Le travail de professeurs avait un quelque chose de relativement soporifique par sa dimension répétitive. Il n’y avait guère d’évènements qui venaient réellement stimuler l’intellect, chaque année ayant son lot de sujets qu’il se fallait d’aborder quoi qu’il en coûte et ce, sans réellement pouvoir se laisser aller à trop d’excentricités. Cela arrivait, bien sûr, qu’ils puissent s’éloigner un peu des sentiers battus, Myrthilde et lui en avaient déjà fait l’expérience plus tôt dans l’année, mais les occasions demeuraient rares et l’emploi du temps restreint exigeait d’eux qui limitent au maximum toute velléité de s’éloigner trop du programme imposé par le ministère.

Quelle plaie, ce ministère. Wenceslas ne cessait de lever les yeux au ciel chaque fois qu’il recevait une notification du département responsable de la scolarité de Poudlard, celui-ci de temps à autre mu par une volonté de s’immiscer dans les affaires des professeurs pour leur compter leur dernière trouvaille pédagogique révolutionnaire ; « il faut enseigner ceci à vos élèves, puis cela, oh et attendez, n’oubliez ça ! Voyez comme nous sommes attentifs à l’intérêt des futures générations ! ». Foutaises. Ils ne faisaient qu’alourdir le programme de détails ridicules, là où le né-moldu optait pour une approche plus libre et globale ; il ne s’agissait pas d’enseigner aux élèves à remuer un peu leur baguette pour qu’ils puissent lancer un nouveau sort qui ne leur servirait probablement jamais de leur vie, mais bien de leur montrer comment apprendre, comment être inventifs et débrouillards. S’ils maîtrisaient cela, alors leur dire de remuer la baguette de haut en bas en prononçant une formule précise serait superflu. En outre, il n’avait pas abandonné l’idée de former les futures générations du département des mystères et, pour être à la hauteur, maîtriser bêtement quelques sortilèges était grandement insuffisant. Là-dessus, il voulait bien être d’accord avec feu le professeur van Aken et ses tableaux : la discipline qu’il enseignait, abordée selon les attendus du ministère, ne nécessitait guère de finesse ou de talent particulier. Mais lui attendu plus. Et il voulait plus, ne serait-ce que parce qu’il était avant tout un chercheur et qu’il ne pouvait se satisfaire de passer ses journées à corriger les mêmes copies, répéter les mêmes paroles creuses en cours et admonester les mêmes élèves ignares.

Heureusement, il avait quelques collègues qui partageaient cet avis. Le vieux maître des potions n’avait jamais trop compté, puisqu’il n’était pas de nature à partager une quelconque pédagogie avec son collègue du quatrième étage, mais Myrthilde ou Jack étaient de ses sorcières qui n’oubliaient pas qu’avant d’être professeurs, ils étaient d’abord des chercheurs. Travailler avec l’une ou l’autre revêtait dès lors un intérêt particulier qui venait compenser la monotonie de son travail ; au diable les cours, dès lorsqu’il eut terminé de corriger ses dernières copies, Wenceslas jeta sur ses épaules sa cape de sorcier et quitta son bureau pour rejoindre les serres. Il avait convenu avec Jack qu’ils se retrouveraient dans la serre numéro huit à la fin de la journée d’enseignement.

Les deux anciens locataires d’Azkaban partageaient un même intérêt curieux pour certaines formes de magie qui coexistaient en sortilèges comme en botanique et l’ancien langue-de-plomb avait été particulièrement heureux de parvenir à se procurer – non sans lorgner du côté de l’allée des embrumes quelques temps plus tôt – une bouture particulière de sanguinaria. La résine qu’elle produisait était tantôt utilisée comme ingrédient pour un poison, tantôt comme un remède pharmaceutique, mais Wenceslas ambitionnait depuis longtemps de pousser les expériences plus loin ; et c’est là qu’intervenait le professeur de botanique. Outre le fait qu’il n’avait pas le matériel et l’expérience suffisante pour entretenir une bouture d’une telle valeur, Jack était celle qui avait le plus étudié la lycanthropie. Son savoir en la matière était alors double puisque, bien qu’il n’ambitionnât pas de soigner les loups-garous, l’impact de la résine de sang-dragon sur la présence de magie dans le sang humain l’intéressait grandement... et les mutations magiques d’une malédiction comme celle des lycanthropes étaient en la matière particulièrement intéressantes à étudier.

Suffisamment de temps s’était écoulé depuis la mise en terre de la plante ; à présent qu’elle arrivait à maturité, les deux enseignants pouvaient s’atteler à la partie la plus intéressante – à tout le moins aux yeux du langue-de-plomb.

La nuit commençait à tomber lorsqu’il arriva au pied de la serre numéro huit, la plus éloignée du château, la plus petite également, et celle où Jack gardait jalousement ses plantes personnelles. Wenceslas y pénétra avec prudence ; lorsqu’il s’agissait de botanique, il valait mieux toujours être sur ses gardes, peut-être presqu’autant que pour pénétrer dans l’un des bureaux du département des mystères... et il ne donnait pas cher de la peau de celui qui s’aventurait à aller fouiller celui d’un langue-de-plomb spécialisé en botanique.

- Bonsoir, Jack, s’annonça-t-il après avoir éclairci sa voix d’un raclement de gorge.

Il s’avança, laissant son regard couler sur les multiples plantes et champignons qui occupaient l’espace visuel. Il ne venait que pour l’une de toutes ces boutures, mais cela ne l’empêchait pas de porter un certain regard curieux sur tout ce que pouvait entretenir ici la botaniste. Et puis, ils avaient du temps devant eux. La soirée, peut-être toute la nuit, qui sait... Wenceslas n’était pas un grand dormeur et souvent il avait dénigré son sommeil pour prolonger un peu l’étude de magies plutôt prenantes.

- La bouture de sanguinaria a-t-elle bien poussée ? La faire venir jusqu’en Écosse n’était pas simple, je craignais que le transport ne l’abîme...

L’une des innombrables raisons qui justifient qu’il fasse appel à sa collègue ; il pouvait exiger une infiniment prudence avec la plante, si sa réception et son entretien manquaient de finesse, tous ses efforts – et l’argent qui allait avec, quoi que ce soit un détail à ce niveau – seraient réduits à néant.

