@Silas Jørgensen

No, I'll stand my ground - Fergal et @Silas Jørgensen

“Salut M’man, ça va?”
C’était le rituel, tous les week-ends de sortie à Pré au Lard, je passais un coup de fil à ma mère. Je ne m’interdisais pas de faire un petit passage chez moi si besoin les week-ends sans sortie si c’était nécessaire. Caitriona n’était pas une grande amatrice des hiboux, mais elle avait fini par s’y faire après plusieurs années à Poudlard. C’était mieux que pas de nouvelles, elle en convenait bien volontiers. Et elle détestait que l’un ou l’autre de ses enfants utilise la cheminée par surprise.
Nous échangions les banalités d’usage, météo humide, enfants turbulents, et cuisson du futur bébé à naître. Adossé au mur du café, je profite des derniers rayons du soleil. Il fait froid. Il y a du passage. Personne ne prête vraiment attention à moi. C’est parfait.

“D’ailleurs comment fait-on pour Noël cette année?”
Je n’avais pas vraiment réfléchi à cette question, mais compte tenu de la période de l’année, elle n’aurait pas vraiment dû me prendre au dépourvu.
“- Je n’ai pas encore pris de disposition. Il faut aussi que je demande à Moritz s’il veut passer le réveillon au château ou non. Je te dis ça rapidement.
- Ce serait bien oui. Bob sera là et j’aurais aimé pouvoir te le présenter. J’ai besoin de savoir qui vient.”
Je marque un temps de pause. Je suis censé savoir qui est Bob? Je cherche du fin fond de ma mémoire si elle l’a évoqué auparavant. Mais je n’ai pas le souvenir que ma mère est évoqué un homme en dehors de mon père depuis… bien longtemps et encore moins un homme qu’elle inviterait au réveillon de Noël en famille. Robert, du club de randonnée historique? Elle parlait surtout de ses copines.

“ - Mmmokay. Et c’est qui au juste Bob? Un de tes amis du club de randonnée?
- Oh je suis agréablement étonnée que tu retiennes le prénom de mes amis du club. On pourrait croire que nous avons des conversations.”
- Oui…relativement régulièrement à ma connaissance. Mais visiblement pas suffisamment pour savoir que tu as un petit ami. Il fait quoi Bob à part marcher?” Je ne sais pas trop ce qui me vaut une réplique aussi salée de la part de ma mère, mais je peux toujours tenter de plaisanter et de l’amadouer.
”- C’est un professeur d’Oxford. A la retraite. Passionnant tu verras. Pas suffisamment non plus pour savoir que tu as un petit ami.
Oh…tout s’éclaire. Merci Moïra. Ce n’était certes pas un secret. Mais il aurait peut-être mieux valu rester vague et me laisser faire non? Je n’ai pas le temps de répondre que j’entends le soupire agacé précédant les conversations désagréables.
”- Ta soeur a le droit de savoir, mais je suis trop rétrograde pour que tu daigne m’informer de ce qui se passe dans ta vie? Ou bien est-ce que tu fais tellement n’importe quoi que tu préfères t’éviter une conversation entre adulte?”
C’est à mon tour d’être agacé, voir franchement sur le cul. Elle s’est levée du pied gauche ou quoi? Qu’elle soit vexée ok, mais je n’ai pas douze ans et il ne tient pas vraiment à elle de juger ce que je dois faire de ma vie.
“ -Si Moïra avait eu la délicatesse de fermer sa petite bouche de commère, on n’en serait pas là. Jusqu’à il y a trente secondes, j’aurais discuter de la question avec plaisir, mais franchement maman : oui, je me passerai de tes commentaires à la con, avec tout le respect que je te dois. Tu sais quoi, à plus tard.
- FERGAL ARMITAGE NE T’AVISE PAS DE ME RACCROCHER AU NEZ.”
“- Pour te dire quoi exactement? te demander la permission? - Je ricane - ça n’arrivera ni dans cette vie ni dans une autre.
- A Dhia… Pour me dire ce que tu fais à Noël abruti.
- Mais j’en sais pas plus que toute à l’heure, t’es à deux personnes près?
- Pas trois donc.
- Je ne sais pas ce que t’as raconté Moïra au juste, mais non, pas trois. Un mec à la fois ça ira bien, priorité à Bob Random.” Oops, c’est sorti tout seul. Je n’ai rien contre l’idée que ma mère refasse sa vie, après tout, il est grand temps. Mais elle m’excusera, je n’ai pas forcément envie de devoir gérer la double rencontre. Et je crois que de toute façon, Septimus préfèrerait comme toute personne censée être n’importe où plutôt qu’à ce genre de repas.
“Bob Random, Ifrinn. Tu te moquerais pas un peu de moi, comment a dit Moïra, Septivon? Par pitié. Professeur Robert MacMurray. Et oui, je suis à deux personnes près.
- Pardon, Professeur Bob MacRandom. Eh bien je te dis ça dans la semaine… Il faut que je vois si je peux me libérer ou en tout cas, demander à quelqu’un de venir me chercher si besoin et…
- je t’arrête tout de suite. Il va falloir ralentir sur le vol de hibou. Il n’est pas sorcier. N’imagine pas transplaner, te jeter dans la cheminée ou je ne sais quel non sens. Tu t’assois et tu restes là.
- Je suis Directeur d’une école, avec des adolescents. Ce n’est pas la population la plus stable du Royaume-Uni.
- En ce qui nous concerne, tu es concierge dans un manoir sur les îles. Pas le genre de job avec une astreinte pendant les congés donc. Il est professeur, il ne va pas gober sans faire de recherche une histoire de Direction d’école top secrète.
- Ok… Eh bien autant que je ne vienne pas, parce que je ne peux rien te promettre. Sait-on jamais : je ne peux pas me permettre de laisser mes balais sans surveillance, si ma présence est requise.
- Très bien. J’ai hâte d’annoncer que mon fils a plus important à faire avec ses balais que d'être présent à Noël.
- Franchement maman, autant m’excuser de mon travail auprès de papa, c’était une habitude, mais venant de toi, disons que la déception est partagée. Désolé de ne pas être assez bien pour le professeur. Il faut pourtant bien des gens pour balayer son bureau. Je te laisse. Il commence à y avoir du monde et je pense que t’as besoin d’aller passer ton stress pré-fête sur quelqu’un d’autre. Je suggère Evrard ou un punching-ball. I'm out.”

J’ai très envie de casser un truc et de laisser s’échapper la pression de l’appel. Je sais très bien que les fêtes sont un gros enjeu pour ma mère… Que ce n’est pas facile pour elle de savoir que je suis proche mais en même temps relativement inaccessible. Mais je n’étais pas vraiment prêt pour cette conversation et cette avalanche de piques à mon égard. Peut-être que j’aurais dû transplaner et discuter de vive voix. Mais elle m’avait coupé tout envie de l’écouter à vrai dire. Je m’apprête à aller chercher une Bière à l’intérieur quand je croise le regard de Silas.

Est-ce qu’il a…assisté à cette merveilleuse scène digne de la plus grande maturité ? On a toujours l’air con quand on se prend la tête avec ses parents… Et ce peu importe l’âge. Et surtout…Qu’est-ce qu’il a entendu exactement ? Je ne crois pas avoir corrigé ma mère sur le nom de Septimus. De toute façon, l’ensemble de la conversation était gênante.
Je range mon téléphone qui vibre d’un texto de ma mère qui s’excuse et me demande de la rappeler. Je lui réponds un « plus tard, je suis avec des élèves. » laconique. Je n’ai pas vraiment l’énergie requise pour être aimable avec elle.

