendre de petits services, afin d’avoir en échange quelques cours de solfège et de guitare. Si Caerwyn avait encore un doute sur la motivation de l’adolescente (ce qui n’était pas le cas), il ne pouvait qu’être convaincu désormais. Elle semblait également parfaitement admirative de cette Aurora Everglade (qu’il ne connaissait ni d’Adam ni d’Ève) et qui paraissait avoir vraiment un rôle important dans sa vie. Il eut un sourire doux.

— Je comprends mieux maintenant. C’est très brave de te donner autant à fond à ton âge pour la musique.

Ses yeux se firent un peu plus rieurs.

— En revanche, ne t’attends pas à ce que je sois un fantastique prof de solfège. Je n’ai clairement pas le niveau pour entrer dans l’Orchestre Philharmonique des Sorciers de Londres. J’espère que tu seras indulgente avec moi.

Toujours souriant, il n’avait néanmoins pas oublié son idée précédente et était même encore plus déterminé à la mettre en place. Teodora était méritante, il n’y avait aucun doute de là-dessus. Si cela devait empiété sur son niveau en potions et bien tant pis. La forcer ne servirait à rien. Il s’assurerait qu’elle sauve les meubles, quand même, pour ses BUSE et elle aura ensuite le loisir de se libérer tout le temps qu’il lui faut pour la musique.

Complètement plongé dans la conversation avec la jeune élève, le professeur Bevans avait totalement oublié qu’il aurait peut-être mieux valu ramener trublionne dans sa salle commune plutôt que de tailler le bout de gras avec elle après le couvre-feu. Après tout, il y avait certainement d’autres élèves récalcitrants qui faisaient le mur tout comme elle. Mais il en avait quelque peu oublié ses responsabilités, sa concentration happée par cette discussion tout à fait cordiale avec cette élève qui ne semblait pas vraiment se rendre compte de son potentiel. Tant mieux, quelque part. L’humilité était une qualité importante, surtout dans ce milieu si on ne voulait pas perdre pieds. Mais Teodora ne semblait pas en avoir fini avec son éventail de compétences, indiquant même faire du lilting pour reprendre ses morceaux. Caerwyn s’attendait presque à ce qu’elle sache danser comme certains stars de la pop. Elle indiqua aussi vivre en Irlande, ce qui surprit un peu plus son professeur. Elle papotait pourtant avec un allemand parfait avec Maximilianna et son patronyme n’avait aucune consonance irlandaise. Alors qu’il allait demander plus de précisions afin de satisfaire sa curiosité, Teodora lui coupa l’herbe sous le pied et questionna l’origine du prénom de son professeur. Vraisemblablement, il n’était pas le seul à s’interroger sur la provenance de son interlocuteur.

— C’est gallois. Ça veut dire « forteresse blanche » quelque chose comme ça, si je me souviens bien.

Il eut un haussement de sourcils amusé. L’étymologie des prénoms n’était jamais pertinent, à ses yeux.

— Et toi ? Von Meissen n’est pas vraiment ce qu’on pourrait qualifier d’irlandais tout comme tout allemand parfait en cours. Père allemand et mère irlandaise ?

La question était inoffensive, sur le ton du bavardage sans grande importance. Le genre de papotage qui n’avait peut-être pas lieu d’être à cette heure de la nuit, après cette entorse au règlement. Il venait après tout de lui mettre une retenue et lui enlever une quantité ridicule de points mais il préférait bavasser de choses triviales comme leurs origines respectives. Teodora indiqua alors avoir eu une brève expérience en décembre et se demanda si cela pouvait aboutir à d’autres dates. Il n’y avait pas de raison, pensa-t-il. Elle avait sûrement été remarquée si sa prestation était aussi impeccable que celle improvisée à l’instant. Il s’en voulut alors de ne pas avoir gardé plus contact avec les gars de son groupe. Son mariage désastreux l’avait complètement isolé du monde extérieur et il n’était pas sûr que ses anciens partenaires aient très envie de lui reparler après des années de silence radio. De plus, il aurait fallu que l’un d’entre eux ait continué dans la musique également. Après, il ne risquait pas grand-chose à essayer hormis un refus cuisant. Mais rien ne l’empêchait d’envoyer un mot dans l’esprit de « hé, j’ai trouvé une gamine qui est super douée, est-ce que tu veux voir ce qu’elle vaut ? » S’il pouvait permettre à Teodora de voler de ses propres ailes après Poudlard, il ne pourrait en être plus heureux. Décidé à mener l’enquête dès qu’il retournerait sur Londres, il entendit son élève faire un commentaire sur sa directrice de maison. Il eut un sourire amusé.