Au-delà de la recherche et des motivations intellectuelles qui animaient Wenceslas, il devait bien admettre que travailler de concert avec Jack relevait un intérêt très personnel qui n’avait rien de commun avec la simple relation forcée de travail ; il l’appréciait réellement, non pas seulement comme une collègue, mais comme une amie, à l’instar de Fergal. Tous ne pouvaient pas se targuer de prendre cette place dans l’environnement social de l’ancien langue-de-plomb ; il était lent à la sympathie et s’ouvrait difficilement à l’autre, favorisant les relations les plus neutres, qui ne demandaient guère un grand investissement humain. Il appréciait pourtant la présence de la quinquagénaire et son humour si différent du sien avait du bon, quoiqu’il ne se privât pas pour hausser un sourcil désespéré ou pousser un soupire las chaque fois qu’elle s’y adonnait.  

- Ah, mon collègue préféré. Wensley ! Soirbon, comme disent les jeunes – enfin, ils ne disent probablement plus ça, maintenant. Wesh, peut-être ?

Il avait beau être le plus jeune d’eux, elle était celle qui respirait le plus la fraîcheur de la jeunesse. Jusque dans ses salutations, elle semblait courir après le temps, guettant toute occasion de rappeler qu’elle n’était pas encore devenue vieille et désagréable, comme ce cher Wensley.

- Tu passes trop de temps avec les élèves, je ne crains qu’ils ne finissent par t’abrutir, ma chère, répondit-il d’un ton placide, quoiqu’une très légère inflexion dans sa voix trahissait un peu la moquerie taquine.

Jack était une femme infiniment plus appropriée comme professeur et directrice de maison que Wenceslas, personne n’en avait jamais douté. Il était froid et était autant avenant qu’un vieil arbre rabougri que l’on envisageait de déraciner définitivement. Rares étaient les élèves qui envisageaient ne serait-ce que d’aller le voir pour parler de leurs petits problèmes – et ça n’était pas plus mal – là où il ne doutait pas que sa collègue attire plus de confidences et la confiance des adolescents.

L’homme s’avança vers la bouture, répondant à l’invitation de son aînée de venir la contempler. La plante, bien sûr. La sanguinaria avait non seulement survécu au transport, mais ses tiges s’étaient à présent garnies de beaux bourgeons. Certains avaient d’ailleurs déjà éclos, agrémentant ce bois terne de belles fleurs, un peu à l’image des deux enseignants ; l’un était morne comme le bois et l’autre vivante comme les feuilles qui s’étendaient progressivement autour de sa tige.

- Mes doigts ont toujours fait des merveilles, ironisa la botaniste.

Wenceslas releva un sourcil vers la quinquagénaire, le regard semblant la juger comme si elle était l’une de ses élèves qui méritait un retrait de points.

- Je commence à comprendre quelle est la caractéristique des poufsouffles. On parle toujours de leur loyauté et de leur sens du travail, mais à contempler Appleton et toi, je crains que nous nous soyons tous fourvoyés.

Il n’y avait nul besoin d’en dire plus ; elle voyait suffisamment le rejeton du ministre en salle de retenue – souvent parce que l’ancien langue-de-plomb l’y avait mis, d’ailleurs – pour savoir que le bon goût et le bon sens n’étaient que rarement au rendez-vous lorsqu’il se risquait à faire un trait d’humour. Il était aussi grivois que lui était rigide.

L’heure n’était toutefois pas aux commérages sur les étudiants, aussi amusant cela puisse être. Ils avaient du pain sur la planche et une plante aux propriétés prometteuses devant eux. À la fois poison et remède, la résine que produisait la sanguinaria pouvait être utilisée pour bien des choses et fort de son expérience, le professeur de sortilèges escomptait bien vérifier jusqu’où ils pouvaient aller avec.

- Je constate que tu as déjà extrait du sang-dragon... nota-t-il d’un ton approbateur en avisant le petit bol et les quelques fioles qui l’accompagnaient.

Ils avaient l’essentiel et la soirée devant eux pour travailler, quitte à dériver parfois pour des choses et d’autres. Il connaissait Jack : elle était très sérieuse dans son travail mais assez joueuse et imprévisible... et c’est ce qui faisait son talent. Wenceslas suivait trop les protocoles et se montrait souvent rigide, ce qui pouvait parfois atténuer l’inventivité nécessaire à toute bonne découverte. Aucun grand nom du monde sorcier n’était jamais né sans qu’ils ne découvrent un peu de folie chez eux.

- Certains sorciers, il n’y a encore pas si longtemps, avaient théorisés sur le taux de magie dans le sang, selon les origines du sorcier... les idées sous-jacentes derrière cette affirmation ont toujours été aussi répugnantes qu’une salle de retenue après le départ des élèves, mais nous aurions tort d’ignorer cette hypothèse par simple idéologie, déclara-t-il en prenant entre ses doigts l’un des échantillons de sang. « Ce serait assez cocasse que deux sang-de-bourbes soient parmi les premiers à confirmer cette hypothèse, tu ne crois pas ? »

Là était le genre d’humour du né-moldu : il aimait se jouer des idées préconçues et la perspective qu’une déclaration d’abord faite dans l’unique but de clamer la supériorité des sorciers au sang-pur soit finalement confirmée – dans une certaine mesure – par un opposant l’amusait. Cela étant, s’il croyait possible qu’il y ait une réelle différence, il n’en était pas encore arrivé au point de juger que celle-ci aient une quelconque valeur susceptible de clamer la supériorité de qui que ce soit. Au contraire.

- Que dirais-tu de prendre des paris sur les effets du sang-dragon ? Cela pimentera un peu la partie la plus rébarbative de nos expérimentations.

Il semblait parfois que Jack fuyait l’âge. Plus les années marquaient ses traits, plus elle s’évertuait à montrer qu’elle était encore bien loin d’avoir un pied dans la tombe : des soirées adolescentes à leur argot, Wenceslas pourrait presque être tenté de croire qu’elle cherchait à rattraper les années perdues... mais il savait combien elle avait su tirer parti de son temps à Poudlard, et même après. La peur de vieillir, en revanche, lui semblait être chevillé au corps.

- Je crains que pour moi, ce ne soit trop tard. J’étais déjà ringard quand nous étions à Poudlard, rétorqua-t-il sans une once de honte.

Il forçait le trait, mais la vérité demeurait là : il n’avait jamais été un adolescent populaire et resplendissant de joie et les années n’avaient fait qu’exacerber un trait de caractère aussi sûrement ancré en lui que l’exubérance chez la botaniste. Sûrement était-ce pour ça qu’il aimait travailler avec elle : s’il était la glace, elle était le feu et ça n’était qu’en maniant habilement les deux que l’on pouvait forger les plus belles œuvres. Se pencher sur des travaux quelconque sans avoir la verve de Jack était quelque peu plus ennuyant et dans les travaux qui nécessitaient patience et rigueur, cela pouvait se révéler fatal.

