Sans doute le hasard faisait-il bien les choses, mais en l’espèce, celui-ci n’avait guère avoir à faire dans le quotidien de Wenceslas. Jack était de ces personnes qui forçaient le destin, le mettant au pied du mur jusqu’à forcer les forces de la nature elle-même à aller dans le sens qu’elle désirait. Ce devait être pour ça qu’elle était botaniste ; quoi de plus logique pour une femme qui aimait tout contrôler, y compris l’incontrôlable ? En comparaison, même le morose ancien langue-de-plomb semblait être d’une simplicité enfantine à convaincre. Il n’était pourtant pas homme à se laisser porter si facilement et d’ordinaire, il aimait à rester loin des évènements comme celui d’aujourd’hui. Adolescent déjà, la Saint-Valentin ne l’intéressait nullement... ce n’était pas passé la cinquantaine, célibataire endurci et géniteur raté, qu’il allait se découvrir une âme à l’eau de rose. Non, bien sûr.

Et pourtant, il achevait de boutonner son veston de costume, prenant la direction de la grande salle non point pour surveiller les élèves mais pour s’attabler avec une personne qui n’avait rien à envier à l’ancien basilic de la chambre des secrets. Elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix, de toute façon ; Jack savait se montrer très incisive et le regard insistant qu’elle lui avait servi chaque fois qu’un élève avait le malheur de parler de la saint-valentin avait achevé le professeur de l’y inviter. Il était un ancien serpentard, après tout : le courage n’était pas sa qualité principale et cela paraissait plus simple et tranquille de l’y accompagner que de supporter la frustration de son aînée les jours suivant. Malgré tout, il l’appréciait, cette folle femme. En sortant d’Azkaban, elle seule avait été capable de retrouver une vivacité que lui avait définitivement perdue quelque part entre le département des mystères et la Corée. Jack mettait un peu de féminité dans son quotidien, alternant entre distraction, recherches et alcools. Un bon cocktail. Sans compter qu’il s’amusait autant qu’elle, si ce n’était plus encore, d’imaginer les élèves élaborer tout un tas de théories sur les professeurs. Les adolescents semblaient trouver un peu de plaisir à parler de leurs enseignants après tout – sinon pourquoi quelqu’un prenait-il le risque de placarder de doux mots à l’égard du directeur de maison de serpentard ?

Arrivé devant les portes de la grande salle, Wenceslas dépassa deux élèves – un peu déçu tout de même de constater que mademoiselle Paulet ne semble pas être escortée par Appleton junior – pour gagner l’accueil que leur réservait les elfes de maison de Poudlard. L’un d’eux, le reconnaissant, l’alpagua pour le mener directement à sa table. Emboitant le pas de la créature, il scruta avec un intérêt non dissimulé les quelques couples qui commençaient à se former pour la soirée dans les différents box ; le professeur d’étude des moldus était déjà attablé, seul, l’air quelque peu hagard. Le plus âgé le dépassa sans ralentir le pas, gagnant son propre box où il y découvrit une Jack bien différente que celle qu’il avait laissé la veille, après leurs travaux botaniques.

- Myrthilde, voyez-vous ça... s’annonça-t-il en approchant d’elle, un sourire franc venant recouvrir son visage. « Je me disais bien que c’était étrange que Jack soit si ponctuelle. »

Il aimait bien sa collègue d’histoire de la magie ; c’était une femme sérieuse, un brin mystérieuse mais qui ne rechignait jamais à sortir des sentiers battus pour ses cours. C’était bien pour ça qu’il avait fait un cours commun avec elle ; non seulement enseignante, elle demeurait encore et avant tout une chercheuse.

- Que me vaut cette agréable surprise ? Jack a pris peur et a demandé que tu prennes sa place ?

Ça ne lui ressemblait guère.

L’elfe, visiblement heureux de constater que les deux partenaires s’étaient trouvés et ne posaient pas de souci, s’éclipsa sans demander son reste. Peut-être craignait-il que l’erreur ne lui retombe sur le coin du museau.