« Silas, ça fait longtemps que vous êtes là ? Excusez-moi, je ne vous avais pas vu. Vous me cherchiez ? »
Ce n’était pas une hypothèse improbable dans la mesure où nous entretenions un lien particulier depuis la rentrée et que nous n’avions pas vraiment eu beaucoup l’occasion de rediscuter de son entretien avec la protection à l’enfance.
« Je m’apprêtai à aller boire un verre ou à faire un tour, je ne suis pas encore décidé… » dis-je avec un sourire, l’invitant à se joindre à moi si nécessaire.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ Coup sur coup, l’échiquier avait volé en éclats. Silas se pensait suffisamment solide pour encaisser sans jamais céder ; hormis quelques fissures, éventuellement. Et s’il n’était pas suffisamment solide, restait son obstination sans égale – tête dure comme le métal qui luisait au fond de ses yeux perçants lorsqu’il avait décidé d’emprunter un chemin et non un autre. Mais à cet enchaînement de coups-là, il n’était pas préparé. Le premier uppercut lui avait coupé le souffle – famille qui vole en éclats –, puis le second coup en plein plexus solaire avait vidé l’intégralité de ses poumons sans lui laisser une seconde l’espoir de reprendre sa respiration à la surface de ce lac – révélation, amitié sous pression – dans lequel il se noyait. Sonné, le jeune homme était resté sous le choc durant plusieurs jours ; grise mine, teint cendreux, orbites qui avalent l’éclat des yeux. Un ou deux kilos s’étaient évaporés dans l’inertie terrible qui l’avait cloué au lit. Prétendre la douleur était un bon prétexte pour ne pas affronter cette vérité qu’il avait pourtant réclamée ; vérité qui en avait bousculé une autre, comme des dominos valsant dans la lueur d’un crépuscule arrivé trop tôt. Il avait tout dégueulé sans plus rien retenir : la vérité, son identité, ses peurs et ses rêves. Vidé de sa substance et, d’une certaine façon, de ses peurs les plus intimes, il avait erré un long moment dans les limbes d’un cauchemar éveillé qui lui bouffait le bide et lui grignotait les méninges sans remords. Allongé dans ce dortoir dont il finissait par connaître par cœur les détails des moindres paréidolies perçues dans le bois des poutres, il avait eu une éternité pour réfléchir.
‎‎ ‎ Aujourd’hui, c’était la première fois qu’il remettait le nez dehors ; soigneusement couvert d’une large et chaude écharpe aux couleurs de Serdaigle. Juché sur un Bane fidèle au poste, il s’était laissé porter vers le village qu’il avait la permission d’arpenter pour la journée. Dash s’était encore coupé en deux pour avoir le temps de flâner avec Daisy et Aisling tour à tour, ce à quoi son meilleur ami ne s’était pas opposé – plutôt soulagé d’avoir l’occasion de se promener seul. Il avait bien sûr prétendu qu’il retrouverait des potes – Teddy peut-être, ou Saige –, mais il n’avait aucune envie de prétendre que tout allait bien ou, pire, d’être interrogé sur son état de santé. Il voulait juste qu’on lui foute la paix. Est-ce qu’il aurait le droit de souffler, juste une journée ? Il lui semblait avoir besoin d’une éternité supplémentaire pour digérer cette vie qui lui filait entre les doigts sans qu’il n’y puisse rien.
‎‎ ‎ Des éclats de voix familiers chatouillèrent son oreille, mais il n’y prêta pas vraiment attention, trop occupé qu’il était à fixer la neige épaisse qui ne s’effaçait pas même sous les dernières attaques du soleil avant sa révérence. Il se sentait bizarre ; aussi calme et blanc que cette poudreuse qui craquait sous les pattes griffues de son ronronroulant. La rage qui l’animait habituellement avait déserté le vaisseau pour rejoindre le vide de l’espace, aspirée par des étoiles explosées ou un trou noir déjà formé.
‎‎ ‎ “Si Moïra avait eu la délicatesse de fermer sa petite bouche de commère, on n’en serait pas là” gronda une voix chargée de tonnerre qui lui relever la tête. Déstabilisé, Silas se tourna instinctivement vers le directeur qui paraissait furieux, adossé au pub des Trois-Balais, téléphone vissé à l’oreille ; apostrophant une certaine “maman”. Un sourire irrépressible craquela le masque pâle et figé qu’il portait jusque-là. Il y avait quelque chose de très intime et cocasse à assister à une scène de ménage familiale entre adultes – d’autant plus lorsque l’un d’entre eux était le directeur de l’école dans laquelle on était scolarisé. Sa réplique acerbe fut accueillie par un vacarme de tous les diables dans le combiné ; quelque chose qui ressemblait à une phrase criée de mauvais augure. Un peu goguenard, Silas resta d’abord planté là, mi-stupéfait mi-amusé, Bane immobilisé comme un chat tendant l’oreille vers un cri de souris à l’agonie, puis il eut l’intention de s’éloigner pour ne pas attirer l’attention sur lui, mais ce qu’il crut comprendre de la conversation l’interrogea. “Un mec à la fois ça ira bien”, suivi de propos loufoques à propos de balais et de nettoyage et de quelques piques sur le paternel ; beaucoup d’ironie chargeait le ton d’Armitage, ce qui rendait difficile toute interprétation. En tout cas, Jørgensen comprenait vaguement qu’il s’agissait d’une réunion de famille organisée à grands renforts de disputes ; rien de très étonnant, à l’approche de Noël. Chez lui, c’était toujours tendu à cette période l’année à cause des liens distendus qu’entretenaient ses grands-parents maternels avec ses parents, sur laquelle l’ombre des grands-parents paternels planait comme une menace diffuse dont ni Silas ni sa sœur n’avaient jamais saisi les tenants et les aboutissants. Leur père était toujours resté très secret à leur propos. Résultat, Nora et lui n’avaient jamais mis un pied au Danemark ni baragouiné correctement plus que quelques jurons dans leur langue natale. C’était bizarre de se dire qu’Armitage avait des problèmes similaires ; c’était presque… trivial. La mention d’un + 1 ne lui avait pas échappé, mais il ignorait s’il avait correctement compris l’enchaînement de la conversation. À la lumière de leur toute première discussion en début d’année, il était possible qu’il s’agisse bel et bien d’un mec, mais aucun moyen d’en être sûr.
‎‎ ‎ Une fois l’échange disséqué, sa curiosité s’atténua et il prit conscience qu’il était plus que temps de déguerpir. Malheureusement, le directeur se redressa exactement au moment où il se redressait dans son ronronroulant pour poursuivre sa route, et leurs regards se croisèrent. “Silas, ça fait longtemps que vous êtes là ?” s’exclama l’adulte, visiblement aussi gêné que lui. “Excusez-moi, je ne vous avais pas vu. Vous me cherchiez ? Je m’apprêtais à aller boire un verre ou à faire un tour, je ne suis pas encore décidé…” l’invita-t-il avec un sourire malgré les circonstances. Jørgensen dut fournir tous les efforts du monde pour ne pas grimacer, conscient qu’Armitage avait probablement en tête ses petites frasques dans les toilettes des garçons avec Selene. Il se passerait bien d’un sermon sur le vandalisme et une discussion trop sérieuse sur son rendez-vous avec les cassos de la protection de l’enfance. Sans compter qu’il n’avait pas particulièrement envie de croiser le directeur maintenant, qu’il ne semblait rencontrer que lors d’occasions sinistres. Autant jouer avec les cartes qu’il avait en main pour espérer suffisamment déstabiliser l’animal dans l’espoir de s’enfuir…
‎‎ ‎ “Pas commode, la daronne” éluda-t-il donc avec un ton moqueur un peu forcé. “Même quand on est adulte, on doit négocier pour inviter des potes pour les fêtes ?” l’interrogea-t-il d’un faux air innocent. “Ça a pas l’air vraiment mieux que d’être jeune… enfin, ado” se corrigea-t-il en prenant conscience que sa phrase sonnait plus ou moins comme si son interlocuteur était un vieillard. Après tout, sa tactique n’était pas de le vexer, mais surtout de l’embarrasser suffisamment pour qu’il veuille se débarrasser de lui. Silas n’ambitionnait pas d’être interrogé sur la semaine qu’il avait passée au lit sans parler à personne, préférant encore faire semblant de dormir que de faire la conversation à ses amis inquiets.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

La conversation avec ma mère m’a laissé passablement, irrité, agacé. Je sais bien que la pression des fêtes ne l’épargne pas, mais…plutôt que de me sauter à la gorge elle aurait très bien pu m’envoyer un hibou. Ou laisser un message sur mon répondeur ou sur ma boîte mail que j’aurais pu lire un week-end et savoir de quoi il retournait exactement. Bon évidement, ce n’est pas l’idéal. Mais cette conversation était à des kilomètres de ce qu’on peut attendre en termes de bonnes nouvelles à annoncer. Enfin… Ce sont plutôt des bonnes nouvelles à mes yeux, mais peut-être que Bob MacRandom est un con fini, et que ma mère va m’en vouloir jusqu’à la fin de mes jours d’être avec un mec plutôt qu’avec une femme – il faut voir à quel point ça m’a réussi jusque-là - . Je boirais bien une bière pour faire descendre la frustration, mais ce n’est probablement pas ce qui va arriver. J’aperçois Silas, qui regarde dans ma direction.

J’imagine naïvement qu’il me cherchait peut-être, mais compte tenu son comportement et son absence de réponse… je crois que je me fais un film. Nous sommes donc face à un cas des plus classiques d’indiscrétion, ce dont je lui tiens à vrai dire pas franchement rigueur : je n’ai pas non plus cherché à être discret. J’espère juste qu’il n’a rien entendu trop…compromettant. Encore que… Je crois que le serdaigle ne serait pas vraiment du genre à chercher à nuire à quiconque avec ce genre de sujet. Je lui lance un regard désabusé, avant qu’il ne se décide à me répondre. Pas vraiment ce que j’attendais.