Sûrement aussi consciente de l’intérêt distrayant qui se jouait dans leur collaboration, elle ne manqua pas de tenter une pique grivoise, à laquelle Wenceslas ne put s’empêcher de rebondir avec une platitude provocatrice.

- S’il n’y avait pas d’Appleton et de Griffith pour distraire tes journées, tu serais déjà mort d’ennui depuis des lustres ! Tu nous adores, souleva la plus âgée dans un gloussement presque adolescent, ce à quoi il lui répondit par un sourire taquin :
- C’est donc ça, les poufsouffles sont les descendants du bouffon du roi.

De là à se qualifier lui-même de roi, il n’y avait qu’un pas... qu’il ne fit toutefois pas, laissant le silence chargé de ce sous-entendu. Ils avaient mieux à faire que d’échanger des moqueries comme les deux adolescents qu’ils n’étaient plus depuis longtemps : la sanguinaria était fin prête et en parfait état malgré le transport. Jack avait vraiment fait du bon travail, comme toujours. Le bol de sang-dragon et les échantillons d’hémoglobines étaient disposés à côté de la plante, déjà prêts pour l’expérience.

- Moi qui croyais que tout n’était qu’idées crapuleuses, chez toi... lui répondit-il alors qu’il examinait la résine.

Il avait élaboré plusieurs théories quant à ses effets, mais rien n’égalait en la matière la pratique. L’ancien langue-de-plomb avait envisagé bien des résultats différents et tous très opposés les uns des autres ; sa curiosité en était dès lors plus grande. Non dénué d’humour malgré ses airs souvent très rigides, le chercheur en lui n’hésita donc pas à proposer un petit pari pour agrémenter leur expérimentation d’un peu d’enjeux et de piment. Galant, il laissa à la botaniste le soin de choisir en premier la nature de sa supposition.

- Je parie que les sang-de-bourbe ont un taux de magie plus concentré que la moyenne des sorciers devina-t-elle en expliquant ses propos d’une thèse qui n’était pas sans logique, avant de lister les différentes fioles qu’ils avaient à disposition.

Le né-moldu opina du chef d’un air satisfait. Avec deux échantillons de sang-pur différents et deux de sang-de-bourges – les leurs – ils avaient de quoi se faire une première idée assez fiable, quoiqu’elle ne suffît bien entendue pas pour élaborer une théorie irréfutable. Ils n’avaient pas encore assez de résine pour faire des expérimentations à plus large échelle pour l’heure, de toute façon. Ne leur manquait plus qu’un sang-mêlé pour avoir une base d’étude plus globale... et cela tombait bien, Wenceslas avait pensé à ça. Sortant de la poche de sa veste une fiole rougeâtre, il la déposa à côté des autres en indiquant :

- Du sang-mêlé pour avoir un étalonnage. C’est le sang de notre cher directeur. Il eut un sourire. « Fergal a un peu louché quand je lui en ai demandé. »

Évidemment, il lui avait expliqué la nature de l’expérience ; ça n’était pas tous les jours qu’un langue-de-plomb venait vous demander un peu de sang et généralement, ce genre de demande évoquait un peu trop la magie noire pour qu’il puisse se passer de tout éclaircissement. Heureusement pour lui, leur directeur le connaissait suffisamment pour ne pas appeler séance tenante les aurors.

- Je vais donc me faire le défenseur des thèses puristes et parier que la résine réagit plus au sang pur qu’au nôtre déclara-t-il d’un ton emphatique. « Que remporte le gagnant ? Le droit de payer un verre à l’autre, ou désires-tu quelque chose de précis ? »

Mais trêve de bavardages, il était désormais temps de passer aux choses sérieuses. L’homme donna un coup de baguette, faisant apparaître une plaquette pleines d’alvéoles semblables à celles qu’utilisaient les moldus, et déposa un peu de résine dans l’une d’entre elles. Il déboucha délicatement le petit récipient qui contenait l’hémoglobine de Fergal et en versa dessus, prenant garde à ne point en renverser à côté.

Le sourire carnassier de Jack ne quittait plus son visage, ridant sa peau de traits adoucis par ce que Wenceslas devinait comme un maquillage soigneusement préparé et une attention toujours particulière pour son apparence. Elle n’était pas femme à laisser le temps et les épreuves désagréger son apparence, et jamais elle ne se négligeait, pas même lorsqu’elle devait plonger les mains dans le terreau qui nourrissait ses nombreuses plantes. À bien des égards, elle était véritablement une femme fatale, tant par son attitude soigneuse que par le danger qu’elle pouvait représenter pour quiconque s’approchait trop d’elle sans prêter gare à ses pas. La prudence était de mise avec elle mais voilà bien des années que l’ancien langue-de-plomb ne s’en inquiétait plus. Cela remontait sûrement à Azkaban. Assez paradoxalement, les affres de la prison avaient fait tomber certaines barrières que le jeune adulte qu’il fut autrefois n’aurait pu imaginer.

- J’étais très bien fagoté, je te prie. J’étais simplement en avance sur mon temps.

Ou en retard... mais l’histoire étant finalement assez cyclique, cela revenait presque au même. Il demeurait vrai que les élèves qu’ils étaient à l’époque ne vivaient pas de la même façon et selon des objectifs similaires. Wenceslas avait été à la popularité ce que Jack était aujourd’hui à l’innocence.

- J’ai toujours eu un don particulier pour égayer les cellules de prison, confirma-t-il d’un ton pince-sans-rire. « Mes élèves pourront te le confirmer. »

Nul besoin d’avoir une salle de classe dans les sous-sols de l’école pour prétendre donner l’illusion d’être dans un cachot.

- Les chiens ne font pas des chats, comme on dit. Comment va-t-elle, d'ailleurs ?

Et quel chien ! La botaniste devait avoir en animal totem un molosse enragé et dangereux. Sa fille n’était pas si inquiétante, mais il ne doutait pas qu’un jour, elle finirait par hériter des traits maternels.

Le sourire de Jack se tendit, devenant presque une ligne droite, et son sourcil se courba dans une gymnastique faciale impressionnante. Il était persuadé qu’elle s’entraînait devant sa glace, le matin, pour parfaite son air le plus menacent.

- Toutes mes excuses, gent dame, rétorqua-t-il en courbant légèrement le chef, son rictus moqueur ne quittant plus ses lèvres.