— Tu pourras lui dire que j’ai fait preuve d’une grande mansuétude envers son sablier. Elle se montrera peut-être plus indulgente envers nous.

Il eut un regard complice. S’amuser des professeurs ou des préfets était inoffensif. Tous deux manquaient de respect à personne. Sous-entendre que la professeure Griffith avait un tempérament volcanique n’était pas une insulte mais la simple vérité.

— Je serai bien le dernier à te reprocher de dire des taquineries. Tant que ce n’est ni désobligeant, ni injurieux, je n’irai pas cafter promis.

Elle semblait avoir entendu sa remarque car elle n’hésita pas à lui dire d’avoir un meilleur niveau que simplement décent. Il eut un rire franc quand elle suggéra l’idée d’une battle avec une autre élève. Décidément, Teodora voulait vraiment le pousser à se remettre dans la musique et elle allait très certainement y arriver. Malgré les apparences, Caerwyn aimait bien la compétition. Il trouvait cela stimulant tant que cela restait dans des proportions saines. La jeune Poufsouffle semblait pourtant avoir un besoin de s’épancher, ou peut-être était-elle simplement bavarde, racontant dans un flux continu comment elle apprenait à plusieurs de ses camarades le solfège et les instruments. Son professeur se demanda alors simplement ce qu’elle faisait à perdre son temps à Poudlard et il se doutait qu’elle devait aussi se poser la question. La sorcellerie n’était clairement pas son truc, la musique était indubitablement le seul but, le seul objectif de sa vie. Au diable les potions, les enchantements et le reste. Qu’elle ait ses BUSE en potions l’année prochaine, il s’en moquait désormais. Son seul objectif était de lui trouver rapidement des contacts (malgré son réseau plus que restreint) afin qu’elle puisse rapidement voler de ses propres ailes. Son coven l’aiderait certainement, également. Du moins l’espérait-il. Rapidement, elle mentionna de retranscrire les partitions de la batterie lors de la retenue, chose à quoi il répondit :

— Oh non, non, non, t’embête pas avec la batterie, sauf si tu as vraiment envie de te lancer un défi. On verra avec la guitare simplement pour commencer. Sauf si c’est trop facile pour toi et que tu as fini dès la première écoute.

Il eut un sourire amusé bien que légèrement désemparé : sûrement qu’il était en train de la sous-estimer. Après tout, elle enseignait à ses autres camarades, parvenait à mélanger les genres dans ses chansons, pourquoi se restreindrait-elle à seulement jouer de la guitare ? Il ajouta donc :

— À moins que tu ne saches jouer de la batterie également ? Après tout ce que tu m’as dit ce soir, cela ne m’étonnerait que moyennement. Seulement, ce sera plus difficile à faire descendre dans mon bureau dans les cachots. Et je ne suis pas certain qu’une retenue dans la salle de musique soit vraiment très pertinent pour une punition, surtout pour toi. Cela dit...

Toujours souriant avec complicité, il haussa finalement les épaules. Après tout, c’était lui qui lui avait attribué la retenue et lui qui allait la superviser. Ses collègues pourraient râler autant qu’ils veulent (surtout une) sur le manque de sérieux de cette retenue, ils auraient dû arriver en premier au sommet de la Tour d’Astronomie. Cela n’aurait pas été très difficile s’ils avaient été un tant soit peu motivés, vu l’effort moral et physique que cela avait demandé au professeur de potions.