Mais je ris de bon cœur en entendant la tirade de l’adolescent… Parce qu’effectivement, c’est assez ridicule, et qu’ensuite, je suis content de le voir dehors plutôt que dans la liste des élèves excusés. « La momzilla de Noël est une créature à ne pas contrarier. » dis-je l’air faussement sérieux. « Et désolé de vous décevoir, mais certaines choses ne changent pas tant que ça » dis-je avec un sourire malicieux. « Un peu comme quand vos parents ont des invités au salon, que vous avez bien mieux à faire dans votre chambre, mais qu’il faut ab-so-lu-ment saluer la compagnie. Passé un certain âge, ça devient compliqué de bouder ou de prétexter une partie qu’on ne peut pas sauvegarder pour se tailler vite fait. » Oh bien sûr, il est très bien placé pour savoir que je pourrais très bien être appelé pour cause de démolition de biens communs. « Je crains donc qu’à moins d’avoir une très bonne excuse » et à Poudlard ce n’est pas vraiment le genre de choses à souhaiter trop fort « ma présence ne soit requise. » Mais je préfère prendre les choses à la rigolade. Ce n’était pas vraiment la question. « Et comme je suis un pote sympa, je n’impose ça à personne. » Si Septimus pouvait rester en dehors de cette rencontre encore un peu ce n’était pas plus mal. La vérité est donc plus proche de, même adulte, il faut négocier pour traîner avec ses potes plutôt qu’avec ses parents. Mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rentrer dans le détail.

Puisque Silas ne semble pas disposé à répondre à ma proposition de promenade ou de verre, je ne vois pas de mal à discuter juste ici. Ça change du bureau ou de l’infirmerie après tout, le cadre est tout de même plus sympathique. Même si parler des fêtes de fin d’année avec un jeune dont le placement vient d’être décidé est probablement plus casse-gueule qu’une promenade sur une plaque de verglas. Néanmoins, ce n’est pas le premier hématome que je recevrais : « Est-ce que vous restez à Poudlard pendant les vacances ? » Après tout, rien ne l’obligeait à aller rejoindre un quelconque foyer pendant les vacances si ce n’était pas son envie. Les autres élèves, y compris placés, avaient le choix.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ Autant dire que la tactique de déstabilisation échoua lamentablement. Bien sûr, Silas ne s’attendait pas à ce qu’elle fonctionne facilement ou sans rencontrer quelques obstacles, mais le directeur passa bien au-dessus de toute forme d’embarras ou d’agacement ; c’est simple, il en rit joyeusement, sans complexe et avec l’air de quelqu’un qui trouvait même plutôt toute cette situation cocasse. Pourtant, l’adulte avait bien dû prendre conscience que l’adolescent n’était pas plus à sa recherche qu’il n’avait eu l’intention de l’espionner. Mais il fallait croire qu’Armitage était vraiment de ceux qui prenaient les choses comme elles venaient plutôt que de les torturer dans son esprit pour en extraire le jus – c’était plutôt à ceux-là qu’appartenait Jørgensen. “La momzilla de Noël est une créature à ne pas contrarier” lança le dirlo avec une gravité composée qui arracha malgré lui une exclamation amusée au jeune homme. “J’vois ça” commenta-t-il sobrement – un peu parce qu’il trouvait ça drôle, mais pas trop pour ne pas éveiller le souvenir que sa propre mère si enthousiaste et pleine de vie durant les fêtes se trouvait actuellement inerte sur un lit d’hôpital.
‎‎ ‎ “Et désolé de vous décevoir, mais certaines choses ne changent pas tant que ça” ajouta Armitage en étirant un sourire amusé, exposant tranquillement que les adultes n’avaient que très peu d’excuses recevables pour se dérober lors des réunions de famille traditionnelles. Le Serdaigle haussa un sourcil, ses lèvres perdues dans une moue dubitative – et un brin déçue. “C’est aussi nul que ça en a l’air, d’être adulte ?” demanda-t-il, à moitié pour le piquer et à moitié sérieusement. Est-ce que ça valait la peine d’endurer tout ce qu’il endurait actuellement alors qu’il n’avait même pas le tiers des responsabilités d’un adulte ? Est-ce que ça n’allait jamais aller mieux ? Est-ce que quelque chose, encore, valait la peine d’être enduré pour naviguer vers des eaux plus paisibles ? Toutes ces questions métaphysiques bouillonnaient dans son bide tordu, soigneusement empaquetées dans cette question aux allures de provocation adolescente qui recelait peut-être finalement davantage d’angoisses que de bravades juvéniles. Parfois, il aurait aimé avoir accès au grand livre des questions de la vie pour y trouver les réponses aux questions nocturnes qui le taraudaient et n’en finissaient plus de l’aiguillonner en plein milieu de nuits blanches et trop soucieuses pour son jeune âge. Silas savait qu’il vieillirait mal ; que la douleur augmenterait avec le temps ; que le vieillissement ne serait pas agréable. Mais le reste ? Est-ce qu’il y aurait encore des choses pour compenser cette malédiction faite d’os tordus et de décisions qu’on lui avait dérobées dès sa naissance ?
‎‎ ‎ Les pirouettes d’Armitage livrèrent toutefois une vraie réponse quelque part entre des lignes sibyllines : “Et comme je suis un pote sympa, je n’impose ça à personne.” Cette fois, les deux sourcils de Jørgensen se froncèrent ; l’accentuation du terme “pote” amenait davantage de confusion que de clarté dans son esprit navigant à vue. “C’est pas un pote que vous vouliez inviter ?” l’interrogea-t-il alors frontalement, sans plus se soucier de se cacher ou de le faire fuir – peut-être qu’il le ferait après ça, d’un autre côté. C’était gagnant-gagnant de jouer franc-jeu, non ? Mais sa question en amena une autre, plus lancinante, plus inquiétante pour lui : “Est-ce qu’on peut garder ses potes toute sa vie ? J’ai l’impression que tous les adultes que j’vois ont plus de contacts avec leurs amis d’avant. Enfin, d’avant qu’ils soient plus au bahut” précisa-t-il, ses yeux perçants soudain perdus dans un vague désagréable, qui lui chatouillait les canaux lacrymaux rien que d’y perdre une poignée de secondes. C’était la seule chose qui valait la peine, dans sa vie ; ses potes. Est-ce qu’eux aussi, il allait les perdre en grandissant ? Est-ce que ses parents avaient vraiment raison en leur assenant, à lui et sa sœur, qu’être adulte c’était juste chiant ? Maintenant qu’il y pensait sérieusement, que le ciel lui tombait plus ou moins sur la tête, ça ne paraissait plus ni risible ni lointain.
‎‎ ‎ Le directeur lui aussi parut se rendre compte que rester en surface ne fonctionnait plus lorsqu’ils étaient seuls. Après tout, il avait vu Silas dans ses pires moments ; chaos de larmes et de sang, bras et cuisses griffées du néant de sa poitrine. Les derniers événements l’avaient probablement plus inquiété qu’il ne le laissait paraître ; le dirlo avait cette qualité indéniable de laisser les autres respirer, et ça, Jørgensen l’appréciait particulièrement. Il en avait vraiment besoin en ce moment. Alors, Armitage posa une question aux allures banales, mais qui – ils le savaient très bien tous les deux – venait tâter poliment le terrain miné que représentait la situation. “Est-ce que vous restez à Poudlard pendant les vacances ?” Demande innocente, ennuyeuse presque pour une personne extérieure à leur relation indéfinissable ; interrogation plus profonde, ouverture vers des océans agités pour eux qui en connaissaient la nature. Inévitablement, le visage de l’adolescent se ferma et il croisa les bras comme pour se protéger de cette situation qu’il fuyait depuis qu’elle l’avait heurté de plein fouet. Il n’avait aucune envie d’aborder le sujet. Pourtant, il savait que le dirlo ne le pousserait pas dans ses retranchements – qu’il savait faire preuve de décence et de pudeur lorsqu’il en avait besoin. Écartelé entre deux désirs distincts, Silas se mordit un bref instant la lèvre, avant de marmonner d’une voix trop sourde à son goût : “Chais pas. J’devais passer les vacances chez Dash, mais maintenant… Chais pas. Si j’aurais l’droit” répondit-il sans nommer ni le foyer ni son placement. Il n’avait pas demandé la permission ni posé de questions au sujet des vacances, trop angoissé à l’idée d’être contraint de les passer dans un dortoir inconnu, entassé avec des inconnus qui le dévisageraient lui et sa jambe comme un inconnu.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

‎‎C’est aussi nul que ça en a l’air, d’être adulte ?
Je souris amusé face à cette question. Elle me paraît plutôt légitime. Etre adulte n’est pas tout le temps palpitant, loin de là. Mais plus on vieillit, plus on prend en assurance et on en mesure les bons côtés. Enfin je crois, je reviendrais peut être sur cette réflexion quand je ne parviendrais plus à plier les genoux ou qu’il me faudra un sonotone.