Il avait touché la ligne sensible de l’égo de la femme, un amour pour sa propre personne qu’en digne serpentard, il ne pouvait tout à fait critiquer. Avec elle, il pouvait se montrer taquin, mais il n’oubliait pas les règles de bienséances élémentaires, la galanterie lui imposant de laisser le dernier mot à Jack... et puis, il n’avait pas envie de rentrer dans un véritable conflit avec elle. Ils avaient de toute façon plus important, le plant exporté jusqu’en Écosse occupant désormais leurs pensées et le cœur de la discussion. Chacun avait fait sa part du travail, récupérant quelques échantillons de sang mêlé et de sang pur – quant à celui issu de moldus, ils en avaient suffisamment de litres pour remplir une baignoire. Quoique ce n’était pas tout à fait le but du jour, nul n’envisageant pour l’heure de devenir une nouvelle comtesse Bathory.

- J’imagine qu’être directeur dans une école qui accueille un loup-garou et une vampire force à se montrer prudent.

Et puis, il ne fallait pas oublier que Fergal, avant d’être un concierge, eut des velléités d’intégrer la brigade de la police magique... Wenceslas était bien placé pour savoir que très tôt dans la formation, ils apprenaient à se méfier de tout ce qui touchait au sang sorcier. Même à Poudlard, les élèves avaient généralement suffisamment assez de bon sens pour comprendre que la magie qui impliquait d’utiliser du sang était rarement très propre et sympathique.

Prêt à débuter, les paris furent pris et le lot du gagnant déterminé. Un verre bien sûr – c’était la base de toute collaboration digne de ce nom – mais quelque chose de plus pimenté, qui puisse mieux s’accorder à la situation. Il ne fut pas surpris de la voir saisir cette perche à pleine main. Avec certains, il aurait pu refuser de but en blanc ; il n’était pas homme à se laisser prendre si facilement à des jeux dangereux, ou à des jeux tout court d’ailleurs, mais il baissait plus facilement la garde en la présence de Jack. Elle en connaissait déjà beaucoup de lui et c’était suffisamment réciproque pour qu’il puisse être certain qu’elle n’utiliserait pas n’importe comment une information. Elle demeurait malgré tout une femme intelligente et plus retorde que l’on pouvait l’imaginer de la part d’une ancienne poufsouffle.

- Je confirme que tu n’as rien de la bouffonne du roi. Tu es l’espionne, la main invisible qui complète derrière le trône. Il afficha un sourire. « Va pour le secret. Bien entendu, ne t’attends pas à la moindre chose qui touche au département des mystères, je tiens encore à la vie. »

Précision inutile s’il en était : elle n’était pas aussi naïve que leur jeune collègue Jaimie et savait comment fonctionnait ce monde. En outre, s’il dévoilait une information sensible provenant du ministère, il n’était pas le seul à risquer de voir sa tête séparée du cou.

À son tour, la botaniste versa du sang-pur sur un autre échantillon de résine, n’obtenant un résultat guère plus extraordinaire qu’avec celui du directeur. Wenceslas fronça les sourcils.

- Voilà qui est pour le moins décevant. Il haussa un sourcil. « Et fort peu encourageant pour l’avenir de mon jardin privé. »

Il ne partait pas gagnant, c’était certain.

- Puis-je savoir de quel sang il s’agissait ? Celui de ton tendre ex-époux ou celui de notre très estimé et naïf collègue ?

Peut-être y avait-il effectivement une différence notable et ils n’allaient pas tarder à le savoir. En outre, il leur restait encore leur propre sang à tester ; c’était le dernier élément important pour l’expérience. Le plus important, même.

Après avoir noté minutieusement sur un parchemin les deux résultats, le directeur de serpentard retira le bouton de manchette de son bras gauche et remonta lentement sa chemise jusqu’au niveau du coude. Si le premier échantillon pur et celui mêlé n’avaient guères agi différemment – à l’œil nu tout du moins – découvrir que le sien agissait d’une autre façon éveillerait grandement son intérêt. Il était là pour ça : isoler du liquide les particules de magie qui l’imprégnaient et l’étudier pour en découvrir les traits majeurs. Éventuellement, cela pourrait permettre de mieux appréhender les maladies qui touchaient les sorciers et épargnaient leurs homologues moldus.

D’une main ferme mais prudente, il incisa du bout de sa baguette la paume de sa main pour faire tomber quelques gouttes sur un nouvel échantillon de sanguinaria.

Comme l’ombre et la lumière, Wenceslas et Jack s’opposaient parfaitement tout en étant indissociable. Lui était l’obscurité faite, un être dont l’apparence morne et sombre rappelait ironiquement les mages noirs amateurs qui s’étaient constitués en mangemorts ; son style était simple, sans fioriture, et il s’en accommodait fort bien. Derrière ses quelques rodomontades, il n’avait jamais prétendu à une quelconque forme d’originalité ou de signe particulièrement d’instinctif. Même jeune, il n’avait pas escompté être populaire. Il était, et c’était déjà pas mal. Alors que la botaniste compare sa mode à celui des croque-morts ne le fit pas siller : il ne s’agissait même pas d’une blague, mais bien d’un constat très objectif de la réalité. Encore qu’il préférât presque être comparé à un gardien de prison ; il était mieux placé pour en apprécier le style.

Le nom de l’unique progéniture de la directrice de poufsouffle glissé dans la conversation, l’ancien langue-de-plomb hasarda à son sujet une question, prenant des nouvelles de l’adolescente. Les jeunes de cet âge étaient rarement de doux agneaux obéissants et il imaginait mal quelqu’un qui partageait le même sang que sa collègue se montrer tout à fait inoffensif. Il savait les relations entre elles plutôt conflictuelles, mais qui était-il pour blâme la mère ? Il n’avait lui-même rien d’un géniteur modèle.

- Ah les adolescents de nos jours... ils n’ont pas connu suffisamment de guerres, ils ont donc tout le loisir de juger leurs parents fautifs de leurs maux.

Son discours avait quelques allures de pensées de vieux cons, mais il était à des lieues de ça : loin de clamer que « c’était mieux avant » il se félicitait que leurs enfants puissent se préoccuper de choses d’enfants. À l’instar de l’association de droits des élèves qui s’intéressait à l’éducation sexuelle finalement. Il se fendit d’un sourire plus compatissant que moqueur, cette fois-ci :

- Avec le temps, ça ira mieux, je n’en doute pas. Elle a juste hérité de ton caractère de cochon.