L’adolescente se prêta à la discussion sans rechigner. Peut-être valait-il mieux satisfaire la curiosité du professeur et le caresser dans le sens du poil plutôt que de se fermer et d’éventuellement l’irriter et lui faire changer d’avis concernant la retenue. Cependant, Bevans ne comprenait pas bien cette histoire de coven. Il savait ce que c’était, mais ne parvenait pas à expliquer pourquoi la jeune Teodora en faisait partie. Elle ne parlait pas de ses parents au passé, ce qui pouvait laisser sous-entendre qu’ils étaient toujours vivants. Peut-être étaient-ils très souvent absents, en déplacement quelconque aux quatre coins du monde et ne pouvaient pas s’occuper de leur fille ? Finalement il eut la réponse, donnée par son élève elle-même : sa mère travaillait dans ledit coven. Il acquiesça la tête. Oui, ces regroupements de sorcières se faisaient surtout quelques siècles auparavant et si cela avait des allures de sectes païennes aux yeux des Moldus, cela permettait surtout à ses individus de se retrouver et parfois même de se protéger des éventuelles chasses. Maintenant, les choses avaient changés et heureusement, et Teodora semblait même y avoir trouvé sa voie. Et si cela lui permettait d’esquisser son univers sonore unique, alors c’était encore mieux.

Cependant, il avait bien noté le ton hésitant de Teodora tandis qu’elle parlait de sa famille, comme si cela la gênait. Pourtant, Bevans avait juste demandé leurs origines, pas spécialement d’entrer les détails même si ce n’était qu’en surface. Rapidement, elle en était revenue à parler des cours de guitare. Elle était sûrement pudique à ce sujet et préférait rapidement retourner dans sa zone de confort : la musique. Il eut alors un sourire amusé lorsqu’elle aborda le fait de passer sous le radar et ainsi éviter le courroux de l’intraitable professeur de Botanique. Il n’était pas certain que baisser la tête pour éviter de se faire remarquer soit la meilleure stratégie à adopter. De plus, il était impossible que même cloîtrée dans ses serres, la directrice de Poufsouffle n’ait pas entendu le concert improvisé de son élève. Oui, elle avait transgressé les règles du couvre-feu, mais il espérait vraiment qu’elle se rende compte du potentiel de Teodora et la laisse s’exprimer plus librement à l’avenir. Au moins, avait-il pu la laisser continuer quelques minutes de plus et aurait tout le loisir de lui en montrer plus durant cette retenue qui commençait à avoir des allures de blague d’un point de vue discipline. Il acquiesça de la tête même s’il savait que Teodora aurait sûrement droit à son petit mot courroucé.

Elle indiqua alors que retranscrire seulement la guitare allait certainement être facile. Surtout que ce qu’il écoutait n’était pas vraiment du Joe Satriani ou du Jeff Beck. Il rajouta ceci à sa liste de choses à faire pour la prochaine fois qu’il irait à Londres : trouver des albums de grands guitaristes comme les deux cités. Cela permettrait à Teodora de découvrir d’autres choses (peut-être qu’elle les connaissait déjà cela dit) et parfaire sa maîtrise de la guitare. Après tout, l’instrument n’avait pas un but rythmique dans leurs morceaux mais était vraiment en premier plan. La retranscription en une fois semblait donc ardue sauf si le deuxième prénom de Teodora était Mozart. Elle mentionna alors une chanson qu’il ne connaissait pas bien. Mais au vu du bref résumé qu’elle en fit, c’est-à-dire qu’elle suivait apparemment une logique mathématique, il ne doutait étrangement pas de sa complexité. Curieux, il dit :

— Je ne la connais pas, tu me feras écouter à l’occasion, si tu veux bien.