Myrthilde avait sorti le grand jeu des couleurs, tranchant dans le décor à côté des élèves et professeurs qui, pour beaucoup, s’était paré de costumes et robes plus élégants. En cela, Wenceslas ne faisait guère exception à la règle, quoiqu’il n’eût pas énormément changé ses coutumes vestimentaires : un costume trop pièce sobre, comme l’on pouvait s’y attendre de sa part. Il n’était généralement pas homme appréciant les excentricités sur lui ; sur autrui, en revanche, il s’en moquait éperdument, pourvu que ça ne soit pas un élève durant son cours. Question de sécurité élémentaire. Ce qui était plus surprenant de la part de sa collègue, en revanche, était la rose glissée dans sa chevelure ; c’était on ne peut plus dans le thème, il fallait lui accorder ça.

- Diantre, tout Poudlard va finir par écorcher mon prénom si je baisse trop la garde.

Voilà longtemps qu’il avait abandonné toute velléité de faire rentrer dans le crâne de l’ancienne poufsouffle comment il s’appelait ; désormais Wensley était devenu le seul surnom amical qu’on lui prête. Et encore, nul ne s’était trop risqué à l’imiter. Wenceslas ou Aylmer, c’était encore ce qu’il y avait de mieux.

- Si j’avais su, je serais venu avec une rose en boutonnière, commenta-t-il en souriant.

Sans doute Jack aurait-elle appréciée également, avant de râler parce qu’il n’avait pas pensé à lui en rapporter une. Il était un peu rouillé, d’ailleurs, comparé à Jaimie qui semblait avoir sorti le grand jeu – et les bouteilles – pour accompagner la soirée. Le pauvre, tous ces efforts pour se retrouver avec la terrible botaniste.

- Peut-être devrions nous prévenir les secours qu’ils seront bientôt requis à leur table ajouta-t-il en croisant les jambes, s’installant bien confortablement dans le fauteuil. Lui n’était en tout cas pas prêt de bouger : il perdait son ancienne co-détenue pour une collègue tout aussi appréciable, il n’avait pas à se plaindre. « Eh bien, je suis ravi de devoir me contenter de toi... mais j’espère que ne prend pas une place trop importante pour Jaimie ? Risque-t-il d’être jaloux ? »

Chassez le naturel, il revient au galop. Les deux enseignants avaient à peu près le même âge, après tout, il ne serait pas si absurde qu’ils se tournent autour réellement. Ça ne serait pas la première fois que des collègues finissent ensemble... et depuis qu’il savait pour Fergal et Septimus, plus rien ne pouvait le surprendre.

Un rictus se dessina sur les lèvres de l’ancien langue-de-plomb à l’évocation de ce qu’il avait fait durant l’un de ses cours.

- Les nouvelles vont vite, à ce que je vois. Les élèves avaient dû en parler dans les couloirs ou en attendant d’entrer en salle de classe, se plaignant du grand méchant Aylmer. « Malheureusement, je crains qu’il n’y ait plus beaucoup de fous pour se risquer à envoyer des petits mots durant mes cours. »

En tout cas, il doutait qu’Appleton le fasse... quoiqu’il ne fût pas le plus futé du lot, mieux valait s’attendre à tout avec lui.

À son tour, l’adulte porta un regard sur les fioles disposées sur la table, à proximité de leurs verres. Jusqu’à présent, il ne s’était guère plus intéressé que ça à la présentation de la table. Les deux étaient identiques, indiquant qu’elle comportait une « potion de révélation ». Compte tenu du caractère du nouveau maître des potions, l’initiative ne venait sûrement pas de lui ; la potion était plus probablement liée au bazar qui l’avait conduit jusqu’à la table de Myrthilde. Celle-ci dénigra sagement le liquide inconnu pour en sortir un autre de sa poche.

- Plaît-il ? Une expression surprise passa sur le visage du né-moldu. « Peut-on revenir en arrière quelques secondes... Jaimie aime les potions de confusion ? Il cache bien son jeu, dis-donc. »

Wenceslas prit la potion de révélation mais sans faire mine de la boire. En bon adulte prudent à l’excès, il n’escomptait pas le moins du monde prendre le risque de boire un liquide préparé par un inconnu sans avoir de moyens d’en connaître le contenu. Il glissa la fiole dans une poche de sa veste de costume ; en rentrant dans son bureau, il comptait bien vérifier ce qu’elle contenait réellement. Quoiqu’il arrive, d’ailleurs, il valait mieux en garder un échantillon, dans l’hypothèse – malheureuse – où un élève rencontrait un souci avec.