« Franchement ? Non. Bien entendu, personne ne s’amuse en faisant sa déclaration d’impôt ou en réfléchissant au plan de table de Noël. Mais c’est plutôt sympa de pouvoir mener sa barque comme on l’entend. Avec plus ou moins de succès parfois, mais c’est le prix d’une certaine liberté. Je pourrais tout à fait refuser d’aller à ce repas, mais je préfère faire plaisir à ma mère, même si ça me vaut une légère engueulade. Ce ne sera ni la première ni la dernière.

C’est pas un pote que vous vouliez inviter ?
Pour un adolescent plutôt pressé de s’enfuir, Silas était somme-tout friand de questions. A croire que nous nous étions engagé dans un petit jeu de qui lâcherait du leste le premier, l’un en abandonnant l’indiscrétion l’autre en n’ayant pas réponse à tout. Qu’à cela ne tienne, je ne suis pas mauvais joueur. Et quelque part, nos nombreuses conversations nocturnes me laissent à penser que nous ne craignions pas grand-chose à renforcer ce lien.
« Mais vous êtes un grand curieux monsieur Jørgensen ! La prochaine fois, je mets la conversation sur haut parleur, ce sera plus simple à suivre promis ! dis-je l’air faussement embêté de plonger mon interlocuteur dans la confusion. « Non, ce n’est pas un ‘’pote’’, et il ne me paraît pas opportun de le présenter à ma mère dans l’immédiat. Mon ton n’appelle pas vraiment à poursuivre la conversation. Mais je sais aussi que Silas n’est pas vraiment du genre à s’arrêter au stop s’il n’en a pas envie. Je n’aurais probablement pas répondu avec autant de franchise à un autre élève. A part Moritz qui était évidemment dans la confidence, je n’en voyais pas bien l’intérêt. Mais il me paraît important que Silas puisse en tirer les conclusions qu’il veut.

“Est-ce qu’on peut garder ses potes toute sa vie ?

Je ne m’attendais pas vraiment à ce que cette question très personnelle en cache une autre bien plus intime. Un café ou un verre de whisky l’aurait accompagné de manière agréable, mais visiblement, mon interlocuteur aimait être suspendu entre le mouvement et l’immobilité. « Je ne sais pas. dis-je simplement. « On change beaucoup entre le lycée et la vie d’adultes. Ou on ne change pas assez parfois. Je me gratte la barbe, réfléchissant sérieusement à la question. « J’ai gardé peu d’amis de Poudlard, c’est vrai. Un sourire triste se peint sur mon visage. « Mais jusqu’à il y a quelques années, mon meilleur ami est resté celui de l’époque, Wayde Bradford, qui a été conseiller d’orientation ici avant d’avoir quelques affaires familiales à régler. Moi-même, je ne parvenais pas à dire ce qui avait changé, pourquoi s’occuper de sa fille avait soudainement nécessité un silence radio de sa part. Puis de la mienne. Est-ce que j’aurais dû insister plus ? Est-ce que je ne devrais pas, d’ailleurs, me fendre d’une carte de vœux, essayé de renouer ce lien distendu. « Je ne saurais pourquoi exactement, il n’a plus vraiment trouvé le temps de donner de ses nouvelles. C’est souvent le problème quand on devient adulte, le travail, la famille et seulement 24h dans une journée. C’est parfois difficile de nourrir tous nos liens. Les brouilles prennent parfois plus d’importance parce qu’on n’a plus cette spontanéité adolescente pour se rentrer dans le lard et dire les choses comme elles viennent. Je soupire : « Pour répondre, je ne pense pas que ce soit impossible. Mais il faut accepter que les gens changent, fassent des choix différents des nôtres et de ne plus être tous aux mêmes étapes aux mêmes moments. Je chasse le fantôme de Wayde de mon esprit, j’aimerai pouvoir lui écrire en plaisantant que puisqu’il était aux abonnés absents, j’ai peut être pris un peu d’avance sur nos projets d’appart tous les deux en maison de retraite, quand on aurait tiré un trait sur notre vie sentimentale déplorable avec ces dames. Mais je garderai ça pour un deuxième courrier. Si je reçois un jour une réponse. « J’ai des potes que je croisent uniquement en concert, en festival… ils n’ont absolument pas changé depuis Poudlard. On n’a rien à se dire en dehors du moment qu’on partage quand on y est, mais ça reste un moment agréable, plein de bons souvenirs.

Chais pas. J’devais passer les vacances chez Dash, mais maintenant… Chais pas. Si j’aurais l’droit”

Je suis plutôt soulagé d’entendre que Silas a des projets plus sympas qu’un foyer inconnu à Noël. Comme si cela ne pouvait pas attendre l’été. Il pouvait tout à fait rester à Poudlard, même pendant les vacances. Mais ce qui se discutait dans les méandres du département de la protection à l’enfance n’était pas forcément toujours logique pour l’œil du néophyte. Et le fait d’être Directeur et famille d’accueil ne me donne pas vraiment un avantage : j’ai toujours l’impression que tout ce que je dis sera retenu contre moi à un moment ou un autre. « Je ne vois pas ce qui l’empêcherait. Normalement, il est conseillé de ne pas bousculer les plans établis si ce n’est pas nécessaire. Enfin, en tout cas, si on me pose la question, vous êtes tout à fait libre d’aller chez les Dashner. Je jette un œil à la mine défaite du Serdaigle. Sa belle assurance de façade semble s’être envolée. « Vous voulez que je me renseigne ? J’ai comme un doute quand au fait qu’il ait échangé plus de deux mots avec son interlocutrice…

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ Contre toute attente, Armitage ne fit pas mine de fuir, de battre en retraite ou même de se fermer face à la curiosité franchement déplacée du garçon. Au contraire, il parut nettement amusé par sa franchise débridée et ses questions sans détour ; un sourire étira même sa face marquée des premiers échos d’une vieillesse à venir. “Franchement ? Non.” Son honnêteté sans fard en réponse à la sienne déstabilisa un court instant le jeune homme, qui n’en tendit pas moins attentivement l’oreille vers la suite de son petit discours concernant la vie d’adulte. “Une certaine liberté ?” releva Silas, sceptique. Il fallait bien au moins une grande liberté pour compenser les trucs super relous, non ? Si c’était pour une vie d’esclave enchaîné au capitalisme qu’il signait, sorcier ou pas sorcier, il préférait encore déchirer le contrat dès maintenant.
‎‎ ‎ Bien que son enthousiasme se trouve un peu entamé par cet éclairage déplaisant, cela ne l’empêcha pas de laisser libre court aux questions trop personnelles qui lui traversaient l’esprit – toujours dans l’espoir contradictoire de le voir partir ou y répondre franchement. L’amusement du dirlo n’en parut pas atténué, ce qui eut l’étrange conséquence de satisfaire le Serdaigle, gagné par la désinvolture et la malice de la conversation inattendue. “Mais vous êtes un grand curieux monsieur Jørgensen ! La prochaine fois, je mets la conversation sur haut-parleur, ce sera plus simple à suivre promis !” lâcha l’adulte en faisant mine d’être embêté par son manque de transparence. “C’est trop sympa, merci” ne put s’empêcher de rebondir aussitôt l’impertinent avec un sourire éclatant – qui se fana légèrement en entendant la suite de sa réplique. Pas un pote, plutôt du genre qu’on présente à sa mère ; difficile de faire plus clair. Il avait bien dit “un”, il n’était pas sourd ! Son regard perçant se plissa, détaillant le visage de son interlocuteur avec un intérêt renouvelé. À la rentrée, il avait appris que le dirlo n’était pas hétéro, mais voir cette information être réaffirmée lui faisait tout de même un drôle d’effet. Quelque part, c’était tellement bizarre de savoir qu’Armitage avait un mec ; et l’adolescent n’avait aucune envie d’en apprendre davantage sur sa vie privée – trop dégueu –, mais il était toutefois piqué de mille interrogations brûlantes ; du genre qu’on posait de personne queer à personne queer. L’envie brutale d’accepter sa proposition de s’installer dans le pub le prit, sans doute trahie par le coup d’œil sans équivoque qu’il y jeta, mais une nouvelle question pressante jaillit de sa bouche avide avant même qu’il n’ait pu réfléchir à autre chose.
‎‎ ‎ Visiblement, le large gaillard ne s’attendait pas à ça. Un premier “Je ne sais pas” au goût d’honnêteté pas désagréable fut jeté entre eux, avant qu’il ne développe sa pensée plus en détail. Silas appréciait sincèrement le temps et le sérieux qu’il prenait à lui répondre, comme si les points d’interrogation débiles d’un ado avaient la moindre importance à ses yeux. Absorbant les informations comme une éponge sèche, Silas fut cependant incapable de ne pas noter la mélancholie qui se dégageait de son expression lorsqu’il aborda le sujet de son meilleur ami – son cœur, en songeant à Dash, se serra douloureusement. Il refusait que ça se passe comme ça pour eux. Il refusait qu’ils s’éloignent un jour. Ça pouvait pas arriver, pas vrai ? Pas à eux. C’était impossible. Avisant sans doute la mine contrariée de son jeune vis-à-vis, l’aîné admit que ça pouvait arriver, mais ses paroles sonnaient davantage comme une condamnation aux yeux de Jørgensen. S’ils ne faisaient pas partie de la famille, on les perdait de vue, alors ? Mais Dash, c’était la famille. La dernière qu’il lui restait. “J’vois l’genre” se contenta-t-il alors de dire, les mâchoires plus serrées qu’il ne l’aurait voulu. “C’est naze.” Décidément, il n’avait absolument aucune envie de grandir. Ça avait l’air bien pourri, ces histoires. Et ils demeurèrent sur le même ton en abordant les vacances à venir, dont Silas ignorait la nature.
‎‎ ‎ Le dirlo ne se formalisa pas de sa grogne et de son pessimisme, préférant plutôt le rassurer et lui offrir son aide. “Vous voulez que je me renseigne ?” proposa-t-il en dévisageant le jeune homme soudain bien moins bavard et mutin. “Chuis pas contre” admit le Serdaigle en pianotant nerveusement sur ses bras croisés, Bane s’agitant avec agacement sous son derrière raidi. Comme décidé à obliger son maître obtus à desserrer les dents face au directeur qui semblait avoir gagné son insaisissable estime, le ronronroulant prit la décision autonome de se diriger vers l’entrée du pub à pas décidés. “Hey !” s’écria immédiatement le propriétaire ronchon, pris par surprise. “Qu’est-ce tu fous ?” grogna-t-il en tapotant l’un des accoudoirs, les sourcils froncés. Mais rien n’y fit, le chat-qui-n’était-pas-un-chat ne s’arrêta que devant les portes des Trois-Balais, l’air d’attendre Fergal. Silas fanfaronnait nettement moins, désormais, trahi par son fidèle artefact.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