Il était toujours curieux de découvrir de nouvelles choses. S’il détestait l’ignorance, il savait qu’il était impossible de tout connaître également. Ne pas hésiter à s’ouvrir était quelque chose de très important à ses yeux. Il eut alors un sourire amusé lorsqu’elle avoua ne savoir jouer que de la guitare. Voilà peut-être un défaut de sa fougueuse jeunesse. Il dit alors :

— Tu devrais peut-être apprendre d’autres instruments, en réalité. Pas forcément la batterie, bien sûr, mais être touche-à-tout serait un grand plus, ne serait-ce que pour élaborer des mélodies. Je suis sûr certain que ça pourrait aider. Et puis, je pense qu’avec les facilités que tu as, cela ne devrait pas être très compliqué pour toi.

Après, il ne s’agissait que d’un conseil amical. Elle avoua alors être motivée pour retranscrire tout le détail d’un morceau, signifiant que cela l’aiderait à mieux comprendre comment mieux jouer avec les autres membres de son groupe. C’était très noble de se lancer des défis comme ceci et Bevans chercha un morceau à lui faire jouer pas trop compliqué. La retenue allait certainement durer plus d’une heure à ce rythme et le but n’était pas de l’enfermer indéfiniment non plus. S’il n’aurait eu aucun remord à séquestrer Dmitri et ses commentaires déplacés plus que nécessaire, Teodora serait évidemment mieux traitée. Elle pourrait s’arrêter lorsqu’elle le déciderait.

— Connaître le morceau à l’avance peu aider en effet.

Les yeux rieurs, il reprit :

— Je vais essayer de te trouver quelque chose qui ne soit pas trop difficile à retranscrire, surtout si tu veux retrouver la batterie, la basse, etc. Cependant, je ne pense pas avoir avec moi des partitions pour tous les instruments d’une chanson.

Pensif, il se dit que son petit voyage à Londres semblait maintenant urgent. Il reprit :

— Sinon, on fait comme on a dit, c’est-à-dire, tu essayes de tout faire à l’oreille. Rien ne nous empêche de voir si cela correspond à la solution. La recherche et le tâtonnement, c’est formateur également.

Il eut un sourire encourageant même s’il n’était pas certain que c’était une façon de procéder qui allait correspondre à la Poufsouffle. Pourtant, il n’y avait rien de plus pédagogique à ses yeux que de trouver soi-même le chemin à un problème. Comprendre ce que l’on faisait et pourquoi encrer profondément le cheminement dans l’esprit. Quelques fausses notes n’avaient, de toute façon, jamais tué personne à sa connaissance et ils ne comptaient pas faire cette retenue en étant branchés sur les enceintes de l’école.

La jeune adolescente semblait surprise que son professeur n’ait pas entendu parler du groupe qu’elle avait mentionné. Bevans n’était pas un expert non plus, il y avait des choses qui lui manquaient et reconnaître son ignorance ne le dérangeait pas. Cela lui permettait de découvrir d’autres choses plutôt que de se fermer par orgueil. Néanmoins, Teodora semblait partante pour lui faire découvrir maintenant et se lancer à nouveau dans un petit concert privé. Surpris, il haussa les sourcils avant que la jeune fille se rende compte d’elle-même que ce n’était pas forcément raisonnable vu l’heure et le contexte. Bevans acquiesça de la tête avec un sourire amusé.

— Ah non, pas maintenant, non. On va avoir des problèmes sinon. Tu peux commencer à ranger tes affaires d’ailleurs.

Ils traînaient un peu trop, il était vrai. Ils auraient tout le loisir de bavarder tranquillement pendant la retenue ou tout simplement quand le soleil serait levé. Ils seront ensemble dix mois dans l’année, ce ne sont pas les occasions qui manqueront. De plus, il se demanda si la directrice de Poufsouffle n’allait pas attendre son élève devant la salle commune pour la réprimander. Si elle les attendait depuis la fin du concert, elle allait pouvoir passer deux savons pour le prix d’un. Mais il osa espérer qu’il y avait peu de chances que cette situation se produise. Après tout, Teodora avait été pris en charge par un professeur, il n’y avait aucune raison que sa collègue ne tente de saper son autorité.