Et pour la dernière comparaison, c’était cadeau : elle lui était venue si naturellement qu’il aurait été dommage de l’enfouir dans des compliments creux et superflus. Ils n’étaient pas ici pour se caresser dans le sens du poil. Ils enfilaient ce soir leur plus belle tenue de chercheurs, non celle de politicien qui donnait de grandiloquents discours pour plaire à son électorat. Wenceslas était par ailleurs très mauvais à ce petit jeu-là et Jack était beaucoup trop directe pour faire une bonne politique, quand bien même des gens comme elles seraient sûrement plus efficaces qu’une armée de ministres Appleton. Si seulement ce dernier délaissait un peu plus la gestion de l’école au conseil d’administration et – surtout – à son directeur, ça ne serait pas plus mal : l’homme aurait pu retenir la leçon de son épouse, mais non, il s’évertuait à se mêler de ces choses alors qu’il avait autant de talent en la matière que le langue-de-plomb en avait pour se faire bien voir de ses élèves.  

- Tu ne savais pas ? arqua-t-il un sourcil en l’air lorsque sa collègue s’étonna de la présence d’une vampire. « Je ne devrais pas être très étonné d’apprendre que tu ne lis pas les dossiers scolaires de tes élèves, il est vrai... »

Sans doute était-il le seul du corps enseignant à s’être pris un temps certain pour tout étudier : il aimait connaître les garnements qu’il allait avoir dans sa classe, cela lui permettait d’appréhender les têtes dures et de personnaliser un peu plus les cours lorsque cela se révélait parfois utile.

- Il s’agit de mademoiselle Agatha Kline, l’Américaine de gryffondor, dévoila-t-il finalement. « Si cela n’était pas malvenu de demander à des élèves un peu de leur sang, sans doute aurait-il été intéressant de voir les effets du sien sur la résine. »

Celui du cracmol Chastel également. Mais le problème de l’éthique se posait beaucoup trop : c’était une chose que de demander à un Fergal majeur et prudent quelques gouttes de son hémoglobine, une autre que d’aller en quémander à des élèves pour qui les professeurs étaient des figures d’autorité. Ils allaient donc se contenter de ce qu’ils avaient à disposition pour leur expérience : quelques fioles et le contenu de leurs propres veines. Ainsi que quelques paris pour pimenter un peu la soirée. Habitué à l’égo de la directrice de poufsouffle, qui était finalement beaucoup plus celui d’une serpentard, il se protégea d’une mise en garde saupoudrée d’une légère flatterie aux restes des moqueries antérieures. Bouffonne, espionne ou simple professeur, qu’importe à vrai dire. Les règles étaient posées, les secrets préparés savamment, il ne leur restait donc plus qu’à se pencher sur la raison première de leur présence : à trop discuter, ils en auraient presque fini par oublier leur objectif.

Les essais étaient relativement peu concluants jusqu’à présent : la résine réagissait de manière plutôt similaire sur chacun de leurs échantillons, seul le propre sang du né-moldu marqua une légère différence quoique peu probante : la résine avait bouillonné un peu plus longtemps jusqu’à évaporer l’hémoglobine, mais sans laisser de traces de magie évidente. C’en était presque vexant.

- Je suis au moins heureux de constater que mon sang ne m’a pas trahi dans ce pari, souligna-t-il en préparant une ultime palette pour tester le sang de Clerc. Il se fendit d’un sourire moqueur à la remarque de Jack : « Vois le bon côté des choses, si cela arrive, tu n’auras pas à supporter un mariage avec un mari dont le sang t’a trahi. »

Très étonnamment, le sang d’Alban ne se mit pas à bouillonner comme les autres mais plutôt à... faire geler la résine. L’exact opposé donc de ce que l’hémoglobine des sang-mêlés et moldus, ainsi que de celui de Septimus, avait provoqué.

- Eh bien... c’est curieux, ça, ne put-il que dire face à ce constat. « Ton ex-mari va effectivement déterminer le gagnant de notre pari, il semblerait... mais qui donc remporte la mise ? »

Il eut un sourire.

- À moins que tu ne veuilles essayer avec ton propre sang ? Sait-on jamais, c’est peut-être vos deux sangs qui rigidifient tout ce qu’ils touchent ?

Une ultime tentative pour confirmer l’essai.

Élevée dans les geôles de l’une des pires inventions du gouvernement sorcier britannique, l’amitié que se vouaient les deux adultes avait un quelque chose de réconfortant pour Wenceslas. Comme un vieux chat, il n’aimait pas être dérangé dans ses habitudes et Jack reflétait l’une de ces choses immuables dans son quotidien, quand bien même elle s’évertuait jour après jour à le secouer un peu plus. Et finalement, si elle contribuait à le dépoussiérer un peu, leur relation n’en restait pas moins toujours la main : des taquineries qui entouraient des propos plus sérieux, la charge parentale et les angoisses d’une mère à peine reconnues avant d’être aussitôt chassées, le visage toujours si impassible. L’ancien langue-de-plomb esquissa un sourire ; elle jouait la dure-à-cuir, mais il percevait clairement les failles qui l’ébranlaient parfois. Pour deux personnes qui avaient eu l’adolescence et leurs jeunes années d’adulte frappées par la guerre, porter un regard suffisamment optimiste sur l’avenir pour oser mettre au monde quelqu’un était complexe ; cela relevait d’un courage qu’il n’avait lui-même pas su prendre – pas volontairement à tout le moins – et il savait que la botaniste l’avait également plus subie que réellement désirée, quoique dans des conditions différentes. Elle demeurait mère, alors que lui n’était que géniteur.

- Dumbledore soit loué, j’ai été formé à bonne école avec toi en codétenue ! Je suis prêt à affronter une mini-toi durant mes cours.

Il affrontait déjà sa propre progéniture dans ses cours, et elle était infiniment moins sympathique que Senna ne pouvait l’être. La petite serdaigle restait une gentille fille, déjà têtue mais aussi souriante que Jin Kyung pouvait être froid. Il ne craignait pas vraiment d’avoir un jour de sérieux problèmes avec elle, même si celle-ci se mettait à vouloir contrer sa mère sur tous les plans. Si inquiétude il y avait à avoir, elle n’était pas sur ce plan-là. La présence d’une vampire pouvait en revanche être motif à préoccupations : Kline semblait se tenir à carreau, mais Wenceslas demeurait toujours méfiant quand il s’agissait de ces créatures par nature dangereuses.

- Oh, c’est vrai, j’oubliais que tu ne l’as pas en cours, contrairement à moi, déclara-t-il, un sourire faussement innocent sur les lèvres. « Il est vrai que ma matière fait souvent plus d’émules que la tienne. »

Il se racla la gorge, l’air goguenard, avant de reprendre d’un ton plus sérieux :

- Malheureusement, le ministre a des lubies de plus en plus curieuses. Nous nous devons donc d’accueillir une vampire parce qu’Appleton a besoin du soutien politique de certaines franges militantes. S’il n’avait pas un fils entre ces murs, j’aurais parié qu’il considérait la vie de nos élèves comme secondaires...