« Oui, pas une liberté totale, en tout cas pas pour moi. » Enfin, on est toujours libre de tout dans l’absolu, je pourrais me jeter d’un pont ou décider de partir du château avec juste ce que j’ai sur le dos et ma baguette, rien ne m’en empêche réellement à part mes propres limites. Mais si je considère que j’en ai, alors je n’ai qu’une certaine liberté. « Je suis toujours libre de tout plaquer pour partir élever des alpagas au Pérou dès ce soir, mais il y aura tout de même certaines conséquences à assumer derrière et durablement. » dis-je avec un sourire. Comme être blacklisté à Poudlard, avoir mon créancier sur le dos, le risque de perdre la garde Moritz… Autant de libertés que je n’ai pas envie de prendre.

La conversation prend un tournant moins philosophique, et je ne manque pas de souligner son caractère légèrement indiscret, même si je m’en amuse sincèrement. Cela me paraît de bonne guerre, dans la mesure où le serdaigle partage aussi des brides de sa vie intérieure avec moi. Disons que c’est une marque de confiance réciproque. Peut-être que je fais erreur, mais je ne le crois pas. Il a toute la droiture des adolescents qui ont soif de plus de justice et de liberté. Malheureusement, je ne dois pas lui dresser un portrait très convaincant de la vie d’adulte. On fait avec ce qu’on a sous la main, je lui souhaite de trouver des interlocuteurs plus inspirants par la suite. Moi, je me satisfais de cette vie-ci, peut-être à tort.

Je lui souris avec une certaine tendresse : « Mais votre vie n’est pas la mienne. Beaucoup d’adultes pensent que ‘’c’était mieux avant’’ et qu’on faisait mieux de notre temps. Moi j’espère que vous ferez mieux que nous. » Après tout, rien ne l’empêchait d’entretenir mieux que moi ses relations, de leur consacrer plus de temps et la priorité. Il serait libre de ses choix. Pour l’heure, je note mentalement de recontacter l’enquêtrice sociale pour la protection de l’enfance et de lui négocier sa sortie à Noël. Selon, moi c’est une demande tout à fait raisonnable et adéquate pour son équilibre. J’espère être un bon marchand de tapis.

Je m’apprête à répondre, alors que Bane file vers le pub sans laisser l’occasion à son maître de répliquer. Visiblement, la demande n’émane pas de Silas. Je lui jette un regard amusé en ouvrant la porte. « Monsieur Bane, Monsieur Jorgensen, après-vous ». Oui dans cet ordre, j’ai bien le droit de m’amuser un peu aussi. Je ne trouve une place un peu à l’écart. Pas dans le coin réservé aux professeurs désespérés en quête d’une planque, mais pas non plu s en plein milieu des élèves. Juste de quoi continuer à discuter. Je prends ma commande auprès de Clyde : « Un très grand café serré s’il te plaît. » En général, ça veut simplement dire qu’il m’en empile trois dans une tasse énorme. « Et vous ? » Inviter un élève à boire dans un pub n’était probablement pas dans le manuel déontologique mais une boisson sans alcool n’avait jamais tué personne.
Je profite du départ du serveur pour questionner mon invité.
« Au-delà de vos vacances, est-ce que…ça va ? Enfin, je veux dire…je n’ai pas la naïveté de penser que cette passionnante conversation avec ma mère soulève tant de questions philosophiques.»
La preuve, jusque là mes réponses ont surtout l’air de l’accabler d’ennui.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ La discussion ne prenait pas la direction attendue – ni celle voulue, d’ailleurs –, mais elle n’en piquait pas moins la curiosité insatiable de l’adolescent. Rares étaient les adultes à prendre le temps de répondre à ses questions existentielles ; encore moins ceux qui les prenaient au sérieux. Alors, il en profitait, même si les réponses ne lui plaisaient pas beaucoup ; voire pas du tout. “Oui, pas une liberté totale, en tout cas pas pour moi” nuança le dirlo, avant d’ajouter avec plus de légèreté, commissures relevées : “Je suis toujours libre de tout plaquer pour partir élever des alpagas au Pérou dès ce soir, mais il y aura tout de même certaines conséquences à assumer derrière et durablement.” Sans pouvoir s’en empêcher, Silas laissa échapper une exclamation amusée. “Dommage, chuis sûr que vous feriez un super éleveur d’alpagas péruviens” lâcha-t-il – pour rebondir sur la plaisanterie, c’était plus fort que lui, mais aussi pour dissimuler l’enthousiasme douché. Évidemment qu’être adulte venait avec son lot de responsabilités ; on était donc jamais tranquille, dans cette vie moisie ?
‎‎ ‎ Heureusement, Armitage ne laissa pas la discussion échouer sur des rivages aussi sinistres, préférant flirter avec des frontières plus grises ; rehaussées de touches de couleur humoristiques et de lueurs d’espoir, mais l’humeur du Serdaigle avait été si chahutée par les dernières semaines qu’il peinait à voir le positif dans tout ce marasme. La peur de perdre Dash, surtout, lui fracassa les côtes et lui broya le cœur à lui en donner la nausée. Détresse sans doute perçue par l’aîné, qui marqua une pause pour lui sourire avec une affection que même Jørgensen ne pouvait pas faire mine d’ignorer. Il s’en sentit gêné, mais peut-être aussi un peu touché. “Mais votre vie n’est pas la mienne. Beaucoup d’adultes pensent que « c’était mieux avant » et qu’on faisait mieux de notre temps. Moi j’espère que vous ferez mieux que nous” confia-t-il avec une sincérité qui toucha un point sensible de l’âme égarée. Silas se contenta de hocher la tête, lèvres serrées, mais ses yeux brillaient de mille mots de reconnaissance et de soulagement. Ce n’était pas figé ; ce n’était pas fini. Il pouvait faire mieux. Il ferait mieux.
‎‎ ‎ La solennité de ses pensées fut cependant dissipée par la décision humiliante de Bane, visiblement décidé à trahir les envies enfouies de son propriétaire sans se soucier des répercussions. Le jeune homme eut beau tambouriner sur les accoudoirs, le chat-qui-n’était-pas-un-chat l’ignora royalement. Le dirlo les rejoignit, non sans lancer au garçon une œillade malicieuse, à laquelle ce dernier retourna un œil noir d’ado maussade. “M. Bane, M. Jørgensen, après vous” les invita-t-il sans dissimuler son amusement. Un grognement roula le long de la gorge contrariée du Serdaigle, dont les joues s’étaient colorées d’embarras. Il se laissa toutefois porter par le ronronroulant fier de sa bêtise jusqu’à la table choisie par l’adulte, quitta son siège enchanté avec un regard mauvais pour ce dernier et s’installa dans une chaise tout à fait ordinaire qui ne risquait pas de le trahir. Sans perdre de sa superbe moqueuse, l’artefact reprit sa forme féline pour sauter sur la table et lécher consciencieusement l’une de ses pattes avec indifférence – pas qu’il ait besoin de faire sa toilette, le drôle d’animal, c’était surtout une façon de démontrer sa victoire insolente sur son jeune maître. Décidant de l’ignorer, Jørgensen se concentra sur le bonhomme venu prendre leurs commandes. “Une biéraubeurre” maugréa Silas en grattant le bois de la table d’un ongle ronchon. Le départ du serveur déclencha le début des hostilités ; enfin, ce que le Serdaigle considérait comme une intrusion était en réalité une ouverture qu’il attendait depuis quelques minutes à présent. “Au-delà de vos vacances, est-ce que… ça va ? Enfin, je veux dire… je n’ai pas la naïveté de penser que cette passionnante conversation avec ma mère soulève tant de questions philosophiques.” Haussement d’épaules molles en guise de réponse d’abord, regard perçant fixé sur l’ongle qui grattait toujours la table. La curiosité grignotait cependant sa volonté de demeurer coi ; ses cils voletèrent comme des ailes timides vers Armitage, avant de s’abaisser aussitôt pour fixer à nouveau le doigt obstiné. “Coming-out et râteau. Super fin d’année.” Grommellement à peine audible qui se fraya tout de même un chemin jusqu’aux oreilles adultes, dont il guetta anxieusement la réaction du coin de l’œil. Mais d’autres questions plus intimes le taraudaient ; ce râteau, il l’attendait, il s’y était préparé, il l’avait anticipé. Ce qu’il ne s’expliquait pas, en revanche, c’était cette proximité dont Dash ne cherchait pas à se défaire ; cette promiscuité, même, qui le laissait pantelant et frustré, étourdi de désir jamais assouvi et assommé de confusion. “Comment vous avez su que c’était réciproque ?” Le ton était moins bas, mais l’intonation restait timide, craignant la réponse ; parfois, il aurait préféré que les choses soient claires et nettes – pour mieux passer à autre chose plutôt que patauger dans un espoir vivotant au gré de tensions qu’il n’était pas certain de toujours s’imaginer.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