Le professeur de sortilèges laissa un instant la proposition de sa collègue en suspens, donnant l’impression de peser le pour et le contre, mais capitula finalement :

- Si je ne pouvais supporter de temps à autres les bruits parasites, je serais encore au département des mystères et non dans une école. Ses doigts saisirent son verre, sans le soulever. « Et quelques indiscrétions ne font jamais de mal. Il en va même de la sécurité des têtes blondes de cette école ; je doute que tous les binômes malencontreusement formés ne soient aussi heureux que le nôtre. »

Une bien belle excuse pour justifier une telle distraction... mais il n’y avait pas de raison que ce soient toujours les élèves qui aient le plaisir des ragots.

- Peut-être qu’ainsi je trouverais mon admirateur secret du panneau d’affichage, qui sait ?

Wenceslas s’en amusait mais la vérité était qu’à l’exception de Jack – pour laquelle il avait tout simplement renoncé voilà bien longtemps à lui faire intégrer la bonne prononciation de son prénom – il n’aimait guère l’idée de se voir affublé d’un petit nom différent de ceux qu’il avait déjà. En cela plus élégante que la botaniste, Myrthilde ne s’aventura pas à vouloir lui imposer une nouvelle appellation, restant sur un très traditionnel « Wenceslas » prononcé sans les approximations de la directrice de poufsouffle. Un bon point pour l’historienne qui fit sourire l’ancien langue-de-plomb. Son sourire se mua en un rire léger quand elle extirpa sa rose des cheveux pour lui en dupliquer un exemplaire.

- Ce n’est pas Jack qui m’aurait offert une rose, merci dit-il en la prenant pour la glisser en boutonnière sur son costume. C’était un accoutrement assez inhabituel sur le vêtement de l’homme mais elle lui conférait une allure légèrement moins formelle, sûrement plus adaptée à une Saint-Valentin.

À vrai dire, il était bien incapable de dire si sa collègue botaniste était susceptible de lui offrir une rose ou non ; avec elle, il s’attendait toujours à tout et rien à la fois, conscient qu’elle prenait un malin plaisir à aller à l’encontre de ce que l’on pouvait imaginer. Sans doute que si elle avait dû lui faire pareil cadeau, son choix se serait porté sur une rose ensorcelée pour diffuser un parfum aphrodisiaque. À côté, Myrthilde pouvait presque paraître pour traditionnelle malgré une certaine excentricité dans ses choix vestimentaires ; la différence d’âge jouait peut-être son rôle là-dedans. Mine de rien, Wenceslas était beaucoup plus vieux que l’historienne ; rien d’anormal donc qu’elle ait un comportement différent avec lui, tout comme lui-même ne la considérait pas tout à fait de la même manière que son aînée de poufsouffle. D’ailleurs, c’était bien avec le professeur d’étude des moldus, bien plus de sa génération, qu’elle était supposée venir, pas le morose langue-de-plomb.

- N’est-ce pas ce qu’il a raconté à notre petite réunion de début d’année ? Une histoire de potion de confusion et d’effet déconcertant ? lui rappela-t-elle, évoquant une révélation qui semblait avoir quitté son esprit sitôt la salle des professeurs derrière lui.
- Par Dumbledore, c’est vrai !

Quoiqu’il en soit, elle n’avait pas tort : en bon ancien gryffondor, il devait avoir la bravoure – ou la bêtise – de boire la première potion venue sans chercher à en savoir plus.

- Très juste. C’est à se demander comment les gryffondors atteignent la majorité.

Entre serpentards, il pouvait se permettre de rire un peu du caractère trop empressé de leurs ennemis naturels... quoique Myrthilde n’avait-elle peut-être pas dû connaître la même scolarité. Autrefois, les serpents et les lions se regardaient en chiens de faïence mais aujourd’hui, les différences entre maisons semblaient plus poreuses, ce qui n’était finalement pas plus mal. Il avait toujours trouvé l’idée de répartir des enfants si jeunes dans des groupes différents selon un prétendu caractère ridicule : ils étaient encore immatures et n’avaient pas eu le temps de se construire suffisamment, cela ne faisait que les enfermer dans un cercle social trop fermé. Sa propre maison était en l’espèce très symptomatique du problème : les sang-purs puristes y étaient envoyés parce qu’originaire d’une famille qui cherchait à s’isoler du monde, réduisant ainsi les chances des chérubins de se sortir de ce carcan.