Même lorsqu’il intégrait l’école sur la demande du ministre, Wenceslas n’avait jamais eu de sympathie particulière à son égard. Ils ne partageaient nullement leurs avis politiques et il semblait désormais qu’ils ne pouvaient même plus s’accorder sur le besoin de sécurité à Poudlard. Un constat malheureux, s’il en était.

Trêves de frivolités cependant, les deux adultes étaient après tout là pour des choses sérieuses qui impliquaient qu’ils y prêtent une grande attention et à défaut de pouvoir expérimenter sur l’hémoglobine d’une vampire, il leur restait encore celle de la directrice de poufsouffle qui ne tarda pas à en faire couler quelques gouttes, tout en le priant d’être fidèle. Sans doute son propre sang devait-il être effrayé par celle dont il provenait, puisqu’il se révéla fort docile et se rigidifia comme celui de Clerc juste avant. Annihilant toute possibilité de constater une différence selon les types de sang, l’expérience ouvrait toutefois d’autres éventualités qui mériteraient sûrement d’êtres évoquées... bien plus actuelles politiquement parlant soit dit en passant.

- Eh bien, je crains de devoir capituler dit-il en rompant le silence qui s’était installé. Il leva légèrement les mains en l’air, comme pour se rendre. « La thèse de la magie plus présente dans le sang-pur n’est pas confirmée... la tienne ne l’est pas non plus totalement, cela étant. »

Elle avait après tout émis l’idée selon laquelle la magie était plus présente dans le sang de né-moldu que l’inverse, or rien dans ce qu’ils venaient de constater ne permettait de faire la moindre distinction et les deux dernières tentatives tendaient à démontrer que les réactions provenaient d’autre chose que de la nature même de l’hémoglobine.

- Toutefois je serais attristé de conclure notre pari sur une note aussi neutre, aussi je reconnais ma défaite : le sang-pur n’ayant pas été suffisamment probant, la thèse que je défendais est donc caduque, offrit-il en inclinant légèrement la tête d’un air théâtral.

Protégés par la verrière de la serre de botanique, les deux enseignants avaient laissés un bref instant le travail et les taquineries de côté pour toucher du doigt les véritables préoccupations de Jack. La femme ne le savait peut-être pas, mais il était capable de comprendre certains de ces maux qui la traversaient et s’il ne partageait pas les inquiétudes naturelles d’une mère, il la connaissait suffisamment pour voir dans ses iris briller questions et exaspérations qui pouvaient la traverser chaque fois que Senna entrait dans l’équation. Quoi de plus normal pour deux anciens raflés que de s’inquiéter du pire ? C’était là bien une des raisons qui avait poussé Wenceslas à se tenir éloigné de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une vie de famille : jamais il ne s’était senti capable d’affronter tout ce qu’elle finirait inexorablement par induire pour lui. La solitude lui allait mieux : ainsi il vivait en paix, capable désormais de se préoccuper de ses élèves parce qu’il n’avait pas à garder à l’esprit la sûreté de sa propre progéniture.

- Voyons, Jack, tu dis ça parce que tu ne te vois pas, au quotidien, taquina-t-il un peu, quoiqu’avec un certain sérieux. « Je note que pour mater une Griffith, quelques détraqueurs font l’affaire... je ne suis pas certain que Fergal accepte que j’en ramène dans mes cours, cela étant. »

Il y en avait déjà un présent dans la salle de sortilèges : lui. Sans doute que des supplémentaires seraient superflus. Et puis lui-même n’aimait pas particulièrement ses créatures : elles l’avaient suffisamment marqué durant ses jeunes années pour qu’à présent, il se garde bien d’en recroiser, même protégé par un patronus. En outre, il avait déjà une vampire dans sa classe, il n’allait pas se rajouter d’autres obstacles à la tranquillité de ses enseignements, si ?

L’occasion fut trop belle pour ne pas la saisir : le professeur de sortilèges savait pertinemment comment titiller l’orgueil de sa collègue et l’attaque ne manqua pas de faire mouche, frappant au cœur. Un sourire coupable fendit le visage de Wenceslas alors que le courroux de Jack s’abattait sur lui, plus puissant qu’une tempête.

- Ou ils finiront par s’encrouter à Sainte-Mangouste à l’étage des préparations d’onguents.

À ce petit jeu-là, il aura tôt fait de lui laisser le dernier mot : il admettait bien volontiers que sa discipline, aussi importante soit-elle – elle était après tout la base de toute forme de magie et même un prérequis aux botaniques – n’en demeurait pas moins trop large pour faire à elle toute seule concurrence avec des disciplines comme botaniques ou potions. Cela étant, sans elle, de nombreuses filières se fermaient aux candidats.

- Mais ce n’est pas une compétition, voyons. À la rigueur, si compétition il y a, ce sera sur le pourcentage d’obtentions des ASPIC.

Ce qui, à vrai dire, ne l’arrangeait pas compte tenu du nombre d’élèves qu’il avait : il était plus difficile pour lui de garantir leur réussite à tous que ce devait l’être pour Jack et son plus faible nombre d’élèves. Ça n’était pas avec des étudiantes comme Kline qu’il pouvait espérer obtenir de bons résultats, quand bien même se faisait-il force pour tous les considérer comme de futurs diplômés. Certains cas étaient plus désespérés que d’autres.

Le mépris de sa collègue pour les politiques qui gouvernaient le Royaume-Uni sorcier lui soutira un rictus complice : il avait suffisamment travaillé en leur compagnie pour partager ce désamour. Il opina du chef, ne trouvant rien à rajouter à la diatribe de la botaniste. Ils n’étaient de toute façon pas là pour refaire le monde sorcier et la résine n’avait pas fini de les décevoir. Quelques tentatives plus tard et ils se regardaient non sans déception. Sans doute Wenceslas avait-il placé trop d’espoir dans cette expérience... mais les échecs étaient monnaie courante dans ce genre de travaux aussi ne s’en formalisait-il pas trop. Comme il s’y attendait, Jack ne se fit pas prier pour saisir la perche tendue et obtenir son potin du soir : c’était finalement une bonne compensation pour elle, l’ancien langue-de-plomb était le seul à en ressortir perdant mais c’était plus ou moins l’histoire de leur relation amicale.