Silas malgré sa déception évidente ne se laissa pas démonté par ma réponse. « Vous ne serez pas débarrassé de moi cette année encore ! » dis-je en riant. Peut-être dans quelques-unes, mais pas pour des alpagas ceci dit. Néanmoins, ce n’était pas vraiment le souci de l’élève. Ce n’est pas très agréable de constater que la vie que l’on mène en tant qu’adulte donne visiblement envie aux plus jeunes de reste là où ils sont. Pourtant, on ne peut pas vraiment dire que Silas fasse partie des brebis innocentes et épargnées par la dureté de la vie. Alors je suis vraiment on ne peut plus sincère quand je lui souhaite de se créer une vie qui lui conviendra, loin de ce qu’il voit chez les adultes qu’il fréquente si c’est ce qu’il lui faut. Je lui souhaite de trouver un endroit où il se sente bien.

Son ronron-roulant décide de prendre les choses en main et de nous rapatrier à l’intérieur. Je dois avouer que je suis reconnaissant pour le mouvement. Cet artefact magique est vraiment surprenant, et j’aimerai vraiment comprendre ce qu’il se cache derrière son fonctionnement. Je ne peux pas considérer qu’il n’est qu’un simple objet ensorcelé. Silas n’a pas l’air très ravi d’être là et plutôt nerveux. Néanmoins, il commande tout de même quelque chose. Puisqu’il est là, je ne compte pas tenir le crachoir tout seul, ni même observer un silence religieux. C’est peut-être le moment de rentrer dans le vivre du sujet. Au pire, il m’enverra chier, je ne m’en fais pas pour lui. Un silence et un haussement d’épaule accueillent d’abord ma question. Mais il finit par lâcher quelques mots. Aïe. Le métier qui rentre. Mais malgré la déception qu’il doit recevoir…Je ne peux m’empêcher de noter qu’il ne dit rien à propos de cet ami qui pourrait lui tourner le dos. « Je suis désolé. J’espère que vous vous sentez un peu plus léger malgré tout. Et... a priori, toujours avec autant d’amis ? » Ce n’est peut être pas ce qu’il avait espéré, mais peut être avait gagné une relation plus solide et un espace où être lui-même ?
Mais visiblement, le serdaigle ne compte pas me laisser le loisir de l’écouter converser et me lance une question à laquelle je n’ai pas vraiment envie de répondre.

“Comment vous avez su que c’était réciproque ?”

« Hmpf » je lâche un grognement écossais digne du répertoire classique. Comment puis-je répondre à ça. Vu notre configuration, c’était plutôt à Septimus qu’il aurait fallu poser la question, pas à moi. « Je…crois que c’est plutôt dans l’autre sens que la question s’est posée, je n’ai pas été la personne la plus clairvoyante de la paire. » dis-je avec embarras. C’était le moins que l’on puisse dire. Fallait-il vraiment que j’entre dans le détail…La conversation s’annonce tout de même un peu gênante. En tout cas pour moi. Pas que j’ai un problème avec le fait de parler de ce genre de chose, sauf quand il s’agit d’un élève, quoi. J’avale une grande lampée de café pour me donner du courage. Je regrette un peu de ne pas avoir demandé un supplément de whisky mais à la guerre comme à la guerre. « J’ai mis un certain temps à comprendre que je lui plaisais réellement, et que ce n’était pas de la maladresse, des blagues ou que sais-je. Et un certain temps à me rendre compte que je n’y étais pas indifférent. » Je ne peux décemment pas continuer par un Merlin soit remercié, il a fini par se viander d’une échelle et atterrir dans mon lit le temps que l’infirmière soit disponible, mais néanmoins, cela a tout de même un peu précipité les choses, sans quoi j’imagine que nous échangerions toujours des blagues et des sourires gênés dans une amitié un peu étrange. « Disons que certaines circonstances nous ont obligé à faire preuve de… que…» Je réfléchis à comment formuler les choses. Je ne suis pas vraiment doué pour ça visiblement. Je n'ai pas envie de trop en dire, de risquer de donner trop de détails. Comment explique-t-on en quelques mots que parfois les planètes s'alignent qu'il y a un certain magnétisme, une envie réciproque de proximité. Pas seulement physique et charnelle, une envie de prendre soin de l'autre tout entier et de se lier à lui. Sans que ça sonne soit complètement sale, soit complètement con? Je soupire et laisse tomber les formules : « Honnêtement ? On a su parce qu’on a posé la question. J’ai fini par demander si je me faisais des films, il m’a confirmé que non. » Est-il réellement nécessaire que je continue ? « Enfin, il m’a demandé s’il pouvait m’embrasser et j’ai dit oui. Autant dire qu’on n’a pas vraiment laissé la place aux doutes. » Mais c’était nécessaire, pour plein de raison et celle non des moindres qu’il ne vaut mieux pas se plante quand on est également l’employeur de son petit ami. Par Merlin, je déteste cette conversation. Je ne suis plus sûr d’avoir envie de remercier Bane pour le verre au chaud.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ La décision unilatérale de Bane le laissa coi – et surtout boudeur – un moment, mais l’ouverture d’Armitage chassa rapidement sa contrariété pour concentrer toute sa curiosité et ses doutes. Il n’avait pas très envie de rentrer dans les détails de cette fin d’année moisie, mais d’un autre côté, il éprouvait le besoin irrépressible de se confier à quelqu’un qui serait susceptible de comprendre ; de l’aider, peut-être, même si la confession lui coûtait. “Je suis désolé. J’espère que vous vous sentez un peu plus léger malgré tout. Et… a priori, toujours avec autant d’amis ?” s’enquit le directeur, après une légère hésitation. Silas cilla, un peu déstabilisé par la question, avant de se souvenir de leur conversation en tout début d’année. Il lui semblait qu’une vie entière s’était écoulée depuis. Après un soupir, il hocha la tête. “Oui… Même si c’est bizarre.” Rien de bien surprenant en soi ; il fallait s’attendre à ce que le coming-out change la nature exacte de leur relation – après tout, Dash était désormais conscient qu’il ne le regardait pas avec les mêmes yeux. Parfois, Jørgensen se sentait comme un prédateur tapi dans l’ombre et ça le répugnait. Il aurait donné n’importe quoi pour faire disparaître ces sentiments indésirables au profit de cette amitié qu’il ne voulait jamais voir s’éteindre. “J’aimerais vraiment passer à autre chose…” lâcha-t-il, les épaules défaites et le menton bas. Il ne demandait que ça. Que tout redevienne comme avant ; que plus rien ne se mette en travers de leur chemin. Parfois, il se prenait à penser que tout aurait été beaucoup plus simple s’il était tombé amoureux de Teddy – ou peut-être que Dash en aurait été malheureux ; ou peut-être que Teddy, elle non plus, n’aurait pas voulu de lui comme ça. Est-ce que quelqu’un, finalement, voulait de lui de cette façon ?
‎‎ ‎ Ses lèvres tremblèrent un court instant et il détourna le regard pour changer de sujet – ou plutôt, le faire dériver vers un rivage moins douloureux. Le soudain embarras du directeur eut au moins le mérite de distraire ses pensées. Son grognement en disait long sur son malaise ; Silas ne put s’empêcher de réprimer un petit sourire amusé. Comme quoi, les adultes non plus n’étaient pas dépourvus de points sensibles. Si cela avait quelque chose de rassurant, c’était aussi un peu inquiétant pour la suite des événements. Était-on un jour sûr de soi et de ses choix ? En tout cas, Armitage paraissait marcher sur des charbons ardents ; l’adolescent comprit bientôt pourquoi lorsqu’il lui avoua que l’initiative ne venait pas de lui, avant de se noyer dans son café comme s’il pouvait apporter la suite des explications à sa place. Sans l’interrompre, le Serdaigle le laissa buter sur les mots, revenir sur ses phrases pour finalement admettre qu’ils avaient tout simplement mis les choses en mots on ne peut plus clairs. “Enfin, il m’a demandé s’il pouvait m’embrasser et j’ai dit oui. Autant dire qu’on n’a pas vraiment laissé la place aux doutes.” Une lueur d’admiration s’alluma dans le regard perçant du jeune homme, qui détaillait désormais l’adulte avec curiosité. Son doigt cessa de gratter le bois de la table, curieusement plus à son aise depuis que la gêne était partagée. “Vous n’aviez pas peur ?” demanda-t-il d’une voix un peu sourde, les sourcils froncés d’un air de profonde perplexité. “De gâcher ce que vous aviez déjà ?” De gâcher une amitié pour une relation incertaine et des sentiments terrifiants de puissance ; de tout gâcher jusqu’à la dernière miette de bonheur. “Est-ce que…” poursuivit-il plus péniblement, s’humectant les lèvres pour chercher ses mots. “Comment est-ce que vous avez réalisé qu’il vous plaisait ? Qu’est-ce qui a changé ?” Est-ce que Dash peut changer ? Est-ce que ça pourrait lui arriver, à lui aussi ? Si Silas avait su un jour qu’il poserait des questions sur les relations amoureuses au directeur de Poudlard, il n’y aurait jamais cru.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