Néanmoins, Teodora sembla plus réfractaire à l’idée d’apprendre un autre instrument de musique, trahie par une petite moue embêtée. Pourtant, cela ne pouvait être que bénéfique pour son expérience personnelle. Entraîner ses doigts et ses oreilles à comprendre le fonctionnement d’un piano n’avait pas grand-chose à voir avec une guitare. Cela dit, s’il s’était permis de donner ce conseil, lui-même ne l’avait pas appliqué dans sa jeunesse. Trop tête brûlée, peut-être, avide de frapper fort et partir loin et d’oublier cette adolescence qu’il avait détesté. Peu importait maintenant. Il trouverait tout le temps qu’il lui faudrait si l’envie lui prenait d’essayer à autre chose que la batterie. Elle avoue d’un air penaud qu’il allait lui manquer du temps pour faire tout cela et il eut un sourire doux.

— Ce n’est vraiment pas une obligation, ne t’en fais pas. Maîtriser la guitare comme tu le fais suffit largement.

Est-ce que les grands compositeurs classiques savaient jouer de tous les instruments dans leur orchestre philharmonique ? Mozart peut-être mais les autres, Bevans en doutait. Une vie n’aurait pas suffi à tout maîtriser à la perfection. Teodora reprit, avouant retranscrire souvent à l’oreille par manque de moyens financiers pour s’acheter des partitions et n’allant guère dans le monde moldu pour s’en procurer. Il était vrai que cela avait au moins le mérite de l’entraîner à la dur. Elle enchaîna en comparant la musique à la cuisine. Que la recette pouvait différait de celle de base et que le résultat pouvait être tout aussi intéressant, voire meilleur. Il acquiesça, trouvant sa réflexion pertinente. Oui, elle pouvait retranscrire à l’oreille et même si elle se trompait deux trois notes, cela pouvait amener à une nouvelle mélodie efficace.

— Je suis d’accord avec toi. Tu me diras ce que tu veux faire au pire, je veux pas te mettre la pression. Je te choisirai deux trois morceaux, tu choisiras celui que tu veux, d’accord ?

Il eut un sourire amusé. Il repensa à la retenue Dmitri où il lui avait également laissé le choix de choisir la potion qu’il allait réalisé. Il espérait cependant que l’ambiance soit drastiquement différente. Il ouvrit la porte de la salle et l’invita à passer devant. Il était bien largement le temps de retourner gentiment dans sa salle commune désormais. Pourtant, il ajouta :

— Tu sais, je crois que l’oreille absolue se travailler Il me semble avoir attendu dire que même si certains étaient nés avec, d’autres ont réussi à l’acquérir.

Il eut alors un sourire taquin.

— Je peux essayer de te trouver un retourneur de temps à l’occasion, si tu veux. Oh et si tu veux des partitions qu’on trouve chez les Moldus, dis-le moi. Un de ces jours, il faudra que je retourne à Londres donc n’hésite pas à me faire une liste de ce que tu veux.

Il haussa les épaules avec nonchalance.

— Au pire, tel un mécène, je pourrais dire que je contribue au club de musique.

Il conserva son sourire et désigna de sa main libre le cadran ouvert de la porte.

— Après toi.

Après un coup d’œil, il vérifia que tout était rangé correctement dans la salle et referma la porte après eux.