- Tu vas finir par en savoir trop de moi, ma chère, si je n’ai plus de mystères, ne perdrais-je pas d’intérêt à tes yeux ?

L’homme joignit les mains devant lui, l’esprit en pleine réflexion : que pouvait-il lui dire qui satisfasse sa curiosité ? Elle en connaissait déjà tant sur lui qu’il était difficile de trouver quelque chose qui soit réellement nouveau. Il n’y avait finalement qu’une révélation dont il était certain qu’elle n’en connaisse pas encore l’existence... il en avait déjà parlé à Fergal, après tout, quoi de plus logique que de lui annoncer à elle aussi ? Pourtant, il y rechignait encore peu. Elle était sûrement celle qui pouvait le plus comprendre son désir de ne pas avoir d’enfants.

- J’ai eu un enfant, lâcha-t-il finalement, sans trop en rajouter. Il n’allait tout de même pas tout lui dire si vite ? Il devait bien conserver quelques secrets.

À mesure que les semaines passaient, les secrets s’effritaient, devenaient moins sombres, sortaient de l’obscurité. Quelques temps durant, Wenceslas avait aimé ce moment de silence où personne ne savait, où la réalité n’était qu’un savoir vaguement enfoui dans le creux de son cœur qui ne battait désormais plus que par habitude. L’instant n’était plus à la fuite, malgré cette tentation toujours forte de conserver cette vie d’ignorance simple ; des mots étaient posés, des confidences faites. Au détour d’un verre, son directeur et supérieur hiérarchique informé, mais avant tout un ami qu’il estimait bien meilleur juge de la situation. Et à présent, Jack, celle qui en savait plus, celle qui voyait dans les rides du langue-de-plomb le souvenir de leurs pires années. Le jour où il en avait parlé à Fergal, il avait su qu’il finirait par le confier également à son ancienne codétenue. Ce n’était qu’une question de temps. Une occasion particulière, un moment de complicité moqueuse comme ils savaient tant en avoir. Et le voilà venu, ce jour : une expérience peu concluante, plutôt décevante à dire vrai, mais qui avait le bénéfice de délier les langues.

La surprise émailla la voix de la botaniste lorsqu’elle se mit à répéter la confidence. Personne ne s’y attendait : qui aurait cru que le morose professeur de sortilèges ait pu s’enticher suffisamment longtemps de quelqu’un pour avoir une progéniture. Sans doute l’imaginait-on avoir une vie amoureuse aussi plate que celle d’un vieux moine cistercien, et aujourd’hui, ils n’auraient guère tout à fait tort, mais cela n’avait pas toujours été le cas. Il avait été un homme comme les autres autrefois. Cela n’avait pas duré bien longtemps, mais juste assez pour qu’il comprenne certaines de ses plus grosses erreurs. Pour seule réponse, il opina lentement du chef, laissant l’information cogiter tranquillement dans l’esprit de sa collègue hébété. Un rire presque nerveux rompit le silence, puis finalement l’ironie qui pointait le bout de son nez.

- Sans surprise, il s’en sort infiniment mieux avec Moritz que nous avec les nôtres.

Senne était peut-être têtue, mais Jack demeurait sa mère, n’en déplaise à la petite serdaigle. Wenceslas, lui, n’était rien sinon celui qui portait tous les maux de cette histoire. Il se satisfaisait bien de ne point avoir une part à jouer dans l’algorithme, mais s’il pouvait en être pleinement exclu, il s’en porterait infiniment mieux. Il regarda son amie s’éloigner, trouvant refuge sur un banc de la serre qui semblait avoir été laissé là pour recueillir les coups durs de fin de soirée.

- Tu ne me croirais sûrement pas si je te le disais...

La poufsouffle lui fit signe de venir la rejoindre, la main touchant son fauteuil comme une invitation à venir se lamenter sur leurs sorts de parents ratés. La scène avait un quelque chose de poétique ; une poésie dramatique aux vers sombres, qui se déclamait avec lenteur et s’appréciait mieux le soir. Sa collègue avait les traits tirés par la rancœur et cette tristesse inexplicable pour qui n’avait pas d’enfant. L’ancien langue-de-plomb laissa un soupir franchir ses lèvres, puis d’un coup de baguette, il fit apparaître une bouteille d’un vieux bourbon probablement très cher, et deux verres qui allaient avec.

- Il me semble que nous en avions également parlé, c’est sûrement le moment où jamais.

Lentement, il découcha le récipient pour en verser un peu dans chaque verre, puis il gagna son amie en quelques pas, lui tendant un verre avant de s’asseoir à ses côtés. La douce lumière qui éclairait la serre se reflétait dans le liquide ambré, lui donnant une teinte plus dorée.

- Parfois, je regrette d’être venu à Poudlard ; je n’aurais pas eu à m’inquiéter de cet enfant dans les tréfonds de mon département, confia-t-il après quelques secondes à laisser l’alcool danser dans son verre. « Le privilège des hommes couards comme moi... »

Partir sans se préoccuper de ce qu’ils laissaient derrière, ignorer jusqu’à l’existence même d’une progéniture. Jack n’avait pas eu ce choix lâche, mais lui... lui, il aurait pu croire éternellement que le garçon vivait en Corée dans une famille équilibrée, s’abritant derrière cette illusion pour n’avoir jamais à se demander s’il n’était pas de son devoir de s’en occuper un peu.

Lourd était devenu l’air, comme si dans l’oxygène étaient venues se mêler des particules d’angoisses et de secrets désagréables. Jack n’était peut-être pas née pour devenir mère, mais elle avait toutes ces années durant porté le fardeau de la maternité aussi bien qu’elle le pouvait. Wenceslas, lui, ne pouvait se targuer de la même réussite. Il était un homme et avait bien plus de liberté en la matière ; l’attachement était moins fort, d’autant plus qu’il n’avait pas connu cette progéniture, jusqu’à très récemment. Il savait les difficultés qu’elle pouvait rencontrer pourtant, il ne s’était pas imaginé voir sa collègue et amie ainsi, si affectée. Était-ce si difficile, si rude avec Senna ? La botaniste n’était pas une femme qui se confiait si facilement et malgré tout ce qui pouvait les rapprocher, il ne représentait pas l’homme affable que l’on imaginait facilement recevoir les confidences angoissées d’autrui.

Wenceslas soupira, profitant du temps qu’il fallait pour leur servir deux verres afin de laisser l’opportunité à la directrice de poufsouffle de reprendre ses esprits. S’approchant finalement d’elle, il se fendit d’un sourire.