‎‎
Je lance un sourire compatissant à Silas. Oui, forcément, c’est le genre de déclaration qui fait un peu de bruit dans une relation, peu importe l’issue d’ailleurs. Il fallait bien un temps d’ajustement, pour savoir si cela changerait réellement les choses ou non d’ailleurs. Mais si pour l’instant malgré cette bizarrerie, le statut quo était maintenu, je suis quelque part rassuré. Avec un peu de chance, le serdaigle ne serait à pas à ramasser à la petite cuillère, ou du moins pas dans de trop larges proportions. « Laissez-vous un peu de temps. C’est déjà une grosse étape d’avoir sauté le pas, même si le résultat n’est pas celui escompté. » Encore que dans mon souvenir, Silas ne s’attendait pas vraiment à une réponse positive, mais cherchait plutôt à faire preuve d’honnêteté envers son ami.
Visiblement, mon embarras contente mon interlocuteur. C’est de bonne guerre, j’imagine. Oh bordel, dans quel merdier j’ai encore sauté à pied joint moi ? Enfin, parfois il faut savoir donner de sa personne, et je ne pense pas vraiment choquer le serdaigle en disant les choses comme elles sont. Je ne suis pas doué pour les euphémismes, autant appeler un chat un chat. Même si je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. Nos situations sont sommes toutes assez différentes et je ne peux pas vraiment lui expliquer en quoi. « Non pas vraiment, mais… nous n’avions pas grand-chose à gâcher, si ce n’est des échanges relativement cordiaux. » Dans l’absolu nous n’avions pas grand-chose à perdre. Au pire, une grande gêne à partager : mais le château est grand, en dehors d’une relation purement professionnel il était aisé de s’éviter. Nous aurions même pu parler lâchement par elfe interposé, c’est dire. « Si cela n’avait pas été réciproque, je crois que nous aurions pu nous éviter, le temps de laisser le malaise passer. » Ou s’installer pour ne plus que très vaguement s’adresser la parole, c’était aussi une possibilité, inutile de se leurrer.

Pour la suite, c’était à la fois plus simple mais plus gênant de répondre. Comment j’avais su ? « Hmpf… si jamais la conversation devient vraiment gênante, par pitié parlons du score de quidditch. » Je n’aurais jamais aimé adolescent entendre un quelconque adulte me raconter sa vie amoureuse. Et même si c’était Silas qui posait les questions, j’aime autant qu’il sache qu’il peut tout autant arrêter d’écouter les réponses. « Je sors plutôt avec des femmes. » C’était une vérité, j’avais peut être couché avec un ou deux hommes, mais je n’avais jamais eu de petits amis avant Septimus. « J’ai rarement l’envie irrépressible d’embrasser des amis. Ou de les protéger tout entier. » Du moins pas avec cette intensité, cette sensation qu’il appartient à moi seul de le faire. « Disons que ce qui a changé, c’est que…j’ai accepté de ne pas mettre la tête dans le sable et de vraiment prêter attention à ce que je pouvais ressentir. ça a pris un peu de temps je crois.» Je lui souris. « Que c’était plus qu’une forme de tendresse amical et d’envie d’aider. » Je n’ai pas le même âge que son camarade, je ne sais pas quelle est leur relation, mais j’imagine qu’il est plus facile de se dire , fuck allons-y à mon âge qu’au leur. « Ce n’était pas vraiment quelque chose à quoi je m’attendais, mais puisque j’y étais, j’ai décidé de tenter. » conclus-je en buvant peut être un peu longuement une gorgée de café.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ L’avantage de cette discussion loufoque, c’est que Silas ne pouvait que constater qu’il avait eu raison de faire confiance au directeur. Évidemment, Armitage restait un adulte ; le dirlo, qui plus est – mais la prévenance étonnante dont il faisait preuve et la compassion dans ses sourires et ses regards le rassuraient. Il ne se sentait ni jugé ni moqué ; pas davantage qu’il n’avait l’impression de le barber avec des anecdotes adolescentes indignes de son intérêt. C’était plutôt un bon gars, au fond. À cet instant, Jørgensen avait davantage l’étrange sensation de partager un moment embarrassant avec un oncle lointain qu’avec l’homme qui dirigeait son école. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il avait été nommé à la tête de Poudlard en son absence. D’un autre côté, ce n’était pas bien difficile de faire mieux que Sørensen.
‎‎ ‎ À sa demande de laisser le temps faire son travail, le Serdaigle acquiesça sans rien ajouter. Il le savait. Il n’y avait rien d’autre à faire, hormis attendre que les sentiments finissent par se tarir d’eux-mêmes – en espérant que ce jour arrive vite. La clôture de cet épisode conversationnel laissa toutefois la place à un échange plus gênant pour l’adulte, questionné sur sa vie sentimentale et son rapport aux prises de conscience amoureuses. Silas afficha cependant une mine déçue lorsqu’Armitage admit qu’il n’avait pas grand-chose à perdre à sauter le pas ; leur situation semblait bien différente de la sienne, ce qui ne l’aidait pas spécialement à démêler ses intuitions de ses désirs refoulés. “Hmpf… si jamais la conversation devient vraiment gênante, par pitié parlons du score de quidditch.” Avertissement autant qu’interlude un brin comique qui tira un sourire grimaçant au jeune homme en guise d’accusé de réception. Au moins n’était-il pas seul à trouver cette discussion lunaire et embarrassante. Le dirlo exposa ensuite qu’il avait plutôt pour habitude de fréquenter des femmes, ce qui leur faisait au moins un point commun dans l’étendue de ce marasme émotionnel ; bien que la mention de son envie irrépressible d’embrasser qui que ce soit lui hérisse la nuque et lui donne l’envie brutale de fuir cette conversation. Dégueu. Cependant, la suite mérita l’effort manifeste qu’il dut fournir pour ravaler le dégoût qui menaçait de poindre sur sa moue interdite. Accepter de sortir la tête du sable… C’était sans doute le plus difficile. Était-il possible que Dash ait pu rester coincé à cette étape, malgré ses aveux ? “Ce n’était pas vraiment quelque chose à quoi je m’attendais, mais puisque j’y étais, j’ai décidé de tenter.”
‎‎ ‎ Une longue gorgée de café noya l’embarras ostensible du directeur, et Silas ne put s’empêcher de sourire ; pas méchamment, un peu parce que c’était amusant, mais surtout parce que Fergal Armitage acceptait de lui livrer autant d’intimité en dépit de sa gêne affichée. Spontanément, les yeux perçants de Jørgensen scrutèrent ses doigts épais – dépourvus d’alliance. C’était peut-être récent ; ou peut-être n’était-ce pas dans leurs plans. “Et ça vous arrive de regretter ?” s’enquit-il sans pouvoir s’en empêcher, malgré l’évidente différence de leurs situations. “C’était quoi, le déclic qui a fait que vous vous êtes dit qu’il fallait tenter ?” ajouta-t-il, comme si le large gaillard qui tentait de se cacher dans la caféine pouvait lui donner la solution miracle qu’il attendait désespérément – comme s’il existait encore une autre issue à sa situation que celle dans laquelle il baignait déjà. Il devrait plutôt lâcher prise, accepter son sort et se résigner, mais non, il fallait qu’il se débatte, qu’il espère, qu’il creuse un peu plus dans ces sillons douloureux qu’il espérait un jour voir guérir.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