Capitulant finalement à l’appel de la fouine, Wenceslas se laissa tenter par le philtre de sa collègue, conscient qu’elle n’était pas la plus irresponsable des membres du personnel et qu’il pouvait attendre d’elle qu’elle soit un tant soit peu prudente quant à ce qu’elle ingérait. Elle s’en servit d’ailleurs une bonne rasade – quelques gouttes donc – avant de lever son verre pour trinquer avec lui.

- A notre surveillance assidue, confirma-t-il en levant le sien, avant de boire à son tour.

Si Jack savait se montrer surprenante, Myrthilde n’était pas en reste, comme en témoigna son geste et le cadeau qu’elle fit au plus âgé. La rose désormais épinglée sur sa veste, ils formaient presque un couple crédible, si l’on faisait abstraction du style vestimentaire diamétralement différent. Plutôt pudique, Wenceslas avait des goûts relativement classiques qui ne laissaient pas beaucoup de place aux couleurs et extravagances. La fleur était ainsi la seule touche qui venait rompre la monotonie de son costume gris sombre.

- Les épines, voilà qui lui ressemble bien, effectivement.

Peut-être pas empoisonnées, cela dit. Il avait la prétention de penser qu’elle l’appréciait suffisamment pour ne pas vouloir sa mort. Et ainsi, devant tout le monde... voyons, ça n’était pas elle. Elle était trop maline pour ça. C’était plutôt une attitude de gryffondor, ça. Braves mais pas toujours très futés, n’hésitant pas une seule seconde à foncer tête baissée au-devant du danger. À se demander comment ils faisaient pour tous survivre si longtemps ; sa collègue, elle-même une serpentard, avait d’ailleurs sa théorie, qui le fit opiner du chef.

- L’esprit généreux de Poudlard, j’imagine. Quoique je me demande si ça ne relève pas d’une forme de perversité que de parquer ceux qui ont le moins de chances de survivre à leur dix-septième anniversaires ensemble en comptant sur le bon sens de leurs camarades pour les aider à survivre.

Le choixpeau magique avait toujours été assez louche, finalement.

Les sens affutés par les quelques gouttes de philtre proposées par l’autre enseignante, Wenceslas se laissa quelques instants pour s’imprégner du bruit environnant, désormais accru par la potion. Les bruits de couverts semblaient plus imposants, puis finalement, quelques phrases se firent un peu plus distinctes. Après quelques minutes, il reconnut la voix de leurs deux collègues avec qui chacun était supposé passer la soirée.

- Il semblerait que mes oreilles se soient glissées dans la conversation de nos estimés pairs, déclara-t-il dans un sourire. « Je suis très heureux de pouvoir t’affirmer que Jack t’a en haute estime. Jaimie aussi, mais je pense que je ne t’apprends rien, s’agissant de lui. »

Une très belle femme érudite... ça n’était pas donné à tout le monde de se voir qualifier ainsi par la botaniste. Caerwyn n’avait pas eu autant de chances.

- Notre nouveau maître des potions, en revanche...

Effectivement, le pauvre homme n’avait pas l’allure qui correspondait le mieux aux standards élevés de Jack. Heureusement qu’il ne pouvait pas l’entendre.

- Et toi, qu’as-tu d’intéressant ? demanda-t-il.
- Je crains que la soirée ne finisse pas bien pour tout le monde.

Le né-moldu se fendit d’un sourire. Compte tenu des circonstances, il l’aurait sans doute deviné tout seul mais il semblait, à en juger le regard de l’historienne, qu’elle était tombée sur quelques paroles un peu plus croustillantes qu’un simple pressentiment.

- Des couples brisés par ces échanges malheureux de table ?

Il croisa les jambes, s’apprêtant à repartir en quête d’informations, mais celles-ci lui vinrent à lui plus violemment qu’il ne l’avait espéré ; un cri résonna dans la grande salle, accentué par la potion qui faisait encore effet dans le sang de Wenceslas. C’était la voix d’une de ses élèves de serpentard.

- Diantre, je vais devoir donner un cours de bonne tenue aux serpentards, ils ne savent vraiment pas se tenir, grimaça-t-il en faisant signe à un elfe de maison. « Allez dire à mademoiselle Mancini qu’elle peut rejoindre la chorale de l’école si elle veut s’époumoner mais qu’ici, elle ferait mieux de baisser d’un ton si elle ne veut pas avoir à travailler les sortilèges informulés durant les mois prochains. »

Peut-être devait-il réellement envisager de lancer un sortilège de mutisme à tous les élèves qui parlaient un peu trop en cours.