- Jin Kyung Seo, le capitaine de l’équipe de serpentard.

Qu’elle s’étouffe avec son verre ne l’aurait pas étonné ; évidemment, la ressemblance n’était pas la première chose qui frappait quand on les regardait. Métissage oblige, le garçon avait – très heureusement pour la simplicité de son enfance – hérité des traits de sa mère. C’était dans le caractère qu’il commençait peu à peu à reconnaître ce qu’il avait pu retirer de ce géniteur inconnu ; une tendance au rejet, un attrait certain pour la solitude et un sourire difficile. Dans la manière dont il recourbait ses lèvres en un rictus, l’on pouvait parfois reconnaître un peu du langue-de-plomb chez le Coréen. C’était fugace, rapidement oublié au profit de cette moue froide et peu engageante qu’ils avaient le mérite de partager.

Wenceslas gagna le banc, à côté de sa collègue, faisant lentement tournoyer le liquide dans son verre avant d’en avaler doucement quelques gorgées qui vinrent brûler son palais. C’était indéniablement une bouteille de qualité, un whisky de prix qu’il aurait pu savourer en d’autres circonstances. Mais ce soir, il lui paraissait fade, sans saveur. Comme sa paternité. La question de Jack visait juste. Incisive, ô combien violente, elle frappait là où cela faisait le plus mal. Mettre des mots dessus lui rappelait sa lâcheté, cette fuite coupable qu’il avait eue, se cachant derrière la prétendue origine familiale de la mère pour s’épargner d’avoir à assumer un enfant. Mais le destin n’entendait pas les choses ainsi.

- Dieu que j’aimerais pouvoir dire que j’ignorais jusqu’à récemment son existence... soupira-t-il en terminant son verre. « J’ai su quelques temps après mon retour en Grande-Bretagne que la mère attendait un enfant. »

Le né-moldu regarda un instant son verre vide, ses iris se reflétant dans le récipient transparent, avant de rajouter d’un ton qui pouvait paraître presque amusé :

- Je ne t’en voudrais pas de me mépriser. Ou de m’insulter. Fergal a été trop doux.

Il ne méritait guère plus que du mépris ; lui-même en avait conscience. Il en avait toujours eu conscience, mais jusqu’à présent il avait réussi à se complaire dans ce silence coupable, se satisfaisant des quelques excuses qu’il parvenait à ses trouver. Face au garçon, toutefois, cela devenait de plus en plus compliqué et la vérité venait frapper à sa porte plus souvent qu’il ne l’aurait cru possible.

Le silence s’installa si tôt le nom de la progéniture énoncée. Un verre se vida, celui de Jack, rapidement suivi par Wenceslas qui ne tarda pas à appeler d’un coup de baguette la bouteille pour recharger leurs deux récipients. Était-ce raisonnable ? Peut-être pas, mais il l’était suffisamment le reste du temps pour se permettre une digression dans la mesure. Peut-être l’alcool faisait-il déjà effet, d’ailleurs, car il se sentait moins oppressé par ses aveux ; pas vraiment libéré mais plus tranquille en lui parlant. Il ne leva même pas un sourcil quand le rire de sa collègue rompit le silence. Il s’y était attendu, d’une certaine façon. Son poing vint s’abattre sur l’épaule de l’ancien langue-de-plomb dans un geste à l’aspect un peu ridicule qui n’allait guère à aucun d’eux.

- Ce n’était pas tout à fait volontaire, mais merci, répondit-il calmement avant de tremper à nouveau ses lèvres dans le liquide.

Aidé par le spiritueux, la commissure de ses lèvres daigna se recourber discrètement lorsque la botaniste remarqua chez eux un point commun, comme soudainement frappée par l’évidence de cette ressemblance. Le professeur de sortilèges n’était pas bien sûr que quiconque puisse réellement voir dans leurs caractères respectifs des liens qui témoignent de leur parenté, mais l’image du si peu souriant Jin Kyung eut le mérite de l’amuser ; il fallait admettre qu’à cet égard, il ne lui était pas si différent.

- Crois-moi que si j’avais dû choisir, ce n’est peut-être pas ce trait de mon caractère que je lui aurais transmis.

La brève interlude légère laissa vite place à une ambiance plus dure, marquée par les responsabilités non assumées de Wenceslas ; certains pourraient éventuellement lui trouver des excuses ou amenuir sa responsabilité, mais il n’était pas dans son tempérament de chercher à nier celles qu’il avait indéniablement. Beaucoup de choses auraient pu être différentes et sans doute auraient-elles dû l’être. Il était trop tard pour s’appesantir dessus à présent mais ça n’empêchait sûrement pas de reconnaitre ses fautes. Si Fergal était resté relativement peu expressif à ce sujet – et il se doutait bien qu’au fond, le directeur n’était pas celui qui défendrait le plus la vertu du langue-de-plomb – il s’était attendu à rencontrer une résistance plus forte de sa collègue, sans doute parce qu’elle n’était pas connue pour avoir la langue dans sa poche. Elle ne se s’était jamais vantée d’être une mère parfaite, mais elle jouait son rôle du mieux qu’elle pouvait après tout, et était en parfaite position pour le critiquer. Elle ne le fit pourtant pas, lui trouvant même un semblant de début d’excuses qui fit discrètement sourire le plus jeune des enseignants ; il voyait bien où elle voulait en venir, mais de son point de vue, ce n’était pas aussi simple et réduire l’histoire à une banale affaire de volonté maternelle était une erreur.

- Non, elle n’a pas demandé à ce que j’assume quoi que ce soit... reconnut-il malgré tout en faisant tournoyer machinalement le liquide dans son verre. « En réalité, je n’ai pas appris immédiatement qu’elle avait eu un enfant de moi. »

Une pièce, puis deux dans la cagnotte des excuses. Il leva les yeux vers le plafond de verre – au sens littéral, ils étaient dans une serre de botanique après tout – et modifia légèrement sa position sur le banc, avant de reprendre :

- Cela étant, j’étais bien content qu’elle ne me demande jamais rien et quand je vois le garçon qu’il est devenu, je ne peux m’empêcher de me demander si je n’aurais pas pu... corriger certaines choses. Il soupira. « Avoir un fils biologique pro sang-pur, pour un sang de bourbe qui a connu la guerre, reconnais que ça n’est pas la plus agréable des choses. »

Quoi qu’il en soit, nul ne doutait que Wenceslas n’était pas un père : il ne l’avait jamais été et n’avait jamais voulu l’être, bien au contraire. Mais l’homme qui avait donné son nom au garçon ne semblait pas être beaucoup plus paternant que lui.