Silas se fout-il un peu de moi, alors que je me demande bien où je pourrais planquer cette grande carcasse dans le bar soudainement bien trop petit pour cette conversation ? Sûrement, mais je ne peux pas lui en vouloir, après tout, je ne suis pas le dernier à connaître ses secrets honteux, si j’ose dire. Et puis, peut-être que quelque part, ça m’entraîne pour de futures discussions avec Moritz. Il me semble encore loin de ce genre d’interrogations mais le temps passe toujours plus vite que l’on ne le croit.
Un sourire sarcastique se peint sur mon visage alors que Silas semble regretté d’avoir posé sa question… En même temps mon grand, tu t’attendais à quoi ? Nous avons tous les deux passé l’âge des métaphores douteuses de papillons, fleurs et autres euphémismes. Qu’on s’entende, je n’ai absolument pas l’intention de rentrer dans de quelconques détails. Mais difficile de ne pas évoquer une certaine forme de désir quand on souhaite séparer amour et amitié ou les entremêler. Ce n’est pas plus agréable pour lui que pour moi, et j’essaie de reprendre contenance dans mon bol. Ce n’est pas vraiment efficace, d’autant que l’interrogatoire n’est pas fini.
Je regarde Silas avec étonnement alors qu’il me demande si je regrette. Je ne crois pas avoir vraiment… regretté une relation. Même Daphnée qui m’a probablement réduit en miette de l’intérieur sur bien des aspects…Enfin, si on n’avait pas été ensemble elle aurait probablement fini ? Morte ou Azkaban ? Ce n’est pas vraiment que je me sens l’âme d’un sauveur, mais… j’imagine que si ce n’est pour moi, ça avait bien une raison d’être pour elle. Et j’en ai au moins tiré la certitude absolu que j’avais envie de fonder une famille, avec ou sans partenaire dans l’équation. Bref, la question ne se posait finalement même pas.

« Absolument pas. Et en toute franchise, je pense que même si ça devait très mal se finir, je garderai toujours un souvenir positif de cette rencontre. » Je dois probablement avoir une tête de ravi de la crèche, dans la mesure où un sourire niais se peint sur mon visage sans que je ne puisse vraiment le contrôler. Enfin, je reprends le fil de ma pensée et la question suivante à laquelle je ne vois franchement pas quoi répondre. « Je vais vous faire une réponse de gryffondor pur jus, mais je crois qu’à un moment, j’ai juste décidé d’arrêter d’y réfléchir ? » dis-je me moquant de moi-même et de ma tendance à faire avant et à penser après. « Il y a des choses qu’on ne peut pas savoir avant d’avoir tenté. Et…je m’en serais voulu de ne pas saisir l’occasion qui s’est présentée. Et me demander ensuite ce qu’il se serait passé si j’avais écouté un peu plus ce dont j’avais envie plutôt que mes… » comment pouvais-je vraiment définir ça. « interrogations ? Mes doutes ? » Les adultes n’en mènent pas toujours plus large que des adolescents. « Il n’y avait pas trente-six autres manières de les lever de toute façon. » ou alors il aurait fallu vivre sans jamais savoir, en laissant le questionnement s’endormir, ou le désir grandir dans un coin sans rien en faire, jusqu’à la prochaine occasion, avec son lot d’incertitudes. « Alors je ne sais pas quel est le déclic. Avoir moins peur d’une certitude même négative ou positive, que de devoir naviguer dans l’incertitude à chercher d’éventuels signes chez lui ou moi. » Et par Merlin, pour avoir reçu toutes sortes d’oracles de Siwan, je pouvais conclure assez facilement que ce n’était pas une discipline très fiable. Parfois le plus difficile est de se battre contre soi-même pour savoir ce qu’on veut.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

( No, I’ll stand my ground )

‎‎ ‎ L’étonnement se peignit sur le visage du directeur lorsque Silas lui demanda s’il avait déjà regretté sa décision. Cette réponse instinctive, claire sur ces traits mangés de rides chaleureuses, soulagea immédiatement la poitrine serrée du Serdaigle attentif. L’absolutisme de ses réponses le détendit davantage encore, alors qu’un sourire étonnamment doux étirait les commissures d’Armitage ; regard brillant de choses que Jørgensen ne pouvait pas voir. C’était à la fois assez embarrassant de contempler cette expression plaquée sur la face du dirlo et en même temps plutôt réconfortant – signe qu’on pouvait encore être plein d’espoir malgré la vie d’adulte qui lui paraissait bien sombre. Sans rebondir sur ses explications, l’adolescent se contenta d’écouter ; parfois en acquiesçant pour signifier qu’il comprenait ce que son interlocuteur voulait lui dire. Sans doute avait-il raison ; sans doute fallait-il arrêter de réfléchir et suivre son instinct, lorsque les réflexions s’emmêlaient et figeaient le corps dans une inertie paralysante. Ne rien faire, ne rien savoir, c’était assurément pire que de commettre une erreur. Après tout, l’apprentissage passait bien par l’échec, non ?
‎‎ ‎ Un petit soupir fit frémir ses lèvres jusqu’ici serrées, avant de tremper dans sa biéraubeurre pour se donner quelques secondes de songerie supplémentaires. Ses prunelles perçantes se perdirent un instant sur une ancienne tache récalcitrante du parquet élimé, lourdes d’une décision qu’il regretterait peut-être. Mais moins, sans aucun doute, que de passer à côté de ce “peut-être” qu’il croyait parfois entrevoir dans le comportement ambigu de son meilleur ami. Alors, il agirait exactement comme d’habitude ; il se laisserait porter par le naturel de leur relation – et advienne que pourra. Avait-il vraiment un autre choix ? Il refusait de le perdre. Au moins les choses étaient-elles plus claires, désormais. Silas se sentait plus léger, moins embrouillé – plus serein, aussi. Ce fut à son tour de sourire doucement ; à son tour de voir des images inaccessibles à son interlocuteur. “Merci.” Cette discussion n’était finalement pas la perte de temps qu’il avait craint – et Bane semblait l’avoir pressenti bien avant lui.

ft. @Fergal Armitage

credit; timus (code); timus (icons)

Je ne suis pas très à l’aise dans l’exercice imposé par Silas. Il n’y a rien de facile à se dévoiler à un élève, quand bien même je le connais plus que certains de ses camarades. Je ne tiens pas particulièrement à être un de ces Directeurs inatteignables dans leur tour d’ivoire. Loin de là d’ailleurs, je crois que je préférai largement la proximité que je pouvais avoir avec les élèves lorsque j’étais concierge. Mais de là à tenir ce genre discussion très intime. Ce n’est pas un litre de café qu’il va me falloir pour m’en remettre. Le serdaigle est étonnamment silencieux, buvant mes paroles. Je pourrais presque croire un instant que ma vie privée est intéressante.

Mais je ne me fais aucune illusion, c’est sûrement que quelque part, elle lui donne à réfléchir sur ce qu’il a envie de faire ou d’éviter à tout prix. Nous ne sommes probablement pas fait du même bois, il se sert sûrement plus de ses méninges que moi à son âge. Mais c’est un garçon que j’apprécie. J’espère qu’il trouvera un peu d’apaisement dans ce retour à Poudlard compliqué. Je ne sais pas s’il a encore des contacts avec sa famille maintenant que la protection à l’enfance a pris en main le dossier. Son père n’avait pas l’air en état, mais sa sœur a eu une initiative courageuse, peu importe les souffrances qu’elle engendre. Alors si je peux être une oreille compréhensive et partager quelques brides de conseil… Je peux supporter de me sentir stupide quelques minutes.
Silas semble enfin être moins tendu, son regard moins sombre. Je ne sais pas à quoi il pense, et je crois que ce n’est pas le moment de le demander. Ses remerciements me touchent, bien que je n’ai pas le sentiment d’avoir fait grand-chose pour les mériter. « De rien Silas. Profitez de la bieraubeurre, je crois qu’il est temps que je commence à aller rassembler le reste du troupeau. » dis-je avec un sourire las.

“The ache for home lives in all of us. The safe place where we can go as we are and not be questioned.”― Maya Angelou

**Contenu sponsorisé** À SAVOIR DETAILS EN PLUS