Teodora semblait être le genre d’individus qui aimait les défis. Haussant nonchalamment les épaules, elle avait rétorqué que la difficulté ne lui faisait pas peur. Peut-être que son professeur l’avait sous-estimée. Dans le pire des cas, à l’instar de Dmitri, il lui préparerait plusieurs morceaux à retrouver. Si l’un était trop difficile, elle pourrait toujours changer. Il ne voulait surtout pas créer chez elle de la frustration. Le but était de la faire progresser et non la dégoûter. De plus, il ne la connaissait pas très bien encore. Du moins, ce visage d’elle, la combative, la motivée. En cours, elle était une toute autre élève, peu concernée, presque défaitiste à certains moments. Il pouvait aisément comprendre que les potions ne soient pas sa tasse de thé. Malheureusement, il en restait le professeur et les gens de la haute, ceux du Ministère, attendaient à ce que tout le monde ait le même niveau en tout, faisant fi des capacités, des facilités et des difficultés de chacun. Peut-être que les parents de Teodora attendaient de bons résultats également. Bevans se mit donc en tête qu’il devait peut-être être un professeur un minimum consciencieux et se préoccuper du parcours scolaire de ses élèves plutôt que de s’improviser mécène en deux minutes. Il acquiesça alors lorsqu’elle voulut s’assurer qu’il avait bien compris ce dont elle parlait concernant l’oreille absolue. Au moins la jeune fille connaissait son sujet.

Tandis qu’elle enfilait sa guitare sur le dos, elle sembla alors presque timide, comme si Bevans venait de lui proposer la Lune. Surpris et intrigué, il fronça doucement les sourcils. Avait-il dit quelque chose qui ne fallait pas ? Finalement, non, ce qu’il avait pris pour du renfermement n’était finalement qu’une gratitude honnête. Recouvrant son sourire, lui tenant la porte, elle semblait presque confuse devant la proposition du professeur, comme si elle était sur le point de décliner. Cela n’était pas si indécent d’aller lui chercher des partitions non ? Bien moins indécent qu’une bouteille de vin d’une valeur de 300£ bue négligemment au goulot. Il haussa les épaules avec un sourire. Il ne roulait pas sur l’or mais n’ayant plus vraiment de loyer ni de frais alimentaires à payer, il pouvait se permettre ce petit don généreux pour cette élève. Avant qu’il n’ait pu la rassurer sur le remboursement, elle enchaîna, indiquant souhaiter un morceau d’un groupe allemand. Caerwyn en connaissait quelques-uns. Surtout un en particulier. Un de ses préférés qui plus est. Il nota néanmoins la petite hésitation de Teddy dans sa voix. Voulait-elle parler de son père ? Il y avait décidément quelque chose de particulier dans la famille de la jeune Poufsouffle mais ce n’était pas à lui de creuser davantage. Du moins pour l’instant. Il lui emboîta le pas, commençant à descendre avec elle les marches de cette maudite tour qu’il détestait toujours autant.

— Ne t’en fais pas, tu me dois rien. Et puis, rien ne presse, si tu veux voir avec tes camarades pour établir une liste, fais-le.

Il lui faudrait au moins attendre le début du mois prochain pour pouvoir aller à Londres de toute façon. Néanmoins, il vit une occasion de palier à son manque de responsabilités professorales et finit par dire :

— Cependant, je pense que tu sais qu’on a rien sans rien. J’aimerais que tu fasses quelques efforts en potions. Je te demande pas de tout réussir du premier coup, non. Mais des efforts, simplement.

Il pourrait préciser que cela signifiait de moins papoter avec sa camarade Maximilianna. De se concentrer un peu plus plutôt que de partir perdante dès le début. Continuant de descendre les escaliers, il ajouta :

— Et puis, si je trouve que tu fais non seulement des efforts mais qu’en plus ils sont conséquents, peut-être que je pourrais m’arranger pour que tu puisses répéter dans la salle de musique après le couvre-feu.

Ce n’était pas grand-chose mais si cela pouvait pousser Teodora à se motiver sur son cursus scolaire, tout était bon à prendre. Ce n’était pas du chantage : si elle continuait comme elle le faisait, il n’y aurait aucune conséquence. Bevans préférait de toute façon les félicitations et les récompenses que la culpabilisation et les punitions. Et puis, il n’était pas dupe. Rares étaient les élèves qui dormaient à 23h passées. Il aurait juste à regarder l’emploi du temps de la Poufsouffle et de ses camarades afin d’établir le soirée où cela serait le moins dérangeant.